2017-02-12



Rémy Besson, partagée le 24 décembre 2016

Je vois souvent passer des photographies de fenêtres sur mon fil d’actualités Facebook. Certaines ont été prises et aussitôt partagées par leurs auteurs. Parfois (rarement), accompagnées d’un mot, d’une pensée ou d’une émotion, elles semblent toujours parler d’elles-mêmes, proposer plus qu’une image du lieu. D’ailleurs, elles ne montrent pas seulement un lieu mais un lieu qui s’ouvre sur un autre lieu, disposant deux espaces selon des dialectiques particulières ; intérieur / extérieur, ici / là-bas, intime / extime, vu / caché, dehors / dedans, profondeur / surface, champ / bord …  Elles y sont plus ou moins mises en évidence par l’auteur ou l’éditeur de l’image, volontairement ou non. Comme l’a bien montré Victor I. Stoichita dans L’instauration du tableau, ces photographies sont des images qui montrent des images et, en prime, le regard qui se porte sur elles. Il est d’ailleurs possible que ces fenêtres réflexives viennent justement remettre du regard – indispensable à la relation intersubjective – dans l’échange aveugle des réseaux sociaux. Le bord garde aussi la trace de l’acte de cadrage, qui est essentiel ici. Représenter une fenêtre, c’est montrer que c’est fait pour être vu, c’est aussi montrer qu’on voit, et souvent qu’on aime voir1 Mais dans le cas des photographies de fenêtres partagées sur Facebook, le geste même du partage, qui est un geste d’exposition destinée, révèle une intentionnalité qui constitue aussi l’image, c’est un don de fenêtre et pas seulement une fenêtre. Ce qui advient ainsi sur nos fils Facebook est objectivement destiné, épinglé, choisi, donné, exposé ; ces images sont donc des adresses, elles sont aussi, non pas des actes (fusion sémantique étrange entre le geste et son objet) mais l’objet d’un acte, et donc à ce titre, sa trace, sa mémoire…   Mais elles en sont aussi le terrain ou plutôt l’habitat ouvert. Partager des photographies de fenêtres sur Facebook, c’est montrer qu’on habite son lieu, qu’on occupe un espace, qu’on est à l’intérieur de son regard … et qu’il y a de la place ! La fenêtre affirme alors la conscience que le sujet a de son propre regard et constitue une belle déclaration de sa subjectivité.

Le partage de photographies de fenêtres sur Facebook est un phénomène assez répandu pour témoigner de quelque chose d’important : l’hybridation des mots et des images dans la communication via un support numérique ou encore l’acte d’énonciation visuelle – où l’oeil équipé d’un appareil agit comme une bouche parlante … C’est aussi comme un geste d’affection, une formule hypocoristique, qu’il faut peut-être considérer ce partage. En partageant une fenêtre, on partage son regard et quelque chose d’autre, une émotion esthétique, une pensée, une confidence, un trait d’esprit, un clin d’œil… autant d’éléments potentiellement chargés d’affects.

Qu’est-ce qui pousse à partager des fenêtres (ses fenêtres) sur Facebook ? Peut-être est-ce lié au fait qu’elles peuvent y rester un certain temps, ouvrir son mur numérique sur le monde extérieur, offrir l’idée d’une room with a view à ces petites chambres à soi propices à l’expression subjective que constituent les champs rectangulaires des statuts, où s’inscrivent (presque) indifféremment les mots et les images ? Peut-être est-ce lié aussi au fait qu’elles peuvent y recueillir des symboles d’affects mimant des parties expressives du corps humain ; main, coeur, visage ému, grands absents physiques que cet espace numérique bêtement dit virtuel dérobe à notre vue ?



