2013-11-04

les inaccessibles jardins Baha'i de Haïfa - Haifa, Israel

Haifa, Israel

Nous empruntons la 4 pour nous rendre de Akko à Haïfa qui n'est qu'à un vingtaine de km. Nous passons par Kiryat Bialik avant d'arriver par la 22 en longeant la zone portuaire.Nous nous garons enfin au pied de la coulée verte des jardins Baha'i où nous nous rendons. Malheureusement, seule la petite partie basse des jardins est ouverte et accessible et nous nous en contentons. Il est déjà 16h30 et les autres parties sont fermées au public. Nous montons par des rues en lacets sur les hauteurs de Haïfa vers l'entrée haute des jardins Bahai. Là aussi accès limité à une petite partie. Le reste des terrasses suspendues parrallèles à la Promenade Louis et s'étageant jusqu'à la rue Ha-Gefen et des allées de promenade en contrebas, du fait de l'heure tardive est fermé. Dommage... Nous redescendons à mi-hauteur des jardins et nous pouvons enfin découvrir les jardins "à la française" encore ouverts à hauteur du mausolée coiffé d'un dôme doré qui renferme la sépulture du Bab, fondateur de la foi Baha'i.
La promenade Louis en haut a eu l'avantage de nous offir une vue spectaculaire sur toute la ville, le port, la baie et un coucher de soleil sur 180°.
L'heure pas tardive, mais le crépuscule nous invite à prendre le chemin de retour vers Tiberiade. Et pour ce, nour remontons vers le haut de la ville pensant trouver les panneaux routiers pour nous repérer. Mais basta, nous ne nous repérons pas. Commence alors une fuite en avant au hasard des rues, une errance dans la circumnavigation urbaine. La 22 nous échappe et l'on se retrouve au milieu de nulle part. Rétrospectivement, nous découvrirons que nous étions sur les hauteurs du Mont Carmel(546m du niveau de la mer) et que nous avions emprunté la 672 : une route sinueuse sur un parcours forestier (mais nous n'avons pu l'apprécier), avec une circulation dense , qui passe par Dalyat el-Karmel avant de redescendre les pentes du Mont Carmel par des lacets de montagne et de déboucher sur une jonction avec la 70, à Elyakim interchange. Les avis des uns et des autres divergeaient quand à la route à prendre. Cacophonie générale de la bande des cinq. Mais cette jonction ne nous situait pas ou difficilement malgré un allez-retour, pour revenir sur la route déjà empruntée précédemment.. Alors aux grands maux, les grands remèdes. Le GPS de l'IPhone nous remet les pieds sur terre et nous situe cette jonction. Réconfortés, nous y voyons plus clair et par la 722 puis la 77, vers Nazareth que nous laissons sur notre droite et nous rentrons à Tiberiade où nous arrivons vers 20h30.
Dîner-pique-nique sur la terrasse de l'hôtel au pain viennois/moutarde/salami/bière goldstar... évidemment. Tout est bien qui finit bien.
Les jardins Baha'i n'étaient pas pour nous aujourd'hui hélas...

Hergé dans "Au pays de l'or noir" évoque le port de Haïfa et situe lhistoire à l'époque du mandat britannique
"Voilà Haïfa"
"Oui et voilà une vedette de la Navy qui se dirige vers nous"
"Nous avons ordre de perquisitionner !... Espionnage..."
"Ah ?... Bien!... Allez-y!..."

À relire...

À relire également le livre de François-René de Chateaubriand "Itinéraire de Paris à Jérusalem". Récit du voyage qu'il fait autour de la Méditerrannée de juillet 1806 à juin 1807 et publié en 1811.
L'extrait çi-dessous en est tiré à propos de Nazareth et de Ha¨fa

Alphonse de Lamartine
visite à Haïfa et en Galilée
Même date. (20 octobre 1832.)

