2017-03-06

Mégane Limbach (Master 1, ENS de Lyon)

Le Vin, nectar des Dieux, Génie des hommes est un ouvrage co-écrit par 36 chercheurs, édité par le pôle archéologique du Rhône à l’occasion de l’exposition du même nom présentée en 2004 aux musées archéologiques de Lyon-Fourvière et de Saint-Romain-en-Gal. Ce livre, à vocation de synthèse, se propose de dresser un panorama des connaissances actuelles autour d’un sujet que tous les chercheurs qui y ont participé connaissent bien : le vin.

Cet ouvrage collectif a été dirigé par trois spécialistes de la question du vin dans l’Antiquité : André Tchernia, directeur d’études en archéologie à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, spécialiste du vin antique (notamment de son commerce et sa consommation en Italie et en Gaule). A ses côtés, Matthieu Poux, directeur des expositions au Pôle Archéologie du Rhône et spécialiste des festins et des religions gauloises. Enfin Jean-Pierre Brun, directeur de recherches au CNRS et ancien directeur du Centre Jean Bérard à Naples, qui s’est particulièrement intéressé à la question de la production du vin, de l’huile et des parfums dans le monde méditerranéen. Pour réaliser ce panorama de « l’histoire du vin et de la vigne dans l’Antiquité », ces trois chercheurs, auteurs de nombreuses publications et ouvrages sur ce sujet, se sont entourés d’une trentaine d’archéologues, dont les domaines de spécialité varient (anthropologues, céramologues…), tout comme leurs origines géographiques -on notera notamment la participation d’un chercheur américain et d’un chercheur grec. Cette diversité dans le choix des auteurs traduit bien la volonté des trois directeurs de proposer une vision d’ensemble riche, variée et la plus exhaustive possible de l’état de la recherche au moment de l’exposition de 2004.

Cet ouvrage se propose donc d’aborder l’histoire vin dans l’Antiquité sous tous ses aspects, depuis ses origines et son caractère mythologique à sa consommation, en passant par sa production et son commerce, toujours en s’appuyant fortement sur l’archéologie. Influencé par les spécialités de A. Tchernia, M. Poux et J.-P. Brun, Le Vin, nectar des dieux, génie des hommes s’attarde longuement sur l’Italie et sur le monde celte. Malgré quelques excursions vers le Proche et Moyen Orient et vers l’Afrique, c’est majoritairement dans ces deux aires régionales que se trouvent les bases des différents chapitres. Ces chapitres sont en réalité de grandes thématiques, dans lesquelles on trouve un premier point général, plus ou moins long (de quatre à vingt pages) complété presque toujours par de petits articles (de une à trois pages) qui reprennent un point précis du chapitre ou présentent un exemple archéologique.

S’il l’ouvrage semble suivre une certaine chronologie lorsqu’on regarde le premier et le dernier chapitres (on part du Moyen-Orient ancien pour arriver aux « derniers vignobles  de l’Antiquité », entre le Ve et le VIIe siècle), cette chronologie ne va pas de soi dans le corps du livre. Les chapitres se suivent sans qu’on voie émerger de plan chronologique ou thématique. Toutefois, on remarquera que ces chapitres s’articulent autour de quatre thématiques : l’histoire et la chronologie du vin, les données sociologiques et anthropologiques qu’on peut tirer de sa consommation, les techniques liées à la vigne et au vin (outils, modes de production, modes de transport…) et enfin le commerce (pour la répartition de ces thématiques par chapitre, cf annexe 1).

Partant du constat que le vin est très riche en symboles et est omniprésent dans les sociétés, M. Poux et M. Dietler se demandent dans l’introduction (« Du vin, pourquoi faire ? » p. 9-26) d’où vient cette importance du vin, dans tous les domaines. Ils cherchent alors à montrer les différents aspects de la vie dans lesquels le vin a une place cruciale : la religion, le luxe, le profit commercial, la politique mais aussi dans la « transgression » des règles de consommation. Ils donnent ainsi un spectre de thématiques dans lesquels les chapitres suivants pourront puiser.

