2017-02-05

On sait combien Louis Robert connaissait les relations des voyageurs qui avaient parcouru au 19e siècle l’Asie Mineure. Ils étaient comme l’un de ces instruments – et non des moindres – dont l’historien, cet “homme-orchestre” (…), tire “une symphonie”. Suivant cet exemple, nous offrirons, chaque mois, un morceau choisi parmi les récits des nombreux visiteurs de l’océan Indien, comme un possible prolongement des documents antiques.

Fragments arabes et persans relatifs à l’Inde, recueillis par M. Reinaud. Journal asiatique : ou recueil de mémoires, d’extraits et de notices relatifs à l’histoire, à la philosophie, aux sciences, à la littérature et aux langues des peuples orientaux, publié par la Société asiatique (juillet 1844) p.237-268.

Qu’on se représente la partie habitée du monde comme étant située dans l’hémisphère septentrional, et comme occupant la moitié de cet hémisphère : la portion de la terre qui est habitée forme alors un des quatre quarts de la terre. Cette portion est entourée par une mer qui, à ses deux extrémités occidentale et orientale, a reçu le nom de mer Environnante. Les Grecs ont donné le nom d’Océan à la partie qui est située du côté de l’occident et qui touche à leur pays. La mer sépare la partie de la terre qui est habitée, des terres qui se trouvent peut-être de l’un et de l’autre côté, au-delà de la mer, que ces terres, qui sont entourées d’eaux, soient habitées ou ne le soient pas. On ne navigue pas sur cette mer à cause de l’obscurité de l’air, de l’épaisseur de l’eau, de la confusion des routes, et à cause des nombreuses chances qui existent de s’égarer, sans compter le peu d’avantages qu’on retirerait d’un voyage aussi lointain. Voilà pourquoi les anciens érigèrent dans cette mer et sur ses côtes des signes qui avertissaient de ne pas s’y aventurer Du côté du nord, la terre est inhabitable à cause du froid, excepté en quelques endroits où s’introduisent les navires, et qui sont disposés en forme de golfe. Quant au côté du midi, la portion habitée du monde se termine aux bords de la mer qui touche aux deux côtés de la mer Environnante. Cette mer est traversée par les navires, et les parties de la terre qui la bornent sont habitées. Cette mer est entièrement couverte d’îles grandes et petites. La mer et le continent se disputent respectivement la place, et empiètent l’un sur l’autre. Du côté de l’occident, le continent s’avance dans la mer, et ses côtes se prolongent au midi. C’est dans ces régions, qui s’étendent en plaines, que se trouvent les peuples noirs de l’ouest qui nous fournissent des eunuques, ainsi que les montagnes de Comr, où sont les sources du Nil. Les côtes et les îles-voisines sont occupées par les peuples de race Zendj ; la mer forme, du même côté, des golfes qui s’avancent dans les terres : tels sont le canal de Barbora, le canal de Colzoum (la mer Rouge), et le canal de Farès (golfe Persique). Le continent s’étend plus ou moins vers la mer, dans l’espace qui sépare ces canaux. Dans la partie orientale de la mer du Midi (c’est la mer qui s’avance dans les terres, dans la direction du nord, de la même manière qu’auparavant la terre s’avançait dans la mer, du côté du midi), la mer forme en plusieurs endroits des golfes et des baies. La mer du Midi reçoit différentes dénominations ; le plus souvent ces dénominations sont empruntées aux îles que la mer baigne ou aux terres qui se trouvent en face. Pour nous, nous n’avons à parler que de la partie de la mer du Midi qui borne la terre de l’Inde, et qui, en conséquence, a été appelée mer des Indiens.

Maintenant, il faut admettre, dans la partie du monde qui est habitée, des montagnes escarpées et contiguës les unes aux autres, de manière à former, pour ainsi dire, les vertèbres de la terre. Ces montagnes s’étendent au milieu de la terre, dans le sens de sa longueur, et de l’est à l’ouest. Elles traversent successivement la Chine, le Tibet, le pays des Turks, le Kaboul, le Badakhschan, le Thokharestan, le Bamyan, le Gour, le Khorassan, le Djebal, l’Aderbaydjan, l’Arménie, le pays de Roum, le pays des Francs et celui des Galiciens. Ces montagnes offrent, dans leur prolongement, des faces variées, des intervalles libres et des déviations qui renferment des plaines. Une partie est habitée. De l’un et de l’autre côté de cette chaîne, coulent des rivières.

