2014-10-08

Jean-Paul Gouteux était un ami et un compagnon de route avec qui j’ai collaboré dans la lutte contre le négationnisme et l’impunité des génocidaires en France. Il était horrifié par l’immense implication de son pays, la France, dans ce Crime des crimes.

Ses recherches et publications sur ce sujet en ont éclairé plus d’un. En mars 2005, je l’avais rencontré à Yaoundé, très bien portant, sans m’imaginer un seul instant qu’il allait nous quitter si tôt. Quelques années auparavant, c’était un autre ami commun, Gilles Durou, de Bordeaux, qui disparaissait après avoir mené un long combat judiciaire contre le Dr Sosthène Munyemana, impliqué dans le génocide à Butare.

Jean-Paul Gouteux et Gilles Durou partageaient le même engagement pour la justice etla mémoire du génocide. Le rôle de l’Église dans le génocide était l’un des thèmes majeurs de la recherche que menait Jean-Paul Gouteux sur le Rwanda, et c’est assez significatif que son dernier ouvrage soit justementconsacré aux errements de l’Église catholique dans le génocide des Tutsi1.

C’est en l’honneur de sa mémoire, dans la continuité de ses recherches, que j’ai volontiers accepté la proposition des rédacteurs de ce deuxième numéro de La Nuit Rwandaise de rédiger ce modeste article en signe d’hommage à ce grand homme, d’heureuse mémoire, un ami de toujours.

AU COMMENCEMENT DE L’IDÉOLOGIE GÉNOCIDAIRE AU RWANDA, L’ÉGLISE EST IMPLIQUÉE

C’est en 1957 que fut rédigé le célèbre « Manifeste des Bahutu » considéré de nos jours comme le texte fondateur de l’idéologie génocidaire au Rwanda dans la mesure où il inaugura une politique raciste basée sur l’exclusion de la minorité ethnique. Ce texte est l’œuvre de deux missionnaires, le Chanoine Ernotte et le Père Arthur Dejemeppe, sous la supervision de Mgr Perraudin. D’autres missionnaires se montrèrent très actifs dans sa vulgarisation, via les mouvements d’action catholique implantés dans toutes les paroisses du Rwanda. Citons les Pères Massion (fondateur de la revue Dialogue), Noti, Jules Gijssens, De Cannière, Walter Alvoet, ainsi que des prêtres rwandais formés par ces missionnaires, tel l’Abbé Jean-Marie Vianney Rusingizandekwe. Le SECA (Secrétariat de l’enseignement catholique) fondé par le Père Naveau, s’activa quant à lui dans la diffusion de ce « Manifeste » auprès de la jeunesse estudiantine des écoles secondaires.

À la suite de ce texte, un parti politique dénommé Parmehutu (parti pour l’émancipation du peuple hutu) fut créé avec un large soutien des Missionnaires. Comme son nom l’indique, ce parti consacre la suprématie du groupe ethnique majoritaire comme symbole de la démocratie. En 1959, Mgr Perraudin publia une lettre pastorale peu avant la période de carême dans le but de fustiger les injustices sociales en cours, mais le ton et les termes utilisés constituèrent plutôt une incitation et un encouragement des Hutu à débuter les premiers massacres visant les Tutsi. En 1963, le Parmehutu organisa des massacres identiques dans la préfecture de Gikongoro. C’est ce qui fut appelé le « petit génocide » dans lequel 20.000 personnes d’ethnie tutsi trouvèrent la mort2. À Cyanika, ma région natale, le Père De Vincke, surnommé Rufigi, se plaça dans la cour de l’église, devant une foule de tueurs, et tira en l’air en déclarant : « Tuer un Tutsi n’est pas un péché ! » en guise d’incitation aux massacres ethniques.

En 1973, un « Comité de salut public » composé d’étudiants hutu fut créé sur instigation de l’Abbé Naveau, professeur au Collège du Christ Roi de Nyanza. Il fera des ravages dans plusieurs écoles secondaires du pays, sommant les étudiants tutsi de déguerpir et les contraindra de s’exiler. Plusieurs étudiants membres de ce Comité criminel, formés au Collège Christ Roi, se distingueront plus tard dans la propagation de l’idéologie génocidaire, tel Léon Mugesera et le colonel Pierre-Célestin Rwagafilita. La même année, desFrères Joséphites tutsi furent massacrés à Kabgayi et l’Église ne prononça aucun mot de condamnation de ces assassinats de Religieux. De 1973 à 1994, le président Habyarimana mit en place une politique dite d’équilibre ethnique et régional, excluant les Tutsi de leurs droits civils, économiques et politiques. L’Église approuva aveuglément cette politique et la défendit avec acharnement. Durant ces années, l’Église et l’État firent cause commune dansla conduite des affaires publiques, transformant le pays en un État pratiquement catholique. À titre d’exemple, aucune nomination d’évêque ou de supérieur d’une congrégation religieuse ne pouvait se faire sans le consentementdes hautes autorités politiques de l’État. Le cercle restreint du pouvoir, animé par l’épouse du président de la République et par le colonel Sagatwa (secrétaire particulier du Président), téléguidait ces nominations3.

En septembre 1990, le pape Jean-Paul II visita le Rwanda. En préparation de cette visite, cinq prêtres rwandais du diocèse de Nyundo eurent le courage de rédiger une lettre aux évêques en réagissant à une lettre pastorale du 28 février 1990 dans laquelle les évêques avaient soutenu la politique d’équilibre ethnique et régional pratiqué par le régime et qui excluait les Tutsi de la jouissance des droits fondamentaux les plus élémentaires4. Ces prêtres interpellaient leurs évêques sur la nécessité pour l’Eglise de ne pas se laisser « inféoder par le pouvoir séculier » et posaient clairement la question des réfugiés rwandais comme une priorité à exposer au Pape. Mgr Vincent Nsengiyumva, archevêque de Kigali et ami intime du Président Habyarimana, achemina la lettre aux services rwandais de renseignements et cette dénonciation valut la prison à l’un des signataires, l’Abbé Ntagara, soupçonné d’en être l’instigateur. Ce prêtre irréprochable sera tué pendant le génocide à Nyundo, dans des conditions atroces5, le 7 avril 1994.

