Titre : L'entreprise numérique : le rôle de l'éducation et de la formation au logiciel libre
Intervenants : Philippe Montargès - Roberto Di Cosmo - Jean-Pierre Archambault - François Taddei - Jonathan Le Lous.
Lieu : Open World Forum
Date : Octobre 2012
Durée : 1 heure 01 min 27
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Présentation
Le logiciel libre joue un rôle de plus en plus important dans l’évolution des métiers du numérique. De nombreuses entreprises, administrations intègrent ces technologies innovantes. Combien disposent cependant des compétences pour les gérer ? Comment favoriser le développement de notre industrie logicielle & service ? Au delà des aspects économiques et industriels, quel est le rôle du logiciel libre dans l’éducation du citoyen numérique ? Nous essaierons de répondre à ces différentes questions lors de cette journée.
Transcription
Présentatrice : Ouvrons maintenant le track sur Job & Foss, c'est un Think Tank qui se lance aujourd'hui à l’occasion de l'Open World Forum, pour la 5e édition. Cela se déroule dans deux salles. Il y a deux thématiques qui concernent l'éducation, la formation initiale et la formation continue. Pour nous présenter ce panel, ça va être un échange de discussions, j'invite Jonathan Le Lous qui est manager de l'innovation et responsable de Libre Académie chez Alter Way. Bienvenue Jonathan ! [NdT: Jonathan est également l'un des administrateurs de l'April]
Jonathan Le Lous : Merci
Présentatrice : Nous allons plonger dans le vif du sujet avec l'entreprise numérique et le rôle de l'éducation et de la formation. Je te laisse inviter ton panel.
Jonathan Le Lous : Bonjour. Merci d’être venus. Nous allons parler aujourd'hui d'éducation, de formation et de logiciels libres, et des différents rôles que peut jouer le logiciel libre dans ces secteurs-là. À quel point il est aussi essentiel, en dehors même des entreprises qui embauchent du logiciel libre, mais au niveau de l'ensemble de la société numérique, quel rôle joue le logiciel libre ? Et pour pouvoir avoir ce rôle et avoir une idée de comment on en est arrivé à mélanger à la fois emploi, formation et redescendre par l'éducation, j'ai invité des personnes qui retracent cet historique.
Nous allons commencer par Philippe Montargès, qui est co-président de Alter Way, et qui va aussi intervenir en sa qualité de représentant du Syntec, sur la partie qui va concerner l'éducation. Bonjour Philippe.
Nous allons aussi inviter Roberto Di Cosmo, qui est directeur de l'Irill et professeur d’université à Paris VII. Il va nous parler particulièrement du domaine qu'il connaît très bien, c'est la formation supérieure.
Nous allons aussi appeler François Taddéi, qui est directeur du CRI, et qui est aussi enseignant dans le supérieur. Il va nous faire partager sa vision, qui est assez originale étant d'un profil, à l'origine, pas du tout informatique.
Et, enfin, nous allons accueillir Jean-Pierre Archambault, qui est président de l’association de l'Enseignement Public et Informatique, et qui va nous parler des grands sujets qu'il maîtrise et sur lesquels il travaille depuis des années, c'est la partie éducation.
Tout d'abord, bien entendu, nous allons remercier Jean-Baptiste Roger d'avoir accepté de faire cette introduction, merci beaucoup. C'est important aussi de comprendre qu'on est dans le numérique et que notre sujet ne s'intéresse pas qu'au logiciel libre, mais au numérique en général, et au rôle joué. Merci à vous tous d'avoir accepté de venir à ce tour de table,
La première question que je poserais à Philippe, ça serait : « Philippe, aujourd'hui, en tant que chef d'entreprise, en tant que représentant du Syntec, il y a une réalité en termes d'emplois et de compétences dans le logiciel libre. Quel est ton constat en tant qu’entrepreneur ? »
Philippe Montargès : Oui, donc je vais m'exprimer comme entrepreneur du Libre. Effectivement, le constat qu'on a pu faire avec le CNLL, le PLOSS, le JTLL sur la base d’études qu'on a menées en 2011 jusqu'à 2013/2014, est un constat que le secteur, comme Jean-Baptiste le soulignait, est un secteur en forte croissance. D'ailleurs la ré-actualisation de l’enquête qu'on a faite sur octobre 2012, montre les résultats des entreprises full player du Libre, sur 2012, seront en moyenne supérieurs à 5 % de croissance pour toutes les TPE et PME du secteur, et pour 25 % d'entre elles, supérieurs à 10 %. Donc on est sur un taux de croissance des entreprises, concrètement, sur l'année 2012, qui est fort. Et les perspectives de recrutement du secteur, pour 2013 et 2014, sont assez fortes, autour de 3 000 emplois annoncés sur ce panel qu'on a étudié. Et je considérerais que ce panel, en fait, n'est que la partie immergée de l'iceberg que représente tout le gisement d'emplois de l'open source en France, puisque derrière ces acteurs TPE, PME, innovantes de l'open source, vous avez de grands intégrateurs qui ont aussi des compétences en matière d'open source, vous avez des grands utilisateurs comme la Poste ou d'autres grandes entreprises qui ont des compétences. Donc ce panel d’entreprises TPE, PME, en fait, est la partie immergée et révélatrice de cette montée en puissance, je dirais lente mais régulière, de l'open source dans les équipes informatiques, dans les équipes web, dans les équipes internet, dans les équipes réseau, de toutes les entreprises.
Alors, le problème auquel on est confronté en tant qu'entrepreneurs, c'est effectivement un problème concret de recrutement, et un problème de formation initiale, ou formation supérieure, aux technologies open source. En fait on a, d'une part, du mal à recruter. Et ce que fait paraître l'étude qu'on a menée en 2011/2012 sur l’emploi, c'est que, ce qui est recherché comme prioritairement, notamment par ce panel de TPE et de PME innovantes, ce sont d'abord des profils de type développeur, ou ingénieur en développement logiciel, dans la grande majorité puisque dans les postes, dans le constat qu'on fait dans cette étude, c'est que 60 % des postes recherchés pour 2013, seront des postes d'ingénieur développement ou de développement logiciel. Donc ça c'est un premier constat, et on a une difficulté à recruter, du fait de la concurrence qu'on a, puisque l'étude de Pierre Audouin Consultants1 montre bien que le poids relatif du secteur de l'open source dans le secteur des TIC, c'est à peu près de l'ordre de 5 %, et on est soumis à concurrence, quand même, auprès des diplômés qui sortent d'écoles, qui sortent des universités, une concurrence forte de nos amis de l'économie numérique propriétaire ou old school. on va dire, mais on a donc cette concurrence qui s'opère. Et cette concurrence elle s'opère d'autant plus que la caractéristique du secteur c'est qu'il est constitué de beaucoup de PME, qui n'ont pas les moyens, forcément, de recruter, de former, d'intégrer, d’être attractives en termes, parfois, de rémunération, suffisamment, pour attirer les talents.
Jonathan Le Lous : Très bien. Donc pour reprendre des chiffres qu'avaient cités Patrice Bertrand, le président de l'Open World Forum cette année, sur l'étude de Pierre Audouin Consultants, on sait que c'est un secteur qui fait 2,5 milliards d'euros en France, qui représenterait environ 30 000 emplois, donc on se dit que, quand même, il y a un effet important. Aujourd'hui Roberto, dans l’enseignement supérieur comment ça se fait qu'on ait, en fait, l'input des entreprises, aujourd'hui, on ait ce constat-là d'un manque de qualification ou, au moins, de compétences dans le logiciel libre ? Est-ce que c'est lié au cursus universitaire ?
