2017-01-10

Mylène Douet Guérin a soutenu sa thèse « Pratiques sportives, normes et socialisations : représentations sociales de la norme en basket-ball, escalade et paintball » en décembre 2013 à l’Université Paris Descartes. Elle est aujourd’hui salariée à la fédération sportive et gymnique du travail (FSGT) et travaille pour le développement des pratiques des enfants et les sports de nature. Dans cet entretien, elle revient sur son parcours de thèse et à la manière dont ce parcours l’a conduit au sein d’une fédération affinitaire. La discussion permet également d’aborder la question des conditions de travail à l’université et au sein de la FSGT ou encore la question du rapport du mouvement sportif à la recherche.

Pour démarrer, est-ce que tu pourrais revenir sur ton parcours qui t’as conduit d’abord en STAPS, puis vers le monde de la recherche ?

Je voulais devenir prof d’EPS. J’avais un avenir tout tracé depuis la sixième. Je savais que je voulais faire ça. C’était clair qu’après le lycée, j’allais aller en STAPS. Donc j’ai été en STAPS, à Nantes. Ma première année, j’ai juste fais le premier semestre, c’était pendant les grèves LMD, j’étais plus engagée dans les mouvements étudiants… Après, je me suis inscrite en lettres modernes pour le second semestre et je me suis finalement dit : « non, je ne peux pas ne pas faire de sport pendant mes études ». J’ai été en erasmus la deuxième année. Je suis ensuite arrivé à Paris où je me suis un peu remobilisée dans la perspective du CAPEPS mais c’était la très belle époque où il y avait 4000 candidats pour 500 postes, c’était un peu compliqué. En plus, pendant mon année de licence 3, je me suis un peu braquée parce que j’ai eu l’impression qu’on m’apprenait d’avantage à plaire à un jury du CAPEPS qu’à devenir une bonne prof d’EPS et j’avais conscience qu’avec les cours que je suivais, je n’allais pas être une bonne prof d’EPS. Par contre, j’étais bien programmée pour répondre au jury. Donc je me suis dit, si c’est ça, je vais faire de la recherche. Et donc je me suis inscrite au master 1 cultures sportives de Paris Descartes. En Master 1, j’ai trouvé super intéressant de réfléchir à des questions qui m’animaient et me motivaient, donc j’ai continué en master 2 et après j’ai été en thèse.

Ton engagement dans ce master 1 recherche est-il lié à d’autres facteurs ?

C’est ce qui me paraissait le plus cohérent par rapport à mon parcours. Au lycée, j’avais fait littéraire, je trouvais ça intéressant de lire, je commençais à faire en sorte de bien plaire à ce jury du CAPEPS. Je lisais beaucoup, ça m’intéressait de lire sur les positionnements pédagogiques et didactiques. C’était donc un peu la continuité de ce parcours d’aller un peu plus en sociologie. Il y a aussi le fait – mon côté féministe ne va pas apprécier de dire ça, mais mon ami était aussi en sociologie, il était en master, il savait qu’il allait se lancer en thèse, ça a joué.

Sur quoi travaillais-tu en master ? à quel moment t’es-tu dis qu’il fallait continuer en thèse?

En fait, je me trouve cohérente. En M1, j’étais dans les questionnements au sujet des positionnements des gens qu’on étudiait. Je me posais beaucoup de questions sur l’opposition Parlebas / Pociello en STAPS. Je ne comprenais pas pourquoi on les opposait autant, pourquoi il y avait une guerre. Donc je m’intéressais à cette opposition par rapport aux choix de la pratique sportive. Mon mémoire de master 1, c’était «Le choix de la pratique sportive, une approche à travers les théories de l’habitus et de l’individu rationnel. L’exemple du handball.» L’objectif était de s’intéresser à ce qui opposait les auteurs à travers les gens du terrain, des gens qui pratiquaient en club. Je commençais à amorcer mes réflexions sur l’individu et le choix de la pratique. Pendant le master 2, je m’intéressais toujours au choix de la pratique sportive. J’aimais bien l’idée de poser une question un peu globale et d’avoir après quelque chose d’assez personnel, d’aller demander aux gens ce qu’ils en pensaient. Je m’étais plus intéressée côté théorie, aux approches de l’individu, parce qu’on arrêtait pas d’entendre « c’est une nouvel ère de l’individualisme », ça m’intéressait de voir ce qu’on entendait par l’individu en sociologie. Mon sujet de thèse s’est inscrit un peu dans la continuité, parce que, ce qui m’intéressait, c’était de voir comment les gens acceptaient le côté très normalisé du sport, comment on acceptait, comment on pouvait accepter des règles très coercitives dans le sport en partant de trois sports différents qui avaient des degrés d’institutionnalisation plus ou moins divers : l’escalade, le paintball qui n’était pas du tout étudié en sociologie et le basket, qu’était assez ancré dans le mouvement sportif.

