2013-12-20

(Extrait du compte rendu (signé Anastase Ngendahimana) de la 14e commémoration du génocide des Tutsi, à Genève, le 12 avril 2008 :)

« Un moment fort attendu était celui de l’intervention d’un monsieur d’un certain âge, un nommé Denis-Gilles Vuillemin, qui séjourna à Butare fin 1963-début 1964 sur un contrat signé avec l’UNESCO pour travailler comme enseignant. Ce que le jeune enseignant suisse découvre en arrivant au Rwanda le hantera toute sa vie. A la suite d’une rumeur d’une attaque en septembre 1963 de ceux qu’on appelait Inyenzi, la machine à tuer se met en marche. On rassemble ici et là de pauvres paysans tutsi qu’on extermine dans des stades à coup de fusils. Ceux qui parviennent à fuir sont rattrapés et regroupés dans des camps où on les laisse crever de faim et de maladie. Quelques individus et organisations internationales présentes, la Croix-Rouge principalement, tentent d’apporter des secours, essentiellement de la nourriture et des médicaments, mais les autorités politiques et ecclésiastiques s’y opposent ou procèdent à des manœuvres dilatoires. Au Groupe scolaire de Butare, où M.Vuillemin travaille depuis peu, des religieux, belges pour la plupart, sont au courant des crimes qui sont en train d’être perpétrés. Plusieurs d’entre eux collaborent ouvertement avec les hiérarchies ecclésiastique et gouvernementale pour parachever l’épuration ethnique. Le jeune coopérant suisse était venu au Rwanda mû par un idéal d’humanité, de justice et de solidarité. Ce qu’il découvre du Rwanda du tandem Kayibanda-Perraudin lui donne le vertige. Il entreprend d’enquêter minutieusement sur ce qui se passe réellement au Rwanda, non sans avoir travaillé clandestinement à faciliter la fuite de certains de ses élèves tutsi qui étaient en danger de mort. Petit à petit, par des recoupements d’informations, des croisements de témoignages et d’observations personnelles, l’effroyable vérité s’étale là devant ses yeux :un gouvernement est en train d’exterminer une partie de sa population, et ce dans une totale indifférence de la communauté internationale. M. Vuillemin, qui détient désormais les preuves irréfutables de ce qu’on ne saurait qualifier autrement que de génocide, prépare un rapport qu’il adresse au Département des Affaires étrangères à Berne. Il envoie aussi une série d’articles aux journaux en Europe, au journal ‘‘Le Monde’’ en particulier. Des semaines passent sans que ses alertes soit publiées. Finalement l’affaire des massacres des Tutsi finit par être connue par d’autres témoins étrangers et le journal ‘‘Le Monde’’ se résout à publier un article de Vuillemin. Entre-temps le jeune enseignant a donné sa démission à l’UNESCO. Il veut regagner sa Suisse natale autant pour retrouver un peu de tranquillité que pour échapper aux pressions que lui font subir ses collègues du GS que ses révélations dérangeaient. Mais en Suisse même, il va subir un ostracisme jusque dans les hautes sphères de l’administration fédérale. Il recevra régulièrement des appels téléphoniques et des lettres anonymes le traitant de communiste, de subversif, de terroriste, d’agitateur et d’autres gentillesses de la même veine. A cette étape précise de son récit, M.Vuillemin s’arrête, submergé par l’émotion. Il balaye la salle d’un regard vide, et s’excuse : ‘‘Vous savez, tout ça c’est du passé, d’ordinaire je sais encaisser, mais maintenant que je le raconte, il y a tout qui me revient et c’est comme si c’était hier.’’ Il y a dans la salle des compatriotes qui ont connu M. Vuillemin à Butare. C’était un jeune enseignant qu’ils apprenaient encore à découvrir. Certains ne lui doivent pas seulement d’avoir échappé à la mort, mais ils ont aussi reçu de lui des conseils pour leurs études, des bourses, du soutien psychologique et/ou simplement de l’amitié. Ils ont la gorge serrée, comme nous tous. Quand M. Vuillemin achève son témoignage, la salle hésite un moment à l’applaudir, comme si c’était une indécence: il y a un court moment de silence qui s’impose de lui-même, puis finalement, les mains claquent, quand même, longuement. »

A ce témoignage émouvant de M. Gilles Vuillemin, que grâce au compte rendu d’Anastase Ngendahimana beaucoup pourront entendre et faire entendre je puis apporter des éléments qui aident à le situer dans son contexte et à en confirmer la valeur:

— Une personne travaillant au Palais fédéral, à Berne, a constaté que Mgr Perraudin, qui savait tout sur ce Rwanda sur lequel il régnait, avait l’oreille du gouvernement helvétique, particulièrement durant la guerre froide U.R.S.S.-Etats-Unis. Et un témoin, hélas décédé durant le génocide de 1994, a vu Mgr Perraudin plaisanter et rire alors que des étudiants tutsi étaient battus à mort à quelques dizaines de mètres de lui. Difficile de croire que l’évêque suisse ignorait ce qui se passait, alors qu’il était l’inspirateur de cette politique criminelle et même génocidaire.