À la sortie de Nazareth, nous côtoyons une montagne revêtue de figuiers et de nopals. à gauche s'ouvre une vallée verte et ombreuse ; une jolie maison de campagne, rappelant à l'oeil nos maisons d'Europe, est assise seule sur une des pentes de cette vallée. Elle appartient à un négociant arabe de Saint-Jean D'Acre. Les européens ne courent aucun danger dans les environs de Nazareth ; une population presque toute chrétienne est à leur service. En deux heures de marche nous atteignons une série de petites vallées circulant gracieusement entre des monticules couverts de belles forêts de chênes verts. Ces forêts séparent la plaine de Kaipha du pays de Nazareth et du désert du mont Thabor. Le mont Carmel, chaîne élevée de montagnes qui part du cours du Jourdain et vient finir à pic sur la mer, commence a se dessiner sur notre gauche. Sa ligne, d'un vert sombre, se détache sur un ciel d'un bleu foncé tout ondoyant de vapeurs chaudes, comme la vapeur qui sort de la gueule d'un four. Ses flancs ardus sont semés d'une forte et mâle végétation. C'est partout une couche fourrée d'arbustes, dominés ça et là par les têtes élancées des chênes ; des roches grises, taillées par la nature en formes bizarres et colossales, percent de temps en temps cette verdure, et réfléchissent les rayons éclatants du soleil. Voilà l'aspect que nous avions à perte de vue sur notre gauche ; à nos pieds, les vallées que nous suivions descendaient en douces pentes, et commençaient à s' ouvrir sur la belle plaine de Kaipha.
Nous gravissions les derniers mamelons qui nous en séparaient, et nous ne la perdions de vue un moment que pour la retrouver bientôt. Ces mamelons, entre la Palestine et la Syrie maritime, sont un des sites les plus doux et les plus solennels à la fois que nous ayons contemplés. ça et là, les forêts de chênes abandonnés a leur seule végétation forment des clairières étendues, couvertes d' une pelouse aussi veloutée que dans nos prairies d'occident ; derrière la cime du Thabor s'élève comme un majestueux autel couronné de guirlandes vertes dans un ciel de feu : plus loin, la cime bleue des monts de Gelboe et des collines de Samarie tremble dans le vague de l'horizon. Le Carmel jette son rideau sombre a grands plis sur un des côtés de la scène, et le regard, en le suivant, arrive jusqu'à la mer, qui termine tout, comme le ciel dans les beaux paysages.Combien de sites n' ai-je pas choisis la, dans ma pensée, pour y élever une maison, une forteresse agricole, et y fonder une colonie avec quelques amis d'Europe et quelques centaines de ces jeunes
hommes déshérités de tout avenir dans nos contrées trop pleines ! La beauté des lieux, la beauté du ciel, la fertilité prodigieuse du sol, la variété des produits équinoxiaux qu'on peut y demander à la terre ; la facilite de s' y procurer des travailleurs à bas prix ; le voisinage de deux plaines immenses, fécondes, arrosées et incultes ; la proximité de la mer pour l' exportation des dentées ; la sécurité qu' on obtiendrait aisément contre les arabes du Jourdain, en élevant de légères fortifications à l'issue des gorges de ces collines : tout m'a fait choisir cette partie de la Syrie pour l' entreprise agricole et civilisatrice que j'ai arrêtée depuis.
Même date, le soir. Nous avons été surpris par un orage au milieu du jour. J'en ai peu vu de si terribles. Les nuages se sont élevés perpendiculairement, comme des tours, au-dessus du mont Carmel ; bientôt ils ont couvert toute la longue crête de cette chaîne de montagnes ; la montagne, tout à l' heure si sereine et si éclatante, a été plongée peu à peu dans des vagues roulantes de ténèbres fendues ça et là par des trainées de feu. Tout l'horizon s'est abaissé en peu de moments, et s'est rétréci sur nous. Le tonnerre n'avait point d'éclats ; c'était un seul roulement majestueux, continu, et assourdissant comme le bruit des vagues au bord de la mer, pendant une forte tempête. Les éclairs ruisselaient véritablement, comme des torrents de feu du ciel, sur les flancs noirs du Carmel ; les chênes de la montagne et ceux des collines, où nous étions encore, ployaient comme des roseaux ; le vent qui sortait des gorges et des cavernes nous aurait renversés, si nous n'étions pas descendus de nos chevaux, et si nous n'avions pas trouvé un peu d'abri derrière les parois d'un rocher, dans le lit à sec d' un torrent. Les feuilles sèches, soulevées par l'orage, roulaient sur nos têtes comme des nuages, et les rameaux d'arbres pleuvaient autour de nous. Je me souvins de la bible et des prodiges d' Elie, ce prophète exterminateur sur sa montagne : sa grotte n'était pas loin. L'orage ne dura qu'une demi-heure. Nous bûmes l'eau de sa pluie, recueillie dans les couvertures de feutre de nos chevaux. Nous nous reposâmes quelques moments, à peu près àa moitié chemin de Nazareth à Kaipha, et nous reprîmes notre route en longeant le pied du mont Carmel ; la montagne sur notre gauche, une vaste plaine avec une rivière a droite.
Le Carmel, que nous suivîmes ainsi pendant environ quatre heures de marche, nous présenta partout le même aspect sévère et solennel. C'est un mur gigantesque et presque à pic, revêtu partout d'un lit d' arbustes et d'herbes odoriférantes. Nulle part la roche n'y est à nu ; quelques débris, détachées de la montagne, ont glissé jusque dans la plaine. Ils sont comme des citadelles données par la nature pour servir de base et d'abri à des villages d'arabes cultivateurs. Nous ne rencontrâmes qu'un de ces villages, deux heures environ avant d'apercevoir la ville de Kaipha. Les maisons sont basses, sans fenêtres, et couvertes d'un terrassement qui les garantit de la pluie. Au-dessus, les arabes élèvent, en feuillage soutenu par des troncs d'arbres, un second étage de verdure qu'ils habitent pendant l' été. Ces terrasses étaient couvertes d'hommes et de femmes qui nous regardaient passer, et nous criaient des injures.
L'aspect de cette population est féroce : aucun d'eux pourtant n'osa descendre du mamelon pour nous insulter de plus près. À sept heures, nous approchions de Kaipha, dont les dômes, les minarets et les murailles blanches forment, comme dans toutes les villes de l'orient, un aspect brillant et gai a une certaine distance. Kaipha s' élève au pied du Carmel, sur une grève de sable blanc, au bord de la mer. Cette ville forme l' extrémité d'un arc, dont Saint-Jean D' Acre est l' autre extrémité. Un golfe de deux lieues de large les sépare : ce golfe est un des plus délicieux rivages de la mer sur lesquels l' oeil des marins puisse se reposer. Saint-Jean D' Acre, avec ses fortifications dentelées par le canon d' Ibrahim-pacha et de Napoleon, avec le dôme percé à jour de sa belle mosquée écroulée, avec les voiles qui entrent et sortent de son port, attire l' oeil sur un des points les plus importants et les plus illustrés par la guerre : au fond du golfe, une vaste plaine cultivée ; le mont Carmel jetant sa grande ombre sur cette plaine ; puis Kaipha, comme une soeur de Saint-Jean D' Acre, embrassant l'autre côté du golfe, et s'avançant dans la mer avec son petit mole, ou se balancent quelques bricks arabes ; au-dessus de Kaipha, une forêt de gros oliviers ; plus haut encore, un chemin taillé dans le roc, aboutissant au sommet du cap du Carmel ; là, deux vastes édifices couronnant la montagne : l'un, maison de plaisance d'Abdalla, pacha d' Acre ; l' autre, couvent des religieux du mont Carmel, élevé récemment par les aumônes de la chrétienté, et surmonté d'un large drapeau tricolore, pour nous annoncer l'asile et la protection des français ; un peu plus bas que le couvent, d'immenses cavernes creusées dans le granit de la montagne : ce sont les fameuses grottes des prophètes. Voilà le paysage qui nous frappe en entrant dans les rues poudreuses et étroites de Kaipha. Les habitants étonnés regardaient avec terreur défiler notre longue caravane. Nous ne connaissions personne ; nous n' avions aucun gite, aucune hospitalité à réclamer. Le hasard nous fit rencontrer un jeune piémontais qui faisait les fonctions de vice-consul a Kaipha, depuis la prise et le renversement d'Acre. M Bianco, consul de Sardaigne en Syrie, lui avait écrit à notre insu, et l'avait prié de nous accueillir si nous venions a passer par Kaipha. Il nous aborda, s'informa de nos noms, et nous conduisit à la porte de la petite maison en ruine où il vivait avec sa mère et deux jeunes soeurs. Nous laissâmes nos chevaux et nos arabes camper sur le bord de la mer, près de la ville, et nous entrâmes chez M Malagamba : c' est le nom de ce jeune et aimable vice consul, le seul européen qui reste dans ce champ de bataille désolé, depuis la ruine complète d'Acre par les égyptiens. Une petite cour, un escalier en bois, conduisent à une petite terrasse recouverte en feuilles de palmier : derrière cette terrasse, deux chambres nues et environnées seulement d' un divan, seul meuble indispensable du riche et du pauvre dans tout l'orient ; quelques pots de fleurs sur la terrasse, une volière peuplée de jolies colombes grises, nourries par les soeurs de M Malagamba ; des
étagères autour des murs, sur lesquelles sont rangés avec ordre des tasses, des pipes, des verres à liqueur, des cassolettes d' argent pour les parfums, et des crucifix de bois incrustés de nacre, faits à Bethléem : - voilà tout l'ameublement de cette pauvre maison, ou une famille délaissée représente, pour mille piastres de traitement (environ trois cents francs), une des puissances de notre Europe.
Madame Malagamba, la mère, nous reçut avec les cérémonies usitées dans le pays. Elle nous présenta les parfums et les eaux de senteur ; et nous étions à peine assis sur le divan, essuyant la sueur de nos fronts, que ses filles, deux apparitions célestes, sortirent de la chambre voisine, et nous présentèrent l'eau de fleurs d' oranger et les confitures, sur des plateaux de porcelaine de la Chine.
L'empire de la beauté est tel sur notre âme, que, quoique dévorés de soif et accablés d'une marche de douze heures, nous serions restés en contemplation muette devant ces deux jeunes filles sans porter le verre a nos lèvres, si la mère ne nous eut pressés par ses instances d'accepter ce que ses filles nous présentaient. L'orient tout entier était là, tel que je l'avais rêvé dans mes belles années, la pensée remplie des images enchantées de ses conteurs et de ses poètes. L' une des jeunes filles n'était qu'un enfant ; ce n'était que l'accompagnement gracieux de sa soeur, comme ces images qui en reflètent une autre. Après nous avoir offert tous les soins de l'hospitalité la plus simple et la plus poétique cependant, les jeunes filles vinrent prendre aussi leur place a côté de leur mère, sur le divan, en face de nous. C' est ce tableau que je voudrais pouvoir rendre avec des paroles, pour le conserver dans ces notes comme je le vois dans ma pensée ; mais nous avons en nous de quoi sentir la beauté dans toutes ses nuances, dans toutes ses délicatesses, dans tous ses mystères, et nous n'avons qu'un mot vague et abstrait pour dire ce qu' est la beauté. C' est la le triomphe de la peinture : elle rend d' un trait, elle conserve pour des siècles cette impression ravissante d' un visage de femme, dont le poète ne