Sur un plan plus institutionnel, comment s’est passée ton intégration dans le laboratoire Technique et enjeux du corps ?

Ça s’est plus ou moins bien passé. On avait des jeudis après-midi où on se retrouvait dans le laboratoire, je commençais à y aller en master 2, donc je connaissais un peu les gens du labo. Après, ce qui a été très bizarre dans mon parcours d’étudiant, c’est que j’étais étudiante boursière jusqu’à mon master 2 et d’un seul coup en thèse, j’avais participé à l’attribution des contrats doctoraux de l’école doctorale 456, qui regroupe les STAPS de Nanterre, Orsay et Paris Descartes. J’ai été classée à la première place après la dernière bourse. Ça a été un peu une grosse désillusion parce que Paris Descartes n’a pas eu de place dans un système qui serait intéressant à analyser d’ailleurs… et donc, je n’ai pas eu de subventions au départ. J’ai cherché partout, j’ai été chez les assistantes sociales, etc. J’ai envisagé de commencer une thèse avec un petit boulot d’étudiant, je suis devenu pionne, donc je pensais commencer ma thèse avec ça et puis mon directeur de thèse, qui était mon directeur de mémoire, Bertrand During, a réussi à obtenir une allocation doctorale, via une école doctorale de Paris Descartes, en dehors de l’école doctorale STAPS, donc j’ai été financée pour mes 3 ans.

Comment se sont passées ces quatre années de thèse ?

Ça s’est passé comme toute thèse se passe, avec des hauts et des bas. T’apprends le travail de doctorant. En fait ça aussi, ça a été un peu spécial. J’ai eu des souci de santé au début de ma thèse, qui m’ont mis dedans la première année. J’avais une méthodologie de travail qui était bien construite après mes deux années de master, je pensais vraiment faire trois ans de thèse. Mais en fait les aléas de la vie font que…, ça s’est passé comme ça, j’ai perdu un peu de temps, je ne me sentais pas très intelligente. Il a fallu que je retrouve le truc « je suis légitime, je suis compétente », ça a fait son petit bonhomme de chemin. Le fait que mon ami fasse sa thèse en même temps, ça m’a aidé aussi.

Quelles étaient tes conditions matérielles de travail? Tu avais un bureau ?

À part les rendez vous du labo où on pouvait exposer nos travaux à nos pairs… Je n’avais pas de bureau. C’est des choses qui sont arrivées un peu après. Des gens ont investi les lieux, ont fait une salle des doctorants. À l’époque il n’y avait pas ça, je n’ai pas été instigatrice non plus, je n’ai pas cherché à impulser ce genre de truc, pas du tout. Et puis l’université était dans le quinzième arrondissement, quand j’ai déménagé pour rien au monde j’aurais voulu vivre dans le quinzième. Je vivais loin, je travaillais très bien chez moi.

Quel place tu avais au sein du labo ? Comment étaient les relations avec ton directeur de thèse ?