Roberto Di Cosmo : Je vais prendre le temps de faire un discours un peu plus étendu. On va commencer par bien se déprimer et après on va essayer de devenir plus optimiste, vers la fin,
Mon constat est beaucoup plus négatif que ce qui est fait là. Il n'y a pas qu'un manque de compétences des ingénieurs en développement en logiciel libre, pour le tissu des PME, qu'on a ici, qui est très actif. On a un manque général de compétences sur les technologies de l'information, donc sur l'informatique, dans la formation des jeunes générations. C'est-à-dire qu'on est dans une époque où on nous apprend des choses super intéressantes. J'espère que ma fille ne regarde pas cette chaîne de télé, mais je vais la dénoncer un peu : elle a 16 ans, elle est au lycée, donc je vois toutes les choses qu'elle est obligée d'apprendre par cœur, diverses et variées. Bien sûr il y a de la biologie, il y a des choses super intéressantes, il y a des maths, de l'histoire, de la philosophie, mais la programmation, l'algorithmique, la compréhension des structures de données, la compréhension des machines qui contrôlent notre vie tout le temps, elle est où ? Il n'y a rien. Il n'y a aucune formation sur ces éléments-là, et ce n'est pas parce qu'on n'a pas des supports intéressants pour intéresser les jeunes à travailler sur ces sujets.
Il y a une initiative ancienne, qui date de pas mal d'années, des collègues anglophones, qui ont écrit un petit livre qui s'appelle Computer Science Unplugged donc L'informatique sans ordinateur2. Alors ça, c'est une petite pique pour les politiques qui, éventuellement, nous regardent, parce qu'il y a eu une époque dans laquelle on pensait que, pour apprendre l'informatique aux gens, il suffisait de mettre des ordinateurs dans les lycées. Le résultat c'est, qu'en général, on confond étudier l'informatique avec apprendre à faire clic/clic sur la page Facebook, etc, ce qui n'est pas exactement ce qu'on veut de citoyens compétents. Et donc la réaction c'était, dans ce livre-là, de dire : « Écoutez on débranche l'ordinateur, ce n'est pas parce que ce n'est pas bien d'utiliser l'ordinateur, mais on vous a tellement mis la tête dedans, essayons de réfléchir un instant ! On le débranche ! Voyons voir un peu quels sont les principes qui sont derrière ». Donc c'est un livre qui a été traduit par des gens de l'INRIA, en français, qui est utilisé, qui est utilisable. Je vous suggère de le donner à vos enfants tout petits, ce n'est pas trop mal. D'ailleurs en cette période, c'est la fête de la science, c'est l'occasion d'aller faire un tour dans une université voir ce qu'on fait. Je l'ai pris de loin.
Ce que je veux dire : on a un manque de formation cruel. Il y a d'autres pays qui se sont rendus compte du besoin de la formation informatique en général depuis longtemps, et nous, on est très en retard. On est dans une situation dans laquelle on a encore du mal, et Jean-Pierre va en parler tout à l'heure, à faire comprendre que l'informatique est une discipline à part entière qui est une science. Ce n'est pas juste une petite technique, dans un coin, qui est au service du reste du monde. Et donc, là, c'est important d'avoir une formation au lycée, correcte, parce que pour arriver à répondre, je vais y arriver, à votre question ici, comment on fait à former des gens compétents ?
Est-ce que vous trouvez normal qu'on utilise les ressources des quelques enseignants-chercheurs en informatique, qui sont volontaires, pour transmettre leur passion pour cette discipline, est-ce que vous trouvez normal qu'on utilise ces ressources-là, en première année, en licence, pour passer tout son temps dans des amphis de 400 personnes qui ne sont pas tenables, donc on fait 40 groupes de 40 personnes, ou des choses comme ça, à faire x= x + 1 ? Apprendre ce qu'est affecter une variable ? Donc si vous utilisez toutes les ressources d'enseignement informatique à faire ça, ce qui devrait être connu bien avant, ça devrait être connu au niveau du lycée, par tout le monde, comment voulez-vous qu'on aie des ressources pour aller plus loin ? D'accord ? Donc vous voyez, je dresse un constat bien négatif.
Autre chose. On a tendance aussi là à oublier que, pour tous les étudiants dans les universités, pas seulement pour les informaticiens, c'est important de savoir utiliser les outils modernes d'aujourd'hui : des outils de collaboration, de structuration de la prise de décision, de structuration du développement d'objets complexes comme les logiciels. Ce sont des outils qui ont été développés, en réalité, à l'origine, par des communautés de logiciels libres, parce qu'ils étaient forcés de travailler de façon collaborative, à distance, avec des outils qui peuvent être des listes de diffusion, qui peuvent être des forges de logiciels, qui peuvent être des systèmes de gestion de tickets, qui peuvent être des communications par IRC. Donc ça, ce sont des choses de vieux, comme moi, qui n'ont plus beaucoup de cheveux, mais c'est encore largement utilisé aujourd'hui, et ce sont des instruments, finalement, de collaboration, qui sont extrêmement précieux, et pas seulement pour des informaticiens. On pourrait former même des, je ne sais pas moi, des littéraires de lettres anciennes à travailler avec des outils comme ça, pour prendre des décisions sur comment éditer la prochaine version des œuvres d'Eschyle par exemple, si on avait envie.
Donc, c'est ça qui manque. Mais bon, nous, comme on passe notre temps à faire x= x + 1 en première année, on n'a pas le temps de s'occuper de ça. Et après, finalement, quand on arrive à la technique, il y a aussi un constat qui a été fait, il y a longtemps aussi, et pas par n’importe qui. Si vous prenez un petit texte qui est communiqué sur JACM c'est, disons le journal le plus lu de l'association pour les ordinateurs, Association for Computing Machinery, il y a un éditorial en mars 2006, donc ça fait 6 ans, donc ce n'est pas exactement une grande nouveauté, de Patterson qui est une sommité dans notre domaine, c'est la personne qui avait introduit des microprocesseurs au RISC, il était président de l'ACM à l'époque, et il disait : « Il faudrait refonder le curriculum d'informatique pour le 21e siècle » et qu’est-ce qu'il disait qu'il fallait faire ? Évidemment, il parlait de l’architecture qui est un sujet qui l'intéresse beaucoup, mais après, la deuxième chose qu'il disait : «nbsp;Si j'étais à nouveau étudiant ce que je voudrais apprendre moi, comme cours, je voudrais voir un cours comme ça dans le cursus universitaire, c'est comment participer à un projet open source ». C'est Patterson, il le dit à tout le monde en 2006 ! Effectivement, c'est à peu près depuis de cette époque-là, il y a pas mal de collègues ici, alors moi, j'ai l'honneur et la souffrance d’être sous les feux ici, mais il y a plein de personnes dans la salle ici, il y a plein de volontaires : Ivaylo, Albert, il y a des personnes qu'on a fait venir de loin dont Renzo Davoli, je ne sais pas si on le voit là-bas, Chris Tyler, Jesus Barahona devrait être dans la salle. Il y en a plein. Donc ça fait déjà des années qu'on se bat pour qu'on change la façon d'enseigner l'informatique dans les années avancées, pour les informaticiens, ce n'est pas pour tout le monde, pour qu'ils deviennent compétents dans le développement de l'environnement du logiciel libre, qui est beaucoup plus intéressant d'un côté, mais difficile aussi, que celui du développement du logiciel propriétaire traditionnel, parce qu'il faut des capacités nouvelles. Il faut être capable de plonger dans des bases de code excessivement grandes, qui évoluent relativement vite, avec des communautés qui ont des usages assez différents de ceux qu'on a l'habitude de voir, dans lesquels, des fois on a des prises de décision qui sont, comment dire, je ne veux pas dire de gros mots sur la démocratie, mais je vais dire aussi compliquées, ou disons sportives, que dans la vie démocratique. Et ça devient assez intéressant de voir comment on arrive à faire accepter, ou pas, une modification dans une base de code.