Il me semble qu’on en trouve beaucoup moins sur Twitter, plus orienté vers la parole vive, les gifs et les videos, alors qu’en revanche, sur Instagram, où s’étalent des galeries d’images qui se présentent d’emblée comme des façades d’immeubles aux nombreuses fenêtres, on en compte environ 90 000 sous les deux hashtags #fenêtre (36 738) et #fenetre (52916) et même 6 951 979 sous le mot #window…

Mais c’est sur Facebook que cette pratique m’a semblé la plus intéressante à observer. Je les ai d’abord collectées spontanément, sans projet, par simple envie de garder des fenêtres, sujet de ma recherche initiale sur les images, puis je me suis rendu compte qu’un sujet d’exposition ou d’article était en train de naître (« La fenêtre fait naître » d’après Nurith Aviv) sous mes yeux, dans la répétition différenciée des occurrences et surtout dans les nombreuses pensées venant des complexions particulières de chaque fenêtre partagée. c’était de la théorie de l’Art que partageait mes amis Facebook, sans en avoir l’air… Alors, lorsqu’elles m’ont inspiré une émotion, une pensée, une question, je les ai attrapées au fil du temps et j’ai noté le nom de l’éditeur et la date de la publication, les collectionnant en vue d’en faire quelque chose, plus tard.

Finalement, je les ai ressorties en décembre 2016, et les ai regardées/écoutées attentivement, les faisant raisonner avec différents textes théoriques ou littéraires et leur donnant parfois la réplique.

La question que je me suis posée avant de publier ce corpus concernait la façon de présenter ces fenêtres. Trois possibilités s’offraient alors. Les classer en fonction de leur contexte d’apparition, dans une perspective sociologique, mais, en dehors de quelques cas explicites et du fait qu’elles sont beaucoup plus nombreuses au printemps et en été qu’aux autres saisons, je n’avais ni les moyens ni l’envie de mener cette enquête factuelle, qui, à mon avis, aurait raté sa cible. La poésie des fenêtres aurait été ramenée celle d’un autre motif social, les vidant de leur contenu. Par ailleurs, partager une fenêtre est visiblement un geste de praticien des images et de l’énonciation du visible. Ce sont essentiellement des personnes en relation avec l’idée de représentation du monde et qui se posent des questions à ce sujet qui partagent des fenêtres… cinéastes, peintres, dessinateurs, photographes ou critiques et chercheurs dans le domaine. Sauf peut-être quand la fenêtre est là par hasard, comme décor d’un autre sujet, mais cela n’empêche pas la réflexion, au contraire, on a alors des fenêtres inconscientes. C’est un phénomène discursif, essentiellement tourné vers l’art de montrer. Alors il restait, dans le même ordre d’idées, celui d’une analyse de corpus, l’option d’un discours, non plus sociologique mais esthétique, la possibilité d’une typologie fondée sur des récurrences formelles identifiables ; fenêtres avec chats, fenêtres d’hôtels, fenêtres fermées, ouvertes, cassées, fenêtres avec reflets, embuées. Ou encore, reprenant ma propre typologie des fonctions de la finestra d’Alberti les fenêtres réflexives, phatiques, corporelles, subjectives, éthiques … Cette approche typologique, satisfaisant à la manie universitaire des inventaires et des classements, me paraissait avoir l’inconvénient de ramener chaque fenêtre partagée à un aspect dominant et placer l’ensemble dans un rapport illustratif avec le type faisant fonction de norme invisible. Cette approche anesthésiante pour les images avait l’intérêt de mettre en valeur ce travail mais le désavantage d’assigner les images à résidence dans un discours englobant. La visite de l’exposition Soulèvements au Jeu de Paume, m’a convaincu que les typologies d’images ne conviennent pas au désir d’exposition et correspondent davantage à la l’idée de livre, d’essai, de glose… Or, pour cette matière si riche et si mystérieuse dans ses intentions premières, je pensais à une exposition, qui reste à faire IRL, plutôt qu’à un discours analytique. l’analyse ici, se fait par éclats à relier.

L’autre possibilité était d’essayer de monter les fenêtres ensemble, sans discours, en essayant de suivre différentes pistes associatives et leurs échos. Ce travail de montage aurait été intéressant mais peut-être trop orienté par la subjectivité de son auteur, alors que l’enjeu essentiel de ces partages de fenêtres me semble être la belle et libre affirmation de la subjectivité de celui qui décide de partager une image de fenêtre (et là je pourrais dire « de partager une fenêtre », puisque l’image est aussi une fenêtre).

