2017-01-25





La carte du royaume de France d’Oronce Fine,

Imprimée en 1525.

Source : Gallica

Aborder les origines de la carte d’État-major française, nous invite à emprunter  les routes, les chemins et autres artères menant au XVIe siècle. Cet âge constitue, en effet, une période plus riche que les précédentes au regard de l’intérêt porté pour la cartographie. L’année 1525, a vu naître la première carte de France imprimée, réalisée par Oronce Fine dans son ouvrage Description de toute la Gaule. Par ailleurs, le Roi Henri IV (1589-1610) aime consulter les cartes conçues par ses ingénieurs. Cette attitude a immanquablement contribué à ce que le Royaume de France se dote d’une production cartographique de qualité, cependant généralement manuscrite. Ce sont aussi, en particulier, les ingénieurs du Roi qui, à la croisée du XVIe et du XVIIe siècles, redonnent vie et intérêt à la cartographie de la France. Le service des fortifications voit le jour en 1604 et son règlement enjoint aux ingénieurs de faire le toisé des places fortes et d’en dresser les plans1. Dans chaque grande province frontalière, il y a désormais un responsable des travaux cartographiques. Les rois disposaient bien sûr de cartes de leurs domaines mais elles illustraient de manière fantaisiste les régions plus qu’elles ne les décrivaient2.

Dès lors, un besoin évident de cartes apparaît aussi bien pour gérer plus efficacement les territoires, répartir les impôts, rectifier le tracé d’anciennes routes ou en créer de nouvelles que pour des nécessités militaires.

Aussi faut-il attendre l’œuvre du géographe et ingénieur du roi, Jean De Beins, accomplie sous les règnes d’Henri IV et de Louis XIII (1610-1643), pour que la France s’arme de cartes laissant véritablement transparaître des objectifs militaires ((De DAINVILLE François, Le Dauphiné et ses confins vus par l’ingénieur d’Henri IV Jean De Beins, Paris : Minard, 1968.)). Encore manuscrites, et tenues au secret, ces cartes offraient une bonne connaissance de la topographie et s’inséraient évidemment dans la stratégie de défense du royaume3.

Le développement de la cartographie militaire est donc l’un des faits majeurs de l’histoire des XVIIe et du XVIIIe siècles. Elle s’affirme au moment où elle prend la pleine mesure des méthodes mises au point par l’Académie royale des Sciences fondée en 1666 sous l’impulsion de Jean-Baptiste Colbert, alors premier ministre du royaume.

Les cartes de la dynastie des Cassini



Portrait de Gian Dominico Cassini, dit Cassini Ier

Louis XIV, qui utilise les cartes pendant ses campagnes de guerre, demande la réalisation d’une carte du royaume à l’Académie des Sciences et décide de faire venir à Paris un certain Gian Domenico Cassini (dit Cassini Ier, 1625-1712), né dans le comté de Nice en 1625, connu pour avoir écrit un ouvrage dans lequel il explique comment obtenir la longitude des lieux à partir de l’observation des satellites de Jupiter. Il est le premier d’une longue lignée de Cassini à avoir la fonction de directeur de l’Observatoire de Paris et à se lancer dans la réalisation d’une carte de France. Sous l’autorité directe du premier ministre Colbert qui souhaite que l’Académie travaille sur la constitution de cartes géographiques plus exactes que celles qui ont été faites jusqu’ici, Cassini va commencer son travail en Île-de-France. Ses objectifs sont d’abord de mesurer les distances par triangulation, méthode mise au point par l’Abbé Jean Picard, et de positionner les lieux avec exactitude.

Les grandes guerres de Louis XIV, longues et coûteuses en hommes, obligent à faire voyager des effectifs nombreux. Le commandement militaire a donc besoin de cartes qui le renseignent sur la topographie et sur les ressources qui permettront de faire vivre les armées.

Parallèlement aux immenses travaux cartographiques entrepris, le début du XVIIIe siècle voit la création du Dépôt des cartes et plans de la Guerre où sont reçus et conservés les matériaux cartographiques en vue de leur utilisation future.

