2013-09-13

1ère place  

 

Arrigo "Magic" Sacchi  

 

  

 

 

"Tactiquement, les anglais sont encore très en retard"  

"Le collectif est meilleur que l'individu"  

 

Il fallait bien un premier à ce top coach ; il fallait bien que ce soit Sacchi. Parce que le Mister, le vrai, c'est lui.   

Son titre de meilleur coach de tous les temps selon sofoot.com, son Milan, sa retraite, son métier, son évolution, son successeur : voici la première partie d'un entretien total football avec Arrigo « Magic » Sacchi.    

 

Parlons du métier d'entraîneur. Est-ce une vocation ? 

D'abord il faut qu'il y ait un talent. Mais il est encore plus important que ce talent soit alimenté par un grand amour, avec une certaine culture du professionnalisme. Il faut avoir la certitude de toujours pouvoir donner plus. Et puis il faut avoir une certaine sensibilité…

Laquelle ?  

Il y a quelques années, j'ai donné une conférence pour la Fédération anglaise. Et Mark Hughes m'avait demandé : « Comment t'as fait ? D'où est sorti ce Milan ? »  

Surtout dans un pays comme l'Italie, c'était inattendu. C'est venu grâce à la réunion de nombreux facteurs. Avant tout grâce à un club ambitieux, bien organisé, patient, et aussi compétent, qui nous a fait travailler dans les meilleures conditions possibles. Un club où le projet technique a pu prendre plus de place que les intérêts qu'imposent le merchandising et le marketing, un projet qui a fait comprendre qu'il fallait prendre les joueurs les plus fonctionnels pour le jeu que nous voulions réaliser. La différence s'est d'abord faite là : nous faisions le recrutement de personnes, de caractères, de personnalités en qui nous pouvions avoir confiance, sur qui l'on pouvait compter. Même dans le football, tout part de la personne, de sa motivation, de sa volonté, de sa recherche de l'excellence et de l'envie de travailler. Des personnes qui comprennent que sans le travail, il n'y aurait pas de résultats. 
À cette époque, vous vous rendiez compte que vous étiez en train de révolutionner le jeu ?
Non, on ne pensait pas faire ce que l'on a fait. J'ai posé la question à plusieurs joueurs : « Tu pensais qu'on allait devenir l'une des plus grandes équipes de tous les temps, toi ? » Personne ne s'y attendait. Donadoni, Ancelotti, Baresi… Mais, tout le monde faisait de son mieux. Quand j'y repense, on n'aurait pas pu donner plus. Et c'est le plus important. Après avoir gagné la Coupe en 1989, je me rappelle d'un superbe compliment de la part du journal L'Équipe, qui avait écrit : « Après avoir vu ce Milan, le football ne pourra plus jamais être le même. » J'ai toujours pensé que le moteur du football était le jeu. Et en partant de cette idée de jeu, j'allais chercher des personnes de confiance, et puis des joueurs fonctionnels avec ce système. Et nous nous sommes mis à travailler ensemble. Je n'arrêtais pas de répéter : « Le collectif est meilleur que l'individu. » L'individu peut te faire gagner un match, mais les exploits se font avec une équipe. Le football est un sport collectif avec des moments individuels, pas le contraire. Et pour faire tout cela, nous avons énormément travaillé. Énormément, j'insiste. Je me rappelle avoir invité Wenger, Houiller et Fernandez à Milanello. Ils étaient revenus en disant qu'ils n'avaient jamais vu une équipe travailler autant. Je me souviens aussi d'un joueur, qui avait fait cette plaisanterie lors d'une interview : « Durant la semaine, nous sommes exténués, et nous nous amusons le dimanche. » Et les joueurs n'étaient pas les seuls à prendre du plaisir. Je suis particulièrement fier d'une chose : quand je suis arrivé au Milan, il y avait 30 000 abonnés. Dès la deuxième année, nous en avions 66 000.