On m’avait laissé entendre que je devais des choses au labo avec le contrat doctoral, comme les ATER qui étaient embauchés. J’ai donc participé chaque année à l’organisation des journées d’étude. C’était intéressant, ça crée du lien social entre les doctorants et ça te fait apprendre le métier. Tu décortiques un sujet avec la construction de l’appel à communication, etc. Finalement, c’est un travail collectif alors qu’en parallèle, on est souvent seul. J’ai aussi participé à la continuité du REDESP. C’était un réseau d’étudiants en sciences sociales du sport initié par Marion Fontaine et Peter Marquis. C’est Charles Eric Adam, collègue de master 2 qui m’a proposé de poursuivre l’aventure du REDESP avec lui. C’était une belle expérience, on rencontre du monde, on apprend ce sur quoi les autres travaillent. Après, les relations avec le directeur : Au début, je devais faire en co-tutelle avec l’Espagne pour faire une comparaison France/Espagne. J’ai passé un an à essayer de mettre en place cette co-tutelle, parce que l’Espagne demandait beaucoup de choses. J’ai abandonné. Un autre prof de mon labo a alors pris la place de co-direction, pendant un an. Après il est devenu PU, il est parti et c’est une autre personne qui a pris cette place. Après, j’avais tout le temps Bertrand During en tant que directeur mais je ne le voyais pas si souvent que ça. Par contre, j’ai eu un gros soutien d’Hélène Joncheray (co-directrice) sur les deux dernières années. C’était la première thèse qu’elle encadrait vraiment, j’ai eu un gros soutien de relecture, de conseil, c’était super bien. le degré d’exigence qu’elle a été obligée de m’insuffler m’a bien aidé à avancer.

Comment s’est passé la fin du contrat doctoral sur le plan économique ? Et la gestion de la fin de la thèse ?

Déjà il a fallu réclamer l’inscription en 4ème année. On m’avait dit d’argumenter pour ne pas avoir de soucis. J’ai même payé une cinquième année pour pouvoir soutenir dans la mesure où ma soutenance avait lieu le 13 décembre, soit 13 jour après la date limite pour soutenir en 4e année. C’était plus pour l’administratif de Paris Descartes. Sur le financement, j’ai trouvé un poste d’ATER. j’ai enchaîné sur deux années d’ATER à Valenciennes où était Hélène Joncheray. Elle était MCF à Valenciennes. J’ai obtenu un poste d’ATER à temps complet de 2012 à 2014. J’ai eu un parcours un peu rêvé sur ce plan-là. Ensuite, ça a été parce que j’ai eu les mêmes cours sur les deux années. Donc ça a été dur sur l’année 2012/2013, j’ai eu une dernière année de thèse éprouvante, mais pour l’année d’après, ça allait. La reprise de la deuxième année d’ATER a été assez tranquille, parce que les cours étaient déjà prêts, j’ai pu me concentrer sur la soutenance.

Comment as-tu organisé l’après soutenance et l’après ATER ?

Comme je savais que je ne correspondais pas forcément aux critères pour obtenir les qualifications, pour être maître de conf’ et que ça avait toujours été un truc assez clair chez moi, je me disais que je faisais une thèse parce que ça m’intéressait intellectuellement, en sachant que ça ne déboucherait pas sur maître de conf, même si j’ai fantasmé sur ce métier comme tout à chacun des thésards, mais je me suis très vite rendu compte que ce n’était pas quelque chose qu’allait me motiver. J’avais d’autres fantasmes professionnels plus dans le milieu associatif. Au début de ma deuxième année d’ATER, quelques temps avant ma soutenance, j’avais passé un entretien pour bosser à la FSGT donc je me disais déjà, s’il faut démissionner de l’enseignement supérieur, je serai tricard vraiment partout, mais si j’ai une opportunité de bosser dans cette fédération dans laquelle je voulais travailler, je me suis dit pourquoi pas. Finalement, je n’ai pas eu le poste, ils recherchaient quelqu’un de plus technicien, alors que j’étais sur les grandes idées, les grandes valeurs de la fédération, donc je n’ai pas eu le poste, donc je n’ai pas démissionné.

As-tu fait d’autres recherches ensuite dans d’autres fédérations, d’autres associations ?

Je me disais « j’ai envie de bosser dans l’associatif sportif ». Après, j’avais vraiment en ligne de mire la FSGT. C’était vraiment le grand fantasme professionnel que j’avais. Je m’étais investi dans un club d’escalade en région parisienne, j’allais aux réunions de la commission régionale montagne/escalade en tant que bénévole, je connaissais le siège, je connaissais quelques personnes qui y travaillaient. Je me renseignais aussi sur ce qu’il se passait au niveau du sport, j’ai été à un truc de l’APELS, un jour dans le dix-huitième arrondissement pour voir ce qu’il s’y passait. J’avais parlé à Benjamin Coignet, je regardais les sites des fédérations affinitaires pour voir si elles proposaient du travail. Mais au final, je n’ai pas vraiment cherché. Très vite, je n’ai pas eu le poste à la fédération, très vite, j’ai été au courant qu’il y allait avoir un autre poste et je me suis dit il y avait peut-être des chances que ce soit pour moi. Je ne pouvais pas savoir mais je ne me suis pas trop pris la tête. J’ai regardé d’autres trucs mais j’avais tellement peur de choisir quelque chose par défaut.