Donc tout ceci est un effort qui reste à faire, qu'il est important de faire, et je suis absolument ravi de voir qu'il y a enfin, parce que bon, quand on essaye de tenir ce discours-là vis-à-vis de la structure traditionnelle de l'enseignement supérieur et de la recherche, on vous explique « Bé bon. Peut-être, allez-y, faites ça, mais bon, avec les moyens du bord ». Je suis ravi, qu'enfin, il y ait une demande claire qui arrive du monde de l’entreprise, qui dise qu'on ne peut plus tenir comme ça. On a besoin d'une formation modernisée, d'une formation plus concrète, avec des relations plus évidentes entre ce qui est enseigné sur les bancs de la fac et ce qu'est la réalité.
Alors attention, je prends les deux secondes qui me restent pour préciser. Ça fait 20 ans que je me bats contre les formations kleenex, c'est-à-dire que je ne veux pas et je refuse, dans l'enseignement que je fais, de former des gens à un outil particulier. Ce n'est pas mon rôle. En tant que professeur universitaire. ma vocation est celle de former mes étudiants en leur donnant le maximum de connaissances pour qu'elles soient valables le plus longtemps possible. Donc, si on vient me demander, à moi, de faire une certification Windows 8, une certification Linux 32, je ne vais pas les faire. Par contre, apprendre les principes des systèmes d'exploitation, apprendre comment développer de façon collaborative, en étant en contact, pourquoi pas, avec une communauté Linux, mais c'est un support, ce n'est pas une certification, ça c'est essentiel, et ça demande énormément d’efforts. Et je pense que c'est important que, du monde des entreprises, une demande arrive pour faire un peu pression sur nos institutions, comment dire, un peu sclérosées, pour qu'elles commencent à comprendre que c'est le moment de changer, de mettre, disons, l’accent sur ce type de formations nouvelles. Voilà. J'ai parlé trop de temps, je passe.
Jonathan Le Lous : Donc, d'un côté, on aura l'aspect former les esprits, c’est-à-dire former les esprits au savoir ou, au moins, à la préhension du savoir informatique, de la connaissance, de l'autre, lui donner des outils, leur donner des outils intellectuels, mais aussi de méthodologie qui leur apprennent à pouvoir naviguer dans les environnements. Donc c'est ça, en fait, François Taddéi aussi que vous concevez, vous percevez, dans l’importance de l'informatique dans l'enseignement supérieur ?
François Taddéi : Je vais reprendre ce que disait Roberto. L'enseignement supérieur, comme le reste du monde, est en train de vivre une mutation importante, et l'enseignement supérieur ne s'en était pas rendu compte. Honnêtement, depuis un certain nombre de centaines d'années, l’université a évolué relativement lentement, en tout cas par rapport au monde du logiciel et, a fortiori, du logiciel libre. Ce qui est en train de se passer depuis 6 mois, il y a quelque chose qui s'appelle Coursera3 qui n’existait pas il y a six mois, où il y a, aujourd’hui, autant d'étudiants en ligne qu'il y a d'étudiants dans les universités françaises. Donc, ce sont des massives open online courses, il n'y a pas encore, à ma connaissance, de cours sur coder avec le logiciel libre, mais, à mon avis, demain matin ils y seront, ou après demain. Donc, ça c'est un premier point. Et ce que c'est en train de dire, c'est que, aujourd'hui, il y a des tonnes de gens qui savent utiliser le logiciel libre, mais qui, clairement, ne l'ont pas appris à l'université. C'est ça qui est en train de se passer, c'est qu'il y a des tonnes de gens qui apprennent des choses ailleurs. Si via ces MOOC et via une forme modernisée de la validation des acquis de l'expérience, on était capable de valoriser le fait que des gens savent faire des choses, parce qu'ils ont appris à le faire en ligne, ils ont appris à le faire dans des hackerspaces, ils ont appris à le faire dans des fablabs, etc, alors je pense qu'on ira beaucoup plus vite. Et si les universités savent les accueillir, savent les valider, et savent leur apporter ce qu'ils ne peuvent pas trouver en ligne, et c'est là où ça devient intéressant. C'est exactement ce que disait Roberto, cette capacité à conceptualiser, et à aller plus loin, parce que qu'il y a des choses qu'on peut apprendre par la pratique, et ça c'est très important, parce qu'en informatique je pense que c'est essentiel, mais il y a aussi des choses qu'à un moment on a besoin de conceptualiser. Et nous, ce qu'on demande à nos étudiants, c'est, systématiquement, de faire à la fois de l'expérimental et du théorique. De faire à la fois du learning by doing, mais aussi d'essayer de conceptualiser et de comprendre les théories pour pouvoir, même, en inventer d'autres, pour pouvoir aller toujours plus loin. Et ça je pense que c'est quelque chose de clef. Donc ça c'est un point sur lequel je voulais insister.
Un deuxième point, c'est qu'on parle ici de logiciel libre, mais ce qu'il faut savoir c'est pourquoi est-ce que le monde universitaire, ou le monde des entreprises, fonctionne comme ils fonctionne ? C'est parce qu'en fait il ne connaît, dans les meilleurs endroits, que très peu de barrière. Le logiciel libre est une barrière à faire tomber par rapport à l'informatique, mais si vous allez, par exemple, à Stanford, vous avez non seulement le meilleur de la technologie, et pas seulement informatique, mais aussi hardware, mais aussi en biologie, etc. Vous avez aussi le meilleur de l'éducation et le meilleur de la science ; et l’informatique est aussi une science et pas seulement une technologie, il ne faut jamais l'oublier. Mais il faut aussi savoir que si on est capable de faire, pas seulement de l'open soft, mais aussi de l'open hardware, aussi de l'OpenWetWare, aussi de l’open education, aussi de l'open science, alors la synergie qu'il y aura entre ces différents éléments pourra permettre d'aller beaucoup plus vite, beaucoup plus loin, et beaucoup plus profondément. Et ça, c'est quelque chose qui est très important et ça, ça suppose de faire tomber les barrières disciplinaires qui existent dans les universités, et toutes les barrières mentales qui peuvent exister par ailleurs. Mais c'est ça qu'on commence à catalyser. Et donc, nous, on a créé un lieu ouvert dans lequel tous ceux qui veulent se retrouver pour parler open, moi j'appelle ça carrément open fiesta, donc c'est une open faculty for innovation, pour l’innovation, l'éducation, la science, la technologie et les arts. D’accord ?
Et je pense qu'on a aussi besoin des arts. parce qu'on a aussi besoin d'imagination, on a aussi besoin de créativité, et on a aussi besoin de réfléchir à dans quel but on fait ces choses-là. Donc on a besoin y compris de philosophie. Juste un mot de philosophie : Aristote pensait qu'il y avait trois dimensions importantes du savoir, épistémé qui a donné la science, tekhnè qui a donné la technologie et phronésis que tout le monde a oublié en passant. Et qu'est-ce que phronésis ? Phronésis, c'est l'éthique de l'action. Eh bien je pense qu'on a besoin de savoir dans quel type de but on est en train d'agir, et on a besoin de former nos étudiants à se poser ce type de question, parce qu'en ligne ils vont trouver des tonnes de choses, des réponses techniques, de plus en plus, mais ils ne vont pas forcément trouver la dimension humaine, la dimension humaniste dont ils ont besoin pour arriver à repenser la société qui a des tonnes de problèmes, et tous les problèmes liés au développement durable et autres. Donc on a absolument besoin de réfléchir à qu'est-ce qu'on peut leur offrir en ligne, et qu'est-ce qu'on peut leur offrir dans les interactions qu'ils peuvent avoir, si on les amène à travailler différemment, et à chercher des solutions qui permettent de résoudre les différentes crises. Et, ce que je veux dire, c'est que, par rapport à l'entreprise, je pense que si on forme les étudiants comme ça, non seulement ils pourront trouver des places dans nos entreprises parce qu'il y a de plus en plus de demandes - Linux disait que les emplois les plus demandés aujourd’hui sont liés au Libre - et ça on le voit donc bien dans un forum comme celui-ci, mais je pense que c'est même plus intéressant que ça, c'est que les étudiants, s'ils sont capables de trouver des solutions innovantes, alors ils créeront, eux-mêmes, leurs propres entreprises. Et ça c'est quelque chose qu'on n'a pas tellement dans la culture française, mais qui est absolument essentiel, et qui se développe dans le monde entier.