C’est donc une troisième solution que j’ai finalement retenue. Après une première sélection en amont, je laisse les images dans l’ordre chronologique, indiquant seulement le nom de leur auteur et la date de leur partage sur Facebook, dans une couleur dictée par l’image, afin de neutraliser tout lien avec un extérieur surplombant, préférant les laisser venir comme elles viennent sur ma Time Line, au fil des jours, et consacre mon travail à les écouter, une à une, puisque ce sont des bouches … Je place donc une citation qui m’est venue par association (et que j’ai parfois cherchée pendant des heures) et un ajout personnel totalement indépendant ou pas.

Dernière chose : une des composantes de cette expérience a été de contacter les personnes qui avaient partagé ces photos sous le régime de confidentialité « réservé aux amis », afin de leur demander l’autorisation expresse de les utiliser dans ce billet-expo, considérant que les autres n’y verraient pas d’inconvénient puisqu’ils avaient largement diffusé ces images, les offrants aux courants du web. Toutes les personnes concernées ont accepté, me demandant parfois de restreindre mon choix, mais toujours avec sympathie et curiosité, qu’elles en soient toutes chaleureusement remerciées, que celles que je n’ai pas contactées personnellement  le soient aussi par avance. Si une objection se présente quant à la publication d’une image, il suffit de me le dire et je la retirerai aussitôt.



1) Euquinimod Utaghey, partagée le 31 mars 2015 : « La perspective, une injection du sujet dans l’espace » Gérard Wajcman, Fenêtre, p. 158. Première photographie de fenêtre de la série, parfaitement décadrée, son auteur est photographe. Cette image est une pensée … son cadrage me rappelle celui d’une des quatre photos du Zonderkommando d’Auschwitz, exposées par Georges Didi-Huberman ; peur, dissimulation, oui, mais c’est la vie et la distance mêlées qui surgissent. La marge noire fait exister une paroi de verre, celle de la vitrine du café. En tout cas on n’entend pas le bruit de la rue, on est au calme et la jeune femme, absorbée dans son sms ou son livre, nous confirme notre présence furtive …

2) François Bon, Partagée le 14 avril 2015 : « On conçoit nettement, dans cette façon de répartir deux espaces, en deçà et au-delà de la fenêtre, qu’il y a un espace du spectateur disons dedans, et un espace de vue, dehors, derrière la vitre, c’est-à-dire le plan supposé transparent du tableau. Ces deux espaces sont tout à la fois séparés, répartis et reliés par le cadre. Voilà ce qu’il faut conclure. » Gérard Wajcman, Fenêtre, p. 321. Photographie prise et partagée par un écrivain très voyageur. Amateur de fenêtres. J’ai tendance à penser que la fenêtre est une maison  pour l’oeil errant, qui se retrouve ainsi, à l’abri dans son regard.

3) Zen Kane,  partagée le 25 avril 2015 : « Ce cadre noir  rend le regard plus profond et plus singulier, donne à l’oeil une apparence plus décidée de fenêtre ouverte sur l’infini. » Charles Baudelaire, « Eloge du maquillage » dans Le peintre de la vie moderne. Zen Kane, lui aussi, est un énonciateur d’images, cinéaste auteur d’un des plus beaux documentaires existants. Je vois le jeu sur la saturation des couleurs comme le fard sur une paupière, l’expression d’un désir d’intensité amoureuse qui vient s’opposer à l’obscurité intérieure qu’impose le contre-jour. Tout pense au désir dans cette image ; le voilement-dévoilement, l’instauration d’un espace intime pris sur le printemps qui invite l’oeil, cette place de village où s’étalent les premières terrasses. Après midi calme dans une petite ville, au réveil de la sieste, à l’hôtel de la lenteur. L’image dit : « il faut sortir, les beaux jours sont revenus ! » : de l’amour projeté dans la couleur.

4) Isabelle Ingold, partagée le 30 avril 2015 : « La fenêtre du tableau est à l’image d’un corps debout. Mais ce qu’elle encadre, c’est le regard d’un sujet voyant. » Gérard Wajcman, Fenêtre, p. 157. Photographie prise par une cinéaste, encore une fois, réflexion sur l’acte de voir tout en donnant à voir. La fenêtre est une invitation à sortir, ne fût-ce que de l’oeil, et à entrer sur la scène, en face, sous le regard d’autrui, les loges sont prêtes … L’image est un espace sensoriel, on y entre nu, avec la peau de son regard.