LORS DU CONFLIT ARMÉ, L’ÉGLISE SE POSITIONNE CONTRE LE FPR ET DEVIENT COMPLICE DU RÉGIME

Le 1er octobre 1990, le FPR prit les armes pour combattre la politique d’exclusion pratiquée par le régime rwandais depuis une trentaine d’années.L’Église fournit beaucoup d’énergies pour la défense de cette République ethniste. Les Pères blancs furent actifs dans cette campagne. Le Père Guy Theunis, avec le soutien de son supérieur Jef Vleugels, rédigea un document de soutien au régime qu’il fera signer par une centaine d’expatriés pour être publié le 16 octobre 1990. La quasi-totalité des signataires de ce document sont des missionnaires œuvrant au Rwanda, lesquels n’hésitèrent pas à identifier les Tutsi comme des ennemis du pays ou des complices, souvent en utilisant un langage partisan identique à celui d’un belligérant. Ils proclamèrent ensuite la mobilisation internationale en faveur du régime du président Habyarimana : « Se mobiliser pour apporter le maximum d’aide à ce régime ne sera en aucune manière une intrusion dans un conflit intérieur, mais un soutien à un État de droit, malheureusement appuyé par la population et aujourd’hui agressé de l’extérieur », écrirent-ils dans ledit document.

Dans la suite, Guy Theunis et Jef Vleugels entamèrent la publication d’une série de documents périodiques sur le conflit et les envoyèrent au monde entier sous forme de télécopies6. Ils affichèrent dans chaque parution une haine farouche du FPR et se montrèrent comme les porte-parole du régime rwandais et de son armée : « Nous cherchons une explication logique à ces attaques des Inkotanyi…Militairement sans issue pour eux, elles ne font qu’attiser le feu de l’opposition ethnique à l’intérieur du pays »7. Dans d’autres Fax, le FPR est qualifié d’ennemi par ces missionnaires ou plus poliment d’assaillants : « L’ennemi ne dispose comme armes lourdes que des mortiers de 60 mm et de quelques roquettes »8 ; « les dernières semaines, les opérations ennemies se limitaient à quelques incursions ou pillages »9 ; « Un grand nombre d’assaillants auraient trouvé la mort, mais leurs cadavres furent, comme d’habitude, ramenés d’Ouganda par des survivants »10. Parlant d’une attaque du FPR à Ruhengeri, Jef Vleugels loua la bravoure des soldats de Habyarimana tel un inconditionnel du régime : « L’école des catéchistes est libérée par des commandos de l’armée rwandaise avec calme et méthode. Ce sont de vrais soldats »11 !

Dans un autre Fax daté du 19 mars 1992, le même missionnaire écrit : « l’agression dont le Rwanda a été victime a été présentée à travers les médias occidentaux comme une tentative des réfugiés pour revenir dans leur pays d’origine. […] Mais nous savons que sous ce prétexte il y a eu principalement l’ambition d’un groupe féodo-monarchiste de renverser le pouvoir actuel et de restaurer un régime rejeté par la très grande majorité de la population ». Les Fax des 10 et 23 mars 1992 évoquent les massacres du Bugesera, mais minimisent leur ampleur, et surtout les justifient au motif que les Hutu auraient tué les Tutsi pour prévenir les assassinats que ces derniers s’apprêtaient à commettre sur les premiers. C’est exactement le même langage que tenaient les inconditionnels du régime. Bref, les Missionnaires, essentiellement les Pères blancs du Rwanda adoptèrent tout au long du conflit rwandais une ligne de conduite pro-gouvernementale, feignant d’ignorer le problème des réfugiés à l’origine de la guerre.

Jean-Paul Gouteux écrira fort justement à propos de ces télécopies des Pères blancs : « Cette masse de dépêches mensongères dispatchées dans les Agences, servait à alimenter la presse. Les deux compères dissimulaient la réalité des massacres des civils tutsi qui se déroulaient à l’intérieur du pays, loin de la ligne de front. Ils se contentaient de criminaliser le FPR alors qu’en réalité les exactions et crimes de guerre étaient moins le fait du FPR que de l’armée rwandaise et de son allié zaïrois. Le FPR, qualifié “d’agresseur” avait surtout le tort de remettre en question l’ordre racial de la République hutu, en professant le panafricanisme, le refus de l’ethnisme et de ses discriminations »12. Effectivement, de 1991 à 1993, des Tutsi du groupe appelé « Bagogwe » furent régulièrement massacrés dans les préfectures de Ruhengeri et de Gisenyi, sous l’instigation des autorités administratives et militaires. Souvent, des prêtres étaient de connivence avec ces autorités et participaient aux tueries, comme à la paroisse de Janja où les Abbés Jean-Baptiste Rwamayanja et Wenceslas Karuta incitèrent et encouragèrent la population hutu à commettre des assassinats sur les Tutsi. Les évêques catholiques ne seront pas plus modérés et épousèrent la même analyse ethniste que celle des Missionnaires. Ils écrirent sans hésitation que : « l’agression dont le Rwanda a été victime a été présentée à travers les médias occidentaux comme une tentative des réfugiés pour revenir dans leur pays d’origine et y instaurer un nouveau régime. Cette raison a pu jouer dans le déclenchement de l’attaque perpétrée contre le Rwanda, mais nous savons que sous ce prétexte il y a eu principalement l’ambition d’un groupe féodo-monarchiste de renverser le pouvoir actuel et de restaurer un régime rejeté par la très grande majorité de la population »13.

