2017-02-02

Depuis le mois de septembre 2016, je suis accueilli au King’s College à Londres (KCL), au sein du Center for the History of Science, Technology and Medicine, qui est le laboratoire d’Abigail Woods, spécialiste de l’histoire de la santé animale et de la profession vétérinaire au Royaume-Uni. Pour un sociologue travaillant sur les questions relatives à la lutte contre l’antibiorésistance et, plus particulièrement, la régulation des usages vétérinaires d’antibiotiques, il est extrêmement intéressant de se trouver actuellement en Angleterre. Pour au moins deux raisons.

La première, dont j’avais conscience avant de venir et qui a présidé à mon souhait de séjourner au KCL, tient au fait que pour quiconque travaillant sur la santé animale et la profession vétérinaire dans le domaine des sciences sociales, ce pays constitue une destination privilégiée. En effet, alors que ces thématiques de recherche sont largement sous-investies ailleurs, les sociologues, anthropologues, politistes, historiens et géographes britanniques développent de stimulants travaux sur ces questions depuis une bonne dizaine d’années. Il faut dire que la Grande-Bretagne a eu l’incroyable chance d’avoir à faire face à deux graves crises de santé animale depuis les années 2000, la fièvre aphteuse et la tuberculose bovine ! Comme Laure Bonnaud et moi le montrons dans un récent article (https://www.cairn.info/revue-gouvernement-et-action-publique-2016-3-page-131.htm), au-delà d’évidentes questions de financement qui ont favorisé le développement de ces travaux, ces crises ont été l’occasion de poser à nouveaux frais les problématiques relatives à la gestion des maladies animales et de construire des objets de recherche que les sciences sociales avaient largement délaissés jusque-là. De ce point de vue, il paraissait donc évident pour moi que ce séjour en Grande-Bretagne présenterait de nombreux intérêts, étant donné la dynamique qu’il existe autour de ces sujets de recherche1.

En revanche, ce que je n’avais pas vu venir avant de m’installer ici et de vraiment commencer à me pencher sur mon terrain, c’est l’intérêt que suscite actuellement (et depuis peu) le problème de l’antibiorésistance pour la communauté académique britannique, en particulier dans le domaine des sciences sociales. Depuis un peu plus d’un an, les autorités publiques ont accompagné leur programme de lutte contre l’antibiorésistance d’une politique de financement de la recherche visant à inciter au développement de travaux sur les usages d’antibiotiques. Ainsi, l’Economic and Social Research Council (ESRC) et l’Arts and Humanities Research Council (AHRC), les deux principaux organes de financement des recherches en sciences sociales, tout comme les instituts plus spécialisés sur les questions de santé (par exemple le Wellcome Trust ou le Fleming Fund récemment mis en place par le ministère de la Santé), ont lancé divers appels d’offre et outils de financement spécifiquement dédiés aux travaux sur l’antibiorésistance. Un « Social science research champion »2 a même été désigné pour favoriser la structuration de la communauté de recherche autour de ces questions (http://www.bristol.ac.uk/social-community-medicine/projects/amr-champion/). Je ne sais pas si Dieu protège vraiment la reine… mais, en tout cas, le royaume est au chevet des antibiotiques !

Être actuellement à Londres permet donc de voir comment des collègues s’investissent sur un nouveau sujet, comment se montent de nombreux « AMR Centres » au sein de diverses universités… bref d’assister à une certaine effervescence de la communauté académique autour d’un sujet sur lequel je me sentais un peu seul jusque-là. Bien sûr, on pourra sans doute regretter certains aspects d’une recherche principalement, pour ne pas dire exclusivement, financés par projets/contrats et on peut raisonnablement faire l’hypothèse que la thématique suscitera moins d’enthousiasme dans quelques années, ou même que tous les collègues montrant actuellement des signes d’intérêt en assistant aux divers séminaires et autres « networking events » organisés ça et là ne s’impliqueront au final pas tant que ça dans les projets à venir. On aurait néanmoins sans doute tort de n’y voir qu’un effet de mode ou une recherche strictement « policy-driven » ou « problem-oriented » qui n’apporterait rien, au final, à la science elle-même. Lorsque l’on pense à la contribution des travaux sur le sida dans les années 1990 à la sociologie et l’anthropologie de la santé, ou au rôle qu’ont joué les recherches sur la sécurité sanitaire des aliments, à la suite de la crise de la vache folle, dans le développement de la sociologie des risques, on peut légitimement espérer (et chercher à faire en sorte !) que cet engouement pour les antibiotiques aura lui aussi son importance pour l’anthropologie du médicament, la sociologie des professions médicales et vétérinaires, ou encore l’analyse des politiques de santé, humaine comme animale…3

Quant à moi, plus modestement, les microbes britanniques commencent à me donner pas mal d’idées et, à mes risques et périls, je vais sans doute essayer de m’y frotter encore un peu…

Image à la une sous licence Creative Commons

Même si, ce qui devrait faire l’objet de prochains billets, l’approche que je privilégie, à savoir une sociologie de la profession vétérinaire, n’est pas particulièrement développée outre-Manche non plus…

Il s’agit d’un enseignant-chercheur à qui a été confiée la mission (ainsi que les fonds associés) d’animer un réseau de recherche national sur une thématique donnée. Cela renvoie notamment à un travail de coordination visant à susciter l’intérêt de collègues sur la thématique et favoriser leur implication dans le développement de projets

Notons toutefois que les historiens de la médecine n’ont pas attendu la prolifération des bactéries résistantes pour se pencher sur l’histoire des antibiotiques, qui fait l’objet de nombreux travaux depuis plusieurs années déjà

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