2016-07-13

Salut à toi, peuple kazakhe - Almaty, Kazakhstan

Almaty, Kazakhstan

Salut à toi, peuple Kazakhe !

Mais pas à tes araignées ! Bon, je savais que le pourtour de la Caspienne pullulait de Veuves Noires, mais là, franchement, une mygale sur les trottoirs d'Astana, c'est vraiment pour me taquiner. D'autant que si je voyage depuis 20 piges en Asie Centrale, c'est bien parce que les mygales en sont théoriquement absentes. La pauvre bête, sûrement fuyant la guerre massive livrée en Amazonie contre son habitat naturel, avait du en désespoir de cause embarquer clandestinement sur le premier avion venu et débarquer sans papiers sur ce Kazakhstan, nouvelle terre d'asile de tout ce qui disparaît sur cette planète et chantre du renouveau grâce à son Expo sur les énergies futures.

Sans papiers, mais toujours avec ses crochets et ses putains de poils urticants la sale bestiole. Et large comme ma nouvelle paire de boots avec ça ! Alors évidemment les enfants kazakhes ils jouent avec. Ils s'en foutent eux, vu leur espérance de vie. Mais moi qui ai encore de belles années à vivre, Inch Allah, j'ai préféré changer de trottoir. Et alors autant j'ai pu balancer par le passé sur ces saletés de dictatures qui ne savent construire que de teralarges avenues bordées de gigalarges trottoirs pour bien laisser la place aux chars de circuler et manœuvrer, autant aujourd'hui je dis vive l'architecture dictatoriale. Quand tu changes de trottoir pour éviter, mettons, une araignée, ben tu te retrouves direct à 250 mètres et là, tu respires.

Non mais des fois… Une mygale au Kazakhstan… Et alors pourquoi pas bientôt des wetas géants au Kirghizistan ou des mouches-scorpion au Tadjikistan… ????

Du coup évidemment y'a 67 pages de moins dans le guide Kazakhstan. J'ai supprimé Astana, devenue no-go zone et s'excluant d'elle-même de mon horizon littéraire.

De toutes manières y'avait pas grand chose de neuf à raconter sur Astana. Si, des grues par dizaines encore, et sans doute beaucoup de retard pour l'Expo 2017. Ça me rappelle ma visite de Marseille capitale de la Culture dans… "Oh, peuchère, c'est danz un moisseuh déjà ? Bon bé César, prends la truelleuh …".

Enfin si tout de même, y'a un truc à dire sur Astana quand même, c'est que là il faudrait arrêter un peu. Faire une pause quoi, le temps que Norman Foster et ses potes puissent se concentrer deux minutes sur l'harmonie architecturale de la ville. Parce que le cœur du quartier administratif, à la rigueur OK : la grande yourte, l'œuf de samruk, des gros immeubles de ministères et les flammes symbolisant les énergies fossiles, tout cela tenait à peu près la route. Mais à l'est de l'Ichim, dans un quartier tout neuf bordant encore la steppe, alors là pardon. Chaque archi y a été de son petit délire, c'est bien sympa, mais ça pique un peu les yeux. Et vas-y que je te balance une mosquée avec plein de minarets fins et verticaux jouxtant le cratère ogival du palais des arts kazakhes, puis voilà un tas pierres bien anguleux abritant le tout nouveau musée d'histoire et là juste à côté un flan de verre aux bords arrondis où se trouve, euh, le palais du peuple je crois, et encore là une sphère pour le nouveau philarmonique et encore des formes de vagues pour la salle de concerts, et tout cela face au tétraèdre du palais de la paix universelle et de l'harmonie… Ça part dans tous les sens et ça ne veut plus dire grand chose toutes ces formes à la longue. Sans parler des matériaux : du marbre, de l'acier, du verre, de l'or, du béton… Ça fait un peu cocktail d'adolescent en fait : on met tout ce qui existe dans un récipient et on mélange pour voir ce que ça donne. Nazarbaev voulait cette diversité pour "que l'œil ne se fatigue jamais". Il va pas tarder à atteindre l'effet inverse !