Pourquoi avoir arrêté si tôt, alors ?
Il y a une explication. Progressivement, en Italie, j'ai eu l'impression d'avoir gagné le droit d'avoir ma propre personnalité en tant qu'entraîneur, et d'exprimer mes propres idées. Or, l'Italie est un pays qui craint la nouveauté, et non seulement qui la craint, mais qui la combat aussi. Et je dois dire que j'ai eu beaucoup de difficultés pour faire passer le message… C'est pour cela, quelque part, que j'ai arrêté tôt. Enfin, je n'ai pas vraiment arrêté, puisque aujourd'hui encore je m'occupe de superviser toutes les catégories de jeunes de l'équipe nationale italienne. Mais bon, je n'ai plus senti l'envie d'entraîner. Il faut se rendre compte que j'ai commencé en 1972 et terminé quasiment en 1997. Cela fait vingt-cinq années que j'ai vécues à pleine vitesse, sans n'avoir jamais été viré, sans n'avoir jamais connu de rétrogradation, et en gagnant dans toutes les catégories existantes en Italie, en commençant par l'avant-dernière, en dilettanti, car mon niveau de joueur ne m'avait pas permis de sauter les étapes (rires). Quand j'ai commencé, je me rappelle que l'on travaillait avec une équipe de dilettanti. En présaison, on s'entraînait tous les jours, et on avait perdu tous les matchs amicaux. Finalement, on gagne le championnat. La seule explication au fait qu'ils ne m'avaient pas viré avant, c'est que je n'avais même pas de salaire, et même, je donnais moi-même une petite contribution.

Parfois, on fait un parallèle entre votre Milan et le Barça de Guardiola…
Je pense que sur les quarante dernières années, trois équipes ont permis à ce sport d'innover. Et de permettre au jeu de rester attractif. Car le football aurait pu dater dans le temps. Mais trois équipes ont fait le témoin, afin de faire passer des concepts généraux qui se sont ensuite imprégnés dans notre culture avec le temps : l'Ajax de Michels, mon Milan, puis le FC Barcelone. Celui de Guardiola. Car celui de Cruyff n'a pas laissé une empreinte aussi importante.

Après avoir entraîné avec une telle intensité ce Milan et puis la Nazionale, vous pensez qu'il était impossible de continuer ?
On peut faire le parallèle avec l'arrivée de Guardiola au Bayern… Je suis un ami de Guardiola et on s'écrit beaucoup. Il a vécu les mêmes problématiques que j'ai vécues : nous avons tous les deux pris ces équipes à un moment particulier, et nous leur avons tout donné, toute notre personne, tout notre temps. Moi, je lui souhaite évidemment qu'il puisse continuer. Mais moi, après vingt-cinq années vécues à mille à l'heure, je n'ai pas réussi. Lui, cela fait un peu moins de vingt-cinq ans (rires), j'espère bien qu'il y arrivera. En ce qui me concerne, au Milan ou en dilettanti, cela ne changeait rien : je faisais les choses avec la même intensité, la même émotivité, la même passion et la même concentration. Et j'ai adoré. Je me souviens très bien que lorsque l'on avait gagné le championnat des dilettanti, il n'y avait pas le bonheur de la Serie A ou le bonheur de la Serie B… Il y a le bonheur tout court. Du coup, je faisais les choses au maximum, et Guardiola, qui est un grand professionnel, fait les choses de la même manière. Et je lui souhaite de pouvoir continuer ainsi, car cela fait seulement quelques années qu'il entraîne.

