Titre : République numérique - Quelles avancées ? Quelles limites ?
Intervenants : Emmanuel Charpentier, April - Lionel Maurel, La Quadrature du Net - Nicolas Joyard, Regards Citoyens - Benjamin Jean, Open Law - Nathalie Martin, Wikimédia - Pierre-Carl Langlais, SavoirsCom1 - OliCat, Libre@Toi.
Lieu : Radio Libre@Toi
Date : Juillet 2016
Durée : 1 heure 55 min
Licence : Verbatim
Pour écouter l'émission
Transcription
OliCat : Bonjour et bienvenue à tous et à toutes à l’écoute de Libre@Toi1à la radio. Dans quelques instants on va commencer ce débat qu’on vous promet depuis une semaine maintenant, que nous teasons à force de communication sur les réseaux sociaux. Un débat autour de la loi République numérique, portée par Axelle Lemaire et Emmanuel Macron. Un débat qui va réunir, autour d’une question assez simple — quelles avancées, quelles limites ? de nombreuses associations qui ont participé à cette première consultation citoyenne autour d’un projet de loi. On aura donc des intervenants de l'April2, de Regards Citoyens3, d’Open Law4, de La Quadrature du Net5 et de SavoirsCom16. Je vous les présenterai individuellement, évidemment, dans quelques instants. Un petit peu de musique libre, le temps que tout le monde s’installe autour de la table.
Musique
Et je vous rappelle que vous pourrez participer en direct à ce débat en vous connectant simplement à notre chat : chat.libre-a-toi.org7.
Musique
Bonjour et bienvenue à tous et à toutes sur Libre@toi à la radio. Je vous rappelle que vous pouvez participer à ce débat, qui ne va plus tarder à débuter, en vous connectant sur le chat de la radio : chat.libre-a-toi.org. Alors une émission, aujourd’hui, en direct, et en public, nombreux. On les remercie d’être venus. Si vous pouviez crier et balancer vos culottes, on serait content. Ouais voilà ! Ils sont là ! Qui se tient donc au magasin général de l’Espace Les Grands Voisins qui se trouve à Denfert-Rochereau. Vous pourrez d’ailleurs, si vous le souhaitez, dans le cours de l’après-midi, nous rejoindre parce que je pense qu’on va squatter et poursuivre un petit peu les débats au-delà de ce direct que nous allons amorcer. On va l’amorcer, ce débat, cette table ronde plutôt, autour de la loi République numérique portée par le cabinet d’Axelle Lemaire et son ministre Emmanuel Macron. Une loi qui a été définitivement adoptée le 20 juillet, donc on est au cœur, là, de l’actualité. Et une loi qui a initié une consultation citoyenne inédite, puisqu’il s’est agi, pour tous, d’être en capacité, au travers d’une plateforme mise en place pour l’occasion, d’amender, de contribuer, de faire évoluer un texte qui était issu, à la base, de propositions du CNNum8. C’est quoi ? Conseil national du numérique. Voilà. J’ai toujours un petit problème avec les acronymes. L’idée que le gouvernement poursuivait en 2014, en lançant cette initiative, c’était de permettre à l’État, c’était une grande volonté de Manuel Valls, Premier ministre : permettre à l’État de réussir sa mutation en République numérique.
Une concertation qui a eu lieu, donc, au Conseil national du numérique, a directement inspiré le projet de loi « pour une République numérique » qui a été soumis, pendant trois semaines, à une discussion publique et interactive. Finalement le projet de loi a été présenté le 9 décembre 2015 en Conseil des ministres. Pour la première fois, un projet de loi a donc été co-créé avec les internautes. Le projet de loi « pour une République numérique » a été adopté en première lecture à l’Assemblée et c’était le 26 janvier 2016. Alors trois semaines, 21 000 participants, ce qui est quand même assez énorme. Plus de 8 000 contributions, ce qui est également beaucoup. Un texte donc, alors là c’est le ministère qui nous le dit, a été largement amendé et augmenté. C’est un petit peu le sens des débats, je pense, qu’on va le voir aujourd’hui, le niveau d’amendements, on va pouvoir en discuter.
Niveau chiffres, on apprend, mais ça on pouvait se douter que le gouvernement n’hésiterait pas à nous présenter cela : l’ensemble des articles qui étaient proposés à la base par le gouvernement aurait été accueilli favorablement par 80 % des contributeurs de la plateforme. C’est intéressant. Dix nouveaux articles ont été créés, et cinq seulement sont nés de la consultation. Et près de 90 contributions ont été intégrées. Donc on voit le rapport là, quand même : 8 000 contributions, 90 intégrations. C’est un petit peu à voir.
L’intérêt de cette consultation, c’était de permettre à un ensemble d’associations, de collectifs, militants, sur l’ensemble des questions qui sont censées être embrassées par ce projet de loi République numérique à savoir les Communs par exemple, l’Open Data, la possibilité de permettre aux publications scientifiques, par exemple, d’être diffusées de façon plus large, moins restrictive. Bref, énormément de thèmes qui sont portés depuis de nombreuses années par des associations et collectifs que Lionel Maurel de La Quadrature, c’est la casquette qu’il porte aujourd’hui, a réunis pour nous, pour cette émission. On va notamment retrouver, et là je prends mes petites fiches pour les noms parce que je suis absolument nul pour les noms, Regards Citoyens, c’est Nicolas Joyard qui représente l’association. On a Manu de l’April, echarp pour les initiés des réseaux. Pour La Quadrature donc on a Lionel Maurel. Pour l’association Open Law on a Benjamin Jean, qui est en face de moi. Wikimédia est représentée par Nathalie Martin et SavoirsCom1 par Pierre-Carl [Langlais].
Effectivement c’était beau. Il s’agissait de faire entrer l’État dans la modernité du numérique. Effectivement la loi, maintenant qu’elle est votée on peut en parler, comporte des avancées notables sur certains sujets. Cette loi a suscité des débats, souvent houleux, sur certains points, avec plusieurs reculs du gouvernement, on verra plus particulièrement dans quels domaines. Le processus participatif d’élaboration a aussi soulevé des avis partagés. C’est vrai que, de base, on se dit que c’est vraiment super de pouvoir permettre à tous de construire, voire de co-construire un projet de loi. Pour autant, la co-construction réelle de la loi avec la société civile est un fait avéré ou un simple habillage qui finit par masquer les classiques jeux d’influence ? En gros, est-ce qu’on n’a pas retrouvé les mêmes logiques de lobbying autour de la construction finale de cette loi ?
J’arrête de parler et je laisse tout de suite la parole à nos intervenants. Alors, peut-être, l’un d’entre vous a une première mini-synthèse à réaliser de ce qu’on évoquait, là, autour des réels apports, finalement, pour la citoyenneté et pour la construction, la co-construction commune. C’était vraiment génial ou il y a des choses à améliorer ?
Manu de l’April : Bon alors je vais commencer.
OliCat : La question était nulle, mais tu as compris. Allez vas-y !