L’Inde est une de ces plaines, terminée du côté du midi par la mer appelée mer des Indiens ; de hautes montagnes la bornent de tous les autres côtés. C’est par cette plaine que se déchargent les eaux venant des montagnes. Il y a plus ; si tu examines de tes yeux ce pays, et si tu fais attention aux pierres rondes et polies qu’on trouve dans le sol à quelque profondeur qu’on creuse, pierres qui sont grandes près des montagnes, où le cours des eaux des rivières est impétueux ; petites, loin des montagnes, où le cours des eaux se ralentit ; et qui se changent en sables, où les eaux dorment, près des endroits où l’eau s’absorbe, et dans le voisinage de la mer, tu seras tenté de penser que ce pays n’a pas été jadis autre chose qu’une mer qui a été comblée par les alluvions des torrents.Le centre de l’Inde est la contrée située aux environs de Canoge, contrée que les Indiens nomment Madhyadésa, c’est-à-dire (en sanscrit) Pays du milieu. En effet, quant à la position géographique, cette région se trouve entre la mer et les montagnes, entre les pays chauds et les pays froids, à égale distance des extrémités orientale et occidentale. Sous le rapport politique, Canoge a été autrefois la demeure des monarques suprêmes de l’Inde et de ses Pharaons.

Le Sind occupe une partie de l’extrémité occidentale de l’Inde. On arrive de chez nous  au Sind par le pays du Nymrouz (en persan, Pays du midi), je veux dire le Sedjestan ; et on arrive dans l’Inde par le Kaboul. Ce n’est pas à dire que ce soit la seule route qui y conduise ; car on peut y arriver par tous les côtés, lorsque les routes sont libres. Les montagnes qui entourent l’Inde sont occupées par des peuples de race indienne ou d’une race proche. Ces peuples mènent une vie indépendante jusqu’à la limite où la race change. La ville de Canoge est située sur la rive occidentale du Gange. Elle occupe un espace très considérable ; mais à présent la plus grande partie tombe en ruines et est inhabitée, parce que le siège du gouvernement a été transféré dans la ville de Bâdy, à l’orient du Gange, à une distance de trois ou quatre journées. De même que Canoge est célèbre pour avoir donné le jour aux enfants de Pandou, de même la ville de Mahoura (Mathoura) est célèbre pour avoir vu naître Vasoudêva. Mahoura se trouve sur la rive orientale du fleuve Djoun (la Djomna). Entre ces deux villes il y a une distance de 28 parasanges. La ville de Taneser est située entre le Gange et la Djomna, au nord de ces deux villes, à environ 80 parasanges de Canoge, et à près de 50 parasanges de Mahoura. Le Gange descend des montagnes déjà mentionnées ; sa source est nommée Gangdouara (la porte du Gange). C’est aussi de ces montagnes que descendent la plupart des rivières de l’Inde, comme nous l’avons dit ailleurs.

Quant aux différentes provinces de l’Inde et à leurs distances respectives, on en est réduit, quand on n’a pas été dans le cas de les explorer soi-même, à ce que disent les autres. Ptolémée a eu constamment à se plaindre de ceux qui lui fournissaient ces distances, et de leur propension à exagérer. J’ai trouvé un autre moyen de réduire les récits mensongers des Indiens à leur juste valeur. Souvent les Indiens fixent la charge du bœuf à deux ou trois mille mannas, ce qui oblige les caravanes, pour qu’un bœuf porte sa charge entière, à refaire plusieurs fois le voyage d’un relais à l’autre : or, en pareil cas, les Indiens estiment la distance d’après le nombre de voyages et, par conséquent, de journées qu’a faites la caravane. Ce n’est qu’à force de recherches et d’efforts qu’il est possible de vérifier les récits des voyageurs ; il serait cependant honteux de renoncer à ce qu’on sait, en considération de ce qu’on ne sait pas. Nous avons donc quelque droit à l’indulgence, s’il nous échappe quelque erreur.