Qu'est-il arrivé à son Barça ?
Son Barça avait de la génialité, et de l'innovation. Mais il fatigue, car il a perdu de l'intensité, son travail défensif, sa capacité du pressing. À la télévision ou même au stade, les différences semblent minimes, mais elles sont énormes. Dites-vous que le football, c'est exactement comme la musique. Dans un orchestre, si un musicien fait un accord légèrement trop tôt ou trop tard, ou alors trop fort ou trop faible, ce n'est plus la même musique. Dans le football, si un joueur part un demi-mètre plus en avant, ou un demi-mètre plus en arrière, trop tôt ou trop tard, cela change tout. Et ça, cela relève de la sensibilité de l'entraîneur. Il est le seul qui, durant les exercices à l'entraînement, peut voir les nuances que les autres ne pourront jamais réussir à voir. Dans le secteur de jeunes de la Nazionale, nous avons sept catégories, et il y a un protocole. Quand je vais voir les entraînements de toutes les équipes, je peux voir certaines choses : il y en a qui font tout mal, d'autres pas mal et d'autres directement bien. On peut voir quelques choses, mais on ne voit pas tout. Par exemple, quand j'étais au Milan, Berlusconi n'était pas content quand je faisais venir d'autres entraîneurs à Milanello. Mais je lui disais : « Ils peuvent comprendre l'exercice, mais pas ma sensibilité. » C'est comme du Beethoven. Ou par exemple, si un directeur d'orchestre souhaite faire jouer un opéra, disons la Tosca, la structure sera toujours là, mais si c'est un directeur lambda qui le dirige, cela fait toute la différence.

Aujourd'hui, en quel entraîneur vous retrouvez-vous le plus ?
À une époque, on parlait de Benítez comme le « nouveau Sacchi ». Je dirais quand même Guardiola. Mais si aujourd'hui je faisais l'entraîneur, les concepts généraux seraient les mêmes, mais les solutions seraient bien différentes. Heynckes fait un travail fantastique avec le Bayern Munich. Je me rappelle qu'il avait été mon adversaire en 1990, dans un Bayern-Milan. Cela en dit long sur l'évolution du football allemand et de notre propre évolution : à l'époque nous étions meilleurs qu'eux. Je me souviens que l'on avait gagné 1-0 à Milan, en dominant, un résultat mérité. Puis on va jouer le retour à Munich. À la fin de la première mi-temps, je me rappelle des statistiques. Tirs cadrés du Bayern : 1 ; tirs cadrés du Milan : 11. Et on avait déjà gagné l'aller 1-0 ! Aujourd'hui, en revanche, le Bayern a beaucoup de choses à enseigner à nos équipes italiennes, qui sont restées en arrière. La seule équipe, un peu, est la Juventus, et la Fiorentina, mais cette Juventus n'est pas encore compétitive. En Italie, on a encore du mal à comprendre le jeu, l'organisation.

Qu'est-ce que vous voulez dire ?
Quand on juge le Bayern, on ne parle que de son intensité physique ! Mais non, c'est avant tout de l'organisation ! Et de la motivation, du travail, la capacité de collègues de devenir une équipe avec un E majuscule. C'est comme ça que leur impact donne une impression dévastatrice. Ce soir, après le match, (ndlr : propos recueillis mardi soir dernier, après Bayern-Barcelone) ils disaient à la télévision italienne qu'il y avait eu plus de physique du côté du Bayern…  

Mais cela fait des années que toutes les équipes qui ont joué contre le Barça en Europe sont plus physiques que les Blaugrana ! Ils font tous 1m70.   

Ce n'est pas une question de physique, mais d'organisation. De cette capacité tactique à rester compact, tout en créant du mouvement et de la vitesse de jeu. C'est de l'organisation défensive et beaucoup de mouvements sans ballon. Et ce soir, la technique du Barça n'a pas supporté cette vitesse, ces mouvements sans ballon et cette défense collective des Allemands sur le pressing. Tout simplement, le Bayern, en ce moment, est supérieur au Barça. Une bonne organisation, de la vitesse, la bonne intensité, un bon jeu, une équipe complète. 
Et puis, au contraire des équipes italiennes, le Bayern fait dans la continuité depuis des années…
C'est essentiel. Progressivement, le Bayern a construit une équipe avec des joueurs qui sont tous adaptés au football total. Car c'est bien l'objectif ici : le football total ! Le football sera toujours plus un sport d'équipe, et la capacité de placement, de mouvement, le fait d'avoir onze joueurs en position active avec le ballon et sans le ballon, restera toujours fondamental.