Je ne veux parler de la Silicon Valley, parce que tout le monde connaît, je vais parler d'un village en Inde. Il y a un village en Inde qui est le premier endroit au monde, en dehors du MIT, à avoir eu un fablab. Eh bien ce village prend des school dropouts, donc des gamins qui ont décroché au niveau du lycée et en fait des entrepreneurs, et en seulement 3 ans, en leur faisant résoudre des problèmes réels, en utilisant des technologies ouvertes, à la fois soft, hard, et autres. S'ils ont trouvé une solution qui est valable pour leur village, il y a juste un million d'autres villages en Inde qui ont le même type de problème. Et donc, il y a des marchés fantastiques qui sont derrière. Et ça c'est vrai à tous les échelons, parce que vous pouvez prendre n'importe quel type de problème de la société aujourd’hui, si un étudiant malin trouve une solution, ce ne sera pas uniquement vrai dans son quartier, ça pourra s'étendre à des beaucoup plus grandes échelles.
Juste pour parler de la puissance du Libre, parce que je pense que c'est quelque chose d'important en tant que chercheur, la recherche est trop souvent fermée. Il commence à y avoir des expériences qui ont été faites par les gens de la Harvard Business School, qui ont mené une expérience dans laquelle ils ont utilisé quelque chose que vous connaissez probablement qui s'appelle TopCoder, qui est une plate-forme qui permet de résoudre des problèmes informatiques et de les donner en compétition à un certain nombre de codeurs de part le monde, ils en ont plus de trois cent mille, je crois, aujourd'hui. Ce qu'ils ont fait, c'est qu'ils leur ont proposé soit de travailler de manière fermée, soit de travailler de manière ouverte. Et ils leur ont donné un problème qui était un problème que les chercheurs en bio-informatique avaient essayé de résoudre, et ils avaient fait aussi bien qu'ils avaient pu et disons que, on va normaliser, ils étaient au niveau 1, les bio-informaticiens qui avaient passé des dizaines d'années, des années sur ce genre de problème. Ils ont donné ce problème fermé. Quand ils ont donné ce problème fermé, il y a eu plusieurs centaines de codeurs, de part le monde, qui ont abordé le problème, et qui l'ont résolu, et qui ont été dix à cent fois mieux que ce qu’avaient fait les informaticiens dans leurs labos. Donc, déjà, c'était un premier progrès. D'accord ! Quand on propose le problème, non pas à quelques-uns, mais à une multitude, évidemment, on a un meilleur résultat. Mais ils l'ont également proposé, en parallèle, à des gens qui travaillaient de manière ouverte. Et, en fait, ils les avaient même associés de manière aléatoire dans les différentes catégories. Et ce qu'ils ont obtenu, c'est quelque chose qui était mille fois supérieur à ce qui avait été fait par les chercheurs seuls dans leurs labos, et aussi dix fois supérieur à ce qui avait été fait par les informaticiens qui travaillaient de manière séparée, en silos. Et, quand on analyse le code qui a été produit collectivement, on s'aperçoit qu'il regroupe quatre des meilleures solutions qui avaient été proposées par les individualités, mais qu'ils les ont recombinées, ils les ont associées, ils les ont fait muter et ils ont produit, ainsi, un code qui est nettement supérieur. Donc je pense qu'on a aussi besoin de preuves scientifiques de ce type qui montrent que le Libre ce n'est pas simplement une vision généreuse de la société, etc. C'est aussi, simplement, quelque chose qui est beaucoup plus efficace.
Donc on a besoin d'arriver à faire ce genre de choses. On a besoin de le faire comprendre aux étudiants, on a besoin de leur apprendre à travailler de ces manières ouvertes, parce que, ce qui est sûr, c'est que notre système éducatif favorise la compétition et, surtout, ne regarde pas ce que j'ai fait ! Donc ça s'appelle copier, en France, d'accord ? Et, copier, c'est ce qu'il y a de mieux dans le logiciel libre. D'accord ? Il faut avoir copié ce qu'a fait l'autre, et puis se l'approprier et permettre d’aller plus loin, et apprendre de ses erreurs, collectivement, et développer des formes de critique constructive qui permettent, parce que la critique négative, en France, on est relativement doués, mais la critique constructive qui consiste à dire « tiens c'est intéressant ce que tu as fait, mais peut-être que tu pourrais faire mieux en changeant ça », alors c'est quelque chose qui peut se faire. Et c'est vrai dans le logiciel, mais c'est vrai dans toutes les dimensions de l'éducation.
Et donc je pense que le débat est intéressant, mais il faut aussi le généraliser et, effectivement, il y a des pays, l'Estonie, par exemple, a demandé à ce que les gamins, dès le primaire, apprennent à coder. En Angleterre, ils sont en train de se poser les mêmes questions. Le MIT a mis Scratch4 au point depuis des années, il y a, fort heureusement, des gamins, de par le monde, qui l'utilisent, mais pourquoi est-ce qu'on ne l'utilise pas dans les classes ? Donc il faut former les enseignants à utiliser ce genre de choses, dès le plus jeune âge, et à ce moment-là, vous pourrez libérer du temps d'enseignants-chercheurs intelligents, à faire autre chose que faire les bases. Parce que les enfants vont les avoir apprises au préalable, ils vont avoir appris des tonnes de choses en ligne, et ils vont pouvoir avoir cette valeur ajoutée qui est d'avoir un mentor qui va pouvoir les amener à développer des projets et à travailler de manière collaborative. Et c'est là où il y aura une vraie valeur des enseignants-chercheurs. Mais cela suppose qu'on remette à plat. à la fois. l'amont et le fonctionnement des universités.
Jonathan Le Lous : Très bien et merci beaucoup. Alors avant de partir, justement, sur la partie éducation qui a été abordée, je pense, par Roberto et par François, j'allais dire, j'allais parler à l'entrepreneur. Il y a l’universalité un peu, toujours, de l'université dans ce qu'on entend, c'est-à-dire il y a la philosophie, on fait appel à des abstractions. Bon, quand on travaille dans une entreprise, le quotidien ce n'est pas obligatoirement, ni de l’abstraction, ni des choses fantastiques, c'est aussi des besoins client, des projets. Donc à quel point ça vous parle, ça te parle cette démarche-là ?
