2017-01-29

Le Palo Alto Research Center – PARC – est souvent évoqué pour son apport à l’informatique moderne. Les travaux de ce groupe de recherche s’inscrivent dans les logiques de l’époque et s’appuient sur le design en tant qu’outil de communication.

En 1970, le Palo Alto Research Center -PARC- est créé à l’initiative de Jack Goldman par la société Xerox qui missionne un groupe de chercheurs pour développer des systèmes à même de « faciliter l’architecture de l’information » (RESMINI et ROSATI, 2011), et pour « inventer le bureau de demain » (KRAKOWIAK, 2012). Les travaux de ce groupe, qui est alors une filiale de Xerox, vont faire évoluer l’informatique de communication en contribuant largement aux principes de l’Interface homme machine -IHM- et en donnant naissance à des applications utiles aussi bien à l’Internet -tels les réseaux Ethernet, les travaux sur le protocole IP-, qu’à l’informatique personnelle : impression laser, interface graphique, éditeur de texte WYSIWYG1 … Des réalisations inspirées des idées de l’époque.

Des sources d’inspiration

Au cours des années 1945-1970 l’informatique de communication s’est développée à partir de travaux et d’idées qui, parfois, relevaient de la simple projection, voire de l’utopie.

Ainsi, dès 1945, Vannevar Bush, professeur au Massachusetts Institute of Technology (MIT) et conseiller du président Franklin D. Roosevelt imagine un dispositif, irréalisable à l’époque, qui permettrait le stockage d’un très grand nombre de documents. Ces documents pouvaient être reliés les uns aux autres, annotés ou encore partagés entre usagers. Ce dispositif imaginaire appelé MEMEX –Memory Extension-, serait en outre doté d’un module détachable, ce qui revient à dire que l’usager dispose de fait d’une véritable bibliothèque portable  (BUSH, 1945). Si d’aucuns ont qualifié cet article de prophétie  (MOLINARO, 2005), c’est parce qu’il préfigure, notamment, les changement apportés vingt ans plus tard par les travaux de Ted Nelson sur l’hypertexte -l’accès aux informations par association d’idées, l’abandon de la linéarité dans l’acte de lecture…- dans le cadre de Xanadu ou, ou encore par les travaux de Douglas Engelbart au Stanford Research Institute -SRI- : la souris, la métaphore du bureau…

Le PARC s’est également inspiré des travaux de Joseph Licklider, un des pionniers de l’Internet, qui a conceptualisé l’interaction homme-machine, à une époque où les systèmes ne proposaient que des extensions mécaniques à l’être humain (LICKLIDER, 1960) . Il a également prévu que les êtres humains pourraient communiquer un jour de manière plus efficace via des systèmes que face à face (LICKLIDER, 1968), ce qui préfigure les outils de réseautage social, la mobiquité 2 et l’évolution que connaîtra quelques décennies plus tard l’architecture de l’information. Le Xerox PARC s’est largement inspiré de ces travaux, tout en prenant en quelque sorte parti dans les débats idéologiques de l’époque.

Changer le monde

Localisé dans la Silicon Valley en Califormie, le Xerox PARC s’appuie sur une « équipe d’experts de classe mondiale, spécialistes de l’information et des sciences physiques », des «architectes de l’information »3  », équipe dirigée par George Pake, alors professeur de sciences physiques à l’Université Washington de Saint-Louis. Pake va s’entourer de groupes pluridisciplinaires -physiciens, ingénieurs, anthropologues, psychologues…- et puisera notamment dans le vivier universitaire du voisin, le Stanford Research Institute -SRI- (KRAKOWIAK, 2012). Ces universitaires sont pour la plupart en rupture avec les modèles dominants de l’époque ; Robert Bauer, un de ces chercheurs, aurait par exemple déclaré (WEISS, 2010) : « Faire de la recherche chez PARC il y a 40 ans avait quelque chose de magique. En ces temps de troubles politique et social, nous allions au travail tous les jours avec une folle envie de libérer la technologie des griffes du complexe militaro-industriel et de mettre l’informatique à disposition des gens4 ». Encore fallait-il offrir à ces chercheurs la possibilité de se réaliser, en contribuant à ce que Bardini a appelé les « trois principes de l’idéal révolutionnaire » (BARDINI, 2000) :

– la convivialité, synonyme de liberté : conception de systèmes facilement utilisables par des non informaticiens,

– l’accès universel, synonyme d’égalité : des ressources accessibles à tous et non plus à une élite,

– l’interactivité, synonyme de fraternité : la bascule vers une informatique de communication.