peut que dire : elle est belle ; et il faut le croire sur parole ; mais sa parole ne peint pas. La jeune fille était donc assise sur les tapis, les jambes repliées sous elle, le coude appuyé sur les genoux de sa mère, le visage un peu penché en arrière, tantôt levant ses yeux bleus pour exprimer à sa mère son naïf étonnement de notre aspect et de nos paroles, tantôt les reportant sur nous avec une curiosité gracieuse, puis les abaissant involontairement et les cachant sous les longues soies de ses cils noirs, pendant qu'une rougeur nouvelle colorait ses joues, ou qu'un léger sourire mal contenu effleurait ses lèvres. Notre singulier costume était nouveau pour elle, et la bizarrerie de nos usages lui causait un étonnement toujours nouveau ; sa mère lui faisait en vain signe de ne pas témoigner sa surprise, de peur de nous offenser : la simplicité et la naïveté de ses impressions se faisaient jour malgré elle sur cette figure de seize ans, et son âme se peignait dans chaque expression de ses traits avec une telle grâce, avec une telle transparence, qu'on voyait sa pensée sous sa peau avant qu'elle en eut elle-même la conscience. Le jeu des rayons du soleil, qui glissent a travers l'ombre sur une eau limpide, est moins mobile et moins transparent que cette physionomie. Nous ne pouvions en détacher nos yeux, et nous étions déjà reposés par le seul aspect de cette figure, qu'aucun de nous n' oubliera jamais.
Mademoiselle Malagamba a ce genre de beauté que l'on ne peut guère rencontrer que dans l'orient : la forme accomplie, comme elle l'est dans la statue grecque ; l'âme revélée dans le regard, comme elle l'est dans les races du midi ; et la simplicité dans l' expression, comme elle n'existe plus que
chez les peuples primitifs, quand ces trois conditions de la beauté se rencontrent dans une seule figure de femme, et s'harmonisent sur un visage avec la première fleur de l' adolescence ; quand la pensée rêveuse et errante dans le regard éclaire doucement, de ses rayons humides, des yeux qui se laissent lire jusqu'au fond de l'âme, parce que l' innocence ne soupçonne rien à voiler ; quand la délicatesse des contours, la pureté virginale des lignes, l' élégance et la souplesse des formes, révèlent a l'oeil cette voluptueuse sensibilité de l' être ne pour aimer, et mêlent tellement l'âme et les sens, qu'on ne sait, en regardant, si l'on sent ou si l'on admire : alors la beauté est complète, et l'on éprouve à son aspect cette complète satisfaction des sens et du cœur, cette harmonie de jouissance qui n' est pas ce que nous appelons l'amour, mais qui est l'amour de l' intelligence, l'amour de l' artiste, l' amour du génie pour une oeuvre parfaite. On se dit : il fait bon ici ; et l' on ne peut s' arracher de cette place ou l' on vient de s'asseoir tout à l' heure avec indifférence, tant le beau est la lumière de l'esprit et l'invincible attrait du coeur. Son costume oriental ajoutait encore aux charmes de sa personne : ses longs cheveux, d'un blond fonce et légèrement dorés, étaient nattés sur sa tête en mille tresses qui retombaient des deux côtés sur ses épaules nues ; un confus mélange de perles, de sequins d'or enfilés, de fleurs blanches et de fleurs rouges, était répandu sur ses cheveux, comme si une main pleine de ce qu'elle aurait puisé dans un écrin s'était ouverte au hasard sur cette tête, et y avait laissé tomber sans choix cette pluie de fleurs et de bijoux. Tout lui allait bien : rien ne peut déparer une tête de quinze ans. Sa poitrine était découverte, selon la coutume des femmes d'Arabie ; une tunique de mousseline brodée de fleurs d'argent était nouée par un châle autour de sa ceinture ; ses bras étaient passés dans les manches flottantes et ouvertes jusqu'au coude d'une veste de drap vert, dont les deux basques pendaient librement sur les hanches ; de larges pantalons a mille plis complétaient ce costume ; et ses jambes nues étaient embrassées au-dessus de la cheville du pied par deux bracelets d'argent ciselé. L'un de ces bracelets était orné de petits grelots d'argent, dont le bruit accompagnait le mouvement de ses pieds. Aucun poète n'a jamais dépeint une si ravissante apparition. L'aide de lord Byron, dans don juan, a quelque chose de Mademoiselle Malagamba ; mais elle est loin encore de cette perfection de grâce, d'innocence, de douce confusion, de voluptueuse langueur et d'éclatante sérénité, qui se confondent dans ces traits encore enfantins. Je la grave dans mon souvenir pour la peindre plus tard, comme le type de la beauté et de l'amour purs, dans le poème ou je veux consacrer mes impressions. Ce devait être un beau tableau à faire pour un peintre, s' il y en eut eu un parmi nous, que cette scène de voyage : nos costumes turcs, riches et pittoresques ; nos armes de toute espèce, reépandues
sur le plancher autour de nous ; nos lévriers couchés à nos pieds ; ces trois figures de femmes accroupies en face de nous sur un tapis d'Alep ; leurs attitudes pleines de simplicité, d'étrangeté et d'abandon ; l' expression de leurs physionomies pendant que je leur racontais mes voyages, ou que nous comparions nos usages d'Europe avec le genre d'hospitalité qu' elles nous offraient ; les cassolettes de parfums qui brûlaient dans un coin en embaumant l'air du soir ; les formes antiques des vases dans lesquels on nous offrait le sorbet ou les boissons aromatisées : tout cela au milieu d'une chambre délabrée, ouverte sur la mer, et ou les branches d'un palmier, croissant dans la cour, s'introduisaient par de larges ouvertures sans fenêtres. Je regrette de ne pas emporter ce souvenir pour mes amis, comme je l' emporte dans mon imagination. Madame Malagamba la mère est grecque, et née dans l'île de Chypre : elle y épousa, à quatorze ans, M Malagamba, riche négociant franc, qui était en même temps consul à Larnaca. Des malheurs et des révolutions renversèrent la fortune de M Malagamba ; il vint chercher une petite place d'agent consulaire à Acre, et y mourut, laissant sa femme et ses quatre enfants dans le dénument le plus absolu. Son fils, jeune homme remarquable par l'honnêteté et l'intelligence, fut employé par quelques consuls, et obtint enfin la place d'agent consulaire de Sardaigne à Kaipha. C'est avec les faibles appointements de cet emploi précaire qu'il soutient sa mère et ses soeurs. La soeur ainée de Mademoiselle Malagamba, aussi belle que celle que nous avons tant admirée, avait inspiré, nous dit-on, une telle passion a un des jeunes religieux du couvent de Kaipha, qui avait eu occasion de la voir de la terrasse du couvent, qu'il s'était enfui sur un bâtiment anglais, avait embrasse la religion protestante afin de pouvoir la demander en mariage, et avait tenté tous les moyens de l' enlever sous divers déguisements. On le croyait encore, à cette époque, caché dans quelque ville de la côte de Syrie pour exécuter son projet ; mais les autorités turques veillaient à la sûreté de cette famille ; et si les moines, qui exercent sur les religieux de leur ordre la justice la plus arbitraire et la plus inflexible, parvenaient a découvrir le fugitif, il expierait, dans une éternelle captivité, l'amour insensé que cette beauté fatale a allumé dans son coeur. Nous ne vîmes point cette soeur. La nuit tombait ; il fallait enfin nous arracher à l'enchantement de cette réception, et aller chercher un asile au couvent du mont Carmel. M Malagamba était allé prévenir les pèse des hôtes nombreux qui leur arrivaient. Nous nous levâmes, et nous fûmes forces, pour obéir aux usages du pays, de laisser Madame et Mademoiselle Malagamba approcher leurs lèvres de nos mains, et nous remontâmes à cheval. Le mont Carmel commence a s'élever, à quelques minutes de marche de Kaipha : nous le gravimes par une route assez belle, taillée dans le rocher sur la pointe même du cap ; - chaque pas que nous
faisions nous découvrait un horizon nouveau sur la mer, sur les collines de la Palestine et sur les rivages de l'Idumée. À moitié chemin, nous rencontrâmes un des pères du Carmel, qui, depuis quarante ans, habite une petite maisonnette qui sert d'hospice aux pauvres dans la ville de Kaipha, et qui monte et descend deux fois par jour la montagne, pour aller prier avec ses frères. La douce expression de sérénité d'âme et de gaieté de cœur qui brillait dans tous ses traits nous frappa. Ces expressions de bonheur paisible et inaltérable ne se rencontrent jamais que dans les hommes à vie simple et rude et à généreuses résolutions. L'échelle du bonheur est une échelle descendante ; on en trouve bien plus dans les humbles situations de la vie que dans les positions elevees. Dieu donne aux uns en félicité intérieure ce qu'il donne aux autres en éclat, en nom, en fortune. J'en ai fait maintes fois l'épreuve. Entrez dans un salon, cherchez l'homme dont le visage respire le plus de contentement intime, demandez son nom : c' est un inconnu, pauvre et négligé du monde.
La providence se révèle partout. à la porte du beau monastère qui s'élève aujourd'hui, tout construit à neuf, tout éblouissant de blancheur, sur le sommet le plus aigu du cap du Carmel, deux pères nous attendaient. C'étaient les
seuls habitants de cette vaste et magnifique retraite de cénobites. Nous fumes accueillis par eux comme des compatriotes et des amis. Ils mirent à notre disposition trois cellules pourvues chacune d'un lit, meuble rare en orient, d'une chaise et d'une table. Nos arabes s'établirent avec nos chevaux dans les vastes cours intérieures du monastère. On nous servit un souper compose de poisson frais et de légumes cultivés parmi les rochers de la montagne. Nous passâmes une soirée délicieuse, après tant de fatigues, assis sur les larges balcons qui dominent la mer et les cavernes des prophètes. Une lune sereine flottait sur les vagues, dont le murmure et la fraîcheur montaient jusqu'à nous. Nous nous promîmes de passer dans cet asile la journée du lendemain, pour reposer nos chevaux et refaire
nos provisions. Nous allions entrer dans une contrée nouvelle, ou nous ne trouverions plus ni ville ni village, rarement des sources d'eau douce : nous voyions cinq journées de désert s'étendre devant nous.