Lorsque des accords de paix sont signés à Arusha dans l’espoir de mettre fin au conflit armé et d’instaurer la démocratie au Rwanda, l’Église sera profondément divisée à l’instar des partis politiques, une partie du clergé rwandais et missionnaire soutenant ouvertement la tendance hutu power. L’abbé Gabriel Maindron réclamera l’intégration de la Coalition pour la Défense de la République (CDR) dans le gouvernement de transition à base élargie, ce qui constituait une légitimation pure et simple d’un parti raciste14. Ce prêtre français, très proche des extrémistes de la CDR, s’impliquera très activement aux côtés du bourgmestre de Rutsiro, M. Benimana Raphaël, qui menait les massacres dans cette commune. Ce dernier fut suspendu le 9 février 1993 par le conseil du gouvernement sur pression des organisations de défense des droits de l’homme et l’Abbé Maindron soutiendra sa cause jusqu’à faire signer une pétition en sa faveur aux adhérents de la CDR de la commune Rutsiro15 . En réaction, 210 personnes représentant la population de Rutsiro adressèrent une lettre au ministre de l’intérieur et du développement communal le 19 février 1993 pour appuyer la révocation du bourgmestre.

Pendant les années 1992-1993, des enquêtes d’organisations des droits de l’homme, de l’ONU et la presse internationale révélaient la nature criminelle du régime et l’implication des plus hautes autorités dans la perpétration des massacres à caractère ethnique, des assassinats d’opposants politiques et des actes de génocide, mais les Missionnaires, continuèrent à proclamer l’innocence de ce régime jusqu’à se considérer eux-mêmes comme des agressés du FPR. Dans un document publié par seize Pères blancs du doyenné du Mutara (nord-est du Rwanda) le 10 février 1992, ils écrivirent que : « Ne pas faire connaître au Rwanda et au monde entier ce qui s’abat sur le pays fait le jeu de nos agresseurs, eux, qui manipulent sans vergogne la désinformation. (…) Malheureusement la victoire d’octobre 1990 et les succès de ces derniers jours n’ont pas mis un terme à l’agression »16 !

PENDANT LE GÉNOCIDE, L’ÉGLISE NE SE DÉMARQUE PAS DES TUERIES

Immédiatement après le crash de l’avion de Habyarimana, des prêtres tutsi figurent parmi les premiers à être tués au Centre Christus de Kigali. Ce cas de figure souvent oublié servit de signal aux tueurs pour institutionnaliser l’irrespect d’aucun lieu sacré au cas où les Tutsi y trouveraient refuge. Dans la plupart de paroisses et de couvents du Rwanda, des prêtres et des religieuses participèrent individuellement au génocide de manière active en tuant ou enfaisant tuer leurs confrères et consœurs. À Nyange (Kibuye), l’Abbé Athanase Seromba donna l’ordre de tuer des Tutsi regroupés dans l’église17. Ce prêtre officiait à Florence, en Italie, de 1997 à 2002, sous un faux nom18 avant d’être inculpé par le TPIR. Il avait été exfiltré de Bukavu par l’entremise des Pères Xavériens, des Frères maristes et de la Caritas italienne. À Nyanza (Butare), l’Abbé Hormisdas Nsengimana ordonna l’assassinat de quatre de ses confrères, les Abbés Callixte Uwitonze, Innocent Nyangezi, Jean-Bosco Yilirwahandi et Matthieu Ngirumpatse19 . À Muganza (Gikongoro), l’Abbé Joseph Sagahutu s’activa aux côtés du sous-préfet Damien Biniga dans les massacres commis dans cette paroisse ainsi qu’à Kibeho. Il vit en Belgique.À Gatagara (Gitarama), le Frère Jean-Baptiste Rutihunza des Frères de la Charité organisa le massacre d’enfants handicapés et de membres tutsi du personnel du Centre qu’il dirigeait.

Au couvent des sœurs bénédictines de Sovu (Butare), les Sœurs Consolata Mukangango (Gertrude) et Julienne Mukabutera (Kizito) livrèrent des bidons d’essence aux génocidaires qui incendièrent ensuite le lieu de refuge des 7000 Tutsi qui espéraient trouver asile au monastère20. À Kabgayi (Gitarama), l’Abbé Emmanuel Rukundo21 (aumônier militaire) livra des Tutsi aux miliciens. Parmi les victimes qu’il fit tuer figurait son confrèrel’Abbé Alphonse Mbuguje. À Butare, les Abbés Etienne Kabera et Thaddée Rusingizandekwe seront à la tête des massacreurs qui livrèrent des attaques meurtrières aux Tutsi réfugiés à la Procure et au Groupe scolaire officiel. Thaddée Rusingizandekwe quitta Butare et participa, le 14 avril 1994, à un massacre d’extermination des Tutsi à la paroisse de Kibeho. Toujours à Butare, l’Abbé Martin Kabalira (actuellement en exil doré à Luchon près deToulouse en France) fit tuer des militaires tutsi et leurs épouses à l’École des sous-officiers. Il était aumônier militaire. Il livra une chasse acharnée à son confrère l’Abbé Modeste Mungwarareba qu’il ne réussit pas, fort heureusement, à dénicher de sa cachette au couvent des Petites sœurs de Jésus près dela procure de Butare. À Kaduha (Gikongoro), l’Abbé Nyandwi Athanase-Robert, de nationalité burundaise, participa activement aux tueries de Tutsi réfugiés à la paroisse, à l’école d’infirmières et à l’école agri-vétérinaire et commettra des viols sur des filles tutsi. La liste de ces prêtres-bourreaux est longue22.

Pendant les mois fatidiques du génocide où aucun doute ne subsistait surl’identité des personnes visées par les tueries, l’Église rwandaise, locale et missionnaire, persista dans la non-reconnaissance du génocide en ne parlant que de conflit. Les documents rédigés tant par des évêques que par des supérieurs des congrégations missionnaires ne parlaient que « des actes de violences commis par ceux qui agissent sous le coup de la colère »23 et attribuaient une responsabilité identique aux FAR et au FPR comme si le FPR commettait le génocide. Cette stratégie d’équilibrer les crimes apparaît clairement dans un document du 13 mai 1994 rédigé par quatre évêques catholiques et quelques responsables protestants. Ce document appelait les deux parties à « cesser les massacres » et se contentait de ne condamner que la profanation, la destruction « des lieux sacrés » et le meurtre de « collaborateurs apostoliques », pour terminer en demandant aux chrétiens de cesser les « actes de pillage et de vandalisme ». Rien sur le génocide en cours, encore moins sur l’identité des tueurs et des victimes.