5) René Magritte, partagée par Rithy Panh le 8 mai 2015 : « Van Eyck n’est pourtant pas présent ici (dans le miroir) comme « peintre », mais comme « témoin » ». Victor I. Stoichita, au sujet des époux Arnolfini, in L’instauration du tableau, p. 260. Peintre témoin, de Van Eyck à Rithy Panh en passant par Magritte, le peintre témoigne ici de la présence de son double, comme un fantôme qui manquera toujours à l’image et la hantera pourtant. Manquer ? Hanter ? Etre présent ? Rithy Panh partage de nombreuses fenêtres, venues d’ archives, il n’en produit pas lui-même, en tant que documentariste, il témoigne de son art de faire advenir le passé, l’archive incarnée de la mémoire, dans la fenêtre des ses propres images. Faire apparaître le fantôme dans la fenêtre, c’est la grande force de son travail. L’image manque alors; elle hante ou on la hante …

6) L’oeil Hagard, partagée le 26 mars 2015 mais trouvée le 10 mai 2015 : « Pour que la nature soit perçue comme peinture, il faut qu’il y ait coupure. Cette coupure est explicitement occasionnée, dans la lettre citée, par l’encadrement de la fenêtre. » Victor I. Stoichita, L’instauration du tableau, p. 62. La photo de L’oeil Hagard, spécialiste de la photographie, va plus loin. Pour devenir peinture, soit paysage, la nature doit devenir un signe, une forme signifiante posée sur un écran (page ou surface à peindre). Le bord de la fenêtre est donc la limite entre nature et peinture et en même temps l’opérateur de ce changement, il agit comme la lettre, (d’ailleurs inconsciemment citée par Stoichita mais pour autre chose -lettre envoyée par l’Arétin à Titien) ce que rappellent les barreaux du balcon en bas de l’image… où l’on voit le « s » de signe.

7) Alfred Hitchcock, partagée par Mariangela Sansone le 12 mai 2015 : « Le film est considéré par de nombreux spectateurs, critiques et spécialistes du cinéma comme l’un des meilleurs films d’Hitchcock. (…) Il est 33 ème dans le classement des meilleurs films de tous les temps sur le site de référence IMDb avec une note moyenne de 8,6/10.  » Wikipédia. Est-ce parce qu’il met en abîme le cinéma et en jeu la pulsion scopique, si essentielle à la théorie du cinéma, que ce film est classé parmi les plus grands films et que son auteur a été adoubé par la Nouvelle Vague. A la lumière de Rear window, qui en constitue le manifeste, c’est tout le cinéma d’Hitchcock qui parle de cinéma, qui montre le cinéma.  Pour accéder au statut d’oeuvre d’Art, l’oeuvre en question doit avoir pour fonction de penser son propre dispositif. C’est pourquoi les fenêtres sont si chéries par les cinéphiles, les critiques littéraires, les écrivains, les comédiens et les curateurs …

8) Vivian Maier, partagée par Rithy Panh le 12 mai 2015 : « Autant dire que le tableau perspectif est en somme une surface « embrassée » par la géométrie, et que, embrassant ainsi la source, Narcisse embrasse toute la géométrie. » Gérard Wajcman, Fenêtre, p. 137. Cet autoportrait clandestin de Vivian Maier est très émouvant. La petite fille qui l’accompagne et qui est l’enfant qu’elle doit garder, pose pour la photographe. Elle est fière et respire la légitimité, la nuque raide, le menton haut et une moue savamment composée pour feindre  la lassitude… Elle porte les signes de son milieu mais en toute inconscience, par pur mimétisme physique. Peut-être est-ce qui a touché Rithy Panh. Elle regarde la photographe qui la regarde en retour, comme si elle la photographiait vraiment. Officiellement, ce n’est pas un autoportrait, mais un portrait. Mais, comme dans une pièce du XVIII ème siècle, c’est la « servante » qui prend le dessus et qui, aujourd’hui, donne toute sa valeur et toute sa saveur à l’image. Art ancillaire, « Ménine » New-Yorkaise…

9) mmozdoba, partagée le 23 mai 2015 : « Pouvoir séparateur des mots. Pouvoir séparateur de la fenêtre, elle engendre elle aussi le distinct, en cela elle est un instrument de connaissance du monde. » Gérard Wajcman, Fenêtre, p. 240. La fenêtre est liée à la lecture. Poser une fenêtre, c’est proposer de transformer un visible en lisible, une vue en paysage. Il est naturel que les chercheurs, a fortiori ceux qui cherchent dans les images, photographient des fenêtres…