Bon alors je prends le musée d'Histoire nationale, au hasard, hé hé, vous savez que je les adore…

Surtout la partie où les scénettes historiques sont reproduites plus à la manière de l'âge de glace bien kitsch où tous les clichés sont de sortie que dans le respect de la stricte vérité historique. Mais bon, il y a un effort notable, alors saluons-le, une fois n'est pas coutume. La mise en avant de la culture kazakhe est soignée, un peu comme si Paris n'était que les décors d'Amélie Poulain. C'est épuré, c'est aseptisé, c'est coloré… On lâche la ville pour habiter sous la yourte et boire du lait de jument demain !

Bon comme d'hab la plus grande partie est réservée à la collection de selfies du président. L'équipe de communication n'a pas encore eu le temps de supprimer les plus gênants, comme celui avec Bachar Al-Assad par exemple, qui trône à côté de la désormais très fameuse photo de François Hollande en habit traditionnel.

Le pavillon de la technologie est pas mal non plus. Je ne sais pas si une délégation officielle russe a déjà visité le musée, mais sinon ils seront contents d'apprendre que c'est le Kazakhstan et non les russes qui ont mené la course aux étoiles contre les Américains dans les années 1960 et 1970. Ben Baïkonour c'est kazakhe oui ou non ? Enfin on le dit pas assez mais les cosmonautes kazakhes ont été plus nombreux que les astronautes français. Et il y en a même qui ont leur plaque sur la lune, ça c'est pas rien.

Mais ce qui marque dans ce musée, c'est bien évidemment l'installation d'art contemporain du dernier étage. J'adore l'art contemporain… Alors il y avait là toute une forêt d'arbres pétrifiées, plantés tête dans le sol, les racines faisant office de branches. Et pis c'est tout. Bon alors à première lecture on marche un peu sur la tête bien sûr… Enfin je veux dire… Bon, vous voyez quoi. Mais bien sûr derrière cette lecture simpliste, on touche du doigt à la synthèse sommitale de la sagesse, qui est de dire que la beauté n'est qu'apparence et qu'on ne sait jamais quelle bête immonde se dissimule sous une surface si lisse soit-elle. Bon, ça fait encore trop bistrot ça. Alors on pense à changer ses perceptions, et on se rappelle que les arbres poussent, ce qui est un défi, bien sûr, à la gravité. Alors on réfléchit à l'inversion gravitationnelle et à l'impossibilité physique et naturelle qu'ont tous les organismes vivants à s'opposer aux forces millénaires, ce que dénonce notre installateur contemporain. Tous, sauf l'homme, puisque le kazakhe, lui s'est opposé à l'inertie millénaire, qui le poussait à nomadiser, pour devenir un sédentaire, tout comme nous, occidentaux, sommes devenus via les modes de communication moderne des sortes de voyageurs immobiles. Cet arbre renversé, bien sûr, c'est l'homme qui défie sa condition et vainc son destin. Après bien sûr on redevient soi-même, et on se demande bêtement qui a posé ça là, mais c'est bon quand même de faire tourner un peu ses méninges après une longue pause hivernale.

Astana le soir reste morte. Ça devrait changer avec l'expo universelle, mais pour l'heure on dirait qu'ils n'ont pas encore construits les bars, les pubs, les restos… Y'a quelques nouveautés par rapport à il y a 3 ans mais globalement la night life reste un no life dans cette capitale artificielle. Mais bon, Astana reste la plus jeune capitale du monde. On peut pardonner les errements de la jeunesse. Tout est axé sur les grands projets architecturaux, dans le cadre d'une compétition secrète que se livrent, pour le fun, Bakou, Astana et Dubaï. En 2014, le budget pour la construction d'Astana a dépassé les 100 milliards de dollars… Kisho Kurokawa et Norman Foster ont assuré leur retraite… D'autant que c'est compter sans le titanesque projet d'Abou Dhabi Plaza, un gratte ciel de 382 mètres, ce qui en fait le plus haut de toute l'Asie Centrale, qui fera également aussi office de phare dans la steppe et dont la lumière portera à plus de 60 km en plein jour (oui, nous les bretons on sait que ça en fait un phare de premier ordre). Mais bon, le tout petit incendie qui a consumé en février dernier, dans la plus grande discrétion médiatique, tout ce qui se trouvait au dessus du 25ème étage, c'est-à-dire 53 étages, risque de ne pas permettre au gratte ciel d'être achevé comme prévu cette année. Là ça fait un peu plus torche mouillée que phare… Il y a des chances que le quartier soit fermé pour l'Expo 2017, en espérant que les travaux de l'Expo ne souffrent pas de catastrophe similaire.