Les Pères blancs s’illustreront par une attitude de camouflage du génocide en niant la vraie nature des tueries. Gérard Prunier l’exprime de manière exacte en notant : « Tout au long de la crise, les Pères Blancs Vleugels et Theunis informent à plusieurs reprises leur hiérarchie par télécopie de la situation au Rwanda. Le ton général des informations transmises est plus que révélateur : ils dressent des listes précises de prêtres tués mais passent sous silence les massacres où périssent leurs paroissiens. A les voir uniquement préoccupés du bien-être de leurs proches, on croirait presque lire une liste établie par une corporation ou par le corps diplomatique. Les violences “ont lieu” mais jamais leurs auteurs ne sont nommés. On a l’impression surréaliste que les meurtres sont commis par des armées de fantômes aux visages à jamais flous. Les seuls noms mentionnés concernent des crimes particuliers que les Pères peuvent faire endosser au FPR, avec force détails et descriptions »24 . Pour mieux démontrer l’occultation du génocide opérée par Theunis et Vleugels, Gérard Prunier prend comme illustration un Fax du 19 mai 1994 et le commente en ces termes : « Même la demande du FPR aux Pères de quitter une zone “pour leur sécurité” va être formulée de manière à sousentendre que le Front veut se cacher pour commettre des choses indicibles »25.

Ce chercheur a parfaitement raison, les Pères Theunis et Vleugels ont utilisé leur pouvoir d’information pour masquer le génocide des Tutsi. Ils ont détourné les yeux de l’opinion internationale en indiquant que le problème n’était pas le massacre des Tutsi, mais la poursuite de la guerre par le FPR. Ils ont soutenu les auteurs du génocide en notant dès le début des tueries que les autorités politiques assuraient la sécurité de la population26 alors qu’en réalité ces autorités organisaient le génocide. Dans le Fax n°7 également publié en avril 1994, les deux missionnaires vont pousser à l’extrême leur mépris des victimes en reprenant à leur compte des euphémismes criminels tels que « nettoyage » ou « travail » pour décrire le sanglant massacre de Tutsi à la paroisse de Gikondo.

APRÈS LE GÉNOCIDE, L’ÉGLISE EMPRUNTE LA VOIE DU NÉGATIONNISME

Le génocide a pris fin en juillet 1994 avec la victoire militaire du FPR sur les ex-forces armées rwandaises et le régime qu’elles servaient. Une partie du clergé local lié au régime déchu et une bonne partie des missionnaires se livrèrent alors à des actions de déstabilisation du nouveau Rwanda. Cette option s’illustra à travers un négationnisme caractérisé notamment par la justification du génocide, la minimisation de son ampleur, la déresponsabilisation de ses auteurs et à bien d’autres actions de soutien aux génocidaires.

4.1 LA JUSTIFICATION DU GÉNOCIDE

Très tôt après la fin du génocide consécutive à la victoire militaire du FPR, les Pères blancs furent les tout premiers à justifier l’extermination des Tutsi. Ainsi, le Père blanc Wolfgang Schonecke publia en septembre 1994 un texte repris dans plusieurs revues catholiques où il affirmait ceci : « On ne comprendra jamais la rage meurtrière des Hutu si on oublie la honte et les humiliations qu’ils ont endurées pendant si longtemps sous le pouvoir de la minorité tutsi qui se considérait comme la race des seigneurs et qui les méprisaient ». D’autres missionnaires diront que les Hutu ont tué leurs concitoyens tutsi parce qu’ils ne pouvaient pas accepter qu’une « minorité domine la majorité »27. Certains d’entre eux s’ingénieront à défendre que le seul responsable du génocide est le Front patriotique rwandais. Ainsi aux yeux du Père blanc Serge Desouter : « Le FPR est à l’origine des massacres d’avril 1994. C’est un acte suicidaire que le FPR a commis vis-à-vis de ses congénères »28. Ailleurs, ce missionnaire dira cyniquement à propos du million de Tutsi tués : « On parle d’un million de Tutsi morts … Il n’y a jamais eu autant de Tutsi au Rwanda »29. Après le génocide, Desouter ajoutera : « On ne peut se défaire de l’impression que le FPR veut vider des régions de Hutu, pour les remplacer par de nouveaux arrivés tutsi »30. Plus récemment, ce Père blanc écrira de manière catégorique : « S’il y a eu une planification et une orchestration d’un génocide, il faut les chercher au sein du FPR qui en est l’ultime responsable »31. Comment un tel prêtre épris d’une haine aussi farouche contre un groupe humain peut-il encore parler de Dieu aux hommes ? Mais il n’est pas le seul.

L’ex-évêque de Ruhengeri, Phocas Nikwigize, se révéla aussi des plus extrémistes dans la légitimation du génocide. Répondant à une interview de la journaliste belge Els De Temmerman, il utilisa des termes imbus d’une haine anti-tutsi jamais égalée : « Ce qui s’est passé en 1994 au Rwanda, était quelque chose de très humain : quand quelqu’un t’attaque, il faut que tu te défendes. (…) C’est la faute des rebelles. Les Tutsi voulaient restaurer leur pouvoir et réduire les Hutu en esclavage (…) En vue d’atteindre cet objectif, ils disposaient de deux sortes d’armes : leurs fusils venus d’Europe et leurs femmes. Ils donnent leurs femmes aux Européens et restent ainsi en alliance durable avec eux. Tellement ils sont mauvais. Un Hutu est simple et droit, mais un Tutsi est rusé et hypocrite. Un Tutsi est foncièrement mauvais, pas par l’éducation mais par sa nature »32 !