Alors comment définir le football total ? Onze joueurs en position active ?
Onze joueurs qui jouent comme s'ils n'en étaient qu'un. C'est seulement ainsi que l'on multiplie les capacités de chacun. Qui est déjà bon devient extraordinaire, qui est extraordinaire devient un fuoriclasse, et qui est d'un niveau discret devient bon.

Dans une chronique sur Mario Balotelli, vous avez écrit qu’à votre époque, vous privilégiez le caractère de la personne et sa fonctionnalité au système plutôt que le talent. Vous concluez en disant que les valeurs se sont inversées aujourd’hui.  

En Italie, en général, on a toujours pensé comme cela. Moi, et quelques autres, on a voulu croire qu’avant toute autre chose, il faut qu’il y ait un projet technique. Et donc on allait chercher les joueurs les plus fonctionnels pour un seul et même système. Ainsi, l’idée était de rechercher des joueurs avec un sens du professionnalisme, de l’amour et de la passion à donner, une grande éthique de groupe, et enfin, du talent. L’exemple actuel de la Juventus va dans ce sens : tout le monde parle du « top player » qu’il manque. Mais non, on se trompe : il manque surtout onze joueurs fonctionnels à la Juve. Aujourd’hui, elle en a peut-être seulement cinq ou six capables de jouer un football total.

Quel tableau faites-vous de la situation des grands clubs italiens aujourd’hui ?
Pour la Juve, c’est avant tout de l’expérience, elle doit encore grandir. Mais il y a un super entraîneur, et une équipe qui joue un jeu différent de ce que l’on voit dans ce pays. En Italie, les équipes jouent un football pensif, individuel. On croit toujours que le jeu naît des pieds des joueurs. Mais non, le football doit naître de l’idée ! Un bon film n’est jamais né d’un acteur. Il grandit dans la tête d’un réalisateur, d’un scénariste, dans leurs idées. Après, cette idée doit être reportée sur le terrain et mise en phase avec les capacités de l’entraîneur à travers la disponibilité et l’habilité du joueur. Une habilité qui peut être agrandie ou réduite. Quand je suis arrivé au Milan, il y avait déjà certains bons joueurs. Mais ce sont les idées qui ont fait la différence : je voulais jouer un football de vitesse, avec onze joueurs toujours en mouvement.

Et les autres clubs, vous en pensez quoi ?
La Fiorentina joue pas mal, le Milan est dans un moment de transition, c’est difficile de juger. L’Inter est, il me semble, dans un moment de confusion. Je n’arrive pas à comprendre quel est leur projet technique, donc j’ai du mal à donner mon jugement à ce sujet. Il me semble qu’on a fait venir des joueurs très différents les uns des autres. Je ne sais pas exactement qui a choisi les joueurs, si c’est le club, le staff technique, l’entraîneur. Ce qui compte, c’est de garder un entraîneur longtemps, et de prendre des joueurs en fonction de ses idées à lui, en espérant qu’il ait de grandes idées. Mais bon, en Italie, il y a peu de patience. On part toujours du fait que le football est un sport défensif. Mais les inventeurs l’ont pensé comme un sport d’attaque ! On pense aussi que c’est un sport de spécialités, toujours individuel. C’est impossible, il y a onze personnes qui jouent ensemble, cela ne peut pas être un sport individuel ! Malgré tout, en Italie, on a une vertu : nous voulons gagner. Parfois même sans mérite, mais on veut vraiment gagner. Et on arrive à trouver en nous une certaine capacité agonistique, une concentration, une détermination. Et avec cette volonté de gagner, de quelque façon que ce soit, même non méritée, cela nous porte à être plus concentrés que les autres, plus déterminés.

