2014-06-10

Un coup à gauche, un coup à droite..

Jérôme Lavrilleux se confie... et balance (1)
Le Point.fr - Publié le 10/06/2014 à 11:51
Il a pleuré à la télé. Le Point a rencontré celui qui faisait le lien entre Copé et Sarkozy. Retrouvez en intégralité les confessions de Jérôme Lavrilleux.
Jérôme Lavrilleux le 25 novembre 2012 au siège de l'UMP, à Paris, quelques jours après l'élection contestée de Jean-François Copé à la tête du parti. © Kenzo Tribouillard / AFP

Il vient nous chercher à la gare de "Saint-Quentin dans l'Aisne" - ainsi qu'il l'a précisé trois fois au téléphone - au volant d'une petite Peugeot rouge. Nous emmène à quelques immeubles de là, chez Brochettes & Cie. Au moment de passer la porte de ce "restaurant-grill", Jérôme Lavrilleux se racle la gorge : "Je n'ai pas l'estomac à manger." Puis, avant que l'on ait eu le temps de les regarder, lui, son jean, sa chemise à carreaux, sa veste lainée et ses mocassins en daim, il ironise : "L'avantage, maintenant, c'est que je n'ai plus besoin de mettre de costume." Faux rire.

La veille au soir, 28 mai, il a eu envie d'en finir, il nous le dit de but en blanc, il a reçu un SMS du député Sébastien Huyghe l'informant qu'un journaliste lui avait demandé si Bastien Millot, le fondateur de Bygmalion, et lui étaient "encore ensemble". "C'était trop, c'était la goutte d'eau qui a fait déborder..." Sa voix s'étrangle, il lève au ciel des yeux qui soudain sont devenus liquides - le même débordement de souffrance que sur le plateau de Ruth Elkrief, trois jours plus tôt, ce soir où les Français l'ont découvert, lui, l'âme damnée de Jean-François Copé, cheville ouvrière à la jonction dangereuse du système Bygmalion et des comptes de campagne de Nicolas Sarkozy.

"Redoutable"

Il est midi chez Brochettes & Cie, il commande des blancs de poulet. Ses épaules ne le soutiennent plus, on les croirait brisées, il triture ses petites lunettes, il a les yeux d'un enfant triste. Il se les frotte. "Je suis né en 1969. J'ai le même âge que Bruno Le Maire. Je fais jeune, malgré la fatigue..." Il sourit avec lassitude. "Du rire aux larmes, il n'y a pas beaucoup." On repense alors à ce qu'ils nous ont tous (ses amis comme ses ennemis) dit de lui, depuis sa prestation lacrymale sur BFM TV : "Le problème avec Jérôme, c'est qu'il est tellement intelligent que tu ne peux pas ne pas te demander s'il n'est pas en train de te jouer un numéro..."

À l'UMP, Lavrilleux est soupçonné de tout - d'être plus fin que Copé, plus manipulateur, plus vicieux, plus habile, un grand marionnettiste en somme, à moins que ce ne soit un père Joseph, le capucin de Richelieu - sauf d'être inoffensif. "Redoutable", ils disent tous, avec sur les lèvres le goût du fantasme, de la fascination-répulsion, aussi, pour ce grand jeune homme trop mince qui a su comme nul autre se rendre indispensable non seulement à Copé, mais aussi à Sarkozy ! "Jérôme, c'est un génie politique, nous jurait Bastien Millot en janvier. Il est accro aux séries américaines politiques. "The West Wing", il connaît par coeur. Il a beaucoup plus de cynisme que Copé. Il est beaucoup plus méchant. Il voit la politique comme un jeu." Il a perdu, semble-t-il.

"Bipolaire"
Notre perdant confie tout à trac : "Ce sont les messages d'une de vos consoeurs qui me disait de tenir qui m'ont sauvé la vie." Des larmes roulent sur ses joues. À cet instant, clairement, absolument, il est sincère. Il s'accroche à son portable comme à une bouée. Un gentil SMS et il se sent revigoré. Sinon... "Vous imaginez mes parents qui vont lire ce genre de saloperies ? Je n'ai jamais été l'amant de Bastien. C'est ridicule !" On lui dit que Guillaume Durand a évoqué la question sur Radio Classique, la veille. Que Nicolas Sarkozy a plusieurs fois interrogé ses visiteurs à ce sujet, et encore récemment. Lavrilleux soupire. En a-t-il parlé à Millot ? "Il a éclaté de rire. Il a plus de force que moi..."