Manu : Manu de l’April. Et bien sûr, c’est nul parce que tu es très optimiste et là-dessus tu vas avoir du mal autour de la table, je n’en doute pas. Moi j’aime bien être optimiste et je vais en faire preuve. C’est que, effectivement, c’est intéressant qu’on ait commencé une élaboration de la loi en demandant aux citoyens leur avis. Le résultat, on va en discuter, je suis sûr qu’on sera tous d’accord sur le fait que c’est assez piètre. Mais on a un bon début : cette idée de demander aux citoyens de participer et c’est une participation qui n’a pas mal fonctionné, sur trois semaines seulement, sur un sujet qui est super pointu, qui est particulièrement inintéressant, clairement. Il y a eu des contributions vraiment fortes de la société civile, de tout le monde, des associations, de quelques entreprises et d’institutions qui se sont réveillées un petit peu au dernier moment. Donc le mécanisme lui-même est original. C’est juste que, eh bien on s’en doutait dès le début, il a abouti à pas grand-chose.
OliCat : Un avis partagé ? Ou ?
Nathalie Martin : Au niveau de Wikimédia France, on a milité spécifiquement pour une disposition qui s’appelle la liberté de panorama. Donc c’est le droit de pouvoir prendre des photos de bâtiments, de sculptures monumentales, se trouvant dans l’espace public, alors qu’ils sont encore soumis au droit d’auteur et ce jusqu’à 70 ans après la mort de l’architecte ou du créateur. Je serai un peu plus négative, je pense, puisqu’en fait notre proposition, au moment de la consultation, s’est placée en huitième position des plus votées favorablement, ce qui était très bien ! Et Axelle Lemaire, à ce moment-là, nous a dit : « De toutes façons, il est hors de question que nous on puisse soutenir ça parce qu’il va y avoir une levée de boucliers des sociétés de perception et de répartition des droits », donc qui sont nos principaux ennemis dans ce combat, et elle nous a plus ou moins demandé explicitement de laisser tomber, de nous concentrer sur l’article 8 de défense des communs. Et finalement on a dû entrer dans le jeu traditionnel du lobbying. Par rapport, nous, à notre expérience, on ne peut pas dire spécialement que ça ait changé la donne.
OliCat : Je me permets juste, l’article 8 autour des communs, pour autant, ne semble pas avoir…
Nathalie : Non, non plus. Mais ça c’est encore une autre histoire, je pense. On pourra la raconter.
OliCat : OK ! Donc en gros Axelle Lemaire s’est autocensurée par rapport à un lobbying même pas exercé des sociétés collectrices.
Nathalie : Déjà exercé, largement depuis des années.
OliCat : Antérieurement, en fait.
Nathalie : Oui.
OliCat : On vous a demandé de vous concentrer sur… Voilà on vous a donné un bac à sable là, autour des communs, et finalement : ni l’un ni l’autre.
Nathalie : Ni l’un ni l’autre. Mais on est parvenus quand même à certaines choses, mais par nous-mêmes, en réalité.
OliCat : On reviendra quand même aux choses qui ont été obtenues.
Manu : Parvenus à monter dans le top 10 des propositions et à montrer que les citoyens pouvaient se mobiliser derrière ce genre de sujet. C’est un point de départ !
Pierre-Carl Langlais : D'ailleurs, un exemple qui a mieux marché. Je suis pour SavoirsCom1, mais je suis aussi très actif sur ces questions liées au libre accès, à l’accès ouvert aux publications scientifiques. Donc il y a un mouvement qui a débuté depuis quasiment le début du Web, en fait, donc un premier site Web et des publications scientifiques en ligne. Et donc c’est lié au fait que les chercheurs ne sont pas payés pour publier. On ne touche aucun droit lorsqu’on publie sur une revue scientifique. Donc on donne tout à l’éditeur.
Et au contraire, au sein de communautés, il y a plutôt une volonté de partage. Et donc, ce qui est intéressant pour le coup là, le système contributif a quand même fonctionné là-dessus, mais pas pour le reste, globalement. C’est qu’effectivement, il y a eu une très forte de la communauté scientifique pour améliorer les termes qui étaient initialement proposés en termes de libre accès. Donc l’idée c’était que tout chercheur peut déposer, au bout de telle période, sa publication, même s’il a signé un contrat avec l’éditeur qui dit le contraire. Donc de passer par-dessus et de permettre à n’importe quel chercheur de republier. Et donc les termes étaient beaucoup plus restrictifs au départ vu qu’on était, par exemple, jusqu’à deux ans d’attente avant de pouvoir publier en ligne pour les textes qui étaient en sciences humaines et sociales. Il y a eu une très forte mobilisation des chercheurs qui a permis de raccourcir notamment ces durées. Donc est passé de 12 mois et 24 mois pour effectivement sciences techniques et médicales et sciences humaines et sociales à 6 et 12 mois.
Donc ce sont des choses qui ont quand même fonctionné et qui ont aussi fonctionné sur une disposition qui est plus pointue, qui est le text mining. C’est tout un ensemble de techniques qui permettent d’explorer de très grands corpus de textes pour extraire toute une série d’informations. Par exemple c’est un projet qui s’appelle Text2Genome9 qui est élaboré au Royaume-Uni et qui permet d’extraire des informations de millions d’articles scientifiques sur le génome humain pour ensuite les affecter à chaque gène et donc de pouvoir les retrouver facilement. Donc de révolutionner la manière dont on faisait ce qu’on appelait avant l’état de l’art, qui était de récupérer des informations.
Le problème c’est que pour ce projet ils ont mis trois mois pour faire la partie purement technique du projet. Ils ont mis des années pour avoir les accords avec les éditeurs, pour avoir le droit de récupérer les corpus et de pouvoir les analyser. Et donc, l’idée qui a été mise en place au Royaume-Uni, c’est d’introduire une exception au droit d’auteur pour pouvoir faire ces explorations de textes à des fins de recherche publique. Au départ c’était initialement mentionné dans la version de la loi qui avait fuité en juillet dernier, en juillet 2015, retiré en septembre, à nouveau sous la pression des ayants droit, parce que le problème par rapport à ce que je disais pour l’open access, c’est que là il faut modifier le code du droit d’auteur, d’où levée de boucliers. Ce qui s’est passé à nouveau c’est qu’il y a eu cette poussée au moment de la consultation pour faire adopter une mesure text mining, etc., et qui n’a pas immédiatement abouti, mais qui ensuite s’est prolongée pendant tout le débat et a réussi à aboutir.
Je pense qu’on est, effectivement, sur quelque chose qui est resté de l’ordre de l’amélioration incrémentale par rapport au processus existant de lobbying, de discussions, de négociations, etc., qui préexistait déjà, mais qui, sur certains sujets, lorsqu’il y a des coalitions suffisamment fortes qui arrivent à se monter, je pense que c’est là aussi où c’est utile c’est de faire rencontrer des gens, de faire monter, quelque part, des fronts communs, là-dessus ça peut potentiellement marcher.
OliCat : Donc un des enseignements, finalement, c’est la capacité à mobiliser une communauté d’intérêt, et à faire en sorte que ses positions avancent et s’inscrivent dans la longueur, pour le coup.