En ce sens, quelle équipe est la plus italienne selon vous ?
Par exemple, le Napoli est une équipe à l’italienne, très italienne, qui se base sur la force, la grinta, la détermination. C’est un football où l’individu et la force physique ont la prépondérance sur le reste. Un football italien bien fait, avec un entraîneur très bien préparé, qui sait prendre les joueurs les plus aptes pour lui. Mais c’est un football qui n’a rien à voir avec celui pratiqué par le Bayern, le Barça ou même le Borussia, qui a pourtant une qualité infiniment inférieure à celle du Napoli, de Cavani ou Hamsik…

Parlons un peu des autres championnats. La Premier League plait beaucoup, mais n’est-elle pas devenue un championnat atactique, sans idée nouvelle ?
Tactiquement, les Anglais sont encore très, très en retard. Ils font les choses bien grâce à leur extraordinaire professionnalisme, l’engagement qu’ils y mettent, mais l’organisation tactique laisse à désirer. Depuis que les gros investissements sont arrivés, c’est là-dessus qu’elle s’est le moins améliorée. Le championnat anglais a grandi en termes de qualité de ses individualités, avec des joueurs importants, souvent étrangers. Mais elle doit encore faire un saut qualitatif dans la capacité organisatrice si elle veut réussir à faire jouer en Europe onze joueurs comme s’ils n’étaient qu’un. Il est encore là, l’objectif. On peut avoir les meilleurs joueurs au monde, leur production collective sera toujours limitée si ce cap n’est pas franchi. Après, ils ont certains avantages : leur professionnalisme, capacité de tout donner, aussi bien lors des entraînements que lors des matchs. C’est une grande base pour progresser. Il y a la volonté d’organiser le jeu, mais pas la culture. Disons qu’il leur manque une certaine sensibilité.

Vous dites que les idées sont ce qu’il y a de plus important. Est-ce que le fait de ne pas avoir été un grand joueur a influencé cette façon de voir les choses ?
Dans toutes les activités, que ce soit dans le spectacle ou dans le sport… Attends, est-ce que t’as déjà vu un bon film sans un scénario important ? Non ? Bah voilà. Après, tu peux avoir de grands acteurs, mais sans une vraie intrigue, il y aura surtout de la confusion. Sans script, il ne peut y avoir qu’improvisation. C’est ce qu’ont, malheureusement, un tas d’équipes. Après, les scripts peuvent être différents bien entendu…

Vous parlez beaucoup de cinéma, quel est le film préféré d’Arrigo Sacchi ?
Il y en a tellement… Je ne peux dire que merci au football, car cette activité m’a réalisé professionnellement, humainement et même économiquement. Mais bon, avec cette activité, je suis quelque part devenu monothématique : je n’ai suivi que le football. Et quand je faisais autre chose, j’avais l’impression de perdre du temps et de trahir la confiance que l’on m’avait donnée. Mais avant tout cela, j’aimais beaucoup le cinéma. La Dolce Vita, La Bataille d’Alger, même si cela date… Dernièrement, je dois dire que je l’ai moins suivi car à vrai dire, je n’ai pas le temps. Je travaille encore énormément. Demain matin (ndlr, propos recueillis mardi soir dernier) nous jouons avec l’U19 contre le Kazakhstan, l’après-midi je dois être à Coverciano car nous jouons avec la U21. Aujourd’hui, j’ai fait les entraînements du matin et de l’après-midi. Hier, pareil. Dimanche, j’étais à Milan pour commenter les matchs à la télévision. Samedi, je suis allé voir le Cesena en Serie B. Je travaille beaucoup, mais j’ai toujours pensé que quand il y a de la passion, le travail n’est plus qu’une conséquence logique. Et puis je crois que sans travailler, il est difficile de s’accomplir complètement en tant que personne.

Avez-vous déjà retrouvé cette idée d’osmose du football total dans le cinéma ou un autre art ?
(Il réfléchit longuement) Non, pour être honnête, je n’ai jamais fait le parallèle. Dans le football, c’est vrai que l’essentiel se résume à la capacité de savoir profiter du travail de tout le monde, de trouver une synergie. Ainsi, on trouve le bon placement et on réussit à donner une impression de bloc-équipe compact. Là, la connexion s’améliore, la synergie intervient, qu’elle soit petite, moyenne ou grande, et enfin les possibilités de succès d’une équipe se multiplient, tout comme les capacités personnelles des joueurs. Regarde, qui est le meilleur, entre Robben et Messi ?