22 octobre 1832.
Journée de repos passée au monastère du mont Carmel, ou à parcourir les sites de la montagne et les grottes d'Élie et des prophètes. La principale de ces grottes, évidemment taillée de main d'homme dans le roc le plus dur, est une salle d'une prodigieuse élévation ; elle n'a d' autre vue que la mer sans bornes, et on n'y entend d'autre bruit que celui des flots qui se brisent continuellement contre l'arête du cap. Les traditions disent que c'était là l'école ou elie enseignait les sciences des mystères et des hautes poésies. L'endroit était admirablement choisi, et la voix du vieux prophète, maître de toute une innombrable génération de prophètes, devait majestueusement retentir dans le sein creuse de la montagne qu'il sillonnait de tant de prodiges, et a laquelle il a laisse son nom.
L' histoire d'Elie est une des plus merveilleuses histoires de l'antiquité sacrée : c'est le géant des bardes sacrés. À lire sa vie et ses terribles vengeances, il semble que cet homme avait la foudre du seigneur pour âme, et que l'élément sur lequel il fut enlevé au ciel était son élément natal. C'est une belle figure lyrique ou épique à jeter dans le poème des vieux mystères de la civilisation judaïque. En tout, l'époque des prophètes, à la considérer historiquement, est une des époques les moins intelligibles de la vie de ce peuple fugitif. On aperçoit cependant, et surtout dans l'époque d'Elie, la clef de cette singulière organisation du corps des prophètes. C'était évidemment une classe sainte et lettrée, toujours en opposition avec les rois, tribuns sacrés du peuple, le soulevant ou l'apaisant avec des chants, des paraboles, des menaces ; formant des factions dans Israel, comme la parole et la presse en forment parmi nous ; se combattant les uns les autres, d'abord avec le glaive de leur parole, puis avec la lapidation ou l'épée ; s'exterminant de la face de la terre, comme on voit Elie en exterminer par centaines ; puis succombant eux-mêmes à leur tour, et faisant place a d' autres dominateurs du peuple. Jamais la poésie proprement dite n'a joué un si grand rôle dans le drame politique, dans les destinées de la civilisation. La raison ou la passion, selon qu' ils étaient faux ou vrais prophètes, ne parlait, par leur bouche, que la langue énergique et harmonieuse des images. Il n'y avait point d'orateurs comme a Athènes ou à Rome ; l'orateur est trop homme ! Il n'y avait que des hymnes et des lamentations : le poète est divin. Quelle imagination ardente, colorée, délirante, ne suppose pas dans un pareil peuple une pareille domination de la parole chantée ? Et comment s'étonner qu'indépendamment du haut sens religieux que ces poésies renfermaient, elles aient été un monument aussi accompli, aussi inimitable, de génie et de grâce ? Le prix des poètes alors, c'était la société même. Leur inspiration leur soumettait le peuple ; ils l'entrainaient à leur gré au crime ou a l'héroïsme ; ils faisaient trembler les rois coupables ; leur jetaient la cendre sur le front,ou, réveillant le patriotisme dans le coeur de leurs concitoyens, ils les faisaient triompher de leurs ennemis, ou leur rappelaient, dans l'exil et dans l'esclavage, les collines de Sion et la liberté des enfants de Dieu. Je suis étonné que, parmi tous les grands drames que la poésie moderne a puisés dans l'histoire des juifs, elle n' ait pas conçu encore ce drame merveilleux des prophètes. C'est un beau chant de l'histoire du monde.