Pierre-Carl : Tout à fait. Avancent et qu’il y ait suffisamment de monde. Tout à fait. Et c’est là où je pense aussi il y a une différence entre le domaine scientifique et le domaine de la liberté de panorama, c’est que dans le domaine scientifique les créateurs des contenus sont pour le partage.
OliCat : Oui et puis les créateurs de contenus scientifiques sont dans une situation assez particulière par rapport aux publications.
Pierre-Carl : Exactement. Les principaux éditeurs sont tous internationaux, pas français. Il n’y a en a aucun en France. Il n’y a pas l’équivalent d’une grosse société culturelle en France. Donc on est dans une logique où, de fait, les principaux interlocuteurs, reconnus comme valables, sont plutôt dans une position qui pousse vers le partage.
OliCat : Donc là, ce que tu évoquais du coup, une refonte des problématiques de droit d’auteur par rapport aux publications scientifiques, c’est quelque chose qui a avancé dans le cadre de cette loi et le texte des data mining va être quelque chose qui va voir le jour demain autour d’une plateforme ?
Pierre-Carl : Oui. Alors il y a eu énormément des débats à l’Assemblée, au Parlement. Ils ont essayé de faire des montages sans modifier le droit d’auteur, mais ça ne marchait pas, enfin c’était totalement foireux. Et donc, à la fin, ils s’y sont finalement résignés, en partie je pense ça a joué, c’est que le Royaume-Uni avait mis en place son exception. Aux États-Unis ils ont le fair use qui a plus ou moins pu s’y adapter. Donc il y avait quand même des pressions en disant internationalement ça bouge sur le sujet. La France peut prendre du retard alors qu’on a quand même des institutions qui sont assez en phase dans ce domaine comme l’INRIA. Donc il y avait quand même une certaine pression pour que ça avance. Ce qui fait que dans le texte actuel figure, dans le texte qui a été voté le 20 juillet, grosso modo l’idée que tout chercheur peut récupérer, en fait, des éléments d’une source licite. Par exemple les abonnements auxquels il a accès, il peut aspirer tous les articles et pouvoir ensuite faire des sortes de grands panoramas avec de la liste de données et ainsi de suite.
OliCat : OK. Mais là on est encore dans une exception qui va concerner la communauté des chercheurs.
Pierre-Carl : Exactement, et ne concerne que les chercheurs. Et les discussions actuellement au niveau européen, alors la grande question aussi c’était de savoir si on attend au niveau européen ou si on fonce au niveau français, et ça prend beaucoup de temps. Et c’est vrai qu’au niveau européen la question effectivement est posée. C’est « est-ce qu’on limite ça uniquement à la recherche ou est-ce qu’on intègre ? », parce que, finalement, il y a déjà ce critère de source licite, donc l’idée qu’on doit pouvoir accéder librement à la source. Ce qui implique à la fois toutes les sources qui sont en principe en libre consultation sur le Web. Par exemple on ne dit pas qu’on peut les recopier. Donc là, tout ça, ça peut être concerné et ce qui implique toutes les sources auxquelles on est abonné et ainsi de suite. Donc quelque part ça fait déjà un garde-fou suffisant. Mais en l’état, actuellement, c’est plutôt pour la recherche. Après je pense, quelque part on envoie un peu la balle en disant « qu’est-ce que ça va donner ensuite ? ». Et c'est vrai que si les recherches dans ce domaine portent véritablement je pense que ça pourra pousser vers des exceptions plus larges.
OliCat : Alors on a Open Law juste à côté, Benjamin. Déjà on n’est pas forcément tous, là à l’écoute, au courant des combats des uns et des autres en matière d’associations. Est-ce que tu peux juste nous dire c’est quoi le créneau d’Open Law ? Et après bien sûr tu pourras t’exprimer.
Benjamin : Oui, tout à fait. Et après, j’enchaînerai sur le sujet qui nous réunit aujourd’hui. Open Law est un projet qui est né il y a deux ans, de co-création par la collaboration dans le monde du droit. Donc ça réunit tous les acteurs, à la fois ceux qui sont à l’origine de la loi, donc on est dans le secteur public, à ceux qui la vivent en fait au jour le jour, que ce soit des personnes physiques, des individus, des citoyens, ou des sociétés, et en passant par tous les intermédiaires que ce soient les professions réglementées, que ce soit les acteurs de la legal tech10, donc des acteurs qui ont des technologies qu’ils appliquent au monde du droit. Et donc les sujets qu’on connaît et qu’on poursuit de jour en jour c’est l’open data, l’open source, l’interopérabilité et tous ces sujets de mutualisation dans la sphère du droit.
OliCat : Alors l’interopérabilité dont la plateforme mise en place par Axelle Lemaire était un exemple manifeste ! C’était une pique, désolé !
Benjamin : Exactement. C’est un sujet que je pourrai évoquer parce que, justement, l’une des actions d’Open Law, avec d’autres organisations, a été d’essayer de trouver des alternatives à la plateforme, à l’outil qui avait été utilisé dans le processus de consultation pour la loi, mais là, en ayant des solutions qui soient open source, qui soient interopérables. Je reviens sur le sujet de la consultation. On avait été associés dès le début, en fait, dès le lancement. Alors au début non, parce qu’on n’a pas eu les travaux préparatoires, ou alors vraiment de très loin. Mais au moment du lancement, la démarche, on avait été associés. C’était un samedi un peu officiel, à Matignon, dans lequel on avait animé d’ailleurs la table ronde sur le domaine commun informationnel. C’était relativement intéressant puisque je me rappelle d’une discussion, quelques échanges avec Manuel Valls et Axelle Lemaire qui disaient justement que cet article était révolutionnaire. Peut-être trop ! En tout cas il a connu le destin qu’on lui sait.
On a ensuite été pas très bons, je dirais, sur la partie consultation en tant que telle. C’est-à-dire que la consultation avait été lancée, on a fait nous-mêmes quelques contributions, mais c’était assez maladroit, on ne savait pas trop comment réagir, si c’était à titre personnel ou à titre d’organisation. Finalement on s’est réunis avec d’autres organisations qui sont d’ailleurs ici aussi, quasiment la veille, je crois, de la clôture de cette consultation, pour faire le tour de ce que tout le monde avait fait et essayer de partager et puis de soutenir, d’ailleurs, les contributions de chacun. Donc le lendemain on était aussi au NUMA, c’était l’atterrissage, donc la fin de la consultation et c’est le moment où on faisait un peu le point sur toutes les contributions qui avaient été postées. On y était aussi. On a animé des discussions.
Ce que je retiens de ça, c’est qu’en fait, la démarche, je pense qu’elle est très bonne. En tout cas l’idée du gouvernement de dire « on va le faire avec les citoyens » ça me paraît naturel, et puis c’est bien qu’on y pense aujourd’hui. Je pense qu’on aurait pu le faire beaucoup plus tôt. L’idée est bonne. C’est le CNNum, le Conseil national du numérique, qui avait lancé cette initiative.