Philippe Montarges : Ce qui me parle, c'est qu'on a besoin dans les entreprises, notamment dans les entreprises de notre taille, vu l'évolution très rapide des technologies, des outils, des versions de logiciels, de ce qui sort sur le marché, il nous faut des ingénieurs, ou des développeurs, qui soient capables d'apprendre très vite, en permanence. En fait, ce qui compte, c'est surtout la capacité à se recycler ou, en tout cas, en permanence. En permanence à réapprendre, parce que les technologies vont beaucoup plus vite, on le voit, que l'organisation de la société pour former. Donc il faut qu'on ait des gens qui arrivent et qui soient capables, en permanence, de réapprendre, de se remettre en question par rapport à la technologie, de prendre des risques, parfois, et c’est ça qu'on recherche comme type de compétences. C'est-à-dire les formations kleenex, ça correspond à des recrutements kleenex, que ça soit un besoin très court terme et one-shot et si, derrière, la personne n'est pas capable d'évoluer et de suivre le rythme de l'entreprise, c'est une catastrophe pour la personne, mais aussi pour l’entreprise. Donc c'est là où il y a un enjeu fort pour nous, et c'est là aussi qu'il y a une difficulté de trouver des compétences qui soient suffisamment formées, je dirais, dans l'esprit, intellectuellement, en permanence à être dans cette appropriation permanente de l’évolution des technos, des outils, des systèmes. Et on est confronté à ça de plus en plus fortement depuis trente ans. Le rythme ne fait que s'accélérer et il va encore s'accélérer. Plus le fait qu'on travaille de moins en moins seul, je crois, c'est un point qui et important.
Il faut aussi que nos ingénieurs travaillent forcément en équipe, soit en interne, et apprennent aussi à travailler, et ça c'est le propre des entreprises du Libre, à travailler avec des fondations, des communautés, des universités, des laboratoires externes. Il est très rare, maintenant, de travailler sur un projet tout seul, et, de plus en plus, même, de travailler avec les équipes des clients. On parlait hier de, on avait une réunion des associations, on parlait effectivement des enjeux au niveau de l'État, c'est effectivement aussi, qu'on parle de co-développement. Cette logique de co-développment, elle est vraie, mais il faut qu'on ait des personnes qui soient armées pour travailler autour de ces logiques de co-développement entre l’utilisateur, entre le client et entre l’entreprise.
Jonathan Le Lous : Très bien. Donc toute cette notion-là, on comprend bien que ce n'est pas obligatoirement l'adulte, une fois qu'il est lancé, une fois qu'il est dans la partie universitaire, on voit bien qu'il y a l'enfant, qu'il y a l'éducation qui rentre dedans. Jean-Pierre, toi qui te bats, depuis des années, sur l'enseignement de l'informatique notamment, j'aurais voulu avoir ta vision, et aussi avoir une petite question, entre guillemets, provocatrice à tous ces messieurs, j'allais dire de l'informatique, ou alors suffisamment intelligents ou très grands, c'est que, quand j'ai posé la question à mes cousines qui ont l'âge de ta fille Roberto, je leur ai dit « l'enseignement de l'informatique au lycée ! ». Elles m'ont regardé en disant « Ah ! Après les maths, après la physique, après la chimie, on va, en plus, avoir de l'informatique ? » Donc il y a aussi cet aspect-là qui est important, à la fois le public auquel on s'adresse, et, peut-être, la méthodologie et la façon dont on l'apporte. Si on leur apprend, aujourd'hui, l'informatique comme on leur apprend, on leur a appris peut-être les méthodes de français ou de la physique ! Donc voilà, ce sont les deux aspects que je voulais voir, c'est l'enseignement de l’informatique avec toi au lycée, mais aussi, pour des gens qui ne souhaitent pas obligatoirement travailler dans l'informatique.
Jean-Pierre Archambault : Oui. Alors moi, je rebondirai là sur ce que vient de dire Philippe. Il a parlé d'évolution très rapide des métiers, il a parlé de la formation continue, de la formation tout au long de la vie. Alors souvent, au nom de cette évolution très rapide, il y en a qui disent « oui, eh bien ce n'est pas la peine d'apprendre l'informatique telle qu'elle est, parce que ça bouge, ça va encore bouger ». Or, en fait, dans tous les domaines, que prouve l’expérience ? C'est qu'une condition nécessaire de la formation continue, c'est de pouvoir s'appuyer sur une formation initiale, au contenu, au fondamental, solides. Or, qu'est-ce qu'on constate à l'heure actuelle concernant l'informatique dans le système éducatif ? C'est un paradoxe. Le paradoxe, c'est quoi ? Roberto en a déjà dit deux mots. L’informatique, les sciences de l'information, c'est 30 % de la Recherche et Développement de part le monde, et uniquement 18 % en Europe. Michel Volle, quand il parle de l'informatisation, il parle de la forme contemporaine de l’industrialisation. L'informatique est une des sciences majeures du 21ème siècle. Le numérique est partout et l'informatique, qui est la science et la technique qui sous-tend le numérique, comme la biologie sous-tend la médecine, ou comme la physique sous-tend l'énergie, eh bien cette science et technique est, pour l'essentiel, on va voir qu'il y a eu une évolution récente, mais qu'il faut amplifier, pour l'essentiel, cette science majeure, elle est absente du système éducatif, de l'école primaire au lycée. C'est quand même un sacré paradoxe. Alors qu'est-ce que ça a comme conséquence ?
Il y a trois ans il y a eu le schéma stratégie, stratégique Recherche Innovation. Il y avait dans cette stratégie, dans cette opération, il y avait un groupe mathématique et informatique, et une des conclusions de ce groupe c'est de dire, il y a pour les ingénieurs et techniciens non informaticiens un niveau optimal en matière d'informatique, contrairement à ce qui passe pour les mathématiques et la physique. Alors comment illustrer ça ? Avec l'expérience de Gilles Dowek, qu'un certain nombre d'entre vous connaissent. Il était prof d'informatique à l’École Polytechnique et il raconte « Je suis venu à m'intéresser à ce qui se passait au lycée, au collège, en matière d'informatique, devant le constat que j'avais fait avec les étudiants qui intégraient l’École Polytechnique ». Et il disait « sur une promotion, il y en a un sur deux qui n'a jamais écrit une ligne de programme et, dans cet un sur deux, il y en a un nombre non négligeable qui choisit l'option minimale d'informatique au cours des deux ans de scolarité qui consiste à, en valeur absolue, trente heures d'informatique ». Autrement dit, des ingénieurs qui sortent d'une prestigieuse école, enfin tout le monde sait quel est le statut de l'École Polytechnique, les futurs ingénieurs sortent de leur scolarité en ayant fait, enfin un certain nombre, en ayant fait trente heures d'informatique dans leur scolarité. Vous imaginez des ingénieurs qui quittent le système éducatif en ayant fait trente heures de mathématiques ou trente heures de sciences physiques ? C'est complètement inimaginable. Et donc ce paradoxe-là, il dure depuis un certain temps.
Pour les plus anciens d'entre vous, dans les années 80, il y avait, dans les lycées, une option d'informatique, informatique générale en Seconde, Première et Terminale. Elle a été supprimée une première fois en 92, rétablie en 95, puis à nouveau supprimée en 98. Un certain nombre d'actions, on peut même parler de combats, ont été menés pour qu'on cesse avec ce paradoxe qui, en fait, ne concerne pas que les informaticiens, concerne aussi, on l'a vu, il y a une pénurie d’informaticiens, il y a les ingénieurs et les techniciens non informaticiens, il y a aussi, peu ou prou dans l'entreprise, tout le monde, je veux dire, tout le monde a plus ou moins à voir, d'une manière diversifiée, avec l'informatique et donc, il y a besoin d'un minimum de culture générale. Alors bon, on a réussi, il y a un certain nombre d'actions qui ont été menées, à ce que, en cette rentrée 2012, soit créé un enseignement de spécialité en Terminale S, optionnel, Informatique et Science du Numérique. Bon. C'est d'évidence un premier pas important, mais ce n'est qu'un premier pas, et le ministre a parlé de l'extension de cet enseignement aux Terminales ES et L.