Même date.
Je reviens de me promener seul sur les pentes embaumées du Carmel. J'étais assis sous un arbousier, un peu au-dessus du sentier à pic qui monte au sommet de la montagne et aboutit au couvent, regardant la mer qui me sépare de tant de choses et de tant d'êtres que j'ai connus et aimés, mais qui ne me sépare pas de leur souvenir. Je repassais ma vie écoulée, je me rappelais des heures pareilles passées sur tant de rivages divers et avec des pensées si différentes ; je me demandais si c'était bien moi qui étais là au sommet isolé du mont Carmel, à quelques lieues de l'Arabie et du désert, et pourquoi j'y étais ; et où j'allais ; et où je reviendrais ; et quelle main me conduisait ; et qu'est-ce que je cherchais sciemment, ou à mon insu, dans ces courses éternelles a travers le monde. J'avais peine à
recomposer un seul être de moi-même avec les phases si opposées et si imprévues de ma courte existence ; mais les impressions si vives, si lucides, si présentes, de tous les êtres que j'ai aimés et perdus, retentissaient toutes avec une profonde angoisse dans le même coeur, et me prouvaient trop que cette unité, que je ne retrouvais pas dans ma vie, se retrouvait tout entière dans mon coeur ; et je sentais mes yeux se mouiller en regardant le passé, ou je n'apercevais déjà que cinq ou six tombeaux, ou mon bonheur s'était déjà cinq ou six fois englouti. Puis, selon mon instinct, quand mes impressions deviennent trop fortes et sont près d' écraser ma pensée, je les soulevais d'un élan religieux vers Dieu, vers cet infini qui reçoit tout, qui absorbe tout, qui rend tout ; je le priais, je me soumettais a sa volonté toujours bonne ; je lui disais : écot; tout est bien, puisque vous l'avez voulu. Me voici encore ; continuez à me conduire par vos voies et non par les miennes ; menez-moi ou vous voudrez et comme vous voudrez, pourvu que je me sente conduit par vous ; pourvu que vous vous révéliez de temps en temps à mes ténèbres par un de ces rayons de l'âme qui nous montrent, comme l'éclair, un horizon d'un moment au milieu de notre nuit profonde ; pourvu que je me sente soutenu par cette espérance immortelle que vous avez laissée sur la terre comme une voix de ceux qui n'y sont plus ; pourvu que je les retrouve en vous, et qu'ils me reconnaissent, et que nous nous aimions dans cette ineffable unité que nous formerions, vous, eux et nous ! Cela me suffit pour avancer encore, pour marcher jusqu'au bout dans ce chemin qui semble sans but. Mais faites que le chemin ne soit pas trop rude à des pieds déjà blessés ! écot ; je me suis relevé plus léger, et me suis pris à cueillir des poignées d'herbes odoriférantes dont le Carmel est tout embaumé. Les pères du couvent en font une espèce de thé plus parfumé que la menthe ânes dont les fers retentissaient sur les rocs polis du sentier. Deux femmes, enveloppées de la tête aux pieds d' un long drap blanc, étaient assises sur les ânes ; un jeune homme tenait la bride du premier de ces animaux, et deux arabes marchaient derrière, la tête chargée de larges corbeilles de roseaux, recouvertes de serviettes de mousseline brodée.
C'était M Malagamba, sa mère et sa soeur, qui montaient au monastère pour m' offrir des provisions de route qu'elles nous avaient préparées pendant la nuit. Une des corbeilles était remplie de petits pains jaunes comme l'or, et d'une saveur exquise ; précieuse rencontre dans une contrée où le pain est inconnu. L'autre était pleine de fruits de tous genres, de quelques bouteilles d'excellents vins de Chypre et du Liban, et de ces confitures innombrables, délices des orientaux. Je reçus avec reconnaissance le présent de ces aimables femmes. J'envoyai les arabes porter les corbeilles au monastère, et nous nous assîmes, pour causer un moment des infortunes de Madame Malagamba.
L'endroit était charmant : c'était sous deux ou trois grands oliviers qui ombragent un des bassins que la source du prophète Elie s'est creusés en tombant de roc en roc dans un petit ravin du mont Carmel. Les arabes avaient étendu les tapis de leurs ânes sur le gazon qui entoure la source ; et les deux femmes, qui avaient repoussé leurs longs voiles sur leurs épaules, assises sur le divan du voyageur, au bord de l' eau, dans leur costume le plus riche et le plus éclatant, formaient un groupe digne de l'oeil d'un peintre. J'étais assis moi-même, vis-a-vis d'elles, sur une corniche du rocher d'où tombait la source. Bien des larmes mouillèrent les yeux de Madame Malagamba en repassant ainsi devant moi le temps de ses prospérités, et sa chute dans l'infortune, et ses misères présentes, et sa fuite de Saint-Jean d'Acre, et ses préoccupations maternelles sur l'avenir de son fils et de ses charmantes filles.
Mademoiselle Malagamba écoutait ce récit avec l'insouciance tranquille de la première jeunesse ; elle s'amusait à réunir en bouquets les fleurs sur lesquelles elle était assise : seulement, lorsque la voix de sa mère s'altérait en parlant, et que des larmes tombaient de ses yeux, sa fille passait son bras autour du cou de sa mère, et essuyait ses pleurs avec le mouchoir de mousseline brodée d'argent qu'elle tenait à la main ; puis, quand le sourire revenait sur le visage de sa mère, elle reprenait sa distraction enfantine, et assortissait de nouveau les nuances de son bouquet. Je promis à ces pauvres femmes de me souvenir d'elles et de leur hospitalité si inattendue, à mon retour en Europe, et de solliciter un peu d'avancement de mes amis à Turin pour le jeune agent consulaire de Kaipha.
L'espérance, quoique bien éloignée et bien incertaine, rentra dans le coeur de Madame Malagamba, et la conversation prit un autre tour. Nous parlâmes des moeurs du pays et de la monotonie de la vie des femmes arabes, dont les femmes européennes qui vivent en Arabie sont obligées de contracter aussi les habitudes. Mais Mademoiselle Malagamba et sa mère n' avaient jamais connu d'autre genre de vie, et s'étonnaient au contraire de ce que je leur racontais de l'Europe. Vivre pour un seul homme et d' une seule pensée dans l'intérieur de leurs appartements ; passer la journée sur un divan à tresser ses cheveux, à disposer avec grâce les nombreux bijoux dont elles se parent ; respirer l' air frais de la montagne ou de la mer, du haut d' une terrasse ou à travers les treillis d'une fenêtre grillée ; faire quelques pas sous les orangers et les grenadiers d' un petit jardin, pour aller rêver au bord d' un bassin que le jet d'eau anime de son murmure ; soigner le ménage, faire de ses mains la pâte du pain, le sorbet, les confitures ; une fois par semaine, aller passer la journée au bain public en compagnie de toutes les jeunes filles de la ville, et chanter quelques strophes des poètes arabes en s' accompagnant sur la guitare : voilà toute la vie de l'orient pour les femmes. La société n'existe pas pour elles ; aussi
n'ont-elles aucune de ces passions factices de l'amour-propre que la société produit ; elles sont tout a l'amour quand elles sont jeunes et belles, et, plus tard, tout aux soins domestiques et à leurs enfants. Cette civilisation en vaut-elle une autre ?
Comme nous étions a causer ainsi de choses au hasard, mon drogman, jeune homme né en Arabie et très versé dans les lettres arabes, me cherchait aux alentours du monastère, et me découvrit auprès de la fontaine ; il m'amenait un autre jeune arabe qui avait appris mon arrivée à Kaipha, et qui était venu de Saint-Jean D'Acre pour faire connaissance avec un poète de l'occident. Ce jeune homme, né dans le Liban et élevé à Alep, était célèbre déjà par son talent poétique. J'en avais souvent entendu parler moi-même, et je m'étais fait traduire plusieurs de ses compositions. Il m'en apportait quelques-unes, dont je donnerai plus loin la traduction. Il s'assit avec nous auprès de la fontaine, et nous causâmes assez longtemps, avec l'aide de mon drogman. Cependant le jour baissait, il fallait nous séparer. écot ; puisque nous sommes ici deux poètes, lui dis-je, et que le hasard nous réunit de deux points du monde si opposés dans un lieu si charmant, dans une si belle heure, et en présence d'une beauté si accomplie, nous devrions consacrer, chacun dans notre langue, par quelques vers, notre rencontre et les impressions que ce moment nous inspire. équot; il sourit ; il tira de sa ceinture l'écritoire et la plume de roseau, qui ne quittent pas plus un écrivain arabe que le sabre ne quitte le cavalier. Nous nous écartâmes tous les deux de quelques pas, pour aller méditer un moment nos vers. Il eut fini bien avant moi. Voici ses vers, et voici les miens. On y reconnaîtra le caractère des deux poésies ; mais je n'ai pas besoin d' avertir combien les langues perdent à passer dans une autre.