L’ancien supérieur des Pères blancs du Rwanda, Jef Vleugels, recoura également aux clichés racistes pour affirmer que la responsabilité dans le génocide est partagée parce que, pense-t-il :« Ni Tutsi ni Hutu ne sont innocents. Et tous doivent pénétrer jusqu’au fond de leur nature humaine, dans laquelle racisme et violence sont pour ainsi dire incrustés »33. Son confrère Arnould De Schaetzen ajoutera que l’on ne doit pas parler de génocide des Tutsi par souci de ne pas incriminer une seule ethnie face à une autre et que personne au Rwanda ne serait ni innocent ni victime : « Parler de génocide comporte le risque d’impliquer l’ethnie opposante dans son ensemble comme fauteur de trouble et de simplifier la solution du problème. Qui est innocent dans ce drame ? Qui peut dire avoir les mains propres ? C’est facile de trouver les coupables et de justifier ainsi les choses »34. Dans leur sillage, le père Theunis notera dans le journal La Croix, en automne 1997, que lors du génocide, il y a eu « pratiquement autant d’assassinats de civils dans la zone gouvernementale (environ 600) que dans la zone contrôlée par le FPR et pourtant fort réduite (792) » ! C’est bien sûr faux.

Lors d’une interview croisée qu’il donna en juin 1997 avec Filip Reyntjens et Colette Braeckmann, Theunis récidiva en tenant les propos suivants : « C’est une constante. Les Hutus sont généralement pacifiques. Ils voulaient une évolution non violente. La violence vient toujours du même côté. D’un seul côté. (…) Du côté des Tutsis. Ce sont toujours les Tutsis qui provoquent, qui d’une manière ou d’une autre gâtent les choses »35. Sans commentaires ! Dans un autre article, Guy Theunis qualifia les Tutsi d’étrangers et mit sur le même pied d’égalité le FPR qui a arrêté le génocide et ceux qui l’ont commis en prônant un rapprochement et des négociations directes entre le gouvernement génocidaire déchu et le nouveau régime :« Une dictature est remplacée par une autre dictature plus intelligente (…) il faut un dialogue entre le pouvoir en place et les représentants des réfugiés (car) l’injustice criante actuelle est celle d’un pays conquis par un peuple d’étrangers alors que les habitants premiers croupissent dans la misère soit comme réfugiés à l’étranger, soit comme déplacés à l’intérieur »36.

Quant aux Pères Jésuites, d’habitude plus lucides dans leur analyse, ils se montreront également divisés sur la question du génocide, certains allant jusqu’à nier la citoyenneté rwandaise des Tutsi, voire à justifier le soutien de l’Eglise à un groupe ethnique, les Hutu. Leur supérieur général, le Père Peter Hans Kolvenbach, déclarera en 2004, dix ans après le génocide : « Les Tutsis, qui ont longtemps été le groupe dominant, sont venus de l’extérieur et ne dépassent pas 10 ou 15% de la population au Rwanda. Les Hutus, qui sont plutôt les gens du terrain, sont la grande majorité. L’Eglise a pris la défense des Hutus, ce qui était un peu dans les mœurs catholiques d’intervenir pour les gens qui souffrent et qui sont dominés par d’autres. Et, à un moment donné, les Hutus se sont vengés des Tutsis »37 .

4.2 LE DOUBLE-GÉNOCIDE

La théorie du double-génocide est très chère à un grand nombre de Pères blancs. On la trouve bien exprimée dans les propos du Père Hans Zoller, de nationalité suisse tenus en octobre 1999 : « Le génocide de 1994 contre les Tutsi et des opposants Hutu menacés a été précédé d’un génocide contre plusieurs centaines de milliers de Hutu dans le nord et l’est du pays, concrètement dans les Préfectures de Byumba et de Kibungo. Ce premier génocide a été perpétré dans le silence des médias, qui avaient défense de pénétrer dans ces zones, et même avec la complicité des représentants de l’ONU qui étaient sur place à ce moment-là et ne voulaient pas une enquête dans les territoires occupés par le FPR. (…) Le génocide contre les Hutu s’est prolongé dans les forêts de l’ex-Zaïre après la prise de pouvoir du FPR (…) Au total, on doit dire qu’environ un million de Hutu ont été massacrés soit avant, soit après la prise de pouvoir du FPR ; et la politique d’extermination des Hutu se poursuit, par le recrutement des jeunes qu’on envoie au front pour qu’ils soient tués. (…) Ce deuxième génocide est au moins aussi meurtrier sinon davantage que le premier »38 .

L’hebdomadaire de la Cité du Vatican L’Osservatore Romano défendit la même thèse en soulignant qu’au Rwanda il y a eu un double génocide : « Celui contre les Tutsis (et certains Hutus modérés), perpétré après le 6 avril 1994, qui a provoqué plus de 500.000 victimes, et celui envers les Hutus, à partir d’octobre 1990 jusqu’à la prise de pouvoir par le Front patriotique rwandais (FPR) tutsi en juillet 1994. Ce génocide des Hutus s’est poursuivi ensuite dans la forêt zaïroise, où les fugitifs hutus ont été massacrés pendant des mois, sans même bénéficier de la protection de la Communauté internationale. Le nombre des victimes hutues s’élève à environ un million. Les deux génocides ont été horribles et doivent être tous deux rappelés, sous peine de risquer une propagande unilatérale »39.

C’est scandaleux, ce type de mensonges.

4.3 LA DÉFENSE DES PRÊTRES ET DES RELIGIEUSES IMPLIQUÉS DANS LE GÉNOCIDE

Outre la fréquence et la répercussion des thèses négationnistes, des missionnaires se montrent très actifs dans la protection de personnes impliquées dans le génocide. Nombre de génocidaires, prêtres et laïcs, qui rejoignent l’Europe et le Canada sont en effet appuyés par des missionnaires. Ce sont eux qui les aident notamment dans l’obtention des visas, dans leur hébergement et dans leur insertion dans les paroisses et communautés religieuses. Pire, lorsque des plaintes visent ces prêtres-bourreaux, les missionnaires poussent les églises européennes à les soutenir et celles-ci le font dans la plupart des cas de manière aveugle. Le cas des Pères blancs de France dans le soutien de l’Abbé Wenceslas Munyeshyaka est à ce sujet éclairant. Celui-ci est arrivé en France grâce au soutien du Père Theunis qui a dans la suite diffusé un document dans toutes les communautés des Pères blancs de France et auprès de leurs supérieurs à Rome pour prêcher l’innocence de ce clerc.