10) Olivier Beuvelet, partagée le 23 mai 2015 : « D’abord, j’inscris sur la surface à peindre, un quadrilatère à angles droits qui sera pour moi comme une fenêtre ouverte… » Léon Battista Alberti, De la peinture. Composition fortuite d’ombres et de tuyau, la fenêtre peut aussi créer des espaces et des vues improbables… Toujours, elle ouvre un champ et concentre l’énergie du regard, elle dit regarde et jette l’oeil dans un travail conscient de soi, quitte à se prendre un mur.

11) Zen Kane, partagée le 23 mai 2015 : « L’Homme voit le monde à sa fenêtre, c’est-à-dire que l’homme ne voit le monde que de sa fenêtre, c’est-à-dire qu’il ne voit pas tout le monde. » Gérard Wajcman, Fenêtre, p. 377. La fenêtre est le quatrième mur, avec une balustrade, ici, comme dans les peintures du XVI ème siècle. Le spectateur est en retrait et voit les trois autres murs, l’espace cubique défini par les montants du cadre de la fenêtre devient une scène d’opéra ou plus modestement de théâtre.

12) Olivier Hadouchi, partagée le 24 mai 2015 : « La fenêtre est le cadre, à la fois proche et distant, où le désir attend l’épiphanie de son objet » Jean Starobinski, « Fenêtres (de Rousseau à Baudelaire ». Un 24 mai, l’objet du désir est caché dans ce que le printemps promets à ceux qui aiment et qui ouvrent leurs fenêtres.

13) Marc Lénot, partagée le 25 mai 2015 : « Celui qui regarde du dehors à travers une fenêtre ouverte, ne voit jamais autant de choses que celui qui regarde une fenêtre fermée. » Charles Baudelaire, « Les fenêtres ». On ne sait pas trop si la jeune fille à la fenêtre (motif classique) ici déclinée sur un mur de Lisbonne, probablement, regarde à l’intérieur -elle est bien face au mur- ou à l’extérieur -elle est face à une fenêtre- Ce qu’elle regarde me semble-t-il, c’est le quartier en train de se gentrifier et cette aube rougeoyante.

14) Séverine Flou, partagée le 25 mai 2015 : « Les objets de la nature morte paraissent de ce fait comme placés dans un cadre dilaté, stéréométrisé : ils se trouvent entre deux surfaces, elles aussi rectangulaires, à savoir le fond sombre de la niche et la surface invisible du tableau, qu’ils percent parfois dans un effet évident de trompe-l’oeil. » Victor I. Stoichita, L’instauration du tableau, p. 55. L’exposition de la marchandise dans les vitrines est une émanation du tableau. C’est le déplacement de la nature morte, du domaine de la consommation purement visuelle, donc virtuelle, proposée par la peinture, à la consommation possible de l’objet représenté en tant que lui-même. Une nature morte à saisir.

15) François Bon, partagée le 27 mai 2015 : « Je me propose de suivre ici la manière dont la peinture de l’époque aborda l’analyse des bords ou des marges de la représentation, la manière dont le problème du cadrage fut abordé comme problème théorique, rarement mis en discours, mais souvent (j’aurai presque la tentation de dire toujours) mis en oeuvre. » Victor I. Stoichita, L’instauration du tableau, p. 53. Rideau opaque, rideau transparent, vue à travers la vitre, vue à travers la fenêtre ouverte, mise en abîme, contestation de la profondeur par le mur en face… C’est une image-fente qui attire progressivement l’oeil dans son ouverture informe, son « trou » qui touche sa cible… ici la fenêtre. L’image-fente, c’est la promesse du contact dans l’image, mais d’un contact sans toucher… le regard est habité par une main, celle d’un nourrisson lointain, que stimule le bord.

16) John Ford, partagée par Jean-luc Beuvelet le 2 juin 2015 : « (Je laisse ici méditer sur cette anecdote rapportée par Borges dans L’Histoire de l’éternité : dans l’argot de la pègre new-yorkaise au début du siècle, picture frame était une métaphore pour la potence.) » Jacques Aumont, L’oeil interminable, p. 125. Le spectateur est ici placé dans l’espace de la représentation et regarde la source du regard, façon ingénieuse de l’intégrer à la diégèse en le mettant dehors. Le film est-il un passage vers le dehors ?