Dans les jardins de Kaipha, il y a une fleur que
le rayon du soleil cherche à travers le treillis
des feuilles de palmier.
cette fleur a des yeux plus doux que la gazelle,
des yeux qui ressemblent a une goutte d'eau de la
mer dans un coquillage.
cette fleur a un parfum si enivrant, que le scheik qui
s'enfuit devant la lance d'une autre tribu, sur sa jument
plus rapide que la chute des eaux, la sent au passage, et
s'arreête pour la respirer.
le vent de simoun enlève des habits du voyageur
tous les autres parfums ; mais il n'enlève jamais
du coeur l'odeur de cette fleur merveilleuse.
on la trouve au bord d'une source qui coule sans
murmure à ses pieds.
jeune fille, dis-moi le nom de ton père, et je te
dirai le nom de cette fleur.

Voici ceux que je rapportai moi-même, et que je fis traduire aussitôt en arabe par mon drogman :

Fontaine au bleu miroir, quand sur ton vert rivage
la rêveuse Lilla dans l'ombre vient s'asseoir,
et sur tes flots penchée y jette son image,
comme au golfe immobile une étoile du soir,
d'un mobile frisson tes flots dormants se plissent,
on n'en voit plus le fond de sable ou de roseaux ;
mais de charme et de jour tes ondes se remplissent,
et l'oeil ne cherche plus son ciel que dans
tes eaux !
Tu n'es plus qu'un reflet de ravissantes choses,
yeux bleus comme ces fleurs qui bordent ton bassin,
dents de nacre riant entre des lèvres roses,
globes qu'un souffle pur soulève avec le sein,
cheveux nattés de fleurs et que leur poids fait pendre,
anneaux qui de ses doigts relèvent le carmin,
perles brillant sous l'onde et que l' on croit y
prendre,
comme son sable d'or, en y plongeant la main.
Ma main s'étend sur toi, source ou cette ombre nage,
de peur que par le vent tout ne soit effacé ;
et mes lèvres voudraient, jalouses du rivage,
boire ces flots heureux ou l'image a passé !
Mais quand Lilla, riant, se lève et suit sa mère,
ce n' est plus qu'un peu d'eau dans un bassin obscur.
Je goute en vain les flots du doigt ; l'onde est
amère, et la vase et l'insecte en ternissent l'azur.
Eh bien ! Ce que tu fais pour ces flots, jeune fille,
sur mon âme à jamais la beauté le produit :
il y fait joie et jour tant que son oeil y brille ;
dès que son oeil se voile, hélas ! Il y fait nuit.

Or, la jeune fille pour qui nous venions de faire ces vers, en français et en arabe littéral, n'entendait ni le français ni l'arabe, et ne comprenait qu'un peu l'italien.