Bon allez, quittons Astana. Après mes déambulations dans les anciens goulags voici 3 ans, j'ai cette fois-ci choisi d'aller faire un tour dans les villes du nord, russophones et russophiles, où j'ai pu d'ailleurs me rendre compte que mes restes de russes étaient finalement plus utiles que mes restes de kazakhe. Pas étonnant, suffit de me regarder pour voir qu'en moi le slave domine…

S'en est suivi une longue traversée de la steppe du nord au nord-ouest puis du nord au sud, passant par les villes très russifiées de Petropavlosk ou Kostenaï, puis Karaganda, Kyzyl Orda et Turkestan.

Alors pour Turkestan, toutes mes excuses aux dizaines (ils sont surement pas plus nombreux) de touristes qui sur mes conseils s'en sont allés dormir au Yessay Hotel que je définissais comme confortable, chaleureux, limite luxueux. Il est vrai qu'il y a 10 ans, je m'y étais arrêté après trois semaines sur la mer d'Aral, entre loups, tuberculose, et hôtel insalubre, et que le Yessay avait du me paraître un 5 étoiles tout d'un coup. Point n'est-il, et déjà point n'était-il il y a 10 ans, c'est certain. C'est juste un autre de ses hôtels soviétiques tout pourris, mais un peu moins que ceux que j'avais fréquentés à l'époque côté ouzbek, et qui avait du m'apparaître comme un havre de paix et de sécurité après mes aventures aralaises. Défaut de vision et d'objectivité bien pardonnable, m'enfin désolé à tous ceux qui croyaient se faire couler un bain dans ce "super hôtel" : y'a même pas d'eau !

Turkestan de toutes manières est toujours aussi peu intéressante. Le mausolée vaut un coup d'œil, bien sûr, mais plus pour son gigantisme que pour ses décorations ou ses couleurs. Les constructions timourides sont bien plus abouties en Ouzbékistan. Et pour un site de pèlerinage, Turkestan fait toujours autant figure de ville à l'abandon. Des restaurants aux serveuses neurasthéniques où personne ne mange, des jardiniers aussi dynamiques qu'une bande d'huîtres hémiplégiques, perdus dans les herbes sauvages et hautes jusqu'aux épaules du parc municipal, des maisons décrépites et des parcs pour enfants délabrés et désertés. On pourrait se croire à Semipalatinsk.

Almaty, en revanche, est toujours aussi vivante, fraîche et animée. Et toujours l'une des plus sympathiques des capitales d'Asie centrale, si tant est que ce critère vaille quelque chose lorsque l'on parle des capitales centrasiatiques.

Almaty bien sûr très déçue de ne pas accueillir les JO d'Hiver de 2022, mais vous allez voir, j'ai fait ma petite enquête et je prépare un beau couplet là-dessus.

Mais avant cela, après deux semaines de traversée de la steppe, laissez-moi vous emmener pour une petite soirée foot au Shakespeare. Pourquoi le Shakespeare ? Parce que le monde est petit mais que le Shakespeare est grand pardi ! Le bar à l'anglaise occupe la plus grande partie de la pièce principale. Il est à angles droits, et très long. Si vous n'avez jamais été à Londres, vous pourriez vous y croire. Si vous avez traîné dans les pubs d'Almaty, vous verrez qu'ils ont tous le même, parce qu'en Asie Centrale on fonctionne toujours par monopole. Donc y'a que un fabriquant de bars, et même le Mad Murphy's, à quelques encablures, a troqué son bar en épingle à cheveux pour avoir le même qu'au Shakespeare.

