2014-08-28

AURILLAC ACCUEILLE INTERMITTENTS ET PRECAIRES - Aurillac, France

Aurillac, France

En mars 2014, le MEDEF et le nombre requis de syndicats représentatifs, dont la CFDT, signent un nouvel accord concernant l'assurance chômage des intermittents. Un accord qui maintient en le durcissant, l’accord de 2013 qui avait en son temps provoqué des perturbations dans certains festivals. Le gouvernement socialiste a beau se féliciter d’avoir maintenu un régime que le MEDEF souhaitait liquider, ses effets néfastes en affecteront néanmoins des intermittents qui en seront davantage fragilisés et précarisés. Tout comme les chômeurs ou les retraités, ils font partie des premiers publics touchés par cette régression : cumul plafonné (salaires et indemnités chômage), hausse des cotisations ou encore augmentation du nombre d’heures minimal nécessaire à l’obtention d’un statut qui est un véritable fourre-tout bien utile aux groupes audio-visuels pour mener une politique salariale de précarité. Or, selon un rapport parlementaire, leurs rémunérations diminuent à mesure que leur nombre se multiplie. Autant d’éléments qui ont conduit des intermittents et la coordination des intermittents et des précaires (CIP) à mener des actions qui ont perturbé certains festivals.
« Ils veulent asphyxier la culture ! »
C’est par ces mots lancés pendant les rappels de son spectacle du « in », « discours à la nation », que le comédien belge David Murgia manifeste son soutien au mouvement en précisant que les mesures prises par les gouvernements étant semblables, en Belgique comme en France.
La scène se passe à Aurillac, le dernier des quatre jours du festival de théâtre de rue, un rendez-vous annuel devenu incontournable et dont la réussite ne se mesure pas qu’en termes de fréquentation. Les raisons ? La programmation et les spectacles donnés d’abord. Cette année, encore, les compagnies auront apprivoisé, transformé, offert la ville à travers le prisme de leur regard, de leur imaginaire. Ce qui, dans une ville où j’ai résidé quelques années, aura toujours été pour moi un bonheur renouvelé. D’autre part, si les compagnies changent, "Royal de Luxe » ou « Générik Vapeur » une année, « Teatro del Silencio » ou Komplex kapharnaum » la fois d'après, il reste une constante, l’inventivité, le « délire », quelquefois la déception mais le plus souvent la qualité, de spectacles toujours en résonnance avec l’époque, ses angoisses, ses luttes comme ses espoirs. Les « compagnies de passage », présentent depuis quelques années, davantage de magie, de danses urbaines et moins de saynètes. C’est du moins ce qu’il me semble. Pour en finir avec le chapitre « tendance de la saison », signalons une recrudescence des fauteuils pliables (apparus depuis plusieurs années) et l’invasion des vélos. Une aberration quand un des intérêts de ce festival est de prendre le temps de musarder dans les rues, de s’arrêter ici, humer un spectacle pour s’installer ou tenter sa chance ailleurs.
Autre indicateur de réussite, au fil de ses vingt-neuf éditions, le festival s’est réellement ancré sur son territoire et les cantaliens, souvent fidèles (beaucoup de cheveux blancs dans l’assistance), sont nombreux parmi la foule des spectateurs qui déambulent avec une bonhommie bienveillante dans les rues du centre ou de quelques quartiers -un peu plus périphériques- de cette ville d’une trentaine de milliers d’habitants. On y vient assister aux spectacles de la vingtaine de troupes du « in », certains payants, mais aussi (surtout) à ceux, gratuits, proposés par les quelques cinq cents « compagnies de passage », une dénomination locale du « off ». Même le froid ou la pluie n’arrêtent pas les spectateurs. Et pourtant, au départ, la cause n’était pas acquise et il fallut composer avec la méfiance teintée d’hostilité d'une partie de la population. Les drogués déferlaient… Depuis et même si on entend encore quelques habitants se plaindre d’une gêne ou de quelques inconvénients inévitables, chacun y trouve son compte et aujourd’hui, chacun en est conscient, la disparition du festival serait une mauvaise nouvelle. Pour les compagnies, au premier chef, Aurillac étant selon le mot d’un membre de « Délices Dada », « la Roll’s des festivals ». C’est l’occasion pour les troupes de nouer des contacts indispensables avec « tourneurs » et organisateurs qui peuvent assister « in vivo » aux spectacles. Les cantaliens également, à qui cette respiration bienvenue apporte une ouverture sur des formes de création artistiques et des thématiques peu présentes dans les médias traditionnels. Les partenaires financiers pour qui être un partenaire financier de cette action reconnue nationalement, est valorisant : la mairie depuis longtemps aux mains des socialistes et qui quoiqu’on puisse en penser par ailleurs, apporte un soutien constant mais aussi le département, la région ou la Drac. Enfin, hôteliers et commerçants, fixes ou sédentaires, sont très satisfaits des recettes substantielles que procure la foule des visiteurs. Et pourtant, les premières années, une rumeur laissait entendre que certains dormaient dans leur boutique par peur des dégâts des sauvages … Depuis, les groupes de « voyageurs » tatoués, avec ou sans crête, accompagnés de leurs chiens, ne font plus peur. Certains font même preuve d’une politesse quelque peu surprenante parce que devenue surannée. Bref, les différents publics ont appris à se côtoyer, à se respecter voire à dialoguer. Et si une présence policière, dont celle des renseignements généraux, est réelle, elle reste plutôt discrète et depuis quelques années, on ne fouille plus guère les coffres de voiture ou les passagers des trains. En revanche, lorsque conflits et personnalités s’annoncent … Aujourd’hui, chacun en est conscient, la disparition du festival serait une mauvaise nouvelle pour tous.