Certes, Lavrilleux est celui qui, le 18 novembre 2012, jour de la tristement fameuse élection ­ratée-truquée du président de l'UMP, somme Copé de se proclamer vainqueur. Celui qui, dans le bureau de son patron, prend ce dernier à part et le pousse : "Fillon va annoncer qu'il est élu, vous n'allez pas vous faire voler la victoire, il faut dire que vous avez gagné." Il est celui qui a le sang-froid d'aller, en pleine crise, donner une conférence de presse sur les fraudes de Nice. Mais il est aussi celui qui craque quand paraît le premier dossier du Point sur l'affaire Bygmalion, fin février. Nul ne le sait, mais il a conseillé à Copé de partir. "Il était prêt à tout lâcher", relate un membre de la direction de l'UMP, qui diagnostique chez l'ancien directeur de cabinet de Copé "une structure mentale bipolaire. Il est capable d'être acharné comme personne, grisé par le pouvoir, mais, pour peu que se fissure la considération dont il a besoin pour vivre, il s'écroule, et Lavrilleux part en vrille. Il est à vif, il peut brûler sa vie".

Ruth Elkrief en a fait l'expérience en direct le 26 mai. "Je ne pouvais pas le lâcher des yeux, pour qu'il continue, qu'il ne s'effondre pas", raconte-t-elle. La décision d'aller se confesser le lundi soir sur le plateau de la star de BFMTV, Lavrilleux l'a prise le dimanche, il n'a prévenu son ex-patron que deux heures avant. "Contrairement à Jean-François Copé, qui a cru jusqu'au bout qu'il pourrait rester, je savais qu'il serait obligé de partir le mardi matin, au terme du bureau politique, c'était inéluctable. Mais je ne voulais pas qu'il ait à partir pour quelque chose qu'il n'avait pas fait."

L'honneur

Aussi est-il venu le dire à la télévision. Que Copé ne savait rien, qu'il ne l'en a jamais averti afin de le protéger. Il le redit devant nous, ce jeudi d'Ascension - pas la sienne. Il aurait pu attendre que les magistrats le questionnent, il a au contraire voulu prendre les devants : quitte à mourir politiquement, autant le faire au champ d'honneur. L'honneur, il ne pense qu'à ça. Ne parle que de ça. C'est la seule fierté qui lui reste. Or il a besoin d'être fier de lui, Lavrilleux. "Je ne peux pas être l'idiot utile du village. Quand les enquêteurs vont voir que je n'ai pas pris de fric, ça va être un problème."

Il louait un studio meublé à Paris, qu'il vient de rendre. Son patrimoine tient en quelques lignes, répète-t-il : il est propriétaire d'une maison à la campagne, près de Saint-Quentin, qu'il retape chaque week-end avec son père de 71 ans. "À l'heure où je vous parle, il doit être en train de tondre la pelouse chez moi." Il ajoute qu'ils ont mis du double vitrage partout, qu'il s'est fait construire une piscine Desjoyaux, que c'est un ancien corps de ferme avec une vieille grange - il a mis la photo sur l'écran de veille de son iPhone. "Je l'ai achetée en 2006 et payée 400 000 euros. J'ai pris un crédit de vingt ans. J'ai 20 000 euros sur un livret A, 30 000 euros sur mon compte courant. J'ai 100 euros d'actions dans une société civile. Voyez, je m'en suis foutu plein les poches. Au bout de vingt-deux ans ­d'activité ­professionnelle ! Ils pourront venir retourner chaque latte de mon parquet, je n'ai rien à cacher, rien de rien."

S'il protège Copé, c'est pour "pouvoir se regarder en face", selon ses mots. Il en veut à ceux qui ne font pas comme lui : Guillaume Lambert, actuel préfet de Lozère et ex-directeur de la campagne de Sarkozy, et Eric Cesari, le directeur général de l'UMP. "Je n'ai pas une tête à chapeau, menace Lavrilleux. J'ai le sens de l'honneur, mais pas de l'abnégation. Cesari va faire croire qu'il était là juste pour s'occuper des serpillières et des balais. Il me charge. J'ai lu dans Le Figaro qu'il avait déclaré n'être au courant de rien. Je l'ai vu quelques minutes la semaine dernière. Il m'a dit être très en colère contre Copé, qui semblait vouloir se défausser sur d'autres. J'ai compris qu'il optait pour la lâcheté. Je ne me suis pas énervé, je ne m'énerve jamais."

"C'était une tournée"

Lavrilleux a la colère froide. Celle qu'il nourrit à l'endroit de Lambert est glacée. "Lambert devrait être à la une de tous les journaux. Lambert, c'est ce monsieur dont la compétence est universellement reconnue et qui, quand il était chef de cabinet du président de la République, a envoyé son patron faire le meeting de Toulon, le 1er décembre 2011. Vous savez, cette réunion publique payée par l'Élysée qui a été un des motifs d'invalidation des comptes de campagne par le Conseil constitutionnel. C'est Lambert qui s'occupait de ça à l'Élysée. Et ça, ça échappe à tout le monde !"