En revanche, je pense qu’à la fois, nous en tant que société civile, en tout cas organisation, on n’a pas été très bons sur le processus. Je pense que, j’allais dire le gouvernement qui s’est servi aussi de ce concept pour, peut-être, avoir des idées un peu plus osées sur le numérique, n’aurait pu le faire sans ça. Au début ça lui a vraiment servi et peut-être qu’il n’a pas joué le jeu suffisamment pour que, finalement, il puisse ne pas subir le lobbying comme il le subit quotidiennement et je pense qu’il s’est vite fait rattraper par cette dimension-là.
Là c’était juste sur le process, mais ce qui était vraiment intéressant à mon avis, donc il y a eu cette initiative, moyennement satisfaisante, c’est-à-dire qu’il y a des choses qui sont sorties de ce processus de consultation qui étaient des aspects plutôt positifs mais beaucoup moins affirmés qu’ils ne pouvaient l’être au moment du lancement de la consultation. En revanche, peu de temps après, il y a eu un hackathon, HackRepNum11, qui avait été organisé à la Paillasse par Constance et Célya et là, donc on y était aussi, d’ailleurs, pour certains d’entre nous. On a essayé de reprendre les données qui étaient issues de cette consultation et d’essayer de leur faire dire autre chose que ce qui avait été traduit par le gouvernement.
OliCat : OK.
Benjamin : Et là je pense que c’est que c’était une bonne expérience, en tout cas à nos yeux, parce qu’en fait on avait un message tout à fait différent. On voulait faire dire quelque chose de différent, clairement. Nous-mêmes on était orientés. Ça a montré qu’il était possible de faire dire à peu près ce qu’on voulait des données, première hypothèse. Ça a montré aussi que, peut-être, on avait fait le travail différemment, mieux ? Je ne sais pas ! Mais en tout cas on a fait de notre mieux et que, finalement, les messages qui nous avaient été transmis, en tout cas cette synthèse de la consultation, des données issues de la consultation, n’était pas forcément si impartiale qu’on ne voulait le dire.
Je pense que ça c’est un aspect positif : comprendre nous-mêmes en tant que citoyens et puis en tant qu’associations, qu’organisations qui défendons certains intérêts, finalement que les données qui sont ici peuvent servir aussi à défendre nos intérêts, mais il ne faut surtout pas croire ce qu’on peut nous donner comme informations tirées de ces données.
L’autre conséquence que je vois aussi plutôt d’un bon œil c’est que, finalement, l’outil qui a été utilisé par le cabinet d’Axelle Lemaire et même la méthode, je veux dire la méthode voire les engagements qu’ils avaient pris, eh bien tout pouvait être revu à mes yeux. L’outil parce que, clairement, ce n’était pas quelque chose dans lequel on pouvait avoir confiance, ne serait-ce que parce qu’on n’avait pas accès à la technologie en tant que telle, donc ni au code source, ni aux algorithmes, ni tout ce qui permettait de faire la consultation en tant que telle. On avait aussi une maigre connaissance à la fois de la méthodologie et à la fois des engagements de la part de ceux qui lançaient la consultation, de ceux qui l’opéraient.
OliCat : On peut dire qu’il n’y en avait quasiment pas, des engagements !
Benjamin : Oui, tout à fait. Il y avait peu d’engagements, mais tout ça pour dire que, à mon avis, maintenant on sera plus vigilants là-dessus. Et en plus, on peut être source de propositions. C’est ce qu’on essaye de faire dans le cadre d’Open Law depuis cette date. On a lancé en janvier une initiative qu’on appelle Open Democraty Now12, dans laquelle on essaie de réunir un certain nombre de personnes. Tous les deux mois on fait deux jours de hackathon et on pilote les projets en parallèle. Il y a une quinzaine de projets maintenant. L’objectif c’est que toutes les ressources à la fois en termes d’outils, donc de logiciels, mais aussi en termes de méthode, en termes de charte, soient à portée de main et qu’ensuite les politiques puissent les utiliser. On l’a fait parce qu’il y avait un réel manque à mon avis. S’ils l’avaient fait à moitié peut-être qu’on ne l’aurait pas fait. Mais vu qu’ils ne l’avaient pas fait, on l’a fait.
OliCat : Manu de l’April. On me demande de citer qui parle.
Manu : Tu as un repository pour le code source de cette initiative ?
Benjamin : Tout est sur un Gitlab.
Manu : C’est un Gitlab ? D’accord. Donc ça peut être intéressant d’aller jeter un œil et de le réutiliser éventuellement. Peut-être même que pour la prochaine loi numérique, ils vont pouvoir le mettre en place.
Benjamin : Oui, tout à fait. Sachant que l’idée n’était pas de faire un logiciel mais d’avoir un kit, en fait, une série d’outils open source qui puissent être réutilisés par tous et de les faire gagner en fonctionnalités de sorte à ce qu’ils puissent être utilisés clairement par toute personne entrant dans ces démarches.
OliCat : Ce que j’ai entendu aussi de ton intervention, Benjamin, je t’en remercie, c’est qu’au fond est-ce que les structures que vous représentez n’auraient pas été un peu prises au dépourvu et ont manqué d’organisation pour, finalement, construire de façon plus, j’allais dire efficace, mais n’y voyez pas une critique exclusivement négative, des contributions que vous aviez à apporter dans le cadre de cette consultation ?
Benjamin : Très rapidement, et c’est un avis qui m’est personnel parce qu’on n’a pas plus discuté que ça. Je pense que, dès lors que le gouvernement est en relation directe avec les citoyens, c’est de la désintermédiation d’une certaine manière. C’est-à-dire que les associations qui étaient là pour porter, pour protéger ou, en tout cas, avoir un discours sur certains sujets, se sont retrouvées complètement contournées, mais dans une démarche qui était plutôt positive. Donc on s’est retrouvés face à une situation qui était intéressante, mais dans laquelle on perdait, en tout cas, de notre fonction classique, et ça on ne l’a peut-être pas anticipé suffisamment.
OliCat : Lionel, pour La Quadrature.
Lionel : Ouais, pour La Quadrature. Moi je dirais, en fait, c’est un processus qui a été beaucoup plus long que les seules trois semaines de consultation. Avant ça le CNNum, lui-même, avait fait aussi une consultation sur la même plateforme, d’ailleurs, que celle qui a été utilisée par le gouvernement ensuite, sur son rapport préparatoire auquel on avait pu contribuer. Donc on est plusieurs associations à avoir contribué à ce moment-là. On avait pu commencer, je dirais, à affiner nos propositions et à en porter. Ensuite après, moi ce que je trouve, c’est qu’il y a eu une sorte de grosse incertitude sur ce qui allait se passer ensuite parce qu’on ne savait pas d’ailleurs s’il y allait avoir une consultation. Le gouvernement l’a lancée, ce n’était pas vraiment prévu, il l’a lancée d’un coup. Après on nous a dit qu’il n’y avait que trois semaines, ce qui est court quand même, trois semaines pour s’organiser, donc il a fallu se concerter.
OliCat : Absolument. Eh bien oui. Déjà regarder un texte de loi, mobiliser des citoyens sur un texte de loi.