Les chapitres 1, 5 et 6 proposent une exploration de l’histoire du vin et de la vigne. Dans le premier chapitre, G. Collet remonte aux « premières civilisations » (p. 27), nées en Mésopotamie et en Égypte et s’interroge sur la place qu’a pu occuper le vin dans ces « civilisations de la bière » , alors qu’il était un produit importé et de luxe. P. E. McGovern se charge quant à lui de partir à la recherche du « premier vin de l’Humanité », en faisant un bilan des sources archéologiques que nous possédons sur le vin dans le Néolithique. Les traces les plus anciennes sont deux jarres des villages de Hajji Firuz Tepe, datées aux environs de 5400-5000 avant J.-C. et l’auteur cherche à nous démontrer que la vigne y était probablement déjà cultivée à cette époque. Quant à P. Flouretzos, il propose une histoire de la vigne à Chypre à l’époque préhistorique. Le chapitre 5 (« Le Vin de l’Italie romaine » p. 105-121) propose un point sur l’histoire du vin en Italie romaine, en prenant spécifiquement pour exemple les vins du territoire de Pise et de Volterra , de l’Adriatique et de l’ager Cosanus. Ces exemples mettent entre autres en avant que l’essor de la production de vin en Italie, à partir du IIe s. avant J.-C., se trouve liée à l’importance de la demande gauloise ainsi qu’à l’urbanisation et la généralisation de la consommation. A. Tchernia et F. Olmer font également un point sur les vins considérés comme des « grands crus », en s’appuyant sur le classement effectué par Pline l’Ancien, et mettent en avant les changements qui s’opèrent avec le temps et les effets de mode liés à la consommation du vin. Le chapitre 6 enfin (« La découverte du vin par les Celtes », p 127-138) s’intéresse à l’histoire du vin chez les Celtes. Si le vin est consommé dès le VIe siècle av. J.-C., F. Perrin met en avant que la société gauloise va foncièrement changée, « se disloquer » (p 132) au Ve siècle et que cette évolution correspond à la période de l’arrivée globale du vin. Ce passage à une société fortement guerrière est-il dû à une sur-consommation de vin? F. Perrin avance prudemment cette hypothèse. Après avoir montré le rapport existant entre le vin et le corail, importés en même temps, l’a. interroge aussi l’importance du mythe de la Gorgone (lié au vin et au corail), qu’on retrouve sur le cratère de Vix (p. 138) : les Celtes pensaient-ils tirer une nouvelle force en buvant du vin symbolisant le sang de Méduse ? Pour F. Perrin, si l’introduction du vin ne peut à lui-seul justifier la déstabilisation des sociétés celtes au Ve siècle av. J. C., la coïncidence est trop forte pour n’être que cela.

Parallèlement à ces propos historiques, les chapitres 2, 3, 4 et 8 proposent une synthèse de ce que nous apprend le vin sur les sociétés où il était consommé. Le titre du chapitre 2, « Vin et Civilisation » résume bien cette question. Ce chapitre fait le point sur la place du vin dans les rituels religieux grecs et montre à quel point le symposion (moment où l’on partage le vin) occupait une place importante dans la société. Cette enquête autour des conséquences sociales de la pratique du « boire ensemble» se poursuit dans la société romaine avec les conuiuia, banquets de l’aristocratie romaine, où la bonne pratique de la boisson était un marqueur social. Dans le chapitre suivant,(« Petite mythologie de la vigne et du vin » p. 57-68) c’est dans la mythologie que Fr. Lissarague cherche à mettre en lumière des données sociologiques. Après avoir rappelé les différentes versions de l’histoire mythique de l’introduction de la vigne et de l’invention du vin grâce à Dionysos , l’a. met en avant que le bon usage du vin (« campagnard et festif » p. 59) selon les Grecs est celui qu’en fait Dionysos. Mais Dionysos peut également être un dieu de la violence. Ce caractère double du vin trouve un écho dans la mythologie, incarné par l’opposition entre les Satyres (habitués à la consommation du vin, et donc capable de contrôle) et les Centaures (violents et même amenés à la folie lorsqu’ils ont bu), tension entre deux extrêmes toujours au cœur de la consommation du vin par les Grecs. Dans le chapitre 4 (« De Midas à Luern : le vin des banquets » p. 69 – 102), M. Poux cherche à montrer le caractère de marqueur social du vin, son aspect religieux et son lien avec le domaine funéraire dans toutes les sociétés où il a été consommé, en passant par une histoire comparée des banquets. Il s’intéresse d’abord aux fêtes Mésopotamiennes et au service à boire du légendaire roi Midas, puis il revient sur le symposion grec ; il parle des habitudes étrusques dont ont hérité les latins puis à leur suite les Celtes et s’intéresse enfin plus spécifiquement au banquet Gaulois. Le chapitre 8 (« La Part des dieux » p. 163-188) s’intéresse au rapport entre le vin et le sacré, en particulier par la pratique de la libation, effectuée en contexte cultuel ou funéraire et propose une lecture comparée de cet acte entre le monde grec et le monde gaulois, en s’appuyant sur des exemples archéologiques comme le sanctuaire de Déméter à Dion (Macédoine) présentant des mégara, des ouvertures dans le sol destinées aux offrandes et libations ou encore comme les « puits infernaux » retrouvés en Gaule qui témoignent de pratiques équivalentes.