17) Jean-Noël Lafargue, partagée le 2 juin 2015 : « Quant à l’autoportrait, il se propose presque toujours, à l’époque qui nous intéresse, comme une image qui, d’une certaine manière, dévoile son origine. Poussin, Murillo, Carracci, et avant eux Parmigianino, nous ont laissé des autoportraits qui parlent, chacun à sa manière, de leur genèse. » Victor I. Stoichita, L’instauration du tableau, p. 325. Le soir, il y a toujours un coin de fenêtre pour nous (faire) réfléchir…

18) Philippe Cuq, partagée le 2 juin 2015 : « Tout tableau est une adresse faite au sujet : jouis ! » Gérard Wajcman, Fenêtre, p. 231. L’équivalence qu’établit ici Philippe Cuq, entre le verre et le smartphone est très explicite. Si le sujet imageant peut jouir en faisant l’image, c’est aussi parce que l’appareil lui permet, à l’instar du verre, qui le compose de toute façon (lentille, plaques anciennes, écran tactile…) de boire le monde, de consommer intensément une portion du visible, de l’aspirer en soi.

19) François Bon, partagée le 4 juin 2015 : « Dans toute la peinture classique, le cadre-limite et la surface du tableau sont investis d’une valeur proprement rhétorique : le tableau « parle », exhibe son décorum, sa composition symboliquement correcte ; le cadre-limite est l’opérateur de ce discours. C’est en ce sens que l’on peut dire, avec Louis Marin, que le cadre est opérateur de réflexivité, permettant au tableau de s’énoncer lui-même comme tableau et comme discours. » Jacques Aumont, L’oeil interminable, p. 125. Il y a une fenêtre intérieure dans cette image, comme l’émotion sourde, elle tamise, voile, atténue la netteté des contours… le nombre de cadres présents ici nous offre une suite de signifiants vides, propices à l’énonciation du visible, qu’on choisira d’énoncer en bougeant son corps.

20) Jean-Louis Comolli, partagée le 4 juin 2015 : « En avion, obtenir le siège près du hublot ; dans le train, le coin fenêtre. regret que dans les trains d’aujourd’hui, il ne soit plus possible de rabattre les grandes fenêtres du couloir longeant les compartiments, de se pencher malgré l’interdiction en trois langues, quitte à attraper des escarbilles. » Jean-Bertrand Pontalis, Fenêtres, p. 15. Ce que les transports en commun ont changé à l’art de faire apparaître du visible dans un cadre est si important qu’on peut presque considérer que le cinématographe s’est révélé à lui-même lorsqu’Eugène Promio a eu l’idée d’embraquer sa caméra sur une gondole à Venise en 1896. C’est le dévoilement du hors-champ, le décollement des montants du cadre vis-à-vis du fond, du champ, qui a ouvert (offert) la représentation cinématographique à l’immensité du désir de voir.

21) Maurice Pialat ou Pierre William Glenn ou Jacques Loiseleux, partagée par Mariangela Sansone le 4 juin 2015 : « Les films avancent comme des trains, tu comprends, comme des trains dans la nuit. » Ferrand, interprété par François Truffaut dans La nuit américaine. Je me suis dit : « quand c’est un photogramme de film qui est partagé, ne faudrait-il pas plutôt donner le nom du chef opérateur ? » Qui fait l’image d’un film ? Qui est l’auteur de l’image d’un film ? Qu’est-ce qu’un cinéaste ? C’est un sujet tabou.

22) François Bon, partagée le 5 juin 2015 : « A la naissance du roman d’analyse, et du roman moderne, est une fenêtre ouverte qui conjugue regard sur soi, sur l’autre et sur le monde. » Andrea Del Lungo, La fenêtre, p. 186. Le regard sur soi est-il un store fermé ? Le regard sur l’autre est-il un intérieur éclairé ? Le regard sur le monde est-il une fenêtre ouverte ?