Pour s'assœir au Shakespeare, c'est extra. Gros canapés à l'anglaise le long de la baie vitrée, parfait point d'observation de la vie locale ou de la terrasse pour ceux qui ont la vue plus courte, chaises hautes autour de tables rondes, tabourets rembourrés au bar, il n'y a que l'embarras du choix. Et pour les consommations, c'est comme à la maison. À la pression Efes mais surtout Guinness, Carlsberg, Heineken, Kilkenny ou Blanche. Pas d'alcools frelatés et d'excellents cocktails que n'a pas besoin de sauver une quantité pharaonique de glaçons.

Pour manger on commande indien, italien ou fish & chips. On est bien.

Au plafond c'est du verre fumé, ça sert à rien de vous le dire mais ça fait cossu.

Côté serveuses, trois kazakhes et une russe. Ne me demandez pas pourquoi, mais ça a toujours été comme ça. Et derrière le bar, deux gaziers kazakhes qui viennent rétablir la parité entre les deux nationalités, règle ici plus importante que la parité sexuelle.

Le Shakespeare, je l'ai surtout fréquenté lors de l'Euro 2012, donc en 2012, et aujourd'hui en 2016, donc lors de l'Euro 2016. Alors autant vous dire que je sais où m'assœir, surtout lorsqu'il faut voir un France-Espagne. Il y a bien aussi le Chukotka, dans le parc Panfilov, mais ça c'est bien pour les matches de 21h (qui sont retransmis ici à 1h), quand le Shakespeare a fermé ses portes.

Ici, on vient voir les matches de 15h (19h au Kazakhstemps) ou de 18h (22h au Kazakhstemps). À condition bien sûr de savoir où se positionner. Pour une raison que j'ignore totalement, alors que Total, Suez, thales, Veolia ou EADS ont tous des contrats ici, je n'ai jamais vu l'ombre d'un expat francophone à Almaty. Alors que les expats allemands, suisses, belges ou anglais sont toujours là à préempter l'écran géant. À croire que les expats français suivent les directives du quai d'Orsay et ne sortent jamais de leur bunker. Ou alors ils n'aiment pas le foot. Bon, en s'en foot, l'essentiel est de savoir que, quand on fait ma taille, on se rend vite compte que regarder une série de nuques et de chopes levées à grand coups de "wunderbar" (bah oui, les allemands gagnent tout le temps en plus) ne mène pas à grand chose.

Mais il reste un écran moyen, et un petit écran. Je dis pas ça pour vous ennuyer hein, moi ma place est toute trouvée, sous un spot zénithal en panne depuis 8 ans et qui permet à ma calvitie précoce de rester dans l'ombre. Mais ça c'est ma place, je vous la donne pas.

Alors le problème de l'écran moyen, c'est que l'un des barmans kazakhes est toujours positionné dessous. Et ce barman kazakhe a beaucoup d'amis kazakhes qui viennent tout au long de la soirée vider des shots de vodka et prendre des selfies les bras levés bien hauts en hurlant des insanités en russe ou en kazakhe tout en faisant le Mil-Mi 8 avec leur bite debout sur les tabourets. Du coup, si on est mal positionné on voit plus rien non plus. Ça c'est si on est du côté de l'entrée. Si on se positionne du côté de la baie vitrée, vers le fond, on évite ce bordel mais on place alors en alignement la caisse et l'écran. Or, la caisse, c'est l'endroit où se réunissent les serveuses dans l'attente des commandes. Il ne faut donc pas très longtemps pour semer la confusion et faire croire à trois kazakhes et une russe que vous les reluquez méchamment plutôt que l'écran juste au-dessus de leur frange-à-la-kate-moss. Ce qui fait qu'au lieu de l'addition vous repartez avec plein de numéros de téléphone.