Lavrilleux, en effet, ne devient directeur de campagne adjoint du président-candidat qu'en février 2012, quand démarre la campagne officielle. " Beaucoup de gens ont alerté Lambert. Moi-même, plein de fois. En 2007, Sarkozy avait fait vingt-cinq meetings. En 2012, on en a fait quarante-cinq, dont trois géants. Chaque fois, on avait six caméras, deux cars régie. C'était une tournée." On sent l'excitation poindre à cette seule évocation. Il ne le nie pas : "J'ai adoré..." Pause. "Personne n'a eu le courage de dire stop à Sarkozy." Lui non plus ? "Je ne le voyais que lors des meetings. Le reste du temps, c'est Lambert qui passait commande."

Moine-soldats

Comment explique-t-il que nul ne se soit encore tourné vers Lambert ? "Il se fait oublier, il ne répond à personne. Il est énarque, il est préfet, ils se tiennent tous." Cette fois, c'est "le fils de garagiste" qui parle, comme il dit. Un peu plus tard, il nous posera des questions sur Aquilino Morelle, le paria du camp d'en face. "Il n'a pas sa carte, il n'est pas membre du club, comme moi... On ne fait pas partie de l'élite du 7e arrondissement de Paris. On ne pardonne pas aux fils de pauvres."

Chers complexes. Entêtants, y compris lors­qu'il s'agit de parler de... sa foi en Dieu. "Je suis un autodidacte, je n'ai pas fait d'études de philosophie, répond Lavrilleux-le-titulaire-d'un-BTS-de-commerce-international quand on lui demande s'il est croyant. Mais l'homme ne peut pas être juste d'essence chimique ou physiologique. Ce n'est pas possible. Sinon, ça ne vaut pas le coup." On insiste : il croit donc en Dieu ? "Oui, heureusement !" Sa voix s'est faite plus aiguë. "Je ne suis pas pratiquant du tout", souligne celui qui s'est marié à l'église en 1993 - avant de divorcer quatre ans plus tard. "Si je vais passer quelques jours chez des amis dans une ville, je fais un petit tour à l'église pour allumer un cierge." Un refuge pour ce moine-soldat qui ne boit ni café ni alcool, ne fume pas, ne fait pas de sport, jamais, ne prend ni anxiolytiques, ni antidépresseurs, ni somnifères et ne voit pas de psy - "Je n'ai jamais franchi le pas. Je pense que je devrais, surtout maintenant..." Mais pour l'heure il n'y a que Dieu et les cierges, rien d'autre.

Jérôme Lavrilleux (2) : "Ça n'ira pas jusqu'à Sarkozy. On est là pour ça, hein ?"
Le Point.fr - Publié le 10/06/2014 à 12:03 - Modifié le 10/06/2014 à 12:22
Le Point a rencontré celui qui faisait le lien entre Copé et Sarkozy. Retrouvez la suite des confessions de Jérôme Lavrilleux.
Le lundi 26 mai, sur le plateau de BFMTV, Jérôme Lavrilleux livre à Ruth Elkrief sa version de l'affaire Bymalion. © DR

"On est là pour ça, hein ?"

Qu'importe si nombreux sont ceux qui pensent, comme cet ancien ministre, que " Jérôme a basculé du côté obscur de la force ". Lui se voit comme un pur et dur." Une fois qu'on m'aura bien sali, ils saliront Cesari, et après ils se feront Lambert. Ça n'ira pas jusqu'à Sarkozy. Il n'y a jamais rien qui va jusqu'à Sarkozy. On est là pour ça, hein ?" Rictus désespéré. "C'est nos métiers, non ? Il y a celui qui conduit la voiture et il y a celui qui se fait des taches de cambouis sur son bleu de travail."

Pense-t-il que Copé peut échapper à une condamnation ? "Ils ne trouveront rien. Ils vont voir qu'il ne s'est pas mis 10 millions d'euros dans la poche. Politiquement, c'est dévastateur. Mais pas juridiquement." Et Sarkozy ? "Ça nuit un peu plus à son image, mais il n'y aura pas de décision d'inéligibilité contre lui. Dans un monde idéal où chacun aurait le même sens de la responsabilité que moi, Sarkozy devrait dire : "Je n'ai pas su, mais c'est ma responsabilité.''"

Lui qui, depuis la campagne, était en contact direct et régulier avec Sarkozy - il lui parlait plus souvent que Copé ne le fit jamais -, lui à qui l'ancien président avait, le 15 octobre 2012, remis les insignes de chevalier dans l'ordre national du Mérite, n'a eu " aucune nouvelle de Sarkozy depuis le premier article du Point. Cela ne m'a pas empêché d'être d'une correction extrême. J'aurais pu dire à Ruth Elkrief : "La ventilation des comptes, ça s'est déroulé dans le bureau d'Éric Cesari avec Guillaume Lambert et quelques autres personnes. Je n'étais pas là. Une des personnes présentes m'a garanti qu'elle avait informé Nicolas Sarkozy.''"