Moi, je réponds toujours : cela dépend de qui sera dans quel rôle ! Si le jeu est aux mains de l’autre équipe, Messi pourra difficilement s’exprimer... Je sais que c’est un discours déjà difficile à comprendre pour beaucoup de monde. Mais regarde, pour imager : durant une guerre, imagine qu’il se présente la possibilité d’avoir un canon de très longue portée. Tu as du potentiel, mais si les munitions n’arrivent pas, tu ne peux pas tirer. Dans le football, c’est la même chose. Ce soir (ndlr: propos recueillis mardi soir dernier, après Bayern-Barcelone, et donc avant Borussia - Real...), le Barça n’a pratiquement pas réussi un seul tir cadré.   

Même avec Iniesta, Xavi, Sanchez, Pedro, et Messi… On a plus vu leurs défauts qu’autre chose. Ce qu’il s’est passé, c’est que l’autre équipe lui a pris l’initiative – donc les munitions – l’autre équipe s’est démontrée plus organisée, plus rapide, plus déterminée, et aussi dans de meilleures conditions. De l’autre côté, il y a un Barça qui, en ce moment, semble être fatigué physiquement et surtout mentalement. Le football est quelque chose de si complexe que seuls les ignorants peuvent penser que c’est la chose la plus simple au monde. 
Vous parlez de cinéma, de musique. Vous utilisiez déjà toutes ces références lorsque vous entraîniez ?
Oui, on utilisait ces thèmes car nous voulions gagner tout en méritant de gagner. D’où l’idée de mélodie, de plaisir, d’harmonie. Pour nous, une victoire sans mérite n’était pas une victoire. Je me souviens d’une victoire 2-0 contre Pescara, après laquelle j’avais le nez long.

Galliani vint me voir et me dit : « Dai Arrigo, on a le droit aussi, pour une fois, de gagner sans bien jouer ». La satisfaction la plus grande, je l’avais quand il y avait cette osmose avec le public, quand on sentait que le public était très reconnaissant de ce que nous lui offrions. Et dans un pays habitué à ne pas surprendre, ou changer… Pour nous, il ne s’agissait pas de chercher à surprendre, mais de faire les choses de la meilleure des manières. 
Quels ont été les meilleurs moments de votre carrière ?
Je retiens deux moments particulièrement exaltants. Le premier a eu lieu avec Parme, quand à l’avant-dernière journée, nous perdons à Cremone et nous ne montons pas en Serie A. Car malgré l’échec, les tifosi m’ont quand même porté en triomphe. Et le deuxième est arrivé quand on perd le championnat en 1990 avec Milan, et que les tifosi, à nouveau, me portent tout de même en triomphe. Dans un pays qui avait toujours et qui reconnaît encore aujourd’hui seulement la victoire, à ces moments-là nous avions compris que nous avions réalisé quelque chose d’important.

Avez-vous des regrets, par exemple pour la finale de 1994 ?
Non, absolument pas. J’ai toujours été très exigeant avec moi-même, et donc aussi avec les autres. Mais il est évident qu’aujourd’hui, je peux bien évaluer ce qui allait, et ce qui n’allait pas. Et mon opinion n’a pas changé pour autant. Après la finale, j’avais vu que cette équipe, notre Squadra Azzurra, avait donné tout ce qu’elle aurait pu donner en plus de ce qu’elle aurait déjà pu donner. Et pour moi… (il s’arrête) Je fais une parenthèse, malgré tout, cette finale est un grand résultat : je souhaite à tout le monde, dans sa propre activité, d’être deuxième au monde. Je pense que cela doit rester un motif de satisfaction pour moi et pour mon pays.

C’est ce que vous aviez dit dans les vestiaires après le match ?
Oui, c’est ce que je leur ai dit. Parce qu’avant de partir aux États-Unis, j’avais demandé aux joueurs à partir de quel résultat ils seraient satisfaits de leur Mondial, et la majorité m’avait répondu : « A partir des quarts ». Seuls quelques-uns avaient osé parler de demi-finale. Au bout du compte on arrive en finale… Et on perd aux tirs au but, ce qui ne revient pas exactement à « perdre ».



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