23 octobre 1832.
Au lever du soleil, nous avons quitté, frais et dispos, le couvent du mont Carmel et ses deux excellents religieux, et nous nous sommes acheminés par des sentiers escarpés qui descendent du cap à la mer. Là, nous sommes entrés dans le désert ; il règne entre la mer de la Syrie, dont les côtes ici sont en général plates, sablonneuses et découpées en petits golfes, et les montagnes qui font suite au mont Carmel. Ces montagnes s'abaissent, par degrés insensibles, en se rapprochant de la Galilée ; elles sont noires et nues ; les rochers percent souvent l'enveloppe de terre et d'arbustes qui leur reste ; leur aspect est sombre et morne ; elles n' ont que leur vêtement de lumière éblouissante et la majesté idéale du passé qui les entoure ; de temps en temps la chaîne, qu'elles continuent pendant environ dix lieues, est brisée, et quelque vallée peu profonde s' entr'ouvre au regard ; au fond ou sur les flancs d'une de ces vallées, nous voyons distinctement les restes d'un château fort, et un grand village arabe qui s'étend sous les murs du château ; la fumée des maisons s'élève et serpente le long des flancs du Carmel, et de longues files de chameaux, de chèvres noires et de vaches rouges, se prolongent du village dans la plaine que nous traversons ; quelques arabes à cheval, armés de lances et vêtus seulement de leur couverture de laine blanche, les jambes et les bras nus, marchent en tête et en flanc de ces caravanes de pasteurs qui vont mener les troupeaux à la seule source que nous ayons rencontrée depuis quatre heures. Les sources ont été découvertes et creusées autrefois par les habitants des villes situées toutes au bord de la mer : les arabes actuels ont abandonné ces villes depuis des siècles ; il n'y reste que la fontaine, et ils font tous les jours ce voyage d' une heure ou deux, pour venir chercher l'eau et abreuver des troupeaux. Nous avons marché tout le jour sur des débris de murailles, sur des mosaïques qui percent le sable ; la route est jalonnée de ruines qui attestent la splendeur et l'immense population de ces rivages dans les temps recules. Nous avions depuis le matin à l'horizon devant nous, au bord de la mer, une immense colonne sur laquelle les rayons du soleil étaient répercutés, et qui semblait grandir et sortir des flots a mesure que nous avancions. En approchant, nous reconnaissons que cette colonne est une masse confuse de magnifiques ruines appartenant a différentes époques ; nous distinguons d'abord une immense muraille, toute semblable, par sa forme, sa couleur, et la taille des pierres, à un pan du Colisée à Rome. Cette muraille, d'une prodigieuse hauteur, se dresse, seule et échancrée, sur un monceau d'autres ruines de constructions grecques et romaines : bientôt nous découvrons, au delà de ce pan de mur, les restes élégants et découpés à jour, comme une dentelle de pierre, d' un monument moresque, église ou mosquée, ou peut-être tous les deux tour à tour ; puis une série d'autres débris debout, et d'une belle conservation, de plusieurs autres constructions antiques. Le chemin de sable que suivaient nos moukres nous menait assez près de ces curieux débris du passé, dont nous ignorions complètement l'existence, le nom et la date.
à environ un demi-mille de ce groupe de monuments, la côte de la mer s'éleve et le sable se change en rocher ; ce rocher a été taillé partout par la main des hommes sur une étendue d'environ un mille de circuit : on dirait une ville primitive creusée dans le roc avant que les hommes eussent appris l'art d' arracher la pierre à la terre et de s'élever des demeures a sa surface. C'est en effet une des villes souterraines dont parlent les premières histoires, ou tout au moins une de ces vastes nécropoles, ville des morts, qui creusaient en tout sens la terre ou le rocher aux environs des grandes cités des vivants ; mais la forme des rochers et des cavernes sans nombre taillées dans leurs flancs indique plutôt, a mon avis, la demeure des vivants. Ces cavernes sont vastes, les portes en sont élevées ; des escaliers nombreux et larges conduisent à ces portes ; des fenêtres sont percées aussi dans la roche vive pour donner de la lumière à ces habitations, et ces portes et ces fenêtres donnent sur des rues taillées profondément dans les entrailles de la colline. Nous avons suivi plusieurs de ces rues profondes et larges, et où des ornières indiquent la trace de la roue des chars. Une multitude d'aigles, de vautours, et des nuées innombrables d'étourneaux, s'élevaient, à notre approche, de l'ombre de ces rochers creuses ; des arbustes grimpants, des fleurs pariétaires, des touffes de myrte et de figuier, ont pris racine dans la poussière de ces rues de pierres, et tapissent ces longues avenues. Dans quelques endroits, les anciens habitants avaient entièrement fendu la colline avec le ciseau, et percé des canaux qui laissent venir l'eau de la mer, et permettent au regard d' embrasser une partie du golfe qu'elle forme derrière la ville. C'est un paysage d'un caractère entièrement neuf, à la fois grave et dur comme le rocher, riant et lumineux comme ces percées aériennes sur le bleu de la mer, et comme ces forêts de plantes nées d'elles-mêmes dans les fentes du granit. Nous marchâmes quelque temps dans ces labyrinthes merveilleux, et nous arrivâmes enfin au pied de la grande muraille et des monuments moresques que nous avions devant nous ; là, nous nous arrêtâmes un instant pour délibérer. Ces ruines ont une mauvaise renommée ; c'est la que se cachent souvent des bandes d' arabes voleurs qui pillent et massacrent les caravanes. On nous avait avertis à Kaipha de les éviter, ou de les passer en ordre de bataille, et sans permettre à aucun de nos hommes de s'écarter du corps de la caravane. La curiosité l'avait emporte ; nous n'avions pu résister au désir de visiter des monuments dont l'histoire ancienne et moderne ne connaît rien : nous ignorions s'ils étaient déserts ou habitées. Arrivés au pied des murs d'enceinte qui les enveloppent encore, nous aperçûmes la brèche par laquelle nous devions y pénétrer. Au même moment, un groupe d'arabes à cheval parut, la lance a la main, sur le sable qui nous séparait encore de l'entrée, et fondit sur nous : nous fûmes surpris, mais nous étions prêts ; nous avions à la main nos fusils a deux coups chargés et armés, et des pistolets à la ceinture. Nous avançâmes sur les arabes, ils s'arrêtèrent court ; je me détachai de la caravane, en lui ordonnant de rester sous les armes ; je m'avançai avec mes deux compagnons et mon drogman ; nous parlementâmes ; et le scheik avec ses principaux cavaliers nous escortèrent eux-mêmes jusqu'à la brèche, en donnant ordre aux arabes de l'intérieur de nous respecter, et de nous laisser examiner les monuments. Je jugeai prudent néanmoins de ne laisser entrer avec nous qu'une partie de mon monde ; le reste demeura campé à une portée de fusil du tertre, prêt a venir à notre secours si nous fussions tombés dans une embûche. Cette précaution n'était pas inutile, car nous trouvâmes dans l'intérieur des murs une population de deux a trois cents arabes bédouins, y compris les femmes et les enfants. Il n' y a qu'une issue pour sortir de ces ruines, et nous aurions été facilement pris et égorges, si ces barbares n'eussent été tenus en respect par la force qui nous restait dehors, et qu'ils pouvaient supposer plus considérable qu'elle ne l'était réellement : nous avions eu soin de ne pas montrer tout notre monde, et quelques moukres étaient restés exprès en arrière, campés sur un mamelon où l'on pouvait les apercevoir. Aussitôt que nous eûmes franchi la brèche, nous nous trouvâmes dans un dédale de sentiers tournant autour des débris écroulés de la grande muraille et des autres édifices antiques que nous découvrions successivement. Ces sentiers ou ces rues n'avaient aucune percée régulière : mais le pied des arabes, des chameaux et des