Tu as quand même eu à gérer quelques mois de chômage à la fin des contrats ATER ?

Oui, et des imbroglios administratifs avec pôle emploi. La grosse question était de savoir qui paye les indemnités pour quelqu’un qui a été embauché par une faculté. Ça dépend des accords que l’université a passé avec pôle emploi en fait. donc Valenciennes disait que c’était pôle emploi. Pôle emploi disait que c’était Valenciennes. sauf qu’ils ont mis plusieurs mois à tomber d’accord. Je pensais pouvoir mettre à profit cette période pour voyager, prendre du temps pour moi, sortir du stress post-thèse, et bien pas du tout, parce que j’étais vraiment sans le sou, parce que ce n’est pas avec un salaire d’ATER que tu peux épargner et mettre de côté. Je n’ai pas été payée pendant plusieurs mois, ça fait partie du jeu, ça ne m’a pas étonné plus que ça.

De quelle manière as-tu été recrutée au sein de la FSGT ?

C’était plus ou moins le même poste que l’année d’avant. Ils voulaient quelqu’un sur le développement des activités enfants au sein de la fédération. Il y avait une grosse volonté politique de développer ça, de revenir aux anciens combats de la FSGT. C’était presque la même fiche de poste que celui auquel j’avais postulé l’année d’avant. J’avais demandé un peu à la personne qui gère « les forces humaines » ce qui n’allait pas lorsque je n’avais pas eu le poste. Je savais vers quoi aller, quel profil ils recherchaient. Après, la fédération ne fonctionne pas comme une boite classique, c’est le processus de recrutement qu’il y a au sein de la FSGT. On transmet l’annonce dans le réseau, etc. Dès que l’annonce est sorti, on me l’a dit. Je contactais aussi Benjamin de la fédération qui était donc sur « les forces humaines ». Je lui envoyais des mails régulièrement. Je pense que mon profil commençait à être connu au sein de la fédération.

Est-ce que tu crois que ton statut de docteur a participé au recrutement? ou c’est finalement surtout ta connaissance de la FSGT ?

Je pense que c’est un peu des deux. je pense aussi que c’est compliqué et qu’on pourrait en parler pendant des heures. Il y a différentes choses. Le fait de connaître la FSGT, par mon parcours en STAPS, par mon militantisme bénévole. Ce n’était pas juste lié à mes études. Je pense que ça plaît parce que ces dernières années, il y avait eu des embauches à la fédération via des annonces Pôle emploi de gens qui ne connaissait pas l’univers de la fédération. Donc quelqu’un comme moi qui était attirée idéologiquement et politiquement par la fédération, je pense que ça plaisait dans le recrutement. La connaissance du mouvement sportif aussi. Après le statut de docteur, ce n’est pas forcément ça qui ouvre les portes, je ne suis pas certaine qu’il soit reconnu, et ce n’est pas mon combat. Par exemple, au niveau de la revalorisation salariale qui devrait exister par rapport à un parcours doctoral, j’en suis très très loin. Ça, je le savais, c’était plus un engagement politique et personnel d’aller travailler à la FSGT pour moi qu’un moyen de gagner ma vie, je le savais et il n’y a pas de souci, mais maintenant que je comprend un peu plus le fonctionnement de la fédération et que je suis un peu plus au courant des prises de décisions, notamment par rapport aux processus de revalorisation salariale, je me rends compte qu’ils disent qu’un des trucs, c’est l’expérience. L’expérience peut rentrer dans ton salaire. J’ai l’impression que moi, mon parcours de chercheuse, d’étudiante doctorante chercheuse, il n’est pas reconnu. C’est comme-ci tout le boulot que j’avais fait, les deux années d’ATER, on ne reconnaît pas ça comme expérience professionnelle. Ça c’est quelque chose de plus général sur le statut des doctorants et des ATER. On nous prend un peu pour des branleurs, si en plus avec un peu de chance on a eu un contrat doctoral, on est vraiment… Je pense que ce n’est pas hyper reconnu. Après, c’est quelque chose qu’on aime bien au sein de la FSGT. Il y a par exemple Nicolas Ksiss qui participe à des colloques, qu’on considère comme l’historien de la FSGT. On a toujours aimé idéologiquement et historiquement à la fédération les gens qui réfléchissent un peu, qui conceptualisent, mais je ne suis pas sûr que mon recrutement soit lié à tout ça.