Alors, en fait, la question qui est posée, c'est vraiment une question de culture générale de l'ensemble de la population, et de culture générale scolaire qui correspond à la culture générale de la population. Alors ça a été un peu abordé, ils font autre chose, des mathématiques, ils font de l'histoire, géographie, tout ça. Mais la culture générale scolaire n'est pas immuable. Le latin et le grec n'ont plus la place, aujourd'hui, qu'ils avaient il y a cinquante ans au lycée. En mathématiques. on ne fait plus des coniques ; la géométrie descriptive a disparu ; à la place probabilités et statistiques. Au début des années 70 a été créé un enseignement de Sciences Économiques et Sociales. Autrement dit, la question est posée, en permanence, à la société et à ses représentants, de faire évoluer la culture générale scolaire.
Alors la question qui est posée aussi, c'est comment le système éducatif donne t-il une culture générale ? Regardons à côté. Les sciences physiques utilisent les mathématiques. Pour autant, il y a un cours de mathématiques. Les SVT utilisent les mathématiques, les sciences économiques et sociales utilisent les mathématiques, pour autant, je répète, il y a un cours de mathématiques. Autrement dit, quand un champ de la connaissance est central, comment le système éducatif, l'enseignement scolaire, dont je rappelle que sa mission fondamentale c'est de donner une culture générale qui prépare les professionnalisations à venir, comment on donne une culture générale ? Eh bien on donne une culture générale par l'intermédiaire de disciplines clairement identifiées, avec des profs formés, des concours de recrutement, des programmes. Et donc, la question qui est posée, c'est de donner à l'informatique, dans le système éducatif, la place qui lui revient, de ne pas lui réserver un sort particulier.
Éventuellement, Roberto pourra rebondir, la réponse, qui n'en est pas une, qui a été donnée depuis quinze ans, c'est de dire : « on va donner une culture informatique à travers les utilisations de l’informatique dans les autres disciplines ». Qu'est-ce que ça veut dire ? Par exemple, ça veut dire que le professeur d'histoire-géographie qui étudie, ce matin j'entendais parler de l'assassinat de César, qui étudie cette période aux alentours de l'an 0, il n'a qu'à en profiter pour faire les entiers relatifs ! Ou alors, lorsque ce même professeur étudie en géographie la longitude et la latitude, il n'a qu'à étudier les coordonnées ! Voilà, ces quinze dernières années, la réponse qui a été donnée par le système éducatif à cet enjeu majeur de donner une culture générale informatique. Bien entendu ça ne fonctionne pas !
Jonathan Le Lous : Merci Jean-Pierre. On tient à souligner que, à défaut de pouvoir venir, la journée est sous le haut patronage du ministère de l’Éducation nationale. Donc, espérons que, dans les différentes tables rondes que tu vas animer il aura l'occasion, j'espère, d'avoir une oreille qui traîne... Mais on peut toujours ! Donc, aujourd'hui si je comprends bien avec tout ça, par rapport aux exemples que vous citiez François, il y a les exemples aussi de Roberto, aujourd'hui on a des pays, dont celui qui est le principal en numérique, peut-être, actif, qui va former ses élites, peut-être massivement, dans une logique d’informatique, d'innovation ouverte, dans l'objectif, en fait, de créer une élite de l'informatique, c’est-à-dire numérique, qui sera capable d'apporter. Donc, aujourd’hui, à travers ton exemple, à travers les exemples, mais que ça soit des élites, chez nous on a le système d’écoles d’ingénieurs, mais les élites universitaires aussi, comment on aborde ça dans notre pays ? C’est-à-dire, aujourd'hui, en gros, on dit, on a un secteur qui est un peu le secteur dans lequel il faut mettre de l'énergie, de l'innovation et on ne crée pas, on ne forme pas nos élites, on ne forme pas nos futurs ingénieurs, à être capables de travailler dans ces environnements-là ? C'est ça votre constat aujourd'hui ? Roberto ?
Roberto Di Cosmo : Ça serait intéressant de faire un panorama de tout ce qui existe dans tous les différents pays autour de nous. Il faut faire attention à ne pas trop généraliser les choses non plus aussi. Il y a des exemples super intéressants aux États-Unis, au MIT, à Stanford, mais je vous garantis qu'il y a des dizaines de milliers d'autres endroits dans lesquels on étudie. On n'a pas les moyens du MIT, on n'a pas les moyens de Stanford. Donc la formation informatique, pour moi, je ne peux que répéter les choses qu'a dites Jean-Pierre, très clairement. Donc, c'est un enjeu majeur, pour nos enfants, pour les nouvelles générations. Maintenant, on est déjà en retard si on a des besoins concrets qui existent dans le monde de l’entreprise auxquels on ne sait pas répondre suffisamment. D'ailleurs l'informatique c'est la seule discipline dans laquelle les étudiants qui sortent de toutes les formations, y compris celles qui ne sont pas prestigieuses, n'ont pas de difficultés à être recrutés. C'est le pendant de l'observation qui est faite dans les entreprises. Ils ont des difficultés à recruter, il n'y en a pas pas assez. Il faudrait peut-être en pousser un peu plus à aller dans ce type de formations-là.
Mais, à nouveau, il faut le faire d'une façon intelligente, parce que c'est vrai qu'il faut une formation pluridisciplinaire, parce qu'aujourd'hui on est dans un monde où on ne peut plus former seulement des gens à une seule discipline. Cela dit, avant de penser à la pluridisciplinarité, il faut s'assurer que les bases de la discipline elle-même soient bien posées. Malheureusement, en informatique, ceci n'est pas le cas. Si vous comparez avec les autres sciences, que ça soit les lettres, que ça soit les maths, que ce soit la physique, etc, là il y a 5 ou 6 ans d'études, voire plus pour les maths, d'études avant l'université qui sont là, qui ont fondé des bases de connaissance communes, de culture générale, sur lesquelles on peut construire, donc en arrivant au niveau de l'université on peut spécialiser d'un côté mais aussi ouvrir vers la pluridisciplinarité.
Dans le cas de l’informatique, ces bases ne sont pas là. Des fois, j'ai vu aussi des efforts dans lesquels on pousse les informaticiens à faire de la pluridisciplinarité partout et, finalement, après on n'existe plus. On n'a plus de ressources, on n'a plus de moyens pour tout faire. Il faut arriver à former des gens, d'abord, et après on va les ouvrir vers les autres disciplines. Faire tout en même temps, on peut essayer, mais ce n'est pas la même chose que dans certains secteurs que vous pouvez trouver en Inde. Par exemple, en Inde, la formation à l'informatique, on n'attend pas la première année d’université pour la faire, c'est quelque chose qui commence beaucoup plus vite en Inde ; ici ils s'en sont aperçus depuis longtemps.
Voila. Désolé, je ne vais pas donner une image trop négative. J'avais promis de revenir sur une note positive, donc je vais essayer, quand même, de le faire. Donc, je vois que les efforts de pas mal de bonnes volontés, qui ont un peu œuvré, des fois dans l’ombre, des fois sous la lumière, ces dernières années, commencent à porter leurs fruits. Donc, on a un début de formation à l'informatique qui apparaît dans les lycées. Je remarque cependant que, comme ça a été dit, que c'est une option dans la filière S. Donc, on est encore pas mal loin de ce dont on a besoin, mais c'est un premier pas. Dans cent ans on peut y arriver !