Lionel : Ce n’est pas si évident, surtout, quand même, que c’est un travail assez technique qui est demandé. Parce que c’est un travail de commentaire du texte de loi lui-même, donc ce n’est pas quelque chose qui est si facile que ça pour le citoyen lambda, et donc il a fallu se concerter entre nous. Moi je dirais, ça c’est plutôt un point positif du processus. Je pense que ça a beaucoup aidé, en France, des associations qui travaillaient plutôt sur des sujets, on a chacun un peu nos sujets. Ça nous a aidé à nous rapprocher, un peu à nous répartir les questions et à nous soutenir les uns les autres.
OliCat : Mais justement est-ce que tu penses que ce process,là, de mise en commun de votre action par rapport à ce type de consultation mérite d’être approfondi pour les prochaines fois ou pour d’autres types d’actions qui n’ont pas forcément trait à une consultation ? Parce qu’on ne sait pas s’il y en aura d’autres. Le gouvernement a l’air de dire que oui, c’est plutôt bien, mais voilà, je ne sais pas. Est-ce que du coup ça a amorcé un truc entre les associations, ou pas ?
Lionel : Je ne veux pas me prononcer pour l’ensemble des associations, mais moi je dirais plutôt oui, quand même, parce qu’on est en lien plus fréquemment, maintenant. On a des outils de discussion entre nous. On a pris l’habitude de se rencontrer sur les sujets, donc je pense que ça, ça laissera des traces positives pour la suite. Moi je dirais, la limite énorme de tout ça, c’est la question « qui a le pouvoir d’initiative, en fait ? »
OliCat : Absolument.
Lionel : C’est-à-dire que tant que le gouvernement garde le pouvoir d’initiative, parce qu’on l’a bien vu, par exemple, il y a eu des différents moments d’initiative très importants. Il y a eu la version du texte introduite sur la plateforme et là le gouvernement avait un pouvoir très fort. Ensuite il a eu un pouvoir très, très fort, sur la version introduite au Parlement et ça, ça a joué énormément, c’est là où on a eu les grosses pertes, en fait, par rapport au texte initial et ça, ça a été complètement un pur produit de la décision du gouvernement. Ce qui serait bien c’est que nous on ait aussi un pouvoir d’initiative et on puisse proposer des textes indépendamment de l’agenda législatif et gouvernemental sur des plateformes que nous on maîtriserait en disant : « Voilà, maintenant c’est nous qui proposons la loi ». Une sorte d’initiative citoyenne.
OliCat : Du coup, c’est un peu le principe de ce que Benjamin proposait. Comment ça s’appelle ?
Benjamin : C’était Open Democracy Now.
OliCat : Ouais. Open Democracy Now.
Benjamin : Pour moi ce que tu dis touche notamment la méthodologie. Un autre point fort sur lequel on n’était pas à l’initiative, c’est lorsqu’il y a eu la lecture et la synthèse de tous les arguments, de toutes les consultations, En fait on s‘est retrouvés avec un résumé de ce qui s’était passé.
OliCat : OK.
Benjamin : Mais, d’un autre côté, on n’avait pas nous-mêmes le temps de le faire, donc ça nous a été utile, mais on a loupé une étape.
OliCat : Alors Manu pour l’April ?
Manu : Donc à l’April, effectivement, quand l’initiative a été lancée, sur les trois semaines, c’est vrai qu’au début on a peut-être eu un petit moment de « qu’est-ce que c’est que ce truc ? Est-ce que ça va vraiment être utile ? Est-ce que notre participation va vraiment donner quelque chose ? » Mais finalement, on y a été, on y a été fort, on y a été vite, et on a mis en avant des propositions sur le logiciel libre.
OliCat : Absolument.
Manu : Il se trouve que, coup de bol, il y avait plein d’autres propositions qui tournaient sur le logiciel libre, et dans les trois premières, il y en a deux qui concernent le sujet, qui concernent la priorité au logiciel libre notamment, donc des choses fortes, l’ouverture des codes sources des administrations qui est dans les dix premières. Et à l’April, on a fait deux propositions, écrites, pour vraiment être transposées en tant qu’amendements. Et ce sont des amendements qui ont ensuite été repris de nombreuses fois au niveau du Parlement et du Sénat, et c’est ça qui est assez amusant. Clairement, il y a des problématiques sur l’initiative, je suis tout à fait d’accord, parce que tous ces amendements qui ont été proposés, qui ont été très bien acceptés par les députés et par les sénateurs, c’est ça qui est très fun dans l’histoire, eh bien à chaque fois ils ont été retoqués par le représentant du gouvernement, qui arrivait, qui sortait des arguments à deux balles, qui étaient régulièrement re-démontés ensuite derrière. Un autre parlementaire arrivait, et revenait ensuite avec un amendement de la même sorte, et re-proposait le même sujet. Ce sont des sujets, je pense qu’ils se sont rendu compte que les citoyens les portaient. À l’April vraiment on est contents de cette chose-là. Mais au final, le gouvernement est revenu en dernière histoire avec « non, non on ne peut pas donner la priorité notamment au logiciel libre. On peut faire une promotion, on peut l’encourager ! »
OliCat : Ouais, une incitation.
Manu : Voilà. Donc on sort les pom pom girls et on est contents parce que ça n’a pas d’autres utilité, c’est juste on se fait plaisir et pour des arguments qu’ils ont cachés. Ils ne veulent pas nous dire exactement pourquoi ils ne veulent pas mettre une priorité qui, elle, a un pouvoir légal, d’utiliser les logiciels libres dans les administrations françaises, ce que d’autres pays font : la Bulgarie, il y a quelques jours, vient de faire en sorte que les logiciels produits pour le gouvernement seront tous en libre et je crois que c’est en Italie où les appels d’offre doivent tous faire mention de logiciel libre. Donc il y a d’autres pays, des pays proches de nous, qui utilisent cette priorité, qui la mettent en avant, et là le gouvernement ne veut pas nous dire pourquoi alors que, vraiment, on se rend compte qu’il y a quelque chose.
OliCat : Afin de juger d’une situation, Manu, il est toujours bien de la contextualiser. Est-ce que l’incitation, finalement, ce n’est pas une grande avancée ?
Manu : Moi je suis un grand optimiste, donc je suis très content de cette incitation parce que ça apparaît dans la loi. C’est bête ! On l’avait déjà au niveau de l’éducation supérieure où ils ont mis en place la priorité au logiciel libre, ce qui était un petit peu étrange mais c’est dans un petit contexte, on va dire. Mais c’est l’entrée dans les textes de loi du concept de logiciel libre, et là, l’incitation, eh bien ça montre qu’il faut continuer ce qui a déjà été fait, le référentiel général d’interopérabilité, la directive Ayrault où, clairement, ils proposent aux administrations françaises d’utiliser majoritairement du logiciel libre, de mettre en avant le logiciel libre et de construire du logiciel libre.