Des compagnies en danger
Ce sont (d’abord) les techniciens et comédiens des « petites » troupes qui connaîtront des difficultés accrues, elles dont la notoriété est limitée, ne bénéficient pas des réseaux et des subventions auxquels des compagnies plus renommées ont accès. L’une d’elles annonce qu’il lui faudra sans doute réduire la voilure tout en faisant « davantage de bénévolat » ; le bénévolat, pour ces « compagnies de passage », c’est venir à Aurillac sans être autrement payé qu’au « chapeau » tout en supportant la totalité des frais afférents. L’espoir de signer des contrats est à ce prix. La question des intermittents qui ne sont pas sur scène, face au public mais dont le rôle et l’utilité sont pourtant essentiels primordiaux, se posera inévitablement. Pour pouvoir subsister, certaines compagnies devront se séparer de leur(s) technicien(s), des chargé(s) de la promotion des spectacles ; autant de membres éloignés des projecteurs mais essentiels et qui permettent le bon déroulement des représentations ou une présence rémunératrice et vitale à l’occasion d’un vide-greniers ou pendant un festival. Pour assurer leur pérennité, ces comédiens devront sans doute multiplier les interventions dans différents projets ou encore quand ce sera possible, faire davantage d’interventions dans les dispositifs éducatifs, loin du théâtre de rue.
La coordination des intermittents et des précaires s’invite au festival
Le lancement du festival fut l’occasion pour les intermittents, soutenus par la direction du festival, de détourner la cérémonie/spectacle habituelle de remise des clefs de la ville en une prise de parole scénarisée par la troupe du « Teatro del silencio ». Les craintes et revendications y furent exprimées par des représentants de la coordination et par Jean Marie Songy, le directeur du festival mais aussi par un intermittent cantalien mené à la hache du bourreau pour être finalement libéré. Pierre Mathonier, le maire PS, répondit par la demande faite au gouvernement de renégocier l’accord Unedic, se gardant toutefois d’aller jusqu’à en réclamer l’abrogation. Un maire étrangement seul cette année, alors que pour les éditions précédentes, élus départementaux et régionaux figuraient sur la photo. Cette année, personne n'est venu faire admirer sa trombine. Même absence du côté des ministres, alors que Filippetti en 2012 et Valls qui y fut hué en 2013, étaient venus faire un tour de piste. La faute au soleil ... intermittent prévu sur la ville ? Ces mauvais camarades ont laissé le maire seul, face au mécontentement, modéré cependant, de l’assistance sur le parvis de l’hôtel de ville où flottait une bannière noire ornée d’un gigantesque « X », un X comme l’annexe dont relèvent les intermittents mais aussi comme le trait de plume qui les raye d’un coup de la vie sociale et culturelle.
Le lendemain, le jeudi, une assemblée générale d’une cinquantaine de présents, tenue par la coordination au sein de laquelle la CGT est très présente, vote un appel à la grève et décide d’une manifestation dénonçant à la fois l'accord Unedic, les mauvais coups sociaux et apportant son soutien à quelques luttes locales. Le vendredi, le défilé réunit entre 2 500 et 5 000 manifestants, selon les sources. Après quelques jets de tomates sur la permanence du député PS de la circonscription et précédent maire d’Aurillac, le cortège arrive sur la place de l'hôtel de ville, un des lieux emblématiques du festival. Une centaine de manifestants y pénètre et une délégation demande au maire de se positionner en faveur de l’abrogation de l’accord. Membre de la majorité gouvernementale, celui-ci refuse logiquement, prétextant que cette décision ne relève pas de sa "compétence" de maire. Il est alors décidé d’occuper l’hôtel de ville, une action dont la CGT Cantal et la direction du festival se désolidarisent. Dans la nuit, les occupants quittent les lieux après que le maire ait signé une lettre demandant la renégociation de l’accord. Rien d’autre que ce qu’il a déjà annoncé dans son discours d’ouverture.
Malgré ces événements, la programmation prévue a été maintenue. Deux raisons peuvent expliquer les difficultés de mobilisation pendant le festival . La première tient au dilemme auquel sont confrontées les troupes ; si elles font grève, il leur est impossible de présenter leurs spectacles aux organisateurs présents et avec qui souvent, elles ont pris contact au préalable. Adieu l’investissement financier et les contrats potentiels. La deuxième explication relève de l’attitude solidaire de la direction du festival. Comme lors des luttes précédentes, elle a facilité et même relayé
l’expression des revendications du mouvement. Si la manifestation a permis de jeter un nouveau coup de projecteur sur la lutte des intermittents, son efficacité a semblé limitée. Néanmoins, la question du futur des compagnies et donc du festival reste posée. Quid de l'édition 2015 ? On peut craindre qu’il y ait moins de ces « compagnies de passage », ce qui ferait perdre au festival une partie de son intérêt et de sa saveur tout en réduisant les revenus qu’en tirent hôteliers et commerçants. A plus long terme, pourra-t-on faire l’économie d’une réflexion et d’un débat portants sur la place, le régime et les conditions sociales des artistes et des techniciens, tout comme (et par extension) ce pourrait l’être pour les sportifs professionnels.

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