23) Paula Prandini, partagée le 5 juin 2015 : « Par la fenêtre, le visible devient enfin silencieux » Gérard Wajcman, Fenêtre, p. 434. Aussi beau et silencieux qu’un La Tour…

24) Pix by Cox, partagée le 6 juin 2015 : « Ma « topique » subjective est à la fois celle des fenêtres ouvertes et de la chambre à soi. » Jean-Bertrand Pontalis, Fenêtres, p. 16. La fenêtre peut aussi ouvrir sur une complexité féconde. Ici ce sont les différentes qualités de présences à l’image qui m’ont intéressé. Présence photographique directe ou séparée de l’objectif par une vitre invisible si ce n’est par ses bords ; présence réfléchie par la vitre (en surimpression) ou par le miroir, sans perte trop importante de la texture ; présence sous forme d’ombre … et tiens ! Il n’existe pas d’adjectif pour dire « qui a la qualité d’une ombre » . Pas de corps, pas de mot… on pourrait dire « présence ombraire » non ?

25) Jean-Louis Comolli, partagée le 7 juin 2015 : « Si tout au long de notre vie, nous ne faisions que lancer la bobine, là-bas, pour la faire revenir ici ! Là-bas comme ici (je pense au livre de Corinne Enaudeau), mais c’est le rêve, mais c’est le langage, et toutes nos tentatives pour maîtriser ce que nous ne sommes pas assurés de saisir ni de retenir, mais c’est l’analyse et tout le jeu des représentations qui souffrent du défaut de présence et qui pourtant, inlassablement, elles aussi, la cherchent, l’exigent, cette présence. » Jean-Bertrand Pontalis, Fenêtres, p. 95. L’escalier, la cave, la fenêtre, trilogie du seuil et de la résurrection, l’image est une bobine, comme celle avec laquelle jouait le petit-fils de Freud dont parle Pontalis, mais aussi au sens que le mot prend dans le langage populaire… « ramène un peu ta bobine par ici… » N’est-ce pas ce que nous demandons aux images ?

26) Marc Tallec, partagée le 7 juin 2015 : « Parce que l’un, qu’on nomme intérieur, est l’espace du « sujet », et l’autre, dit l’extérieur, est l’espace de l’espace, du monde, des éléments, des « objets » et des autres, qui contient ce qui est nécessaire au sujet, ce qui est utile pour sa vie, et aussi ce qui est désirable. C’est l’espace Autre du sujet. La fenêtre-passage organise deux espaces dissymétriques, hétérogènes et complémentaires. Le premier, l’espace du sujet, est à peine un espace, il est le lieu du sujet, sa place. Quant à l’autre espace, c’est tout le reste, tout ce qui n’est pas lui, et qui lui est nécessaire. L’autre espace, c’est le complément du sujet. » Gérard Wajcman, Fenêtre, p. 160. Et le sujet, ici, est un véhicule, qui se place dos à ce qu’il désire voir. « Au réveil, il était midi »

27) Euquinimod Uthagey, partagée le 8 juin 2015 : « En cela, le cadre est un acte, un acte de coupure. » Gérard Wacjman, Fenêtre, p. 115. Y a-t-il ici une ou trois fenêtres ? Y a-t-il une ou trois vues ? Un ou trois paysages ? En tout cas on voit bien que cadrer, c’est couper dans le visible pour proposer une tiercéité voire une trinité…

28) François Bon, partagée le 10 juin 2015 : « Qu’est-ce qui me pousse à écrire tel ou tel texte de psychanalyse ? ça me vient d’où ? Les sources, le plus souvent inconnues de soi, sont multiples. La moins difficile à identifier : quelque chose s’est ouvert, qui pourrait bien aussitôt se refermer, au cours d’une séance. Une fenêtre, une brèche dans le mur, un rayon de lumière filtrant à travers un volet clos, une de ces intuitions, avec son caractère d’évidence, comme le rêve en offre parfois – « C’était donc ça ! » -, quitte à ce qu’elle se volatilise au réveil.  Jean-Bertrand Pontalis, Fenêtres, p. 29. Je ne sais pas pourquoi, le dispositif de cette salle, où la fenêtre joue le rôle de source lumineuse et de monochrome, où tout semble tendu vers l’écriture, me fait penser au dispositif de l’analyse. Peut-être est-ce parce que la bouche qui éclaire est dans le dos de celui qui écrit.