Dans ce document, le Père Theunis prétendait que « Munyeshyaka n’a tué personne au Rwanda, qu’il n’y a eu aucun mort à l’église Sainte Famille » et qu’en fin de comptes,« accuser ce prêtre de génocide est chose inacceptable ». Le Père Theunis reprendra les mêmes arguments dans un article qu’il publia dans La Croix, en octobre 1997, où il s’attaquait à un excellent rapport qu’avait publié Michel Rocard sur la situation positive qui prévalait au Rwanda en matière de droits de l’homme. Theunis en profita pour plaider l’innocence de Munyeshyaka en écrivant qu’« on n’a jamais tué dans l’église de Sainte Famille à Kigali »avant de se dire tout de même qu’il y a eu « trois seuls morts à l’intérieur de l’église », mais qu’ils « l’ont été lors du bombardement de l’église par le FPR » ! Autrement dit, si l’on en croit Theunis, les Interahamwe et les ex-FAR n’ont pas tué délibérément, si ce n’est pour riposter à la provocation du FPR !

Dans une lettre qu’il m’adressa en 1996, le Père Theunis m’avouera ne pas connaître de manière certaine les agissements de l’Abbé Munyeshyaka pendant le génocide, mais qu’il le défendra toujours pour le seul motif qu’ils sont amis : « Je ne suis pas sûr à 100% de ce que j’affirme », mais « étant un ami de l’Abbé Wenceslas avec qui j’ai collaboré à Kigali, je tiens à le défendre ». Le supérieur des Pères blancs de France, François Richard, suivra le Père Theunis dans sa campagne et enverra un courrier à tous les Pères blancs du monde dans lequel il explique qu’ils sont venus en aide à ce prêtre-bourreau « pour le protéger d’abord contre des tueurs qui le poursuivaient puis du matraquage indigne infligé par certains médias ».

Le Père Richard soutiendra que les Pères blancs croient fermement que Munyeshyaka « n’est pas de ceux qui ont planifié le génocide » et commettra finalement un mensonge flagrant en écrivant à ses confrères que personne n’accuse Munyeshyaka de génocide et qu’il se serait même comporté de manière héroïque : « Nous savons que personne ne l’accuse d’avoir tué. Nous savons que des milliers de gens lui doivent la vie. Et nous savons qu’une campagne de faux témoignages a été organisée contre lui »40. Eh bien ! Pour couronner le tout, le Père Richard confia le dossier de défense de l’Abbé Munyeshyaka au Père Michel Tremblais, avec notamment pour mission la collecte de témoignages à décharge, la recherche des meilleurs avocats capables de l’assister et le paiement d’honoraires relatifs à l’assistance judiciaire. Le Père Theunis réunira ainsi plus de 500 pages de témoignages payés par les Pères blancs pour disculper Munyeshyaka. Entretemps, aucun Père blanc présent au Rwanda ne se souciait des victimes déshonorées par l’Abbé Munyeshyaka !

En 1995, alors que les témoignages accusant les sœurs Gertrude et Kizito de participation au génocide deviennent de plus en plus nombreux et que leur traduction en justice s’avère inévitable, le Père André Comblin (Père blanc belge qui a vécu plusieurs années au Rwanda), fut dépêché par sa congrégation à Sovu pour solliciter la rétractation des religieuses rwandaises qui témoignaient contre elles. La nouvelle fut connue parce que la police rwandaise intercepta des documents dans la voiture du Père Comblin qui révélèrent sa vraie mission.

4.4. LE SOUTIEN À DES REVUES NÉGATIONNISTES

De nos jours, l’une des revues rwandaises affichant un négationnisme à peine voilé s’appelle Dialogue. Considérée comme une revue de référence et d’expression des membres du clergé et d’intellectuels fidèles à l’ancien régime rwandais, sa publication a été relancée après le génocide en Belgique par les Pères blancs à la tête desquels se trouvait Guy Theunis. Ces derniers collectaient des fonds via les procures européennes et les provinces des Pères blancs pour financer son édition et sa diffusion. Depuis sa relance à Bruxelles jusqu’à l’heure actuelle, cette revue se caractérise par des écrits ethnistes et négationnistes d’une ampleur sans précédent. Elle fait la publicité des ouvrages d’une telle nature et désavoue ceux qui décrivent correctement les tenants et lesaboutissants du génocide. À titre d’exemple, qu’il suffise de citer un extrait de la note de lecture qu’a faite Shingiro Mbonyumutwa à propos du livre de Jean-Paul Gouteux, La Nuit Rwandaise : « Jean-Paul Gouteux, écrit Mbonyumutwa, se sent aussi un bourreau de par ses frères de race, les Français… » ! Écœuré par cette insulte, Jean-Paul envoya une note à Dialogue en guise de droit de réponse, mais Dialogue ne la publia jamais.

4.5 LA COLLABORATION AVEC DES GROUPUSCULES ET DES JUGES ACCUSANT LE FPR DE GÉNOCIDE

De nos jours, un lobby négationniste de plus en plus actif s’est constituéen occident pour mener des actions de déstabilisation de l’État rwandais. Il est essentiellement animé par des anciens dignitaires du régime Habyarimana et leurs acolytes étrangers qui avaient noué des liens avec eux au moment où ils étaient au pouvoir. Depuis juillet 1994, ce lobby a utilisé plusieurs méthodes, notamment l’organisation des colloques et conférences négationnistes, la tenue des manifestations publiques, la publication d’ouvrages, … chacune de ces méthodes s’est avérée inefficace pour contrer la politique de paix et de réconciliation nationale menée par le gouvernement rwandais et par le FPR. Ce lobby a alors changé de stratégie et s’emploie depuis quelques années à utiliser des « juges-vedettes » pour promouvoir des thèses négationnistes en recourant aux poursuites judiciaires de certaines hautes autorités de l’État rwandais. C’est dans ce cadre que de prétendues enquêtes furent entamées par les juges Bruguière en France et Andreu Fernando en Espagne, conclues par la mise en accusation d’un bon nombre de cadres politiques et militaires rwandais.