On observe, de l'autre côté, qu'on commence enfin à voir des cursus, des enseignants universitaires qui font vraiment l'effort de mettre leurs étudiants en connexion avec les communautés, et c'est ce dont on va parler cet après-midi, alors je ne veux pas casser le suspense. Il y a un effort qui a été fait de la part d'un certain nombre d'entreprises qui sont dans le monde du logiciel libre, de mettre en avant, mettre en valeur les qualités, disons, moi je regarde la partie pédagogique, mais disons, évidemment, il y en a d'autres qui sont mises en avant dans les entreprises, les qualités pédagogiques qui existent dans la formation en utilisant du logiciel libre. Je répète, ce n'est pas la formation au logiciel libre dans le sens je vous apprends à utiliser Open Office plutôt que Word, ça d'accord, mais ce n'est pas ça qui va changer le monde. Ce qui est important c'est, pour des informaticiens, leur apprendre comment contribuer à des projets réels. Qu'est-ce que ça veut dire les mettre en situation ?
Donc concrétiser ce vieux rêve, qui était le rêve de Patterson, je dis vieux, ça fait six ans, dans lequel on disait « vous voyez, en informatique, on a quelque chose d'incroyable que les autres disciplines n'ont pas ; et, en informatique, à travers la participation ou l'observation, l'analyse, l'étude des projets en logiciel libre qui sont ouverts, dont toute la procédure de fonctionnement est, d'une certaine façon, transparente. Ça ne veut pas dire qu'elle soit ouverte à tout le monde : si on essaye de rentrer dedans, on n'a pas les qualités, on se fait jeter comme des malpropres, mais on peut, au moins, voir comment ça fonctionne. C'est comme si un ingénieur de génie civil pouvait être parachuté magiquement, style Star Treck, téléporté au milieu du processus de prise de décision pour la construction du pont d'Aquitaine ; voir comment les ingénieurs s'y sont pris pour faire les projets, pour projeter tout ça. Donc, ça c'est quelque chose qui est techniquement faisable dans le monde de l'informatique, en utilisant les contacts du logiciel libre. Et c'est quelque chose qui est passionnant dans pas mal d’entreprises du logiciel libre aujourd'hui.
C'est pour ça que des fois, je dis des fois, ce n'est pas très général, des fois vous trouvez des personnes qui refusent des gros salaires dans des boîtes de service traditionnelles et préfèrent un salaire un un peu moins bien, un peu moins bon, dans une entreprise innovante, qui fait du logiciel libre, parce qu'il y a une satisfaction non monétaire qui est le fait de pouvoir participer à un projet collaboratif général qui les passionne. Alors, ce n'est pas le cas de tout le monde, ça reste relativement marginal, mais c'est quelque chose qui est un indice, ça nous donne une piste. Ça nous dit où est-ce qu'il faut aller. Il faut généraliser ça.
Ce qu'on va voir cet après-midi c'est qu'il y a un effort de la part des entreprises de s'engager à faire en sorte que les personnes qui vont aller chez elles, y compris en stage, puissent être mises en contact avec cette nouvelle façon de travailler, ensemble, sur des sujets technologiques passionnants, que vous retrouvez dans le monde du logiciel. C'est un signal fort. Comme c'est un signal fort le fait d'avoir une option, même si c'est seulement une option, d’informatique dans les lycées.
Je suis tout à fait d’accord avec ce qu'a dit François, ici à côté, il ne faut pas regarder que l'informatique. Mais, tu sais, nous on revient de loin ! C'est-à-dire l'informatique ouf ! On a du chemin à faire pour qu'elle soit finalement acceptée, en tant que science, à côté des autres, et pas juste marginalisée comme une technologie, ce qu'on a un peu de mal à faire. Mais je suis complètement d'accord, c’est un enjeu de société global, donc comment travailler autrement, comment travailler d'une façon plus collaborative et d'ailleurs si tu regardes dans le monde du logiciel libre c'est ce qu'on fait depuis très longtemps. D'une certaine façon, on montre la voie et, de l'autre côté, on est très peu reconnus là-dedans.
Mais je mets un petit bémol sur la note d'optimisme que tu as mise tout à l'heure. Dans l'école, n'oublions pas, le code et la programmation ce sont des sujets qui sont mal aimés en France. Parce qu'entre la mathématique abstraite, d'un côté, qui dit que l’important c'est de découvrir la structure, les algorithmes, les codes c'est pour les Indiens en sous-traitance. De l'autre côté, de grands ingénieurs des systèmes d’information qui vous disent « il suffit de faire des schémas des systèmes d'information, les codes on les sous-traite aux gens en Chine et en Inde », on a perdu de vue, qu'en réalité, le pouvoir, le vrai pouvoir, dans ce monde moderne dans lequel on est, est dans les mains des codeurs. Le pouvoir est dans les mains des gens qui sont capables de construire un système. Et construire un système, programmer bien, c’est difficile, c’est dur. Et le faire de façon collaborative, c'est encore plus difficile, c'est encore plus dur. Ce n'est pas évident. C'est quelque chose qui demande un effort particulier, qui demande de l’expérience, il y a des qualités humaines et pas seulement, comment dire, scientifiques, derrière. C'est un vrai travail. Ce n'est pas évident d'y arriver facilement.
Je suis d'accord que c'est un rêve vers lequel il faut tendre tous, mais ne pensons pas que ça soit juste suffisant de mettre un sujet sur le web pour que, magiquement, ce soit résolu de façon facile. Le crowdsourcing est très populaire aujourd'hui. Ça marche dans certains cas, très précis, et je ne suis pas sûr que si on mettait sur le crowdsourcing en évidence, « j'ai besoin d'un système de gestion de signalisation pour améliorer la vitesse de transport de la RATP », que vous allez voir, magiquement, une réponse avec un système qui fait deux millions de lignes de code, écrit de façon collaborative, émerger, comme ça, dans une semaine. Ce n'est pas comme ça. Les cas dans lesquels on répond sont très petits et très limités. Donc pour les gros systèmes, c'est autre chose.
En fait il y a un vrai travail derrière à faire. Il faut qu'il y ait une formation. Il y a des méthodes de travail et, encore une fois, ça doit s’enseigner. Là où je rejoins complètement François, aujourd'hui, c'est mon expérience et celle de pas mal de mes collègues, on est devenus experts en logiciel libre, on a des étudiants qui sont experts en logiciel libre, non pas grâce à la formation qu'ils ont reçue, mais malgré la formation qu'ils ont reçue. Et ça c'est quelque chose qui doit changer. C'est notre responsabilité de le changer, il faut essayer de le changer. On va le changer !
Jonathan Le Lous : Très bien. Merci. Donc François, je voudrais juste garder cinq minutes, en fin, pour justement parler rapidement de la charte libre emploi et de la cartographie, pour conclure. Eh bien, François, tu pourrais rebondir dessus, et après je donnerai le mot de conclusion pour respecter le temps de parole, à Jean-Pierre, sur ce sujet-là.
François Taddéi: Oui. Je voudrais répondre sur le point que tu disais tout à l'heure, sur tes cousines qui disaient l’informatique ! D'accord ? Mais tu pourrais leur parler de n’importe quelle discipline, ça serait probablement la même. D’accord ? Il y a un problème fondamental, c'est que les enfants s'ennuient à l’école aujourd'hui ! D'accord ? Et, pratiquement, toujours plus, et chaque génération un peu plus, parce qu'ils font, à chaque génération, des choses un peu plus attrayantes ailleurs, dans lesquelles ils ont de la liberté, et ils peuvent découvrir des tonnes de choses par eux-mêmes. Sauf que l'école c'est super formaté. Et donc si, effectivement, on leur propose des enseignements en informatique qui sont formatés, dogmatiques, et qui correspondent aux autres enseignements qu'ils ont jusqu’à aujourd'hui, ce n'est pas évident qu'on ait l’adhésion des foules et que, si c'est optionnel, ils le choisissent. Par contre, si on arrive à leur proposer des projets, si on arrive à les impliquer, si on arrive à leur montrer que, en faisant ce genre de choses, ils vont pouvoir arriver à faire des choses qu'ils ne pouvaient pas faire autrement, et qui correspondent à des envies qu'ils ont, alors on pourra faire énormément.