Si l’on part de Canoge en se dirigeant vers le midi, entre les cours de la Djomna et du Gange, on passe successivement par plusieurs villes considérables, à savoir : Haddjamava, à la distance de 12 parasanges : chacune de ces parasanges équivaut à quatre milles, et j’entends par mille un korouh, Aphapoury, à la distance de 8 parasanges ; Karhah, à la distance de 8 parasanges ; Barhamschal, à la distance de 8 parasanges ; enfin, l’arbre de Prayaga, à la distance de 12 parasanges. Cette ville se trouve au confluent de la Djomna et du Gange ; auprès d’elle les Indiens se mutilent de différentes manières, ainsi qu’il est dit dans les livres de relation. On compte de cet endroit à l’embouchure du Gange, dans la mer, 12 parasanges.

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De Dhar, en se dirigeant vers le midi, jusqu’à la rivière de Nymyyah, on compte 7 parasanges ; de là à Mahrat-dessa (le pays des Mahrates), 18 parasanges ; et de là à la province du Konkan, qui a pour capitale Tâlah, sur les bords de la mer, 25 parasanges. On dit que les plaines du Konkan, désignées sous le nom de Danaka, nourrissent une bête nommée scharau, qui marche sur quatre jambes, et qui de plus a sur le dos quatre jambes s’élevant dans les airs. Cet animal est armé d’une petite trompe et de deux grosses cornes avec lesquelles il frappe l’éléphant et le coupe en deux morceaux. Il a la forme du buffle, et il est plus grand que le kanda. On prétend que quelquefois il s’attaque au premier animal qui se présente, et, le soulevant en tout ou en partie sur son dos, il le jette au milieu de ses jambes supérieures. Là cette bête tombe en putréfaction et devient la proie des vers ; les vers s’attachent à la peau de l’animal, qui ne cesse pas de se frotter contre les arbres, jusqu’à ce qu’il meure. On dit aussi que quelquefois cet animal, entendant le bruit du tonnerre, s’imagine que c’est le cri d’un autre animal. Là-dessus il se dirige vers l’endroit d’où arrive le bruit, gravit les montagnes et saute en l’air ; mais il tombe en bas et se met en pièces.

Quant au kanda,  il est très nombreux dans l’Inde, principalement aux environs du Gange. Il a la forme du buffle ; sa peau est noire et écailleuse ; des morceaux de chair lui pendent du menton. Il a trois ongles aux pieds : à chaque pied est un grand ongle qui s’avance par-devant ; les deux autres sont sur les côtés. Sa queue n’est pas longue ; ses deux yeux descendent de l’endroit ordinaire jusque vers la joue. A l’extrémité de son nez est une corne qui se recourbe au-dessus. Les brahmes ont le privilège de manger de sa chair. J’ai vu un jeune individu de cette espèce frapper un éléphant qui était sur son chemin. Il lui blessa avec la corne le bras et le frappa de plusieurs coups. J’avais d’abord cru que c’était le kerkedann (rhinocéros) ; mais un homme qui venait de Sofala (en Afrique), dans le pays des Zendjs, me dit que le kerk, dont la corne est employée dans le pays à faire des manches de couteau, est seulement voisin de l’animal indien. Les Zendjs appellent le kerk « anpylah ». Ses couleurs sont variées. Sur sa tête est une corne de forme conique, qui s’élargit par le bas et qui ne s’élève pas haut ; la tige est noire dans l’intérieur et blanche au dehors. Sur le front de l’animal est une autre corne de la même forme que la première, mais plus longue. Cette corne se dresse lorsque l’animal est excité et qu’il veut frapper quelque coup. Il l’aiguise sur les pierres, et la rend propre à couper et à percer. Il a des ongles aux pieds ; sa queue ressemble à la queue de l’âne, et est très velue. Les fleuves de l’Inde nourrissent le crocodile aussi bien que le Nil ; c’est ce qui a fait croire à Aldjahedh, dans la simplicité de son cœur, et à cause de son peu de connaissance du cours des rivières et de la configuration des mers, que le fleuve Mehran (l’Indus) était un bras du Nil.

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Quant au Cachemire, sa situation est dans une plaine entourée de montagnes élevées et d’un accès difficile. La partie située au midi et à l’orient appartient aux Indiens, et la partie qui se trouve à l’occident dépend de plusieurs rois, dont le plus proche est Belours-chah (le roi du Belour).Viennent ensuite Schaknan-schah, Doukhan-schah, jusqu’aux frontières du Badakhschan. Quant au côté septentrional et à une partie du côté oriental, ils appartiennent aux Turks, devenus maîtres du Khoten et du Tibet.