Après la mort de Jean-Dominique Cassini en 1712, son fils, Jacques Cassini (Cassini II, 1677-1756) reprend à son compte le travail effectué par son père et continue les observations de terrain et la prise de mesures. En 1740, il abandonne progressivement ses activités scientifiques au profit de son fils, César-François Cassini de Thury (Cassini III, 1714-1784). Les travaux de ce dernier, soutenus par Louis XV, aboutissent à la publication de la carte de France à partir de 1744 jusqu’en 1793. Elle est constituée d’un ensemble de 180 feuilles, couvrant chacune un espace d’environ 80 kilomètres de long sur 50 de large. L’échelle adoptée est le 1/86 400e, ce qui permet d’obtenir une représentation relativement précise du royaume. Elle est définitivement achevée en 1780 par Jean-Dominique, comte de Cassini (Cassini IV, 1748-1845). L’ensemble des côtes, des frontières, des cours d’eau du royaume sont ainsi représentés. Les provinces apparaissent et les principales villes figurent sur la carte ainsi que les coordonnées géographiques de longitude et de latitude.

52e feuille de la carte de Cassini représentant la ville de Clermont-Ferrand et sa région (1750)

Par ailleurs, le dernier des Cassini à avoir contribué à cette vaste aventure cartographique supporte mal la confiscation des travaux de quatre générations suite à la Révolution de 1789 et s’attelle, par la suite, à défendre la renommée scientifique de sa famille4.

La carte : outil indispensable des campagnes napoléoniennes

Napoléon Ier, représenté sur un champ de bataille, tenant une carte topographique dans sa main gauche

Si les militaires n’ont jamais été absents de la cartographie sous l’ Ancien Régime, c’est l’Empire qui leur donne l’opportunité de faire progresser la discipline5. La commission de topographie de 1802, définie les spécifications de la deuxième carte topographique de la France destinée à un usage militaire et à subroger la carte de Cassini qui elle, rappelons le, n’a pas été spécifiquement créée à des fins militaires. De toute évidence, l’Empereur Napoléon Ier a besoin de cartes topographiques précises, la maîtrise des espaces et la connaissance du terrain étant des données stratégiques de premier ordre. Par ailleurs, Bonaparte, avant qu’il ne devienne Napoléon, est formé puis affecté au début de sa carrière militaire au sein d’un régiment d’artillerie. Ce début de carrière explique sans doute l’intérêt particulier que l’Empereur porte aux cartes.

Dès 1799, il nomme le général Bacler d’Albe, alors peintre et dessinateur remarqué lors de la campagne d’Italie, chef de son cabinet topographique personnel. Ce géographe, considéré comme l’un des meilleurs cartographes de son temps, sera désormais de toutes les batailles et appartient au cercle des plus proches conseillers de l’Empereur.

Louis Albert Guislain Bacler d’Albe (1761-1824)

Source : Institut National de l’information Géographique et Forestière

Lors des campagnes, aucune décision n’est prise sans que l’Empereur n’ait préalablement consulté les cartes topographiques des lieux qui devront supporter les combats. Le plus souvent, ces cartes sont directement dressées et dessinées à vue sur le champ de bataille.

En 1808, l’Empereur décide de lancer les travaux de conception de la nouvelle carte de France, mais le projet est ajourné par les campagnes militaires qui se succèdent. Néanmoins, au début du XIXe siècle, grâce à son impulsion et au corps-impérial des ingénieurs géographes, la France possède des cartes de toute l’Europe d’une qualité encore jamais égalée.

État des lieux de la carte du territoire français à l’aube du Premier Conflit mondial

Carte illustrant la constitution du maillage trigonométrique du territoire français effectué pendant la première partie du XIXe siècle

A la fin du règne de Napoléon Ier, le projet de remplacement de la carte de Cassini n’est pas abandonné. Il est repris dès 1815 sous le Régime de la Restauration, Louis XVIII chargeant une commission royale, présidée par le comte de Laplace, « d’examiner le projet d’une nouvelle carte topographique générale de la France ». La commission propose de diviser le territoire français en plusieurs quadrilatères d’environ 200 kilomètres de coté, séparés par des chaînes de triangles qui vont servir de socle pour tout le reste de la triangulation. Ce maillage trigonométrique, qui forme une sorte de squelette du territoire, est utilisé afin de créer des points de références permettant d’effectuer des mesures qui soient les plus précises possibles.