Les chapitres 9, 11, 13 et 14 s’intéressent au caractère technique de la production et de la diffusion du vin. Le chapitre 9, (« De la vigne au pressoir » p. 191-202) a surtout pour vocation de présenter les méthodes d’archéologie et les difficultés rencontrées pendant les fouilles des vignes et des domaines viticoles en France aujourd’hui. Ces espaces sont en effet très difficiles à identifier, notamment car les formes des plantations ne semblent pas suivre un modèle strict et sont très variables. Trois exemples archéologiques nous sont données : une étude du site de Molard à Donzère, dans la Drôme, de l’installation viticole de Lestagnac dans le Gers et de la villa de Vareilles, dans l’Hérault, qui mettent en avant les évolutions nombreuses de ces installations au fil du temps (p. 202-206). Le chapitre 11 (« Vendanges et vinification » p.233-249) s’intéresse aux différentes étapes des vendanges et au processus de vinification des récoltes. J.-P. Brun et A. Tchernia proposent une première approche des techniques du foulage et du pressurage en Narbonnaise, avant de s’intéresser aux spécificités des Trois Gaules et de la Germanie -notamment, des structures plutôt en bois qu’en terre ou en pierre. Ils présentent le pressurage puis la fermentation, dans des amphores ou des tonneaux poissés. Puis le propos se centre sur la valorisation du vin « vieux » et montre qu’il existait différents moyens pour donner à des vins jeunes un aspects « vieilli » (par chauffage entre autres) . C. Vernou complète ce chapitre par une présentation des outils des vignerons (p. 250-251) et N. Garnier par une présentation très technique des analyses chimiques permettant de repérer la présence de résidus vinaires (p252). Les chapitres 13 et 14 s’intéressent pour l’un aux amphores et aux dolia, pour l’autre aux outres et tonneaux, autrement dit aux moyens de transport du vin. F. Laubenheimer (chapitre 13) aborde cette question par aires géographiques : d’abord, le vin d’Italie, puis le vin des Gaules (la Narbonnaise puis les autres provinces) puis « d’autres vins encore ». Elle met ainsi en avant que les amphores et dolia sont un marqueur chronologique et géographique. Elle cherche aussi à montrer l’importance de ces amphores et dolia dans le commerce du vin, rendue visible par la présence d’ateliers de poterie à proximité des vignobles qui exportent leur excédent. M. Bonifay complète cette approche par l’épineux problème des amphores africaines : les amphores romaines d’Afrique ont-elles servi à transporter du vin ? (p. 274-275). Plusieurs hypothèses sont proposées, dont la plus satisfaisante est sans doute que des amphores ayant servi au commerce de l’huile étaient réutilisées pour transporter du vin. A. M. Carre quant à elle rappelle l’existence de « transport en vrac » dans des « bateaux-citernes ». Le chapitre 14 « Outres et tonneaux » (p. 279-290) se donne pour mission de rendre sa place d’honneur à ces deux moyens de transport, délaissés dans les études archéologiques du fait de leur biodégradabilité. Il commence par une description très pointue de la barrique antique, créée sans par les Gaulois à l’origine pour contenir de la bière. Le chapitre montre comment ce tonneau a pris sa place dans le monde du vin, jusqu’à devenir complémentaire des amphores et des outres -on peut citer les foudres, grands tonneaux dans lesquels s’effectuaient la vinification ou rappeler que le tonneau était mieux adapté au transport fluvial. Les outres quant à elles, souples et légères, étaient idéales pour un transport par voie terrestre et transportaient sans doute aussi de l’huile dans les régions peu productives en amphores.