Du col de Yhoutischer jusqu’au Cachemire, à travers le sol du Tibet, on compte environ trois cents parasanges. Les habitants du Cachemire marchent à pied, et ne font pas usage de bêtes de somme ni d’éléphants. Les grands du pays se placent sur des kotout, nom qu’on donne aux sièges, et ils se font porter sur les épaules des hommes. Ils mettent leur espérance dans la force naturelle de la contrée ; voilà pourquoi ils veillent constamment à la garde des entrées du pays et des défilés ; il est devenu, à cause de cela, très difficile de se mettre en rapport avec eux. Autrefois, on laissait passer une ou deux personnes d’entre les étrangers, particulièrement d’entre les juifs. Maintenant, on ne laisse pas approcher un Indien qui n’est pas connu des habitants, encore moins les autres. La principale entrée du pays est le village de Beberhan, à égale distance entre l’Indus et le Djylum. De ce village au pont qui a été construit au confluent du Kosâry et du Nahry, deux rivières qui descendent des montagnes de Schemylan et qui se jettent dans le Djylum, il y a huit parasanges.

Une autre entrée est le défilé par lequel sortent les eaux du Djylum,  sur une étendue de cinq journées. A l’extrémité de ce défilé est la ville de Douar Almorsad, sur les deux côtés de la rivière. Au sortir de là, le Djylum se répand dans les campagnes et atteint, en deux jours, Addaschtan, capitale du Cachemire, traversant sur ces entrefaites plusieurs villes l’une après l’autre, notamment Ouschkar, qui est la ville de Barâmoula, bâtie sur les deux côtés de la rivière. La ville de Cachemire a quatre parasanges d’étendue ; elle est bâtie en long sur les deux rives du Djylum, qu’on traverse sur plusieurs ponts et sur des barques. Le Djylum prend sa source aux montagnes de Hazmakout, d’où descend aussi le Gange. Ces montagnes sont froides et non frayées ; la neige qui les couvre ne fond jamais et ne se dissipe pas. Au-delà est le Maha-Tchin, c’est-à-dire, la Grande Chine. Après que le Djylum a quitté les montagnes, et qu’il a coulé l’espace de deux journées, il traverse Addeschtan. A quatre parasanges de là, il entre dans un étang qui a une parasange de long sur une parasange de large. C’est sur ses bords que les habitants font les semailles et que croissent les moissons. Après cela, la rivière sort de l’étang pour traverser la ville de Ouschkar ; enfin, elle atteint le défilé.

L’Indus prend naissance aux montagnes de Onannak, sur les limites du pays des Turks. Quand tu as franchi le défilé qui forme l’entrée, et que tu as pénétré dans la campagne, tu as à ta gauche les montagnes de Belour et de Schemylan ; à deux journées de distance sont les Turks nommés Bhatâouaryan, dont le roi prend le titre de Bhatschah. Les pays que ces Turks occupent portent le nom de Ghilghit, Asourah et Schaltas. Leur langue est le turc. Les habitants de Cachemire ont beaucoup à souffrir de leurs incursions. Si on se détourne du côté gauche, on rencontre beaucoup d’habitations jusqu’à la capitale (de la vallée). Celui qui prend à droite trouve, au midi de la capitale, des villages qui se touchent, et il arrive à la montagne de Kelardjek, qui a la forme d’une coupole, à peu près comme la montagne de Demavend. La neige ne quitte pas cette montagne, et elle est constamment visible du territoire de Tâkyscher et de Louhaour. La distance de cette montagne à la vallée de Cachemire est de deux parasanges. Cette montagne a au midi le château de Radjakiry, et à l’occident celui de Lahour. Je n’ai pas vu de places plus fortes que ces deux châteaux. A la distance de trois parasanges est la ville de Râdjâdy ; nos marchands vont y faire le commerce, mais ils ne peuvent avancer au-delà. C’est la limite de la terre de l’Inde, du côté du nord. Dans les montagnes situées du côté de l’occident sont différentes populations de race afghane, qui viennent s’éteindre près de la terre du Sind.