Aux origines de ce projet, ce sont les officiers du corps d’État-major qui sont chargés de réaliser cette nouvelle carte topographique. Raison pour laquelle on lui attribue le nom de carte d’État-major. Mais, paradoxalement, ce sont les ingénieurs géographes et non les militaires qui sont sur le terrain pour effectuer les travaux de levés. Malgré le nom qui lui est donné, la carte d’État-major aura surtout des applications civiles car les militaires s’en désintéressent à partir du milieu du XIXe siècle6. Établie de 1815 à 1880, la carte d’état-major innove par rapport à la carte de Cassini, surtout dans la représentation du relief, par un système de hachures et de jeux d’ombre, ainsi que dans la reproduction du réseau de communication. Pourtant, la carte n’est pas encore assez précise, ni véritablement adaptée pour être utilisée par les artilleurs et des révisions doivent encore être faites.

La défaite des armées françaises lors du conflit de 1870-1871 qui les opposent aux troupes prussiennes, révèle entre autres, les insuffisances criantes de la carte d’État-major, qui n’est alors même pas encore achevée.

On s’interroge donc déjà sur ses imperfections avant même son parachèvement.

Des révisions de la carte d’État-major sont plus que nécessaires afin de l’actualiser. Elles sont entreprises par le Service Géographique de l’Armée qui remplace le Dépôt de la Guerre à partir de 1887. Mais, à la veille de la Première Guerre mondiale, le retard de la cartographie militaire française est indéniable.

Pour aller plus loin :

Catalogue de l’exposition :

14-18, Des cartes pour faire la guerre

organisée par la Bibliothèque Clermont Université.

Bibliographie sélective :

– BERTHAUT Henri-Marie-Auguste, Service géographique de l’Armée : Les ingénieurs géographes militaires (1624-1831), Paris : imprimerie du Service géographique, 1902.

– COLLET Jean, Les cartes topographiques : La carte de France, dite de l’État-major. Historique, projection, géodésie, hypsométrie,topographie, critique et lecture, Paris : Gauthier-Villars, 1887.

– De DAINVILLE François, Le Dauphiné et ses confins vus par l’ingénieur d’Henri IV Jean De Beins, Paris : Minard, 1968.

– DEVIC M. J. F. S., Histoire de la vie et des travaux scientifiques et littéraires de Jean-Dominique Cassini IV, Clermont (Oise) : Daix, 1851.

– De VILLELE Marie-Anne/BEYLOT Agnès/MORGAT Alain, (Dir), Du paysage à la carte, trois siècles de cartographie militaire de la France, Vincennes : Services Historiques de l’Armée de terre, 2002.

– HOFMANN Catherine, Artistes de la carte : De la Renaissance au XXIe siècle, Paris : Autrement, 2012.

– LEFORT Jean, L’aventure cartographique, Paris : Belin, 2004.

– PELLETIER Monique, La carte de Cassini : L’extraordinaire aventure de la carte de France, Paris : Presses de l’École Nationale des Ponts et Chaussées, 1990.

– PELLETIER Monique, Les cartes des Cassini, la science au service de l’État et des provinces, Paris : Éditions du CTHS, 2013.

PELLETIER Monique, Les cartes des Cassini, la science au service de l’État et des provinces, Paris : Éditions du CTHS, 2013.

LEFORT Jean, L’aventure cartographique, Paris : Belin, 2004.

PELLETIER Monique, Les cartes des Cassini, la science au service de l’État et des provinces, Paris : Éditions du CTHS, 2013.

PELLETIER Monique, Les cartes des Cassini, la science au service de l’État et des provinces, Paris : Éditions du CTHS, 2013.

LEFORT Jean, L’aventure cartographique, Paris : Belin, 2004.

LEFORT Jean, L’aventure cartographique, Paris : Belin, 2004.

Show more