Je donne juste quelques exemples pour illustrer ce genre de propos. Si, par exemple, vous donnez du Scratch à des enfants, vous pouvez leur apprendre à coder, et vous avez l'impression qu'ils vont faire tout un tas de choses. Et en fait, souvent, si vous leur laissez la liberté, ce qu'ils vont faire, c'est qu'ils vont vous raconter une histoire, en utilisant Scratch, pour faire une animation. Il se trouve que c'est ce qui correspond, assez spontanément, aux envies qu'ont les enfants. Mais, en fait, ils vont avoir appris, de manière indirecte, tout un tas de choses sur ce qu'est c'est qu'une boucle, ce que c'est qu'une animation, donc c'est ça qui est important. Donc, ce qu’il faut, c'est leur offrir des cadres de liberté, et l'informatique est un outil très puissant qui, s'ils peuvent se l'approprier, leur permettra de faire des choses extraordinaires.
Par exemple, en Angleterre, il y a des associations qui permettent aux enfants de développer des applications pour leurs smartphones, pour changer leur propre vie et celle de leurs copains, etc, et faire de nouvelles choses. Et ça, ça marche aussi. Ils ont fait ça avec des étudiants non informaticiens aux États-Unis. Il y a des non informaticiens qui ont créé leur propre start-up à partir d’applications qu'ils avaient conçues eux-mêmes, et ce en à peine une trentaine d'heures d'informatique. Moi je n'ai pas eu plus de 30 heures d'informatique à Polytechnique, mais honnêtement, on ne m'a pas incité à créer ma start-up, on ne m'a pas incité à créer quelque chose qui soit fondamentalement intéressant. Donc, résultat, je n'ai pas fait beaucoup plus que les 30 heures minimum. Et c'est ça qui est dramatique. Ce qui est fou aussi, c'est que, honnêtement j'ai un certain âge aujourd'hui, mais ça n'a pas évolué. C'est même plutôt pire. Et donc, c'est là où il faut absolument arriver à changer. Il faut arriver à inviter les gens dans toutes les disciplines, mais, en particulier en informatique, à avoir une démarche créative, innovante et collaborative. Et à ce moment, évidemment, qu'ils vont avoir beaucoup plus envie d'en faire. C'est ça qu'il faut arriver à changer. C'est fondamentalement cette vision de « le code c'est sec, ce n'est que pour les geeks ». Non ! Ça peut être quelque chose de profondément amusant, et qui permet de réaliser des choses qu'on ne pourrait pas réaliser autrement.
Il faut aussi leur donner des rôles modèles. Il y a, par exemple, ce môme de 14 ans qui est au Chili, il se retrouve pris dans un tremblement de terre, il n'a pas spécialement apprécié l’expérience, il s'est dit « la prochaine fois qu'il y en a un, j'aimerais être au courant, au moins quelques secondes avant, pour avoir le temps de me planquer sous mon bureau, voire de sortir du bâtiment, si j'ai le temps ». Il a inventé avec de l'Arduino5, qui est de l'open source hardware, que vous devez connaître, et il a connecté ça à son téléphone portable, et ça envoie des SMS automatiquement pour dire il y a un problème et ça tweete. Et vous pouvez maintenant recevoir, si vous êtes au Chili, une alerte tsunami ou tremblement de terre et voilà. Et ça, c'est un môme de 14 ans qui a appris à faire ce genre de choses tout seul. Je pense qu'il y aura toujours des exceptions de ce genre, et elles existent toujours plus. Mais elles n'auraient pas été possibles il y a 20 ans ou il y a 40 ans. Pourquoi ? Parce que l'environnement a changé. Et ce qu'on peut offrir dans le milieu scolaire, c'est un environnement différent. C'est un environnement dans lequel on leur dit « Venez et contribuez à créer des choses » et, à ce moment-là, ils vont avoir envie. Les enfants d'aujourd'hui ont envie de créer. Si vous leur dites « il va y avoir des cours assommants, est-ce que vous avez envie de les prendre ? ». « Euh peut-être pas ! ». D'accord ? Donc c'est ça, c'est là où il faut leur dire « Savez-vous que vous avez dans la poche plus de puissance de calcul que la NASA en a utilisé pour aller sur la lune ? ». Il faut leur dire « Tous les combien vous allez sur la lune ? Vous pouvez aller sur la lune avec ce que vous avez dans votre téléphone portable. Vous pouvez transformer votre téléphone portable en un microscope, en un laboratoire ambulant. Vous pouvez faire des tonnes de choses avec. C'est un laboratoire à la fois pour les sciences, genre la physique la biologie et autre, mais c’est aussi pour les sciences humaines, vous allez pouvoir apprendre des tonnes de choses sur vous et votre environnement, et vous et votre réseau social ». Et c'est là où, si on les incite à créer, vous pouvez faire de la création artistique avec l'informatique. ProcessingProcessing, par exemple, a été conçu au MIT, à nouveau, et, encore une fois, c'est en open source, donc ce n'est pas grave que ça ait été créé au MIT, on s'en fout, ce qui compte c'est qu'aujourd'hui ce soit disponible pour tout le monde, et que des artistes, des designers puissent utiliser de l’informatique pour créer.
Je pense qu'on a besoin de l'élite informatique dont on a parlé, mais on a besoin que l’ensemble de la communauté s'en empare, et pas seulement comme des consommateurs, pas seulement pour comprendre ce qui s'y passe, mais pour pouvoir ouvrir la boîte noire quand on en a besoin et améliorer les choses. Je donnerai un dernier exemple. Il y a une jeune maman qui a eu un problème. Elle découvre que deux de ses enfants ont la même maladie génétique. Elle n'avait aucune formation scientifique. Aujourd'hui elle a soixante publications sur la maladie génétique de ses enfants ! Je pense que si on donne aux gens les outils qui vont permettre ce qu'on appelle de l'empowerment, en anglais, qui est un très beau mot dont on n'a pas de traduction française pour des raisons qu'on pourrait discuter par ailleurs, qui sont fondamentales, et l'informatique est un outil d'empowerment, et c'est pour ça que chaque citoyen doit pouvoir le maîtriser pour pouvoir, quand il a un souci, réussir à changer le cours de sa vie.
Jonathan Le Lous : Très bien. Pour préciser, par rapport aux expériences avant de donner la parole à Jean-Pierre, demain dans la journée Experiment, il y a justement des ateliers pour les enfants à partir de 6 ans, où on va les faire travailler justement sur le code, pouvoir coder des robots, donc des Legos, donc de quoi faire du code. Faire quelque chose, en fait, de plus attractif, l'internet, des objets, tout ça, et ça va vraiment, là, vraiment dans l'idée, ma fille y sera, de lui dire, de lui montrer que l'informatique ce n'est pas uniquement. Voilà, ça peut être appris très tôt, et ça peut être fait de façon très ludique. C'est là où j'allais renvoyer à l’enseignement. C'est super d'avoir un enseignant, quoi, quelqu'un qui a fait beaucoup de recherches, ou d'avoir des professeurs, vous êtes donc chercheurs, directeurs de recherche, tout ça, qu'il y ait cette approche-là. Mais, ’allais dire vous n’êtes pas dans l'enseignement, vous n'enseignez pas auprès des enfants. Vous êtes dans l'enseignement, excusez-moi, mais pas primaire. Donc ce sont les