Le dernier aspect abordé est celui du commerce du vin, dans les chapitres 7, 10, 12 et 15. Le chapitre 7 propose un tour d’horizon de l’état du commerce du vin italien dans toute la Gaule entre le IIIe av. J.-C. siècle et l’époque augustéenne, en s’appuyant sur les « faciès amphoriques » des voies commerciales et en montrant l’impact de Rome dans l’économie. L’a. s’appuie pour cela particulièrement sur l’axe Aude-Garonne, mentionné par Cicéron qui montre dans sa plaidoirie à quel point Rome est impliqué dans les affaires gauloises, de sorte qu’ « aucun gaulois ne p[ouvait] faire d’affaires sans l’initiative d’un romain » (p143). Le chapitre 10 complète cette approche économique du vin en Gaule en s’intéressant plus précisément à la viticulture gauloise. Le raisonnement suit une approche chronologique. Le monopole de Marseille sur le vin s’effrite au IIIe siècle av. JC, et les Italiens commencent à importer de manière croissante leur vin. La viticulture Gauloise commence vraiment avec les colonies romaines, notamment dans la Narbonnaise dont le vin s’exporte jusqu’à Rome. A partir du Ier siècle, -pendant l’époque de Néron et des Flaviens- la viticulture est partout et la Narbonnaise concentre d’immenses domaines pouvant produire jusqu’à 4000 hectolitres de vin. Enfin, la présentation s’arrête en questionnant la crise viticole du IIIe siècle et ses raisons -manque de main d’œuvre qualifiée ? Réaffectation des terres en culture céréalières ? L’a. ne tranche pas. Quatre petits articles suivent ce chapitre, consacrés à la description de quatre vins différents : celui des Allobroges, des Biturgies, des Retica et des Parisii, ce qui permet d’avoir une vision générale de la production gauloise. Le chapitre 12 s’intéresse plus spécifiquement au commerce des vins à Lugdunum. Pour cela, il propose une approche géographique, en observant le rôle spécifique de chacune des régions ayant commercé avec Lugdunum. Les vins d’Italie, bien attestés au Ier s. av J.-C. sont moins présents dès le Ier s. ap. J-C. (sans doute arrivaient-ils plutôt en tonneaux). Le vin importé de Méditerranée Orientale gagne en importance et en diversité dès le Ier siècle, ce que nous indiquent des types d’amphores comme celles de Cos. Les vins d’Espagne, importés dans les mêmes quantités que les vins d’Italie, disparaissent pratiquement en Gaule au Ier s. ap. J-C, concurrencés par les vignobles Gaulois. Le chapitre 15 enfin (« Marques et images de marques », p291-309) aborde la question des marques des vins et de leurs implications sur les modèles de diffusion du produit de la vigne. L’a. rappelle d’abord qu’on peut identifier la provenance d’un vin en fonction de la forme de son amphore, de son timbre et/ou de son étiquette (tituli picti). Il nuance aussitôt son propos en rappelant le problème de la contre-façon et soulève un autre problème : le cas de vin transvasé depuis des amphores vers d’autres amphores dans le cas d’un transport en vrac. Cette pratique aurait deux conséquences : d’abord, il semble très compliqué de tracer le vin de manière certaine. Ensuite, cela peut signifier qu’une région dans laquelle on fabrique des amphores n’est pas forcément productrice de vin -si cela ne constitue plus une preuve de corrélation, certains « vignobles » le sont-ils vraiment ? En partant des marques des amphores, le chapitre nous amène à la conclusion qu’il n’y avait pas qu’un seul modèle de diffusion du vin (mise en amphore dans la propriété productrice) mais bien plusieurs systèmes de diffusion à ne pas négliger.

Le livre se termine par un petit glossaire, un tableau récapitulatif de quelques grandes informations (une dizaine d’entrées) sur une double page triées par aires géographiques : Proche-Orient, Grèce, Italie ou Gaule.

Ensuite viennent des citations traduites d’auteurs antiques sur le vin et la viticulture en Gaule.