Le mode de fonctionnement du Xerox PARC est conforme à ces principes : de la souplesse, une moindre part à la hiérarchie (KRAKOWIAK, 2012). George Pake laisse par ailleurs libre cours à l’imagination de ses collaborateurs et leur demande seulement d’innover (SLICHTER, 2009). Pour les y aider, les locaux sont configurés en conséquence avec des espaces de travail et lieux de réunion informels, et des outils de travail collaboratifs sont développés. Les travaux du Xerox PARC s’appuient par ailleurs sur une approche intéressante en matière de design.



Ambiance de travail détendue au PARC



Salle de réunion du PARC

Le design au service de la communication

La logique de « design » a émergé avec l’ère industrielle et la diffusion des objets à grande échelle. C’est un « système de formes et d’objets appelés à être diffusés dans l’espace de la communication, comportant une certaine valeur symbolique lié à la fonction sociale qu’ils exercent. Le design représente une médiation entre l’usage individuel des objets et des formes qu’il produit et la norme sociale qui leur donne leur statut et leur signification… Le design est l’application de l’esthétique à des formes et objets industriellement produits, et faisant par conséquent l’objet d’une grande diffusion dans l’espace public » (LAMIZET et SILEM, 1997). Le design d’un objet ou service relève donc d’une intention de communiquer ; c’est un des outils au service de la communication à grande échelle, qui s’appuie sur des principes de diffusion, de reproduction et de fonctionnalité. Le design concerne donc l’apparence d’un produit (l’esthétique), mais relève également d’une réflexion sur la manière dont ce produit fonctionne. Il relève d’un mode de pensée (design thinking) et, pour être efficace doit être « innovant », « esthétique », « discret », « honnête », « attentif aux détails » ; il doit en outre rendre le produit « utile » et « compréhensible », « respecter l’environnement » et comporter « aussi peu de design que possible » (DAUMAL, 2015, p. 3). Mais communiquer, c’est connaître « l’autre » et tenir compte de ses valeurs (WOLTON, 2013) ; il ne suffit donc pas de designer en top-down.  Le design orienté utilisateur s’appuie sur des principes psychologiques pour connaître les utilisateurs, prendre en compte leurs besoins et compétences et anticiper les difficultés qu’ils pourraient rencontrer dans leur interaction avec le produit ; la présence de psychologues dans les équipes du PARC est en ce sens significative.  Et il me semble que, par les choix de communication qu’il fait via le design, le centre de recherche de Xerox montre qu’il adhère à l’« idéal révolutionnaire » évoqué plus haut, en mettant l’outil informatique au service de tous. Ces choix de design seront d’ailleurs vite repris par d’autres -Apple, puis Microsoft-.

Quelques réalisations du Xerox PARC

L’intérêt de ces réalisations, c’est qu’elles sont directement au service des employés du PARC qui en sont les premiers et principaux utilisateurs ; le Xerox Alto en est l’exemple emblématique. Mis en service en 1973, c’est un des premiers ordinateurs personnels, en tous cas le premier a avoir été conçu « comme un outil de communication aussi bien que comme un outil de traitement de l’information »(KRAKOWIAK, 2012). Il est équipé d’un système d’exploitation qui sert d’interface conviviale entre le matériel et l’utilisateur ; ce dernier se voit proposer la première métaphore de bureau sous forme d’une interface graphique  avec des fenêtres et des icônes qu’il peut manipuler à l’aide d’une souris. Parmi les logiciels notables, citons un éditeur de texte WYSIWYG, Bravo, qui offre la possibilité de copier-coller et des logiciels de dessin comme Draw et Markup. l’Alto bénéficie également d’une architecture réseau dite client-serveur avec la mise au point par Robert Metcalfe du protocole Ethernet qui permet aux utilisateurs de différentes stations de partager des ressources, qu’elles soient informationnelles -fichiers, messagerie électronique– ou matérielles –imprimantes laser-.



Le Xerox Alto

L’Alto ne fut distribué qu’à l’échelle du PARC -60 exemplaires en 1973- puis de la société Xerox -2000 exemplaires à partir de 1975- (KRAKOWIAK, 2012). En 1981, Xerox commercialisera le Star 8010 qui offre les mêmes fonctionnalités que l’Alto. Son prix de vente, 16 000$, explique peut-être son échec commercial, avec seulement 25 000 exemplaires vendus5.

L’éditeur de texte en WYSIWYG du Xerox Star 8010

Le Xerox PARC est depuis 2002 une société indépendante qui a semble-t-il appris du passé pour gommer le défaut qui lui a souvent été reproché : ne pas réussir à capitaliser ses réalisations. Force est pourtant de constater que ce centre de recherche s’est efforcé de mettre l’outil informatique au service et à la disposition de l’utilisateur lambda ; une forme d’informatique à visage humain. « Les technologies les plus efficaces sont celles qui savent se faire discrètes. Elles s’immiscent dans le tissus de la vie quotidienne jusqu’à en faire partie intégrante 6 » (WEISER, 1991).