Pareil, ils sont d’accord, maintenant, et c’est une des avancées de cette loi, pour que les administrations françaises, quand on produit du logiciel, eh bien il soit libre par défaut. Malheureusement c’est le gouvernement encore, qui a rajouté une petite clause « sauf s’il y a des bonnes raisons de ne pas le faire ». Donc c’est un petit peu énervant, parce que les bonnes raisons ils peuvent en trouver autant qu’ils veulent.
OliCat : Alors de l’open access, on a vu.
Manu : Il y a de l’open data.
OliCat : De l’open data, absolument, et l’open data nous apporte l’occasion de donner la parole à Regards Citoyens, Nicolas ?
Nicolas : Alors nous, sur l’open data, on est globalement plutôt contents. Tout ce qu’ont dit les personnes avant moi montre bien que cette consultation, même si, effectivement, il n’y a pas tant de choses que ça, enfin même beaucoup de choses qui n’ont pas été reprises par le gouvernement, elle a quand même suscité un débat parlementaire et ça c’est vraiment très intéressant. Il y a beaucoup des propositions qui ont été reprises pendant les débats parlementaires.
Manu : Des dizaines de minutes de discussion intelligente entre parlementaires, c’est du jamais vu !
Nicolas : Tout à fait. Et ça c’est vraiment un bon bilan pour cette consultation sur cet aspect-là, je trouve. Est-ce que ce sera reproduit à l’avenir ? On ne le sait pas trop, peut-être que le texte de loi qui a été voté le même jour, définitivement, que le projet de loi numérique, à savoir la loi travail, montre un peu le contraste au niveau démocratique ?
En ce qui concerne l’open data, donc, pour y revenir, à Regards Citoyens on est plutôt satisfaits du résultat parce qu’on a vraiment mis en place dans cette loi un open data par défaut, un open data structurel. C’est-à-dire qu’il y a tous les documents qui sont produits par l’INSEE, par beaucoup d’administrations, les documents issus des partenariats public/privé, etc., qui vont être en open data par défaut et on n’aura plus besoin de les demander.
On introduit aussi un droit à l’open data, à savoir que si une administration refuse de donner un accès à un document, les citoyens vont pouvoir aller devant le tribunal administratif pour faire valoir ce droit à l’open data.
Et on a quelque chose qui est assez intéressant aussi, c’est qu’on va pouvoir commencer à avoir une partie de la jurisprudence qui va être mise en open data. Alors c’est soumis à un décret du Conseil d’État qui va un petit peu décrire les modalités exactes des mises en place de ces données. Et on espère que la DILA13 va un peu moins freiner que ce qu’elle a fait sur les dernières années sur ces aspects, pour publier ces informations.
OliCat : Alors juste la DILA, pour ceux qui nous écoutent ? C’est une direction… ?
Benjamin : De l’information légale et administrative. Je peux en parler aussi rapidement parce que dans le cadre d’Open Law on travaille aussi avec la DILA. Ce n’est pas toujours simple, mais il y a quand même des projets intéressants. Et sur les jurisprudences, justement, ce qui a été inscrit dans cette loi République numérique, sur une perspective de un/deux ans parce que c’est toujours un peu lent à mettre en œuvre, a quand même enclenché une dynamique qui est très intéressante, et là on est en train de parler d’une ouverture des jurisprudences pour septembre ou octobre de cette année. Parce que, finalement, ce qui se passe, c’est qu’avant il y avait donc des frais de licences assez impressionnants, il y avait toutes les Cours suprêmes qui sous-traitaient, à la même boîte, d’ailleurs, on revient un peu sur le système de tout à l’heure, la monétisation [mot à confirmer par l'orateur, NdT] de toutes leurs décisions, mais avec des critères qui n’étaient pas les mêmes, peu importe. Elles se sont réunies, elles ont discuté et elles se rendent compte de l’intérêt de le faire ensemble. Et face à elles, il y a aussi les professionnels, notamment le barreau de Paris, il y aussi les éditeurs qui se disent « s’il faut que ça soit fait, autant que ça vienne aussi de nous ! » Donc il y a une dynamique qui est assez intéressante en se disant « il va falloir le faire », donc tout le monde fait le pas et rentre dans une démarche de « qui sera le premier à le faire ou, en tout cas, qui sera le premier dans la boucle », pour en tirer aussi le maximum, en tout cas le maximum de leur côté. Je pense que d’ici la fin d’année on aura, grâce à la loi République numérique pour le coup, une avancée sur ce domaine qui est vraiment intéressante.
Nicolas : La problématique qui reste en place c’est qu’on a quand même dans cette loi une analyse de risque qui est rendue obligatoire avant chaque publication, et qui pose pas mal de problèmes. Parce que déjà la notion d’analyse de risque c’est un peu vague, ça peut faire une grosse charge de travail pour les gens qui doivent la faire, et puis ce sont des problématiques qui ont déjà été adressées par la CNIL, qui était favorable à la publication des décisions, juste en anonymisant les noms, les adresses. Et puis, qui plus est, on a déjà, dans la loi, certaines décisions qui sont exclues de la publicité, parce que n’importe qui peut demander, normalement, une décision de justice aux greffes du tribunal. Certaines décisions comme, par exemple, les détails sur un divorce ou etc., sont exclues de ces publications. Donc c’est un petit peu dommage qu’on freine encore là-dessus, parce que ça fait quand même un petit moment qu’on attend sur cette jurisprudence, qui est, tout le monde s’en rend compte, qui est aussi indispensable que la loi, pour les citoyens, pour comprendre son application, pour savoir comment agir dans le cadre de la loi et de la jurisprudence.
Public : J’ai une question. Donc je suis Luc, dans le public. Je voulais savoir, par rapport à cette consultation, est-ce que vous y avez cru au moment où vous êtes partis ? C’est-à-dire que ce truc arrive, vous êtes lancés, est-ce que vous êtes partis en disant « ça a une chance de marcher ou on y va parce qu’il faut y être ? »
Nathalie : Nous, c’était très nouveau pour Wikimédia France, puisque, auparavant, on ne s’était jamais investis, ou de façon vraiment très infime, dans ce genre de débat public. Et en fait, on a été conviés à des auditions, en parallèle de cette affaire de consultation. Donc c’était très nouveau pour nous. On est partis un peu sans idée, en fait, sans se dire « est-ce que ça va fonctionner ou pas », parce que c’était vraiment le début de notre action de lobbying. C’est justement en suivant les différentes étapes, en voyant le résultat de la consultation et en constatant qu’on partait un peu en ordre dispersé, en tout cas pour notre part, puisqu’on n’avait pas vraiment d’interactions avec les autres assos, qu’on a vu la nécessité de s’organiser, absolument. Et ça, ça me permet de revenir un peu sur ce que Lionel disait. Le vrai point positif de toute cette démarche et, comment dire. d’être mis devant un peu le fait accompli de ce qu’il y avait à faire, c’est l’organisation entre nous, puisqu’en face les lobbys sont très organisés. Donc on n’avait pas vraiment d’à priori et ensuite on a fait petit à petit, on s’est adaptés et on s’est organisés collectivement.
