2017-01-26

La recherche est un combat ! Oui, mais contre qui ? Si la recherche amène à découvrir, réfléchir, conclure et finalement transmettre, qu’en est-il réellement du quotidien du chercheur ?

L’inégalité des journées de l’historien dépend proportionnellement de sa recherche et des moyens qu’il met en œuvre pour y parvenir. Dans mon cas, aucune journée ne se ressemble ! Les cours dispensés à la fac nous donnent une ouverture sur nos sujets et surtout sur la façon dont nous pouvons aborder certains thèmes dans nos sources et dans notre rédaction. Ensuite, la lecture rythme obligatoirement la journée du chercheur. Pour ma part, je lis en moyenne un ouvrage bibliographique par semaine. Cette lecture se veut être la plus intelligente possible : chaque passage relatif à mon sujet est référencé, et chaque extrait susceptible de me renseigner sur mon approche ou ma problématique est attentivement mis en valeur. La lecture en histoire n’est pas une démarche légère et doit au contraire nous guider dans deux directions.

Un travail variable

D’abord, en lisant et constituant une bibliographie, nous apprenons quels sont les éléments importants et fondamentaux de notre sujet. Dans mon cas, je lis toujours des ouvrages qui concernent la vie religieuse, le fonctionnement religieux de l’Ancien Régime et, globalement, tout ouvrage d’histoire religieuse concernant les arcanes de mon sujet. Ensuite, cette lecture faite, il est plus facile d’aborder avec un certain état d’esprit nos sources. Par exemple, en lisant des ouvrages sur la vie du Rouergue à la veille de la Révolution, j’ai très bien pu me rendre compte de la particularité du lieu étudié en raison de la situation géographique du Rouergue et, de fait, de la mentalité qui en découle.

Il est évident que j’ai tenu compte de cet aspect en dépouillant mes sources. Dans certains cas, cette approche s’est vue confirmée et renforcée, tandis que dans d’autres cas, j’ai pu établir certains contre-exemples. La lecture de la bibliographie nous replace dans un courant de pensée et donne une certaine orientation à nos interprétations. La lecture en général est un aspect très important et primordial pour l’historien au quotidien. Les sessions en archives, le contact avec les sources est pour ma part irrégulier. Les centres d’archives contenant les sources qui m’intéressent étant éloignés, je m’y rends en moyenne une à deux fois par mois. Cette « visite » se prépare — souvent en lisant les inventaires – en sachant déjà à l’avance quels types de sources je vais ouvrir et combien de documents je vais tenter de consulter. Prenant beaucoup de photos, une fois revenu de cette session, je peux lire et classer mes sources.

Au quotidien, j’étudie et travaille par thème. Il m’arrive de travailler pendant plusieurs jours (le temps nécessaire) sur un personnage particulier, sur un évènement, sur un lieu, sur une organisation –par exemple les impôts et mesures fiscales liés au clergé régulier. L’importance d’un thème dicte le temps passé à son étude. Ainsi, la variation en longueur des sources, de la bibliographie, des séminaires rend difficile un quotidien égal et parfaitement régulier.

La procrastination est un vilain défaut auquel il est sans doute rare d’échapper ! Dans mon cas, j’apprends à faire face avec un manque de motivation ou d’intérêt certains jours pour ma recherche propre. Procrastiner est un danger à maîtriser selon moi. J’essaye de rendre cette procrastination utile et de ne jamais perdre de vue mes objectifs.

Je n’ai pas de planning particulier lorsque je travaille. Je poursuis les ouvrages en cours, les thèmes abordés en essayant d’y relier sources et bibliographie, en classant mes sources. Dans la seconde partie du travail, lorsque le plan et la problématique sont définis, les journées sont plus organisées : il s’agit de se donner des objectifs plus visibles et qui répondent à la structure du travail final. Ainsi, chaque jour, je vais par exemple m’intéresser à une sous-partie, l’approfondir, développer les lectures et mobiliser les sources pour bâtir ma démonstration. Enfin, l’étape finale, la rédaction est un moment ultra organisé, où je m’impose un rythme de travail très régulier. La rédaction est une chose lente et délicate qui nécessite beaucoup d’efforts et de patience. Là encore, certaines parties, certains points sont beaucoup plus difficiles que d’autres à traiter et demandent plus de temps, la production variant pour le même nombre d’heures passées à travailler. En moyenne, j’écris cinq pages par jour dont au moins une sera complètement transformée entre les ajouts et les suppressions lors des premières relectures.

Le séminaire et une ouverture permanente

Le séminaire, le moment où l’on voit et discute avec notre directeur de recherche est, pour moi, un moment qui vient intensifier ce fameux quotidien de chercheur et me remotiver. La réunion avec notre directeur permet de rendre compte des choses faites et à faire ; le séminaire sert d’étape dans notre périple. Avant le séminaire, il est important de tout mettre en œuvre pour donner sens et forme à nos recherches, préparer les pistes de travail en écho avec les commentaires, les conseils et les mises en gardes de notre directeur. Lors du séminaire, il est important d’écouter les autres car leurs problèmes, leurs difficultés mais aussi leurs travaux, leurs références permettent de mieux appréhender les nôtres. En dehors du séminaire, le contact avec d’autres collègues, avec un groupe de chercheurs peut se révéler comme une aide précieuse au travail et une « distraction utile ».

La recherche est parfois à tous les coins de notre vie : elle est issue des discussions entre amis, en famille,  à ces moments où le hasard peut nous conduire. Les réseaux sociaux permettent une ouverture parfois très ciblée et sont utiles pour notre recherche. Ainsi, certains groupes autour d’un même sujet telle que la Révolution française, un même personnage, une date ou un historien célèbre peuvent ainsi nous donner quelques pistes et voir comment certaines personnes y interfèrent. On peut remarquer ainsi quel historien est complètement décrié par certains et défendu par d’autres et surtout pourquoi – tous ces éléments sont toujours à lire avec prudence, j’en conviens. Aussi, en parlant avec notre entourage, certaines personnes peuvent nous renvoyer vers certains ouvrages ou vers des personnes en lien avec d’éventuelles perspectives et échos pour notre sujet. La recherche se fait donc au quotidien, même dans des moments qui ne lui sont pas dédiés.

En somme, le quotidien du chercheur varie en fonction de l’avancée de son travail et de l’étape où il se trouve. L’échéance et la remise d’un travail accélèrent souvent le rythme et l’intensité de l’historien-chercheur. Néanmoins, le travail quotidien est une démarche qui permet de faire avancer sa réflexion de manière calme et déterminée. L’irrégularité des sources — et de leurs accès —, de la bibliographie, et l’évolution permanente de notre argumentation rend la production très inégale et en perpétuelle questionnement. En somme, le quotidien de l’historien-chercheur est d’apprivoiser le doute et toujours être en alerte.

Crédits image à la Une : CC Wikimedia Commons, Inconnu

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