L’un des réseaux d’appui et de fournisseurs de ces lobbys en informations est constitué par des missionnaires ayant œuvré au Rwanda ou ceux qui sont encore présents dans le pays ou dans les États voisins. De manière particulière, les Pères blancs mènent une campagne discrète, mais très active pour les poursuites contre des assassins présumés du père Joaquim Vallmajo prétendument tué par le FPR à Byumba en mai 1994. Certes, ils n’apparaissent pas sur la liste des parties civiles, mais il ne fait aucun doute qu’un certain nombre d’éléments d’informations utilisés par les juges français et espagnols émanent d’instituts missionnaires, à la tête desquels se trouvent les Pères blancs. Curieusement, ces derniers ne font rien pour que la justice soit rendue en faveur du Père André Caloone tué par un militaire des FAR, à Ruhuha, le 7 avril 1994. Fidélité à l’ancien régime oblige !

En République Démocratique du Congo, des Pères Xavériens et Comboniens, notamment le Père Luigi Lo Stocco de Bukavu, font partie des acteurs les plus virulents dans les accusations lancées contre les autorités rwandaises. En 1996-1997, le Père blanc Laurent Balas avait été à l’origine d’une campagne de diabolisation du Rwanda lors des conflits armés qui se déroulaient à cette époque sur le territoire de la République Démocratique du Congo (RDC). Le Père Balas est un Français de Toulouse ayant des parents d’origine espagnole. Se trouvant à Goma au moment de la première guerre du Congo, il rentra en France et sillonna toutes les institutions politiques et religieuses tant françaises qu’européennes pour accuser l’armée rwandaise d’être l’unique responsable de ce qu’il qualifia de génocide des Hutu. Le contenu de son témoignage apparaît aujourd’hui dans les actes d’accusation lancés par les juges Bruguière et Fernando. Dans sa campagne, le Père Balas fut aidé par des milieux religieux français et par certains fanatiques anti-FPR comme le journaliste Stephen Smith qui publia de très longs extraits de son témoignage dans le journal Libération. J’ai eu de nombreuses correspondances avec le Père Balas pour tenter de comprendre ses errements, et dans chacune de ses lettres, il affichait une haine anti-tutsi et du FPR qui n’a rien à envier à celle des leaders de la CDR et de ses partisans.

Dans plusieurs grandes villes, évêchés et paroisses de France, des réunions, colloques et séminaires négationnistes sont organisés dans des locaux paroissiaux avec le soutien des évêques et des prêtres français. Ainsi à Toulouse, une religieuse ayant vécu trente ans au Rwanda, jusqu’en 1997, à Butare et à Gikongoro, Madeleine Raffin, et qui a été expulsée à cause de son activisme ethniste et divisionniste, mène-t-elle des actions politiques contrele FPR et l’État rwandais, notamment en soutenant des génocidaires réfugiés en France, tel Dominique Ntawukuriryayo et le colonel Marcel Bivugabagabo, poursuivis pour leur rôle dans le génocide41. Madeleine Raffin est, comme son frère prêtre Pierre Raffin, membre d’une association négationniste dénommée « Les Amis du Rwanda », très active à Toulouse et dans toute la France dans la conduite des actions de diabolisation de l’actuel pouvoir rwandais. Elle est aussi la vice-présidente de l’association France-Turquoise créée par des officiers français dans le but de défendre l’honneur de l’armée française en réaction aux plaintes déposées contre des militaires français ayant commis des infractions sur des civils au Rwanda entre juin et août 1994. Lors du procès Misago, il fut révélé lors des audiences que Madeleine Raffin a affamé volontairement les réfugiés Tutsi de Gikongoro et a fait tuer deux employés Tutsi de l’évêché en les livrant à des miliciens sur une barrière42. En automne dernier, lorsque le ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, dénonça vigoureusement le génocide des Tutsi sur la radio Europe 1, Madeleine Raffin prit la plume en colère et écrira à l’adresse de Kouchner un texte négationniste très virulent où elle affirme : « Pour vous, il n’y a qu’un seul génocide, parce que vous refusez de voir l’autre »43.

On l’aura compris, l’Église catholique rwandaise, locale et missionnaire, s’est largement compromise avec le régime qui planifia et exécuta le génocide. Elle est restée fidèle à ce régime et à sa politique jusqu’à cautionner, soutenir et justifier des pratiques criminelles commises par l’État rwandais avant et pendant le génocide. Cette fidélité a atteint des sommets hors pair caractérisés, après la consommation du crime, par un négationnisme institutionnalisé, propagé en toute tranquillité par des hommes d’Église. De son vivant, Jean-Paul Gouteux avait vigoureusement dénoncé cet état de fait. Son rêve le plus cher, me disait-il avant qu’il ne s’éteigne, était de voir des officiers et des politiciens français impliqués dans le génocide au Rwanda, être traduitsen justice. Il rêvait également de voir l’Église revenir à la raison pour tirer les leçons sur le comportement inacceptable de plusieurs de ses prêtres et de ses fidèles pendant le génocide.

Je lui laisse le mot de la fin : « Le rôle de l’Église dans ce génocide nous apporte un enseignement précieux. C’est en tant qu’organisation sociale néocoloniale ayant une part importante du pouvoir que l’Église du Rwanda s’est montrée abominable. C’est parce qu’elle est, dans ce pays, une institution dont la puissance est au moins égale, sinon supérieure à celle de l’État,qu’elle a pu atteindre ce degré de nuisance. En 2005, l’Église nie farouchement toute compromission, toute responsabilité, toute implication, n’ayant que l’incroyable impudeur de résumer un tel drame dans une formule cynique et déculpabilisante : “le sang des martyrs est semence des chrétiens44” »45.

Cette dérive est toujours d’actualité en 2008 !

Jusqu’à quand ?

Kigali, le 8 Mars 2008

Notes

1 Apologie du blasphème, en danger de croire, Editions Syllepse, juin 2006.

2 Pour plus d’informations sur ce sujet voir la revue Au Cœur de l’Afrique, n°2-3/1995.

3 Lire à ce sujet, M.A., prêtre rwandais, « Les divisions de l’Eglise rwandaise », Les Temps Modernes, juillet-août 1994, pp. 91-101. D’autres travaux menés sur le sujet peuvent être consultés avec intérêt, voir notamment : Paul Rutayisire : « Silences et compromissions de la hiérarchie de l’Eglise catholique du Rwanda », Revue Au Cœur de l’Afrique, n°2-3/1995 ; Mudaheranwa, « L’Eglise catholique du Rwanda ne s’est pas encore remise de sa gangrène », Umusemburo n° 3 octobre 1995 ; Golias-Magazine n°48/49, printemps-été 1996 sous le titre Rwanda : l’honneur perdu de l’Eglise.