Lionel : Ouais. Nous, à la Quadrature, on était assez dubitatifs quand même sur le processus, parce qu’on venait de subir plusieurs années où on a eu la loi antiterroriste, la loi renseignement, où là il y avait des sujets numériques absolument décisifs pour les libertés, qui ont été traités dans des conditions qui n’étaient absolument pas démocratiques. La société citoyenne, qui était mobilisée très fortement contre les mesures de ce texte, notamment tout ce qui concerne la surveillance, et où le gouvernement est resté complètement sourd. Donc quand on a vu la loi numérique arriver, on avait un peu l’impression d’une sorte de schizophrénie du pouvoir qui était quand même assez hallucinante. Sur certains sujets, il n’y a aucune discussion possible. Et en gros, on a laissé dans la loi numérique des sujets qu’on a considérés un petit peu plus secondaires et là on va pouvoir discuter, quoi. Donc bon, on a quand même joué le jeu.
Après, il y avait une autre chose qui faisait douter du processus, c’est que le législateur français n’a pas les mains libres, lui-même, sur plein de choses. Par exemple, dans cette loi, il y une consécration de la neutralité du Net. Ça pourrait être quelque chose de très important, mais en fait, le législateur est obligé d’être soumis à un règlement européen, et il fait un renvoi au règlement européen, et tous les enjeux sont à débattre au niveau européen. Et c’est pareil sur les données personnelles : dans la loi numérique il y a tout un volet sur la protection des données personnelles, mais, là aussi, les vrais enjeux sont au niveau européen et finalement la loi…
OliCat : Tous ces arguments ce n’était pas, comment dire, un mauvais prétexte de ton point de vue ? C’était une « vraie excuse » entre guillemets ?
Lionel : Disons que ouais. Là, sur la neutralité du Net et les données personnelles, c’était difficile pour le gouvernement d’aller plus loin que ce que le niveau européen a pensé. Nous, le seul point, je crois, où on y a un peu cru quand même, c’est sur les communs. Et là, on y a cru, parce que c’est le gouvernement lui-même qui est venu nous chercher sur cette question, il faut le dire. C’est Bercy qui est venu nous chercher. On a fait des réunions avec les conseillers d’Axelle Lemaire et tout, voire du Premier ministre, pour écrire une définition des communs, de ce qui serait des communs à l’ère du numérique et ça a été porté longtemps. Et là, j’avoue qu’on a peut-être cru un moment que ça allait pouvoir passer. Et c’est là où je pense que la déception est quand même la plus amère, parce qu’il y a eu un jeu de lobbying complètement classique et à l’ancienne, avec des sociétés, en fait les principales sociétés d’ayants droit français, la SACEM, la SACD et d’autres, qui se sont contentées d’écrire à Manuel Valls et tout s’est effondré quoi !
Nathalie : Tu peux raconter peut-être la réunion à Matignon qui était assez surréaliste.
Lionel : Vas-y ! Je te laisse faire.
Nathalie : Donc suite à cette volonté du gouvernement de faire passer cette notion des communs, enfin ce qu’on pensait, au niveau du ministère du numérique, du moins, on a tous été appelés au ministère pour préparer, justement, ce combat par rapport au domaine commun informationnel. Et donc le lendemain, on a eu une réunion à Matignon où on a opposé les acteurs du numérique et les lobbys de l’industrie culturelle. Et, à peine arrivés, en fait, on nous a expliqué que de toute façon l’article 8 allait être retiré, et voilà ! Donc on pouvait en discuter, on allait lancer une mission sur cette question, mais de toute façon il était inutile de se battre. Je pense que là on a tous eu un sentiment amer d’incompréhension, de se dire on a été animés, via le ministère, pour venir à cette réunion et puis finalement on nous annonce que de toute façon il n’y aura rien du tout.
Et je pense que là aussi, on a pris conscience de s’organiser en dehors du ministère et de porter nos propres combats puisque le ministère avait même prévu un avocat, en fait, pour nous représenter, pour prendre la parole en notre nom, qui n’a pas forcément défendu, justement, convenablement nos combats. Et je pense que ça a été vraiment une prise de conscience et un tournant, cette réunion à Matignon. On s’est dit « il faut qu’on s’empare nous-mêmes du sujet. »
OliCat : On se demande si, finalement, s’il avait vraiment été question de communs numériques, ou en tout cas d’en imposer une vision, la loi elle-même aurait eu cette trame. Finalement on a quelque chose de très classique. C’est-à-dire que voilà, tu vas avoir une priorité et ça va être la construction, la co-construction de la République numérique fondée sur une vision partagée de ce qu’est le commun numérique et à partir de là, voilà ! Tu as une ossature, tu as un truc. Là, manifestement, ce n’était pas le cas !
Nicolas : D’ailleurs l’absence des communs se fait vraiment sentir.
OliCat : SavoirsCom1.
Nicolas : L’absence des communs se faisait vraiment de sentir parce qu’il y a plusieurs d’articles qui préjugeaient cet autre article finalement. Il y avait quand même une cohérence d’ensemble qui a été perdue.
OliCat : Ouais. Voilà, c’est ça.
Nicolas : Le cas typique ce sont les données scientifiques. Au départ, c’était dit : « les données scientifiques sont des choses communes. » Et là, ça faisait directement référence à la notion de communs qui était préalablement définie. Et à partir du moment où ça a sauté, ils ont essayé de maintenir des communs pendant un bout de temps et finalement ils ont renoncé. Ils ont dit « sont de libre accès », je ne sais plus. Enfin il y a une tournure qui est beaucoup plus floue et on ne sait pas très bien ce que ça veut dire, finalement. Donc on voit à quel point le fait d’avoir cassé ça, finalement, ça a quand même cassé le mécanisme intérieur de la loi qui, à partir d’un moment, est devenue presque une sorte de catalogue au lieu d’être vraiment une loi pour la République numérique.
OliCat : Oui, parce qu’au fond, tu reprends tout de suite, Benjamin, pour Open Law, on a eu une présentation de la dynamique et la démarche du gouvernement, en l’occurrence d’Axelle Lemaire, secrétaire d’État au numérique, assez neuneu quoi ! On avait trois objectifs qui tournaient autour de Liberté, Égalité, Fraternité. On avait liberté accrue pour la circulation des données et du savoir. OK ! Égalité de droits pour les usagers du Net. Fraternité pour une société numérique ouverte à tous. Et ces trois objectifs se déclinaient sur neuf priorités. Tu en as citées quelques-unes, Lionel. On avait donc la neutralité du Net, la portabilité des données, le droit au maintien de la connexion, la confidentialité des correspondances privées, le droit à l’oubli des mineurs, l’information liée aux avis en ligne en direction des consommateurs, l’ouverture des données publiques, une meilleure accessibilité, et puis les questions autour de la mort numérique et ce qu’on fait des données une fois que quelqu’un est décédé. Mais on ne voit pas la cohérence d’ensemble. Voilà !
Benjamin : Je ne voulais pas parler de ça, mais juste pour répondre ou rebondir. Je pense que c’était notamment parce le contenu de la loi République numérique était aussi une réponse ou une suite liée à la consultation du Conseil national du numérique qui n’était pas tout à fait organisée, en termes de méthode, de la même façon. C’est-à-dire que le Conseil national du numérique a quand même passé énormément de temps dans la mise en place d’ateliers pour faire discuter les gens, pour essayer de formaliser les idées. C’était vraiment plus une démarche bottom-up, du bas vers le haut.