La FSGT, une fédération pas comme les autres.

Au delà de son caractère affinitaire et de son histoire, la FSGT se démarque également des autres fédérations par sa relation particulière aux sciences sociales. La FSGT est attaché à une forme de réflexivité fédérale et pédagogique et à une maîtrise de son histoire. Les salariés et conseillers techniques et sportifs de la FSGT aiment raconter que la première chose qu’on leur met dans les mains à leur arrivée est la thèse de Marianne Borrel sur les transformations de la fédération entre 1964 et 1992. L’importante bibliothèque au niveau du siège fédéral et les événements organisés autour de l’histoire de la fédération ou des questions pédagogiques renforcent la démonstration de ce positionnement fédéral. De plus, Mylène Douet Guérin n’est pas la seule à posséder un parcours de chercheur.e dans les rangs de la fédération. C’est le cas de Nicolas Kssis, historien de formation, journaliste pour la revue fédérale « sport et plein air » et portant donc une attention particulière à l’histoire de la fédération. Il a également publié en 2014 « La FSGT : du sport rouge au sport populaire » aux éditions La ville brûle. Aussi, nous pouvons citer Guillaume Conraud réalisant sa thèse au sein de la fédération via une convention CIFRE. Ses travaux portent sur les enjeux d’identité et de valeurs au sein de la fédération (voir encadré 2). C’est d’ailleurs la deuxième fois que la fédération construit une convention CIFRE avec un laboratoire et un.e doctorant.e. Lorsque nous l’interrogeons sur le sujet, Roland Besson, membre de la direction nationale collegiale explique ce positionnement fédéral original par son caractère historique et cyclique. Il rappelle ainsi l’origine de cet intérêt pour la recherche durant les années 1960 et 1970, où « sous l’impulsion de Robert Mérand et d’un conseil pédagogique et scientifique, la fédération plaçait au coeur de son action la recherche et l’innovation pédagogique ».

Au sujet du contenu de ton travail? Qu’est-ce que tu fais? Est-ce que tu mobilises ta qualité de chercheur?

Alors je vais partir très pragmatiquement de ma fiche de poste. Ma fiche de poste est intégrée au domaine des activités. J’ai un mi-temps sur l’enfance, sur le développement des activités enfants. Après, mon autre mi-temps se compose sur le suivi et l’accompagnement des activités. J’ai les activités liées à la randonnée pédestre, à la montagne/escalade et aux sports de neige. J’ai pu choisir ce qui m’intéressait le plus. J’ai toujours été plus orientée vers les sports de nature donc ça c’est super sympa. Après par exemple, pour le festival des innovations l’année dernière qui s’inscrivait dans les manifestations des 80 ans de la fédération, on m’a demandé d’être pilote avec d’autres bénévoles. Dans la fédération, on ne va pas forcément que responsabiliser des salariés, on travaille beaucoup avec les forces bénévoles et militantes qui sont volontaires. On était pilotes de tout le côté forum/débats/conférences du festival et ça, je pense que c’est lié à mon parcours de recherche. J’ai trouvé ça super intéressant, ça m’a rappelé mes années à Paris Descartes où j’organisais des journées d’études. Ce n’est pas du tout la même organisation en travaillant avec des bénévoles, tu ne vises pas le même public non plus, tu ne vises pas un public uniquement universitaire. J’ai trouvé que c’était un beau défi, une bonne continuité. Je me rend compte aussi que j’aimerais beaucoup plus lire. Au début, j’ai beaucoup lu sur l’enfance, tous les livres et articles qui étaient passées dans les revues fédérales où il y avait des gens qui avaient un peu conceptualisé le sport et l’enfance. Je trouvais ça intéressant. Ça m’aidait à écrire des choses dessus ou à penser un peu. Dans mes missions de travail, je me suis aussi proposé au sein de la coordination du collectif fédéral enfant pour faire l’analyse de la baisse des effectifs. Il y a une baisse des effectifs qui est assez importante à la fédération depuis deux ou trois saisons. Là, j’emprunte directement aux méthodes universitaires, pour faire une grille d’entretiens, des entretiens avec les gens. Je prend aussi du plaisir à participer aux instants institutionnels de la fédération, les estivales ou les hivernales. Ce sont des moments où on se réunit pour réfléchir au contexte social qui entoure la fédération, pour voir comment on pourrait se situer. Je trouve ça hyper important, certainement en raison de mon parcours de recherche.