4 Les prêtres signataires sont : Augustin Ntagara, Callixte Kalisa, Jean-Baptiste Hategeka, Fabien Rwakareke et Aloys Nzaramba.

5 Selon les témoins, l’Abbé Ntagara fut sauvagement tabassé, puis enterré vivant.

6 Ces documents sont de nos jours brandis par les juges Bruguière et Fernando Andreu comme des preuves étayant des faits qu’ils imputent abusivement à certaines hautes autorités rwandaises, politiques et militaires. Ces mêmes documents servent aujourd’hui comme preuves à conviction aux négationnistes dans la promotion de leur idéologie.

7 Fax du 15 janvier 1991.

8 Fax du 31 janvier 1991.

9 Fax du 31 janvier 1991.

10 Fax du 31 décembre 1991.

11 Fax du 31 juillet 1991.

12 Jean-Paul Gouteux, « L’implication idéologique et politique dans le génocide du père Guy Theunis de 1990 à 1994 », polycopié (pdf).

13 Cfr Lettre des Evêques catholiques du Rwanda aux Evêques français, décembre 1990.

14 Revue Dialogue, septembre 1994, n° 177.

15 ISIBO n° 87 du 24/2 au 3/3/1993, p. 10.

16 Les signataires de ce document sont les pères Jean-Marie Luca, Michel Broiselle, Stefaan Minaert, Alphonse Calozet (paroisse de Nyagahanga) ; Giancarlos Bucchianeri, Silvio Righi, Giorgio Simonetti (Paroisse de Nyarurema) ; Karel Winters, Bernard Paganelli, Joseph Mattedi, Michael Hans Hurter (Paroisse Rukomo) ; Walter Gherri, Jean Deschildre, Robert Guillaume, Joaquim Vallmajo (Paroisse Rushaki), Robert Defalque (ce dernier était un missionnaire correct, il a dû signer ce document par solidarité avec ses confrères).

17 L’Abbé Seromba a été condamné à 15 ans de prison par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR).

18 Don Anastasio Sumba Bura.

19 En jugement au TPIR.

20 Ces deux religieuses ont été jugées et condamnées par la cour d’assises de Bruxelles en 2001.

21 En jugement au TPIR.

22 Pour aller plus loin voir African Rights, Lettre ouverte à sa Sainteté le Pape Jean-Paul II, 13 mai 1998.

23 Communiqué du Conseil épiscopal du 10 avril 1994.

24 G. Prunier, Rwanda : le génocide, Dagorno, 1997, p. 300.

25 Ibidem.

26 Par exemple le Fax n° 3 du 7 avril 1994 affirme que dans la région de Rusumo, le bourgmestre parcourait sa commune pour la pacifier. Or, il est notoirement connu que ce même bourgmestre a plutôt fait assassiner tous les Tutsi de sa commune, notamment ceux réfugiés à la paroisse de Nyarubuye. Ce bourgmestre, Sylvestre Gacumbitsi, a été condamné par le Tribunal pénal international pour le Rwanda à trente sept ans d’emprisonnement. Le Fax n° 7 abonde dans la même dérive quand il occulte la vraie image du gouvernement de Théodore Sindikubwabo qui a mis en exécution le génocide et les assassinats politiques de 1994.

27 Propos tenus par Mgr Blaise Forissier dans la revue « Actualités religieuses dans le monde », juillet-août 1994.

28 Interview à La Gazette de Lausanne, 21 mai 1994.

29 Interview donnée au journal Le Vif/L’Express du 1er octobre 1994.

30 Document conjoint signé avec Filip Reytjens intitulé « Rwanda : Les violations des droits de l’homme par le FPR/APR. Plaidoyer pour une enquête approfondie », Anvers, juin 1995.

31 Serge Desouter, Rwanda : le procès du FPR. Mise au point historique, L’Harmattan, 2007, p.196.

32 De Volkskrant, 26/06/1995.

33 Voir Dialogue, n° 182, p.51.

34 Dialogue n° 185, septembre 1995, pp. 49-50.

35 ANB/BIA, Bulletin des Missionnaires d’Afrique, n° 326, 15 Juin 1997, p. 15.

36 Voir Revue catholique de l’Église de France, Incroyance et foi, n° 72, novembre 1994, p.59, cité par Jean Ndorimana, Rwanda, l’Église catholique dans le malaise, Edizioni Vivere in, Roma, 2001, p. 113. Lire aussi Christian Terras et Mehdi Ba cyitwa, Rwanda : l’honneur perdu de l’Église, Editions Golias, 1999,p. 226.

37 P. H. Kolvenbach, S.J., Entretien avec Jean-Luc Pouthier, Extraits de Faubourg du Saint-Esprit, Bayard, 2004.

38 Document polycopié, distribué dans la province des Pères blancs de Suisse et envoyé aux Amis des Pères blancs.

39 Osservatore romano n° 21 du 25 mai 1999.

40 Le Lien, Revue des Pères Blancs de France, n° 200, novembre 1995.

41 Courrier du 15 janvier 2008 envoyé au premier ministre français François Fillon, Toulouse, 15 janvier 2008. Pour comprendre la gravité militantisme négationniste de Madeleine Raffin, voir son blog : http://madraffin.centerblog.net/.

42 ARI/RNA, 30 novembre 1999.

43 Madeleine Raffin, « France/Rwanda : les fausses colères de Bernard Kouchner », 8 octobre 2007.

44 Cardinal Etchegaray devant les charniers rwandais, La Croix, 4 août 1994.

45 Jean-Paul Gouteux, Apologie du blasphème, En danger de croire, Syllepse, juin 2006, p.183.

Par: Jean Damascène Bizimana (2008)

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