29) François Bon, partagée le 10 juin 2015 : « Il me disait à moi, avec un petit rire tout épanoui, que bien des hommes avaient pour lui une fenêtre ouverte à l’endroit de leur coeur, et d’habitude il accompagnait une pareille assertion de preuves immédiates et des plus surprenantes, tirées d’une connaissance profonde de ma propre personne.  » Edgar Allan Poe, Double assassinat dans la rue Morgue. Dira-t-on assez que partager une fenêtre est un signe d’amitié ? Voir ensemble, c’est une déclinaison du boire ensemble (commensalité, communion, conversation),  l’accès culturel principal aux racines anthropologiques de la fraternité.

30) Gérard Rondeau, partagée par Sadreddine Arezki  le 10 juin 2015 : « Ne pas chercher à donner une définition générale du cadre. Sa signification varie pour chacun. Le plus souvent la question du cadre n’est pas posée. José Bleger l’a noté : « Il sert de soutien, de châssis mais nous ne pouvons le voir que lorsqu’il se modifie ou se rompt. Le toujours là n’est pas perçu.  » Jean-Bertrand Pontalis, Fenêtres, p. 83. Une photographie pour évoquer la guerre… cette image est hantée par la figure invisible du sniper isolé. Nous avons pensé à Sarajevo en imaginant que marcher dans une rue y était défier la mort. Et nous voici inclus dans le dispositif, prêt à shooter, dans les diagonales de cette folie, nous sommes le sniper.

31) François Bon, partagée le 14 juin 2015 : « De la plus haute fenêtre de ma maison / Avec un mouchoir blanc je dis adieu / A mes vers qui s’en vont vers l’humanité. » Fernando Pessoa, « De la plus haute fenêtre », Le gardeur de troupeaux. L’écran de l’ordinateur, la fenêtre, la bouche, et ce soleil de fer coincé dans le cadre … On voit presque les mots s’échapper …

32) François Bon, partagée le 15 juin 2015 : « (…) je m’en tiens pour ma part à cet axiome : pas de fenêtre, pas de paysage. » Gérard Wajcman, Fenêtre, p. 240. Ah bon ?

33) François Bon, partagée le 15 juin 2015 : « Là, pas d’enfermement dans l’ »habitacle », mais l’air libre, le vent, quelques gouttes de pluie, je suis dehors et dedans, dans un champ et sur mon siège. » Jean-Bertrand Pontalis, Fenêtres, p. 16. La lumière rasante vient caresser la surface de ces cadres que sont les tables, (tavola quadrata). Aller travailler en bibliothèque, c’est entrer dans un cadre où l’imaginaire et l’invisible dominent. On y voit tant et si peu.

34) Alessandro Forlin, partagée par Rithy Panh le 15 juin 2015 : « Toujours est-il que l’écriture lyrique se fonde encore une fois sur la vision à travers la fenêtre, orientée d’abord vers le haut, et ensuite vers le bas. » Andrea Del Lungo, La fenêtre, p. 135. Je viens de voir L’image manquante de Rithy Panh, et je comprends mieux cette image. Apparition du visage dans le cadre, retour des fantômes, cours des âmes errantes.

35) François Bon, partagée le 15 juin 2015 : « Si nos mères n’étaient pas décevantes, nous ne recevrions rien de ce que, par surprise, offre la vie. » Jean-Bertrand Pontalis, Fenêtres, p. 57. Comme ces cadres inattendus sous nos pas.

<img src="https://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/1969/files/2016/12/Fran%C3%A7ois-Bon-15-juin-2015-copie-2-600x600.jpg" alt="François Bon, partagée le 15 juin 2015 : "Au-dessus de la boutique d'Arnoux, il y avait au premier étage trois fenêtres, éclairées chaque soir. Des ombres circulaient par derrière, une surtout ; c'était la sienne ; et il se dérangeait de très loin pour regarder ces fenêtres et contempler cette ombre." Gustave Flaubert, L'éducation sentimentale." width="584" height="584" srcset="https://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/1969/files/2016/12/François-Bon-15-juin-2015-copie-2-600x600.jpg 600w, https://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/1969/files/2016/12/François-Bon-15-juin-2015-copie-2-150x150.jpg 150w,

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