Bibliographie

BARDINI T. « Les promesses de la révolution virtuelle: genèse de l’informatique personnelle, 1968-1973 ». Sociologie et sociétés. 2000. Vol. 32, n°2, p. 57–72.
BUSH V. « As We May Think ». The Atlantic [En ligne]. juillet 1945. Disponible sur : < http://www.theatlantic.com/magazine/archive/1945/07/as-we-may-think/303881/2/ > (consulté le 28 janvier 2017)
DAUMAL S. Design d’expérience utilisateur : principes et méthodes UX. Paris : Eyrolles, 2015. 196 p.ISBN : 978-2-212-14176-4.
KRAKOWIAK S. « Xerox PARC et la naissance de l’informatique contemporaine ». In : Interstices [En ligne]. 2012. Disponible sur : < https://interstices.info/jcms/int_64091/xerox-parc-et-la-naissance-de-linformatique-contemporaine > (consulté le 28 janvier 2017)
LAMIZET B., SILEM A. Dictionnaire encyclopédique des sciences de l’information et de la communication. Paris : Ellispes, 1997. 590 p. ISBN : 2-7298-4766-9.
LICKLIDER J. « Man-Computer Symbiosis ». IRE Transactions on Human Factors in Electronics. mars 1960. Vol. HFE, n°1, p. 4‑11.
LICKLIDER J. « The Computer as a Communication Device ». Science and Technology. 1968. Vol. 76, p. 21‑31.
MOLINARO F. « La prophétie de Bush – Acte 1 ». In : les-infotrateges.com [En ligne]. 2005. Disponible sur : < http://www.les-infostrateges.com/article/0502169/la-prophetie-de-bush-acte-1 > (consulté le 28 janvier 2017)
RESMINI A., ROSATI L. « A Brief History of Information Architecture ». Journal of Information Architecture. 2011. Vol. 3, n°2, p. 33‑46.
ROSSI S. « L’interface graphique ». In : Histoire de l’informatique [En ligne]. 2004. Disponible sur : < http://histoire.info.online.fr/gui.html > (consulté le 29 janvier 2017)
SLICHTER C. « George Eward Pake – 1924-2004. A Biographical Memoir ». In : National Academy of Sciences [En ligne]. 2009. Disponible sur : < http://www.nasonline.org/publications/biographical-memoirs/memoir-pdfs/pake-george.pdf > (consulté le 28 janvier 2017)
WEISER M. « The Computer for the 21st Century ». Scientific America [En ligne]. Septembre 1991. Special issue. Disponible sur : < http://www.ubiq.com/hypertext/weiser/SciAmDraft3.html > (consulté le 28 janvier 2017)
WEISS T. R. « Timeline : PARC milestones ». In : Computerworld [En ligne]. 2010. Disponible sur : < http://www.computerworld.com/article/2515874/computer-hardware/timeline–parc-milestones.html > (consulté le 29 janvier 2017)
WEISS T. R. « Xerox PARC turns 40: Marking four decades of tech innovations ». In : Computerworld [En ligne]. 2010. Disponible sur : < http://www.computerworld.com/article/2515846/computer-hardware/xerox-parc-turns-40–marking-four-decades-of-tech-innovations.html > (consulté le 28 janvier 2017)
WOLTON D. « Information et communication: dix chantiers scientifiques, culturels et politiques ». Hermès, La Revue. 12 novembre 2013. n°38, p. 175‑182.

Crédits photographiques

Computer History Museum : http://www.computerhistory.org/revolution/input-output/14/348

Computer History Museum : http://www.computerhistory.org/revolution/input-output/14/348/1867

Joho345 – Own work, Public Domain, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=3699855

Digibarn Computer Museum : http://www.digibarn.com/friends/curbow/star/2/index.html

What You See Is What You Get. Selon Wikipédia, « Un logiciel WYSIWYG est un logiciel qui dispose d’une interface qui donne à l’utilisateur l’impression de voir son document tel qu’il sera publié ». Le Xerox PARC serait à l’initiative de cet acronyme

Mot valise issu de « mobilité » et « ubiquité », la mobiquité évoque la possibilité pour l’individu d’accéder à des ressources en se libérant des contraintes de lieu, de temps et d’équipement. C’est une émanation du concept d’ATAWAD (Any Time, AnyWhere, Any Device, Any Content.

dixit la firme Xerox elle-même, traduction personnelle : http://www.parc.com/about/

Traduction personnelle

Source : Wikipédia

Traduction personnelle

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