De ma place sous le spot zénithal en panne, j'ai une bonne diagonale sur l'écran moyen qui passe entre le barman et les serveuses. Et si le besoin s'en fait sentir, je me penche légèrement sur la droite en me hissant sur les fesses (oui je suis d'accord, ça fait le mec qui en lâche une discrètement, mais ce serait dommage de rater un but) et j'ai une vue directe sur le petit écran situé derrière le poteau central.

Tout cela semble bien futil n'est-ce pas ? On ne se pose pas autant de questions au Balto. Mais ici, au Shakespeare, c'est ce qui fait toute la différence entre une suite de soirées heureuses quelque soit le score final et un quiproquo fâcheux entre quatre serveuses et un barman. Oui, je compte aussi le barman dans le quiproquo car depuis que Almaty s'est vue retirer sa candidature aux JO par ces pédés d'Occidentaux (oups, je dérape, mais vous allez voir, c'est plutôt cocasse), les kazakhes hésitent moins à afficher leur homosexualité, et c'est suffisamment unique en Asie Centrale pour en parler un peu.

Or donc, pour la préparation des Jeux Olympiques, cela faisait des années que Almaty travaillait dur pour améliorer les installations de son super complexe à Shymbulak. Un véritable succès populaire, enfin pour la jeunesse dorée. Avec une gigantesque patinoire à ciel ouvert, des remonte-pentes au top de la modernité et des pistes en veux-tu-en-voilà kazakhe rouge et toque noire bleue ou verte. Plus qu'à faire quelques hôtels et l'affaire été réglée, d'autant que l'autre ville candidate était Pékin, où à part les tempêtes exceptionnelles, on mesure à peine 20cm de neige par an. Autant dire que Nazarbaev pensait déjà avoir les JO dans la poche et le mouchoir par dessus.

Pour comprendre la suite, il faut remonter quelques années en arrière, lorsque le Kazakhstan, accueillant de plus en plus d'occidentaux engagés dans les métiers de l'eau, du pétrole, de l'énergie, de l'ingénierie terrestre, maritime ou aérienne… bref, un peu de tout mais pas forcément aux mœurs sexuelles aussi classiques que chez les nomades, a cru bon de retirer l'homosexualité de la liste des maladies mentales et des crimes de droit commun, histoire de pas devoir décapiter un pdg occidental de projet off shore qui aurait fricoté avec un kazakh de même sexe. Jusque là tout allait bien, si ce n'est que du coup, le Kazakhstan devenait un peu la risée de ses camarades de cour d'école, Russie, Ouzbékistan et Turkménistan en tête. Pas trop envie de se faire traiter de tapette le Kazakhstan, mais il faut savoir courber l'échine.

Et alors par là-dessus, on s'apprête à recevoir le Comité des JO pour une inspection dans le cadre de la candidature d'Almaty aux Jeux Olympiques d'hiver 2022. Or, que n'apprend t'on pas en haut lieu de la police locale ? Le 25 juillet 2015 ? Alors que le CIO rend sa décision le 31 juillet ? Eh bien je vous le donne Émile, une agence projette de placarder à Almaty une affiche montrant le grand poète kazakh Kurmangazy Sagyrbayuly embrassant à pleine bouche le poète russe Pouchkine. Alors là l'agence est assez maline parce que, dans cette contrée loin du rainbow flag, on se dit que c'est une allusion au splendide baiser de Brejnev à Honecker, immortalisé sur le mur de Berlin, et donc que cette affiche s'inscrit dans l'histoire et le référentiel culturel soviétiques, rien à dire. Mais bon, si on est pas comme moi en train d'écrire un guide de voyage sur le Kazakhstan, on ne peut pas non plus savoir que, au coin de la rue Kurmangazy et de la rue Pouchkine, se tient un bar ouvertement gay qui a choisi de faire ainsi sa promotion discrète.