On comprendra aisément à la lecture de ce résumé synthétique que ce livre pose un problème à la lecture du fait de son organisation. Il est difficile de voir une suite logique et de se repérer entre les différents chapitres. On peut imaginer qu’en tant qu’ouvrage de synthèse, il n’est pas fait pour être lu en lecture continue mais plutôt pour être à disposition de ceux qui cherchent une information en particulier. Ce manque d’organisation est regrettable, car le format est plutôt agréable pour une lecture en continu : l’alternance entre des chapitres denses et des points de documentation plus légers permet une certaine légèreté bien appréciable à la lecture, accentuée par une mise en page volontairement aérée et une grande richesse des illustrations, esthétiquement plaisantes mais aussi, dans la majeure partie des cas, vraiment utiles et au service du propos tenu. Cela dit, ce côté « décousu » a aussi une conséquence sur le fond des articles et l’ensemble souffre d’un grand nombre de répétitions : par exemple le chapitre 10 commence par un long passage sur « l’origine de la viticulture en Gaule méridionale » tandis que le chapitre 7 s’intéresse à « la découverte du vin par les Celtes ». Si l’échelle varie, les informations données restent foncièrement les mêmes. On appréciera par ailleurs la richesse de la bibliographie proposée : des références sont proposées à la fin de chacun des quarante-neuf articles, ce qui nous amène à un minimum de trois-cents entrées. Pour en finir avec la forme, nous laisserons le bénéfice du doute aux coquilles qui ponctuent les articles de l’ouvrage de 2004, en estimant qu’elles ont sans doute été reprises lors de la réédition de 2009. On saluera en outre une vraie volonté de clarté de la part de la plupart des auteurs, qui rend globalement ce livre accessible même à des non-spécialistes. Toutefois, il est visible à de nombreuses reprises que ce livre a été écrit en majorité par des archéologues et pour des archéologues. « Associé à la pyrolyse, la CPG-SM permet de détecter non seulement des traces de résidus vinaires, mais aussi de tout autre matériau biologique » nous affirme par exemple C. Vernou (p 250). Écrire spécifiquement à destination des archéologues aurait pu être un parti pris, s’il avait été assumé. Or ici, le livre se présente comme un livre d’histoire antique. Si l’archéologie croise constamment le chemin de l’histoire antique, dans ce livre la première est souvent prépondérante. On regrettera parfois un léger manque de problématisation dans des chapitres ou des billets très techniques. La multiplication des auteurs permet une multiplication des points de vue et des spécialités. Cela donne à l’ouvrage toute sa richesse et le pari fait par A. Tchernia, J-P Brun et M. Poux est tenu : ce livre permet vraiment de synthétiser un très grand nombre d’informations sur le vin, dans des domaines aussi variés que le domaine technique, économique, religieux, historique ou sociologique. Cependant, de fait, les 49 articles qui composent ce livre se caractérisent par une grande hétérogénéité, et tous les articles ne sont pas de la même qualité. Je souhaiterais simplement mettre en avant le chapitre 8, « La Part des dieux » et le chapitre 15, « Marques et images de marques » qui m’ont paru particulièrement intéressants et fins, aussi bien dans leur approche que dans leur réflexion et leur problématisation du sujet. Malgré cette multiplication des auteurs, il me semble que des grandes problématiques et thématiques liées au vin n’ont pas vraiment été abordées dans ce livre. On regrettera d’abord que l’annonce faite en introduction d’une étude du vin comme marqueur de transgression n’ait pas été suivie d’un article sur le sujet. Pour reprendre les termes employés par M. Poux et M. Dietler, il s’agit d’« un principe trop souvent oublié, dans l’aridité des études consacrées au vin dans l’Antiquité » (p. 21). Bien qu’il ait été question de l’ivresse et de la mesure dans le chapitre « Petite mythologie du vin », ce principe de transgression a surtout été étudié chez les Satyres et les Centaures et aurait mérité une partie plus anthropologique. L’autre grande thématique qui n’a pas été étudié et qui me semble manquer réellement à ce livre, c’est le rapport entre le vin et la médecine, plus spécifiquement à la diététique. Omniprésent dans les traités de médecine, le vin et le vinaigre ont tous les deux une place essentielle dans tout ce qui concerne le bien-être et la santé. L’approche sociale lancée avec l’étude du banquet aurait donc pu être vraiment approfondie. On pensera notamment à l’article « Le Vin médecin chez Galien. », de D. Béguin (Supplément 40 paru en 2002 du BCH édité par J. Jouanna et L. Villard : « Vin et santé en Grèce ancienne. Actes du Colloque organisé à l’Université de Rouen et à Paris le 28-30 septembre 1998 ».) ou à l’article « Le vin et la médecine dans la Grèce ancienne » de  J.Jouanna (Revue des Études Grecques, 1996, Volume 109, Numéro 2, p. 410-434) qui auraient permis d’aborder cette tension présente dans le vin, qui le fait être vu à la fois comme un médicament et un poison, un don des dieux et une malédiction.

Au-delà de ces remarques, Le Vin, Nectar des Dieux, Génie des Hommes me semble être un bon ouvrage de référence. Agréable à lire, intelligemment pensé, très complet, récent et s’attachant à un sujet populaire dans le monde de la recherche d’aujourd’hui, on s’étonnera d’autant plus qu’il soit si difficile à se procurer. Pour ma part, bien qu’habitant Lyon, une ville comptant un nombre non négligeable de bibliothèques, je n’ai pu emprunter que l’édition de 2004 et non pas la réédition de 2009 : et malgré mes recherches, je n’ai trouvé la première édition que dans deux bibliothèques à Lyon. Ce livre remplit tout à fait honorablement l’objectif que ses auteurs se sont fixé : écrire « un ouvrage inédit »  qui « aborde le sujet sous tous ses aspects » et pourra être utile à bien des chercheurs, à condition de savoir ce qu’on veut trouver.

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