Tomber de l'armoire

Il sourit douloureusement." Je ne dis pas que ça s'est passé comme ça, mais... Toute ressemblance avec des personnes existantes n'est pas fortuite..." Rire jaune. "Tout le monde s'est rendu compte que cette campagne coûtait une fortune. C'est facile de ne pas se poser la question. Je n'en veux pas à Sarkozy. Chirac, il a envoyé au cimetière combien de personnes lui ayant rendu service ?" Silence. "Il y aura bientôt un écho dans un journal où on pourra lire que Sarkozy s'est senti trahi, que c'est quasiment un viol, ce Lavrilleux à qui il faisait confiance, qu'il est tombé de l'armoire... " Ô amertume - il y en a tant, dans son ricanement. "En ce moment, tout le monde prétend tomber de l'armoire. C'est le sport actuel. L'avantage, quand tu tombes d'une armoire, c'est que tu ne tombes pas de haut. "

"Tomber de l'armoire", c'est exactement ce que dit Copé aux ténors de l'UMP. "Je suis tombé de l'armoire. Jérôme ne m'a jamais parlé de rien." Sur TF1, il a incriminé des "collaborateurs qui ont abusé de [sa] confiance." Il feint d'être furieux contre Lavrilleux. Lequel rétorque : "Il n'est pas en colère contre moi." Après son passage chez Ruth Elkrief, Copé l'a appelé. "Il m'a dit qu'il était triste parce qu'il sentait que ça me rendait malade. Il m'a dit que j'avais du courage. On s'est encore parlé hier au téléphone. Il me demandait "Comment ça va ?'' et moi aussi je lui demandais "Comment ça va ?''"

Garde-chasse

Ce ne sera pas facile, pour Copé, de se passer de son plus proche conseiller. Lors du bureau politique de mardi, "Jean-François était seul, paumé, raconte un participant. Ça se voyait dans ses yeux, dans la façon dont il regardait son portable. Jérôme l'avait marabouté." Le lui rapporte-t-on que Lavrilleux hausse les épaules : "Ça leur rend service de penser ça. C'est un moyen pour eux de rabaisser un peu plus Jean-François Copé." Peut-être. Mais il y avait, entre les deux hommes, ce qui unit le garde-chasse à son seigneur et maître : le premier est meilleur chasseur que le second, leurs rituels de prédateurs se nourrissent de ce déséquilibre.

"Je n'ai fait ce que j'ai fait en politique qu'en étant amoureux, nous affirme Lavrilleux. De Pierre André [NDLR : le sénateur de Saint-Quentin], de Chirac, de Copé, de Sarkozy." "Amoureux" de Copé, vraiment ? "Il fait partie des très rares personnes qui ont la capacité de résistance physique et psychologique pour mener le combat suprême. Cela ne m'empêche pas d'être lucide sur ses défauts." La lucidité, l'obsession de Lavrilleux. "Copé ne sent ni les situations ni les gens, nous exposait naguère son compère Millot. Jérôme, si."

"Des gens morts de l'intérieur"

Au point de se croire tout-puissant, souvent, trop souvent. Ces (mauvaises) habitudes-là ne se perdent pas. Il n'est que d'entendre le reclus de Saint-Quentin, aussi impitoyable que du temps de sa splendeur, passer en revue le personnel politique : "Le problème dans ce milieu, c'est qu'il y a des gens morts de l'intérieur : Baroin, Juppé. Copé ne l'est pas. Fillon non plus, lui il est complexé de l'intérieur, il est dans l'auto­émasculation tout en ayant besoin de prouver sa virilité. Wauquiez, c'est une raclure. NKM, ce n'est pas une belle personne. Le Maire est très sympa et vivant, alors qu'il a l'air d'un poisson froid. Sarkozy, c'est le plus vivant de tous, mais à quoi ça sert ?"

Quand, après quatre heures d'entretien, on quitte le restaurant, il nous prend à témoin : "Vous avez vu, personne n'est venu m'insulter." Il ressemble à un premier communiant. Son smartphone clignote, il pianote dessus : "Mon troisième de liste vient d'appeler à ma démission du Parlement européen." Son oeil est désabusé. "Ils ne peuvent pas me forcer à démissionner, c'est certain", assène-t-il pour triompher de son angoisse, avec la même intonation farouche que lorsqu'il nous certifie ce dont il aimerait être sûr : "Mon avocat dit que je ne ferai pas de prison." La minute d'avant, il dégainait le bouclier de la dérision : "J'adorerais avoir des enfants. Ils viendraient me voir au parloir."

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Message: http://www.vivelelosc.fr/t1477-Presidentielle-2012.htm?p=193711

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