Pas assez visiblement. On raconte que le président Nazarbaev ne vivait plus que dos au mur persuadé que bientôt des hordes de sodomites iraient s'enfilant librement dans les rues de son ancienne capitale. Inimaginable ! Alors le voilà qui imite le grand frère russe et s'apprête à promulguer une loi interdisant la promotion de "la sexualité non conventionnelle" (ce qui ramène déjà l'homosexualité vers la notion de délit). Donc les drapeaux gay friendly, les affiches de films équivoques, les affiches de pub"tu m'as pris pour un con ou quoi ?" etc. Histoire quand même de protéger ses arrières -façon de parler- et de ne pas voir se promener des gens du village partout dans le pays en pleine Expo 2017.

Les reprises en main de Nazarbaev ne sont pas réputées pour leur douceur. C'était valable pour les journalistes, ça l'est désormais pour les homos. Retraits de licences, fermeture manu militari de tous les établissements connus, passages à tabac, pogroms… on va vous faire passer l'envie de voir la verge au Kazakhstan ! Faut pas déconner, le CIO arrive, on parle sport et gros billets, faudrait pas faire figure de tapettes. En taule tout le monde !

C'est bon, tout va bien, on souffle, on resserre la cravate, on tire les manches du costume et on fait des mouvements de tête comme une poule parce que quand on est nerveux y'a l'étiquette du col de la chemise qui frotte un peu la nuque, tout comme un ancien président à nous qu'on a eu, et on s'apprête à aller serrer la pince à ces messieurs du CIO.

Ahlala. Des années de candidature, d'investissements, de dessous de tables, de concessions sur les tarifs du pétrole et de l'uranium, de limousines et putes de luxe… Et tout ça pourquoi ? Pour que le CIO débarque avec une lettre des sportifs olympiques s'inquiétant du sort réservé à la communauté homosexuelle kazakhe :

"À la lueur des aspirations du Kazakhstan à accueillir les Jeux olympiques d'hiver de 2022 et de l'adoption récente d'une législation interdisant "la propagande de l'orientation sexuelle non-traditionnelle", nous exhortons le CIO à rappeler aux autorités kazakh que la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle est incompatible avec l'appartenance au mouvement olympique."

Nazarbaev n'en croit pas ses oreilles au premier abord, persuadé que les sportifs sont des hommes, des vrais, son sang ne fait qu'un tour : "Mais si mais si, on les traite comme il faut nos pédés, on les tabasse bien, ont leur interdit de porter plainte, et s'ils le font quand même on vient juste d'acheter des matraques télescopiques toutes neuves à la France pour leur foutre dans… quoi ?… Nous ?… Des barbares… Mais…"

Outré, le comité du CIO se retire et confie l'organisation des JO 2022 à… Pékin. Bon, au-delà de la polémique suscitée par le fait qu'à pékin y'a pas de neige, je voudrais bien savoir, moi, pourquoi les sportifs olympiques se soucient plus de l'homo kazakhe que de l'homo de Pékin, mis à part le fait que la Chine a autorisé une première gay pride en 2009 (ils étaient 3 pour 2000 policiers…) ou des migrants du Qatar…

En tous cas, Nazarbaev, bien repenti, a renoncé à sa loi d'interdiction de la promotion des sexualités non conventionnelles pour l'instant, c'est pourquoi un barman kazakhe peut ouvertement faire part de ses préférences aujourd'hui à Almaty, ce qui vous l'admettrez est un bon en avant… Puis surtout Nazarbaev ne voudrait pas qu'on lui annule sa belle Expo 2017 ou qu'on lui refuse sa nouvelle candidature aux JO 2026. Je me demande si Depardieu, adepte des Républiques centre-asiatiques, a déjà pensé à incarner Nazarbaev dans une version kazakhe du "Placard" de Francis Veber. Ce serait cocasse.

Alors bienvenus dans le monde, homos kazakhes, vous avez gagné 10 ans à la lumière du soleil, tachez d'en profiter !

À part ça, rien de neuf en Asie Centrale, en tous cas pas de quoi friser la frange à une kazakhe…

Allez, salut à tous (et oui, à toi aussi l'homo kazakhe)
Et bien des choses,
RV

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