— Ces mêmes autorités helvétiques étaient cul et chemise avec la dictature de Kayibanda, puis avec celle d’Habyarimana. Ainsi, au début des années 70, un coopérant suisse avait la responsabilité d’une usine. Vint l’ordre de licencier les Tutsi. Il s’insurge, refuse, déclare qu’il sait qui travaille bien et qui travaille mal et que s’il y a des employés à licencier, il le fera sans tenir compte de l’ethnie .Le lendemain ou surlendemain, l’ambassadeur de Suisse au Rwanda venait en personne lui intimer l’ordre de ne pas s’opposer aux directives du gouvernement rwandais, faute de quoi il aurait à préparer ses valises pour rentrer en Suisse. « Si j’avais révélé tout ce que j’ai observé au Rwanda, me déclara ce coopérant en 1994, j’aurais pu faire voler en éclats la DDA » (on appelait ainsi, à l’époque, la Coopération suisse).

— Le Suisse Lukas Bärfuss, qui précise que « dans ce livre, les faits historiques sont authentiques, les personnages sont imaginaires », conclut son roman « Hundert Tage » (Wallstein, 2008), traduit en français sous le titre « Cent jours, cent nuits » (L’Arche, 2009) par cette réflexion au sujet du rôle de son pays au Rwanda : « Notre chance fut toujours que pour chaque crime auquel un Suisse avait pris part, une crapule encore plus grande avait trempé dans l’affaire, qui attirait sur elle toute l’attention et derrière laquelle nous pouvions nous cacher. Non, nous ne faisons pas partie de ceux qui causent des bains de sang. Cela, d’autres le font. Nous, nous nageons dedans. Et nous savons exactement comment il faut bouger pour rester à la surface et ne pas couler dans la sauce rouge. »

— Pendant le génocide de 1994, les interhahamwe avaient leurs entrées dans l’Ambassade de Suisse à Kigali, notamment grâce à un lien d’ordre familial.

— Surnommé « le financier du génocide », le richissime homme d’affaires hutu Félicien Kabuga, bailleur de fonds de la sinistre Radio-Télévision des Mille Collines (RTLM) qui au printemps 1994 lança les ordres exigeant de massacrer tous les Tutsi, y compris les bébés, s’enfuit du Rwanda en juin 1994, devant l’avancée du Front patriotique, et se rendit… en Suisse, où il fut discrètement averti qu’il devrait être arrêté, ce qui lui permit de s’éclipser, non sans avoir effectué une transaction financière portant sur plusieurs millions de francs.

— Un des membres du Hutu Power, soupçonné de génocide et accueilli sans problèmes en Suisse, a pour avocat un ancien conseiller fédéral (= ministre), qui fut ministre des Affaires étrangères et qui était très proche de François Mitterrand, qu’il rencontra du reste, discrètement, pendant le génocide, en mai 1994. Les Hutu, qu’ils soient prétendument « modérés » ou extrémistes, sont chez eux dans l’Eglise catholique, en Suisse comme ailleurs, et certains ont même réussi à s’infiltrer dans des Eglises protestantes (pas seulement chez les adventistes). CB

Voici ce qu’écrit avec lucidité, dans le document d’octobre 1994 « La tragédie du Rwanda et les Eglises d’Afrique de l’Est », Wolfgang Schoeneke, secrétaire général du Département pastoral de l’Association des Conférences épiscopales d’Afrique de l’Est (AMECEA), à propos de ce qu’il qualifie d’obsession du pouvoir à tout prix : « Le conflit du Rwanda concernait à l’origine une volonté, assez absolue, de conserver ou de reconquérir le pouvoir pour justifier n’importe quels actes. D’après un recensement effectué en 1991, 90% des Rwandais se disent chrétiens. L’Eglise catholique est, après le gouvernement, l’institution la plus puissante à travers son réseau d’œuvres sociales, éducatives et médicales dirigées par de nombreux groupes religieux. Elle a dès le début entretenu d’étroites relations avec l’administration coloniale et la maison royale et la hiérarchie est toujours restée étroitement liée au régime en place. Ses nombreuses – mais tardives et faibles – déclarations pendant le génocide n’étaient ni significatives ni suffisantes. Les événements du Rwanda renforcent une leçon de l’histoire : une Eglise qui s’identifie trop étroitement à un régime partage son destin. Il y a une distance indispensable à maintenir avec les partis, les mouvements politiques et l’Etat. Comment l’Eglise peut-elle résister à la tentation de se servir du pouvoir pour accomplir sa mission et, en retour, d’être utilisée par les pouvoirs politiques ? Parlons-nous en faveur de tout groupe traité injustement, ou seulement quand les intérêts de l’Eglise sont menacés ? Comment développer au sein de l’Eglise un mode de responsabilité plus participative qui puisse servir à inspirer un modèle plus démocratique en politique ? »