OliCat : Mais justement, moi ce que je me demande, c’est s’il n’a pas manqué une étape entre la consultation du Conseil national du numérique et la mise en ligne sur la plateforme citoyenne d’un texte avec déjà une ossature, etc. Il n’y a pas eu une synthèse qui ne s’est pas opérée, justement, entre les deux étapes ?
Benjamin : Peut-être justement sur de la co-rédaction. C’est-à-dire qu’on nous a soumis quelque chose qui était déjà bien ficelé, sur lequel rebondir. Effectivement, c’est ce que disait tout à l’heure Lionel, il y avait déjà un point d’étape qui était très fort et qui conditionnait un peu notre participation. Ce que je voulais juste dire, en plus, je pense que pour nous le contexte, c’est-à-dire un projet de loi porté par le cabinet d’Axelle Lemaire, était quand même très favorable. C’est-à-dire qu’ils avaient envie de pousser les idées qui étaient à mon avis plutôt les bonnes idées. Ils étaient plutôt de notre côté, globalement, et voyaient dans ce processus presque une aide supplémentaire parce qu’ils pourraient s’appuyer sur ce que d’autres diraient et la société civile, donc pas des moindres, pour renforcer leur projet de loi. Mais je pense qu’ils ont été peut-être pas assez loin dans le processus participatif, démocratique. Et du coup, c’est ce que je disais tout à l’heure, ils se ont fait prendre à l’industrie culturelle. Effectivement, quand les lobbyistes sont arrivés, ont pesé de tout leur poids sur Matignon, eh bien forcément ils ont dû se mettre en retrait. Et la réunion qu’on évoquait tout à l’heure…
OliCat : En même temps il n’y a pas de naïveté de leur part. C’est quelque chose qu’ils pouvaient envisager. Je veux bien qu’Axelle Lemaire ait été super passionnée par ce que vous lui racontiez.
Benjamin : Oui, mais je pense qu’ils l’espéraient. Sur les communs par exemple. Je pense qu’ils l’espéraient, honnêtement.
OliCat : Ah Oui ? Vraiment.
Benjamin : Je les crois assez honnêtes dans leur démarche initiale. Autant que nous, ils se sont pris la réalité en pleine face. En tout cas, là où j’ai vu moi, vraiment, la sphère politique de la chose, c’est quand on est sortis du processus des consultations, la réunion dont on parlait, qu’on a évoquée tout à l’heure, pas interministérielle, mais, en tout cas, qui réunissait plusieurs cabinets, on s’est retrouvés face à des sophismes. À la fois l’industrie culturelle qui nous disait : « Nous on est pour la propriété. Les communs c’est contre la propriété, donc on est contre votre proposition. » Ça y est fin de la discussion, cinq minutes. Juste après qu’on nous ait dit : « De toute façon, votre article ne sera pas soumis », et peu de temps après on nous demande de prouver par A + B le bénéfice économique qu’on aurait à mettre en place un commun informationnel. Ce qui est impossible à prouver puisqu’on est dans les logiques qui sont…
OliCat : Évidemment !
Benjamin : C’est-à-dire que la propriété intellectuelle c’est systémique. Quand elle est là, quand on crée une propriété intellectuelle, elle génère de l’argent. Oui ! Est-ce qu’elle génère plus d’argent, plus d’économie, plus de création que si elle n’était pas là ? Eh bien c’est dur à comparer parce que soit elle et là, soit elle n’est pas là, si on a fait le choix de la mettre en place. Effectivement c’est systémique. Ça fait partie de tout un modèle de raisonnement. Et là, les communs informationnels, on ne peut pas nous dire : « Prouvez-nous que vous gagneriez plus d’argent s’ils étaient là », parce qu’en fait, il faut tout transformer. C’est du travail de longue haleine et on s’est retrouvés face à plein d’arguments je dirais fallacieux, des sophismes, en fait, des faux arguments, pour démonter tout ce qu’on pouvait être amenés, nous, à dire. Et là, on était vraiment dans la politique. Avant on était plus dans de l’espérance. Quand on nous a sollicités pour entrer dans cette démarche, assez naïvement, j’avais envie de le faire parce que c'étaient des sujets qui me portaient à cœur, en tout cas que j’avais vraiment envie de voir aboutir. Et après on s’est retrouvés, effectivement, face au schéma plus classique de la rédaction d’une loi, et là on n’a rien pu faire.
OliCat : Donc on l’a bien compris, la première des limites, et pas des moindres, de ce type de consultation, elle est structurelle. Elle est du monde d’avant, en fait.
Lionel : Moi je trouve que la limite est aussi dans le fonctionnement de la Cinquième République, en fait. Parce que ce que tu disais tout à l’heure sur la qualité des débats au Parlement, Bon, c’est réel !
OliCat : Vraiment ?
Lionel : Ouais, ouais ! Sur certains points, on a eu de très beaux débats sur les sujets, avec des députés qui s’étaient approprié les questions. Mais le problème c’est que le gouvernement maîtrise complètement le vote des députés, en fait. Ou alors, des fois, il y a des bugs qui se produisent. Par exemple sur le texte data mining, ce qui se passe c’est que la disposition arrive en fin de soirée, il est hyper tard. Une heure du matin, tout le monde était épuisé.
Pierre-Carl : Tout le monde était crevé. En fait ils l’avaient voté une première fois le matin. Et le gouvernement était contre, a dit : « Ce n’est pas grave, on va la revoter. » Et ils ont remis ça, seulement ils l’ont fait à la toute fin et là, une heure du matin, tout le monde est crevé, personne ne le fait, donc ça reste.
Lionel : Donc tu vois, sur un truc qui est quand même fondamental pour la recherche et l’avenir de la recherche française, ça passe à une heure du matin sur un malentendu. Et c’est ça qui est fou, quoi ! Mais par contre, par ailleurs, sur le logiciel libre, là le gouvernement était bien vigilant et il bloque le truc. Et sur les communs il a bien fait en sorte de bien bloquer les choses, et sur des sujets majeurs. Et tant qu’on aura ce verrou ! Moi je dirais, là où le gouvernement est le plus critiquable, c’est que s’il avait voulu jouer le jeu, il aurait regardé ce qu’il y avait sur la plateforme, les propositions qui étaient les plus avancées, il les aurait introduites au Parlement en disant aux parlementaires « c’est à vous de décider maintenant ». Parce qu’il faut faire attention, aussi, que la plateforme n’est pas là pour décider à la place du Parlement. On est bien clairs que les parlementaires, ce sont eux qui sont élus, ce ne sont pas 2 000 personnes qui ont soutenu un amendement sur une plateforme qui font la loi. Ça c’est la limite de cet exercice-là. On n’est pas, quand même, dans une démocratie directe. Il y a un rôle des parlementaires. Mais le gouvernement n’a pas laissé jouer aux parlementaires leur rôle. Et ça