Quant au côté du midi, il est borné par la mer. La côte de cette mer commence à Tyz, capitale du Mekran, et s’avance vers le sud-est, du côté du territoire de Aldaybal (Daybal), sur une étendue de quarante parasanges. Entre ces deux villes est le golfe de Touran. Un golfe (gobb) est comme une encoignure et un détour que fait la mer en pénétrant dans le continent ; les navires n’y sont pas sans péril, particulièrement à l’égard du flux et reflux. La baie (khour) a beaucoup de rapport avec le golfe ; mais elle n’est pas l’effet d’un empiétement de la mer ; elle provient uniquement d’un amas d’eaux courantes, qui communiquent avec la mer sans se ressentir de son mouvement. Dans la baie, les navires courent aussi des dangers, mais c’est à cause que l’eau en est douce ; en effet, l’eau douce ne supporte pas les fardeaux comme l’eau salée. Après le golfe de Touran viennent la petite et la grande Monh. Viennent ensuite les Beouaridj, qui vivent de rapines. Les Beouaridj sont établis à Kudj et à Soumenat ; on les appelle ainsi parce qu’ils se livrent à la piraterie, dans des barques nommées beyrah.

De Daybal à Touallyscher, on compte cinquante parasanges ; de là à Louherany, douze parasanges ; de là à Bakah, douze autres parasanges ; de là à Kudj, patrie du Mocl, et à Baraoua,  six parasanges ; de la à Soumenat, quatorze parasanges ; de là à Canbaye, trente parasanges ; de là à Asaoul, deux journées ; de là à Bahroudj, trente parasanges ; de là à Sindan, cinquante parasanges ; de là à Soubarah, six parasanges ; et de là à Tanah, cinq parasanges. On entre ensuite dans le pays de Lâran, et on y remarque Djymour,  ensuite Malyah, ensuite Kandjy, ensuite le Dravira. Il y a de ce côté un grand golfe où se trouve l’île de Senkeldyb, [autrement dite Serendyb. A l’entour est la ville de Paridjyaour (Tandjaour). Comme elle a été détruite, Djour, roi du pays, a bâti à la place, sur les bords de la mer, du côté de l’occident, un lieu de plaisance qu’il a nommé Pandnar. Viennent ensuite Oumalnara, puis Rameswara,  en face de l’île de Sérendib. La distance entre Rameswara et l’île, sur l’eau, est de douze parasanges. De Pandjyaour à Rameswara, on compte quarante parasanges, et de Rameswara à Setou-Bandha, c’est-à-dire « pont sur la mer, » deux parasanges. Setou-Bandha est la chaussée qui fut construite par Rama, fils de Dasaratha,  pour se frayer un passage au château de Lanka. Maintenant, cette chaussée est une suite de rochers séparés par la mer.

A seize parasanges de là, du côté de l’orient, sont les montagnes de Kihkanda (Kichkindya), autrement appelées Montagnes des singes. Chaque jour le roi des singes sort avec quelques bandes de ses sujets. Les singes ont des lieux de rendez-vous. Les habitants ont soin de préparer pour eux du riz bouilli qu’ils apportent sur des feuilles d’arbre. Quand les singes ont mangé, ils s’en retournent dans leurs bois. Si on négligeait de leur préparer à manger, cette négligence serait la ruine du pays, tant ils sont nombreux et méchants. Les habitants croient que ces singes formaient jadis un peuple d’hommes, à présent métamorphosés, et qu’ils prêtèrent un secours actif à Rama, dans sa guerre contre les démons (les Rakchasa). Ils prétendent que ces villages furent donnés, par Rama, en ouacf aux singes. A les en croire, lorsqu’un homme va dans ce pays, s’il se met à réciter les vers composés par Rama à l’intention des singes, et qu’il emploie ses incantations, ils prêtent l’oreille à ces vers, ils font silence pour les entendre, ils enseignent le chemin au voyageur égaré, ils lui donnent à manger et à boire. S’il y a quelque chose de vrai dans ce récit, il faut croire que c’est l’effet de l’harmonie des paroles, comme on l’a vu pour la gazelle.