Tout le monde a tendance à dire au sein de la FSGT qu’on est un peu libre de choisir ses missions, mais avec certaines limites ? Comment tu vois cette particularité de la fédération ?

C’est un peu compliqué quand au début, alors que tu fais les entretiens d’embauche, on te dit « mais tu sais tu va être assez libre, livré à toi-même ». Quand tu sors de quatre ans de thèse, ça ne t’inquiète pas. Mais en fait, la réalité est différente parce qu’au sein des domaines, tu travailles avec des collègues et tu as aussi des coordonnateurs à qui il faut rendre des comptes. Il y a cette liberté qui est présente et qui est super intéressante, ça permet de faire des choix. Par exemple, je suis plus au niveau de la coordination du collectif fédéral enfants, donc je suis un peu sur les analyses des effectifs, mais je suis aussi sur le groupe de travail petite enfance. On est beaucoup à travailler sur la petite enfance, sur la pratique familiale, tout ce qui peut toucher à la parentalité positive et la motricité libre chez l’enfant. Ce sont des trucs intéressants et je trouve ça bien de pouvoir bosser dessus, ne pas être obligé de travailler sur des choses précises, c’est agréable d’avoir cette liberté.

Guillaume Conraud a démarré une thèse en CIFRE avec la FSGT il y a un an et demi? Est-ce que tu as un rôle vis à vis de sa thèse?

Non. On en parle beaucoup, parce que je suis passé par là. Je sais ce qu’il peut traverser donc on en parle et puis ça m’arrive de lui dire « il faut que tu viennes à cet endroit là, ce serait bien, tu pourrais faire ça, etc.». Au niveau de son terrain FSGT (voir encadré), Il a déjà beaucoup de matériaux, mais non, on ne m’ a rien dit par rapport à ça. Après, il y a plein de gens au sein de la FSGT qui ne savent pas que j’ai une thèse en sciences sociales, ce n’est pas un truc dont je me suis vanté. je ne me vois pas dire « je vais vous expliquer, vous voulez que je vous parle du mouvement sportif parce que… » c’est un positionnement aussi. Je voulais arriver avec beaucoup d’humilité et voir comment ça fonctionnait, après ça me fait du bien de parler d’auteurs avec Guillaume, ça permet de garder un pied dans le truc.

Être en CIFRE au sein de la FSGT.