chèvres, les avait tracés au hasard parmi ces décombres. Les familles de la tribu n'avaient elles-mêmes rien édifié ; elles avaient profité seulement de toutes les cavités que la chute des pierres gigantesques avait formées ça et là, pour s'y abriter, les unes à l'ombre même des fûts des colonnes ou des chapiteaux arrêtés dans leur chute par d'autres débris ; les autres, par un morceau d'étoffe de poil de chèvre noire, tendu d'un pilier à l'autre, et formant ainsi le toit. Le scheik lui-même, ses femmes et ses enfants, qui occupaient sans doute le palais du village, avaient tous leur demeure à l'entrée de la ville, dans les décombres d'un temple romain, sur un tertre très élevé, au-dessus du sentier ou nous entrions, et leur maison était formée par un bloc immense de pierre sculptée qui pendait presque perpendiculairement, appuyé par un de ses angles sur d'autres blocs roulés pêle-mêle, et comme arrêtés dans leur chute. Ce chaos de pierres semblait véritablement s'écrouler encore, et prêt à écraser les femmes et les enfants du scheik, qui montraient leurs têtes au-dessus de nous, hors de cette caverne artificielle. Les femmes n'étaient pas voilées ; elles n'avaient pour vêtement qu'une chemise de coton bleu, qui laisse la poitrine découverte et les jambes nues ; cette chemise est serrée autour du corps par une ceinture de cuir. Ces femmes nous parurent belles, malgré les anneaux qui perçaient leurs narines, et les tatouages bizarres dont leurs joues et leur gorge étaient sillonnées. Les enfants étaient nus, assis ou à cheval sur les blocs de pierres taillées qui formaient la terrasse de ces effrayantes demeures ; et quelques chèvres noires, aux longues oreilles pendantes, étaient grimpées, à côté des enfants, sur la porte de ces grottes, et nous regardaient passer, ou bondissaient au-dessus de nos têtes, en franchissant d'un bloc à l'autre le sentier profond ou nous marchions. Nous vîmes quelques chameaux couchées ça et là dans le creux frais formé par les interstices des débris, et dressant leur tête pensive et calme au-dessus des tronçons de colonnes et de chapiteaux éboules. A chaque pas, la scène était nouvelle, et attirait plus vivement notre attention. Un peintre trouverait mille sujets d'un pittoresque inconnu dans la forme sans cesse neuve et inattendue dont les demeures de la tribu sont mêlées et confondues avec les restes des théâtres, des bains, des églises, des mosquées, qui jonchent ce coin de terre. Moins l'homme a travaillé pour se créer un asile dans ce chaos d'une ville renversée, plus ces habitations sont improvisées par le hasard bizarre de la chute des monuments, plus aussi la scène est poétique et frappante. Des femmes trayaient leurs chèvres sur les gradins de l'amphithéâtre ; des troupeaux de moutons sautaient un à un de la fenêtre en ogive du palais d'un émir ou d'une église gothique de l'époque des croisés.
Des scheiks accroupis fumaient leurs pipes sous l'arche ciselée d'un arc romain, et des chameaux avaient leurs longes attachées aux colonnettes moresques de la porte d'un harem. Nous descendîmes de cheval pour visiter en détail les principaux restes. Les arabes nous firent de grandes difficultés quand nous témoignâmes la volonté d'entrer dans l' enceinte du grand temple qui est au bout de la ville, sur un rocher au bord de la mer. Il nous fallut une contestation nouvelle à chaque cour, à chaque mur que nous avions à franchir pour y pénétrer ; nous fûmes obligés d' employer même la menace pour les forcer à nous céder le passage. Les femmes et les enfants s'éloignèrent, en nous lançant des imprécations ; le scheik se retira un moment, et les autres arabes montrèrent sur leurs figures et dans leurs gestes tous les signes du mécontentement ; mais l'air d'indécision et de timidité mal déguisé que nous aperçûmes aussi dans leurs manières nous encouragea à insister, et nous entrâmes, moitié de gré, moitié de force, dans l'intérieur même de ce dernier et de ce plus étonnant des monuments. Je ne puis dire ce que c'est ; il y a de tout dans sa construction, dans sa forme et dans ses ornements ; je penche à croire que c' est un temple antique que les croisées ont converti en église à l'époque ou ils possédèrent Césaree de Syrie et les rivages qui l'avoisinent, et que les arabes ont converti plus tard en mosquée. Le temps, qui se joue de l'oeuvre et des pensées des hommes, le convertit maintenant en poussière, et le genou du chameau se plie sur ces dalles ou les genoux de trois ou quatre générations de religion se sont pliés tour à tour devant des dieux différents. Les bases de l'édifice sont évidemment d'architecture grecque d'une époque de décadence ; à la naissance des voûtes, l'architecture prend le type moresque ; des fenêtres, primitivement corinthiennes, ont été converties, avec beaucoup d'art et de goût, en fenêtres moresques à ogives et à légères colonnes accouplées ; ce qui subsiste des voûtes est brodé d'arabesques d'un fini et d'une délicatesse exquis. L'édifice à huit faces, et chacun des enfoncements
produits par cette forme octogone renfermait sans doute un autel, si l'on en juge par les niches qui décorent la partie des murs ou ces autels devaient être appuyés. La partie centrale du monument était occupée aussi par un principal autel ; on le devine aisément à l'élévation du terrain dans cet endroit du temple. Cette élévation doit être produite par les marches qui entouraient l'autel. Les pans de cette église sont à demi écroulés, et laissent à l'oeil des échappées de vue sur la mer et les écueils qui la bordent ; des plantes grimpantes pendent en touffes de feuillage et de fleurs du haut des voûtes déchirées, et des oiseaux au collier rouge, et des nuées de petites hirondelles bleues, gazouillaient dans ces bosquets aériens, ou voltigeaient le long des corniches. La nature reprend son hymne là où l'homme a fini le sien.
En sortant de ce temple inconnu, nous parcourûmes à pied les différentes ruelles du village, trouvant à chaque pas des débris curieux et des scènes inattendues, formées par ce mélange de moeurs sauvages avec les beaux témoignages de civilisations mortes. Nous vîmes un grand nombre de femmes et de filles arabes occupées, dans les petites cours de leurs cahutes, aux différentes occupations de la
vie pastorale : les unes tissaient des étoffes de poil de chèvre ; les autres étaient employées à moudre l'orge ou à faire cuire le riz ; elles sont généralement très belles, grandes, fortes, le teint brûlé par le soleil, mais avec l'apparence de la vigueur et de la santé. Leurs cheveux noirs étaient couverts de piastres d'argent enfilées ; elles avaient des boucles d'oreilles et des colliers garnis du mֳême ornement ; elles jetaient des cris de surprise en nous voyant passer, et nous suivaient jusqu'à d'autres maisons. Aucun des arabes ne nous offrit le moindre présent ; nous ne jugeâmes pas devoir en offrir nous-mêmes. Nous sortîmes avec précaution de l'enceinte ; personne de la tribu ne nous suivit, et nous allâmes planter nos tentes à un quart de lieue de la grande muraille, au fond d'un petit golfe entouré aussi de murs antiques, et qui fut jadis le port de cette ville inconnue. La chaleur était de trente-deux degrés ; nous nous baignâmes dans la mer, à l'ombre d' un vieux mole que la vague n'a pas encore complètement emporté, pendant que nos sais dressaient nos tentes, donnaient un peu d'orge à nos chevaux, et allumaient le feu contre une arche qui servit sans doute de porte a ce port.
Les arabes appellent ce lieu d'un nom qui veut dire rocher coupé . Les croisés le nomment dans leurs chroniques castel peregrino (château des pèlerins) ; mais je n'ai pu découvrir le nom de la ville intermédiaire, grecque, juive ou romaine, à laquelle appartenaient les grands restes qui nous avaient attirés. Le lendemain, nous continuâmes à longer les rives de la mer jusq

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