Citation:
Sport
Zlatan Ibrahimovic, à Paris le 18 septembre. Foot, rugby, tennis, F1.. Tout le sport en direct
Sport
En direct
Roland-Garros
Brésil 2014
Football
Rugby
Formule 1
Tennis
Athlétisme
Natation
Basket
Sport et société
« La physique quantique a sauvé Wilkinson de la dépression »
Le Monde.fr | 23.05.2014 à 16h03 • Mis à jour le 23.05.2014 à 19h32 | Propos recueillis par Adrien Pécout
Abonnez-vous
à partir de 1 € Réagir Classer
Partager facebook twitter google + linkedin pinterest
Jonny Wilkinson, auteur de 26 points lors de la réception de Montpellier, lors du précédent championnat.
Sur le terrain, Jonny Wilkinson cessera bientôt de jouer les accélérateurs de particules. A 34 ans, ce monument du rugby prendra sa retraite à l'issue des deux finales qu'il disputera avec Toulon : contre les Saracens en Coupe d'Europe, samedi 24 mai à Cardiff, puis contre Castres, en Top 14.
Lire : Wilkinson annonce sa retraite en fin de saison
A l'approche de ces deux matchs, le physicien Etienne Klein, directeur de recherche au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), se remémore sa rencontre avec la star anglaise férue de physique quantique. Une discipline qui l'a tiré d'un mauvais pas au milieu des années 2000, à une période charnière de sa carrière.
Dans quelles circonstances avez-vous rencontré Wilkinson, en janvier 2011, lors d'une conférence intitulée « rugby quantique » ?
Etienne Klein : A la suite d'un article du Monde où Wilkinson parlait de physique quantique, la directrice de la communication d'une école d'ingénieurs, l'Ecole nationale supérieure de techniques avancées [ENSTA] a eu l'idée d'organiser à Paris une discussion entre ce rugbyman qui aimait la physique quantique et un physicien qui aimait le rugby. Au début, il était question que ce soit Albert Fert, Prix Nobel de physique, qui participe à la conférence. Comme il avait dû se décommander, je l'ai finalement remplacé en compagnie du physicien Jean Iliopoulos, même si, ni lui ni moi n'avions un passé de rugbyman.
Comment expliquer l'intérêt de ce rugbyman champion du monde (2003) pour cette forme de science aux abords si ésotériques ?
Jonny Wilkinson nous a expliqué qu'il avait découvert la physique grâce à la lecture d'un livre en particulier*. Dans le débat, on se rendait compte que cette lecture personnelle l'avait sauvé d'une espèce de dépression, après une terrible période de doute causée par ses blessures à Newcastle [surtout entre 2003 et 2008]. Il avait besoin de trouver un sens à l'Univers, parce qu'il était dans une forme de détresse personnelle.
En tout cas, il est clair que, par un mécanisme que je n'ai pas identifié, la physique quantique l'a aidé à admettre que, dans la vie, il n'était pas obligatoire d'être parfait. La perfection, on doit évidemment la viser, mais comme on ne peut jamais réellement l'atteindre, elle ne doit pas servir de critère absolu.
En quoi la physique quantique permet-elle d'arriver à ce raisonnement ?
En réalité, la physique quantique ne parle pas tellement de la condition humaine, du sens de la vie… J'ai plutôt l'impression que Wilkinson a puisé là-dedans parce qu'il y a trouvé des expressions, des métaphores ou peut-être des situations qui ont facilité sa compréhension du monde. Il avait besoin d'une « soupe » intellectuelle pour accepter la possibilité d'un échec sportif ou d'une blessure. Jusqu'alors, il avait une conception extrêmement morbide de tout ce qui pouvait l'éloigner du terrain et de sa quête de perfection.
Chez Wilkinson, cet attrait pour la physique quantique s'inscrit-il dans le prolongement de son initiation au bouddhisme ?
Oui, il s'agit davantage d'une démarche spiritualiste que scientifique. Wilkinson ne connaissait pas les théories scientifiques ou les équations de la physique quantique avec précision. Il s'en servait plutôt comme une manière d'interpréter le monde. Il a développé une vision holistique. Une vision peu commune qui consiste à interpréter la façon dont les particules interagissent entre elles. Selon elle, le monde correspondrait à une entité globale, avec des gens reliés les uns aux autres par des fils invisibles qui font que leurs comportements, en apparence très disparates et chaotiques, sont en fait très cohérents.
Une telle vision holistique peut-elle avoir des répercussions favorables sur la pratique du rugby ?