Les îles de la partie de la mer de l’Inde qui est tournée vers l’orient, et qui se rapproche de la Chine, sont les îles du Zabadj (Alzabadj). Les Indiens les nomment Sourendyb, c’est-à-dire Iles d’or. Les îles situées du côté de l’occident sont les îles des Zendjs (Madagascar, etc.). Les îles placées au centre sont les îles de Ram (Alram) et les îles Dybadjat (Aldybadjat).On peut aussi ranger parmi ces îles les îles de Comayr. On donne le nom particulier de Dyvah aux îles qui naissent dans la mer, et qui apparaissent au-dessus de l’eau sous la forme de monceaux de sables : ces sables ne cessent pas de grossir, de s’étendre et de faire corps ensemble, jusqu’à ce qu’ils présentent un aspect solide. Il y a en même temps de ces îles qui, avec le temps, s’ébranlent, se décomposent, se fondent, puis s’enfoncent dans la mer et disparaissent. Quand les habitants de ces îles s’aperçoivent de cela, ils se retirent dans quelque île nouvelle et en voie de s’accroître. Ils transportent en ce lieu leurs cocotiers, leurs palmiers, leurs grains et leurs ustensiles, et finissent par y établir leur demeure. Ces îles se divisent en deux classes, suivant la nature de leur principal produit. Les unes sont nommées Dyvah-kouzah, c’est-à-dire îles des Cauris, à cause des cauris qu’on ramasse sur les branches des cocotiers plantés dans la mer. Les autres portent le nom de Dyvah-kanbar, du mot kanbar, qui désigne le fil que l’on tresse avec les fibres du cocotier et avec lequel on coud les navires.Au nombre des îles Comayr est l’île de Ouacouac, qui n’a pas été, comme le croit le vulgaire, ainsi appelée à cause d’un arbre dont le fruit aurait la forme d’une tête humaine poussant un cri. Comayr est le nom d’un peuple dont la couleur tire vers le blanc, qui est petit de taille, qui ressemble, pour la figure, aux Turks, qui professe la religion des Indiens et qui a les oreilles percées. Parmi les habitants de l’île Ouacouac, il y en a qui ont le teint noir ; les hommes y sont plus recherchés que les femmes. On exporte de chez eux l’ébène noir, mot qui sert à désigner la moelle d’un arbre dont on a ôté l’enveloppe. Quant au molamma, au schau kheth et au sandal jaune, ces substances viennent du pays des Zendjs. Il y avait autrefois, dans le golfe de Serendyb, une pêcherie de perles qui s’est épuisée de notre temps. D’un autre côté, il s’est formé une pêcherie à Sofala, dans le pays des Zendjs, là où il n’en existait pas auparavant ; on dit que c’est la pêcherie de Serendyb qui s’est transportée à Sofala.

L’Inde reçoit, l’été, les pluies qui accompagnent ordinairement les grandes chaleurs. Cette époque de l’année porte le nom de barschakâla (temps de la pluie). Plus la plaine s’avance vers le nord sans être interceptée par aucune montagne, plus la pluie y est abondante. La saison pluvieuse y dure plus longtemps, et elle donne plus d’eau. J’entendais dire aux habitants du Moultan que, chez eux, le barschakâla n’existe pas ; mais il est très sensible dans les contrées voisines, à mesure qu’on s’avance vers le nord et qu’on se rapproche des montagnes ? Dans le Bhatel et le Antarvédi, le barschakâla dure depuis le mois de asarh ; l’eau tombe pendant quatre mois de suite, comme si on la versait d’une outre.

Dans les contrées qui sont situées au-delà, autour des montagnes du Cachemire, jusqu’au col de Djoudery, situé entre Dinpour et Peyschaver, la pluie tombe en abondance pendant deux mois et demi, à partir du mois de sravan ; mais, au-delà du col, il ne pleut plus. Ce phénomène vient de ce que les nuages sont alors chargés d’eau et se trouvent à une faible hauteur au-dessus de la surface de la terre. Quand ils ont atteint les montagnes, ils se pressent contre elles, et il s’établit une espèce de lutte. Voilà pourquoi les nuages se répandent en eau, mais voilà aussi pourquoi le barschakâla ne dépasse pas les montagnes. Ainsi, la vallée de Cachemire ne connaît pas le barschakâla. Ordinairement, la neige y tombe pendant deux mois et demi de suite, à partir du mois de magh. Quand on a passé le milieu du mois de chaïtra,  les pluies se succèdent pendant quelques jours et font fondre les neiges ; la terre commence alors à paraître. Il est bien rare que les choses se passent autrement. Quant aux exceptions de détail, chaque vallée est soumise à quelques cas particuliers.

Crédits : Indus river ; Shot taken at Tolti.district Kharmang (Wikimedia Commons – author : Shahnawaz Zafar); Indian rhinoceros ; Kaziranga National Park, Assam, India (Wikimedia Commons – author : gnoze).

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