Le regretté Jean-Paul Gouteux avait vu juste quand il dénonçait et déplorait le rôle criminel de l’Eglise catholique dans le génocide des Tutsi : relisez, dans « La Nuit rwandaise » nº 2 (7 avril 2008), les excellents articles de Jean Damascène Bizimana et d’Yves Cossic. Pages 267-268, on y retrouve notre Joseph Matata négationniste, qui s’autoproclame défenseur des droits de l’homme, et dont le témoignage lors d’un procès à Lausanne indigna les femmes rwandaises et suisses présentes (voyez dans la partie Dignité de la femme et génocide au Rwanda). Et où le retrouve-t-on ? Comme par hasard lors d’une soirée habilement organisée par des « associations catholiques et prétendument humanitaires ». Jean-Paul Gouteux a démontré p.ex. que dans l’Eglise catholique, le missionnaire belge Guy THEUNIS avait une influence décisive sur les informations qui parvenaient au Vatican – lequel semble toujours être attaché à la théorie négationniste du double génocide. (Voir ci-après: L’AFFAIRE THEUNIS.)

(Depuis 2007, reprenant le titre du livre de Jean-Paul Gouteux, « La Nuit rwandaise » publie un volume par année, qui paraît le 7 avril, date du déclenchement du génocide des Tutsi au Rwanda. Son site web est www.lanuitrwandaise.net et son adresse 38, rue Keller, F 75011 Paris.)

Rendons aussi hommage au courage de la revue catholique de gauche « Golias », qui fait preuve d’une liberté de pensée dignes des meilleurs esprits protestants. Elle aussi a dénoncé ce rôle criminel de l’Eglise catholique dans le génocide des Tutsi, et publié notamment, en 1999, le livre « Rwanda, l’honneur perdu de l’Eglise » sous la direction de Christian Terras, avec la collaboration de Mehdi Ba (Editions Golias, BP 3045, F 69605 Villeurbanne Cedex, www.golias-editions.fr).

Subtiles et sournoises, en effet, sont les actions menées par l’Eglise catholique contre le nouveau Rwanda, dont l’homme fort est le Tutsi Paul KAGAME – un Rwanda qui désormais interdit le clivage Hutu/Tutsi et s’efforce de surmonter le traumatisme du génocide. Ainsi, avant Noël 2009, on a vu dans la presse des communiqués des « Rebelles de Noël » : le but, fort sympathique en soi, est d’inviter nos sociétés marchandes à fêter la naissance du Christ de manière fraternelle et non commerciale. Mais en faisant des recherches, on tombe sur des invitations à financer des séminaires destinés à promouvoir les droits de l’homme, sans qu’aucune précision d’ailleurs soit donnée. Et en poussant encore un peu les recherches, voilà qu’apparaît un texte où le Rwanda, comme par hasard, est épinglé pour sa façon de rendre la justice : les juridictions Gacaca ne trouvent pas grâce aux yeux de nos « Rebelles de Noël », mais quand on découvre qu’ils sont eux-mêmes liés à Caritas, donc à l’Eglise catholique, « c’est un peu comme si Dutroux critiquait la façon dont on juge les pédophiles », s’exclama un de mes amis, à qui je rétorquai qu’il allait un peu loin, car si beaucoup de prêtres catholiques – ainsi que certains pasteurs adventistes – ont activement participé au génocide, ce n’est pas le cas de tous. Aux yeux de beaucoup d’enquêteurs, l’Opus Dei, dont auraient fait partie le roi des Belges Baudouin Ier et peut-être le dictateur Habyarimana, est une force d’autant plus redoutable qu’elle est occulte ; et l’une de ses forteresses est le Luxembourg (voir mon livre SOLIDAIRES ! et le livre « Révélations$ » publié en 2001 par Denis Robert et Ernest Backes aux courageuses éditions Les Arènes, à Paris (www.arenes.fr). Sur l’Opus Dei, voir ci-dessous.

Show more