Guillaume Conraud a démarré une thèse en convention CIFRE avec la FSGT à la fin de l’année 2015 après un stage de master 2 dans la fédération et un an d’échange entre son laboratoire et la fédération. Il explique d’ailleurs que dans le processus de construction de la CIFRE, « Le plus compliqué c’est de négocier avec la structure qui t’accueille et paye un morceau de la thèse, justifier que ton travail est nécessaire pour la structure». Il est alors recruté en CDD pour une durée de trois ans, avec des conditions de travail qu’il considère comme bonnes « j’ai un bureau, un ordi, un accès à toutes les réunions que je souhaite ». Au quotidien, il travaille à l’accompagnement de la construction d’une nouvelle politique fédérale. Il réalise notamment des enquêtes qualitatives dont les analyses sont co-produites avec avec les militants de la fédération afin de construire un diagnostic partagé de la situation de la fédération du local au national. Le travail mené s’inscrit donc en cohérence avec les compétences et savoirs d’un doctorant et plus globalement avec son travail de thèse. Né au moment des 80 ans de la fédération, son projet de thèse porte sur les enjeux d’identité et de valeurs au sein de la fédération. Il évoque d’ailleurs une position de la fédération n’ayant pas peur de retours critiques (cf encadré 1) et l’absence de barrière à l’expression de ses analyses. En tant que doctorant CIFRE, la difficulté pour Guillaume Conraud est alors de réussir à se positionner entre son laboratoire et la fédération. Il souligne une difficulté de reconnaissance au sein de son équipe de recherche, et en parallèle un regard influencé par la vie au quotidien au sein de la FSGT. En deuxième année, il s’interroge alors également au sujet de l’après-thèse. Intéressé pour poursuivre l’aventure au sein de la fédération, il évoque des réflexions stratégiques avec son directeur de thèse pour rester toutefois au coeur du monde universitaire. Il émet par ailleurs l’hypothèse d’une difficulté à aller trouver du travail dans d’autres milieux après avoir passé trois ans dans cette fédération : « Quand tu fais une thèse en CIFRE au sein de la FSGT, tu donnes une coloration à ton CV, tu sais que tu te fermes des portes ».

Justement, où en est ta vie dans le milieu académique?

Je n’ai pas du tout le temps. Je pense que s’il y avait des colloques qui arrivaient sur les organisations sportives ouvrières, je me sentirais plus légitime à parler de la FSGT. Après, il y a eu tous ces forums débats du festival des innovations l’année dernière où j’ai été cherché un peu dans le monde de la recherche. Alain Caille est venu pour la conférence inaugurale, on a eu des contacts avec Jean Paul Callède qui a fait partie de mon jury de thèse,  qui a travaillé sur la FSGT, donc il y a des contacts comme ça. Je regarde aussi un peu les appel à contribution, pour voir si je pourrais des fois reparler de ma thèse, ou parler de la fédération. J’aimerais avoir plus de temps pour analyser la fédération, le travail, les rapports interpersonnels, mais une fois que tu travailles dans le milieu associatif, tu n’as plus de temps.

As-tu gardé des liens avec ton laboratoire ?

Oui. L’année dernière on m’a demandé d’intervenir dans le master qu’ils mettaient en place : Santé Psycho Social par le sport, justement en tant que salarié de la FSGT pour évoquer un peu la fédération. J’avais été aussi à un des jeudi du laboratoire, pour parler du festival des innovations. Après je reçois toujours les mails. Encore cette année, on nous a dit, les gens qui veulent rester dans le laboratoire il faut avoir un article ou alors faire ci ou faire ça, mais j’aimerais bien garder un peu ce contact avec le milieu universitaire. Bon, j’ai quand même arrêté de recevoir des mails de Galaxie, des postes, etc. Un jour, je me suis enlevé de tout ça, je n’avais même pas la qualif’. Toutefois, j’aime bien aller voir sur calenda les trucs qu’il y a, je regrette de ne plus avoir de codes cairn, j’essaye de grappiller un peu partout. Quand t’as fais de la recherche, t’as des habitudes de relecture même si je ne lis pas autant de socio que je voudrais.

Comment vois-tu ton avenir? Toujours à la FSGT?

Des fois, je me dis que si je suis pour toujours à la FSGT, je vais devenir trop « fsgtiste », déjà que je le suis pas mal. Pour le moment je suis là, c’est très bien, ça m’apporte beaucoup parce que professionnellement c’est intéressant de bosser dans un cadre éducatif avec beaucoup de liberté. Il y a aussi beaucoup de réflexions, d’avancées intellectuelles, d’avancées personnelles, d’avancées relationnelles donc ça m’intéresse. Après, ce n’est pas exclu que je change. Je trouve ça bien d’avoir plusieurs vies, plusieurs expériences. Très vite, j’ai su que la thèse pouvait juste être une expérience, un moment de vie, et que ça n’allait pas définir toute la suite.

Propos reccueillis par Flavien Bouttet, le 28 octobre 2016.

Pour aller plus loin:

Le site de la FSGT.

La thèse de Mylène Douet Guérin sur la plateforme tel.fr

La page de Mylène Douet Guérin (Laboratoire)

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