Par son étrangeté, la physique quantique lui a fait voir un autre monde que le sien. Il a saisi que des physiciens avaient découvert des tas de choses sur la Terre. Ces choses, même s'il ne les a pas forcément comprises, lui ont procuré un sentiment de détachement par rapport au rugby, qui, par la suite, a sans doute eu une influence positive sur ses performances sportives. Car jusque-là, il pouvait parfois avoir le sentiment que son univers se résumait au rugby, un truc obsessionnel auquel il pensait sans arrêt depuis sa jeunesse et auquel il avait condamné son corps à être le plus performant possible.
Remis de ses douleurs aux ischio-jambiers contractées début avril, Wilkinson n'est plus perturbé par les blessures, mais a quand même décidé d'en finir avec sa carrière...
Le fait qu'il prenne sa retraite alors qu'il est en ce moment en pleine forme illustre bien l'énorme travail qu'il a effectué sur lui-même. S'il n'avait pas eu ce cheminement intellectuel, il aurait sans doute voulu continuer jusqu'au bout, car il ne lui aurait pas paru concevable d'arrêter sa carrière alors qu'il dispose actuellement de toutes ses capacités physiques.
Les actes de cette conférence ont ensuite été publiés, sous le titre de « Rugby quantique ». Cette expression a-t-elle du sens ?
Non, on ne peut pas dire que le rugby soit un sport vraiment quantique. « Rugby quantique », ça signifie simplement, à mon sens, que l'on réunit un rugbyman et des physiciens. De ce point de vue-là, c'est clairement capillotracté, mais je garde un excellent souvenir de cette rencontre. Cette discussion avec Wilkinson fut passionnante. Si mes souvenirs sont exacts, il y avait environ cinq cents personnes dans la salle. Tous les ans, l'école qui nous avait invités organise des conférences spéciales. Celle-ci a été de loin la plus intéressante et la plus suivie.
Jonny Wilkinson avec le XV de la Rose, en 2010.
Comment avez-vous, malgré tout, essayé de relier ces deux domaines que sont le rugby et la physique quantique ?
Il y a des concepts venus de la physique quantique qui permettent de comprendre par le biais de métaphores ce qu'il peut se passer sur un terrain de rugby. De même que la physique quantique interprète les interactions en apparence chaotique des particules, le rugby donne également une impression de chaos, alors qu'il s'agit, là aussi, d'un chaos très organisé. Quand on ne connaît pas le rugby et que l'on voit des types par terre, on a l'impression d'assister à l'expression même du chaos, or en réalité, il s'agit d'une corrélation d'ordre caché.
Jonny Wilkinson partage-t-il cette conception du rugby ?
Oui, il nous a raconté comment l'équipe d'Angleterre, en 2003, avait construit l'action qui a entraîné son drop synonyme de victoire en Coupe du monde. Il avait expliqué que tous les gestes de cette action résultaient d'une concertation millimétrée, dont certains enchaînements demeuraient quasi invisibles pour les supporteurs. De manière générale, j'avais été impressionné par la capacité de Wilkinson à penser sa propre activité et à mener une réflexion sur sa propre condition de rugbyman. Pendant toute la conférence, il avait d'ailleurs tenu à s'exprimer en français, aux côtés du professeur qui lui a appris notre langue, à Toulon.
Quels souvenirs gardez-vous de ce conférencier hors norme ?
Ce gars-là a une personnalité absolument incroyable. Quelqu'un de très posé, qui réfléchit beaucoup, qui lit beaucoup, à l'opposé de l'image que l'on se ferait d'un joueur de rugby. Même physiquement, il n'était pas si imposant [1,77 m]. Pour préparer ma rencontre avec lui, je me rappelle m'être renseigné auprès de journalistes sportifs spécialistes de rugby. J'étais un peu intimidé. Mais en réalité, lui aussi !
Comme il avait oublié ses boutons de manchettes — ce qui, pour un Anglais comme lui, était assez grave —, j'étais censé lui en apporter une paire pour la conférence. Malheureusement, j'en ai perdu un sur le chemin... Pour détendre l'atmosphère, lorsqu'il m'a rencontré, Wilkinson a alors eu cette réplique incroyable : « Ce n'est pas grave du tout, il ne me reste plus qu'à me couper un bras ! »
* L'Univers informé : la quête de la science pour comprendre le champ de la cohérence universelle, de Lynne McTaggart, Editions Ariane (2012)
Message: http://www.vivelelosc.fr/t6396-Le-topic-scientifique.htm?p=192665