2013-12-13

Une semaine dans mon quotidien de voyageuse - Sanur, Indonesia

Sanur, Indonesia

J'ai laissé ma mére à l'aeroport, entre les mains d'un adorable couple de marocains tout juste rencontrés, à qui je demande de prendre soin d'elle pendant l'escale de 6h à Doha. Ils feront finalement plus ample connaissance et resteront en contact par la suite. C'est le propre des voyages : des rencontres impromptues, même jusqu'au dernier moment. Je repars dans la voiture de Wayan, le mari de Méga, qui m'a accompagné et qui surprend des larmes dans mes yeux depuis son rétroviseur. Lorsque j'arrive à Sanur, il a discrétement prévenu Méga, qui me saute dans les bras et me serre fort pour me réconforter. Elle me dit que je ne suis pas toute seule ici, que j'ai maintenant une deuxième famille, et m'invite à diner avec eux. Elle me réchauffe le coeur par sa gentillesse, c'est une femme au grand coeur. Mais ce soir, j'ai envie d'être seule. Je retourne la voir tous les jours, elle me fait coucou de loin et je viens la rejoindre pour papoter devant sa boutique. Elle se fait discréte, puis avec le temps se dévoile un peu. Elle se lève à 6h tous les matins, va au marché acheter de quoi préparer les offrandes et les repas de la journée, cuisine assez pour toute la famille, puis laisse ça a disposition, chacun se servira au grès de son appétit. C'est sa façon d'être présente pour les siens malgrès son absence. Elle arrive à la boutique à 9h et Wayan son mari emmène les enfants à l'école. Il ne travaille plus beaucoup depuis qu'ils ont perdu un enfant, nouveau né. Traumatisé, il a peur pour eux maintenant et veut s'en occuper au maximum. Il reprend quelques activités de taxi (pas très officiel) et aide Méga à la boutique. Il assure les lessives de leur service de pressing, retourne à la maison le midi pour les enfants, leur fait les devoirs le soir. Elle ne rentre chez elle qu'à la fermeture de leur modeste boutique de vêtements et souvenirs, vers 21h. Et dès que les clients se font plus rare, elle s'assoupie sur le sol de son échoppe, pour une petite sieste méritée, en attendant qu'un client ne vienne la réveiller. Méga est drôle et tendre, forte et enfantile à la fois, comme beaucoup de balinaises. C'est une commercante hors pair, au relationnel exceptionnel, elle connait le nom de tous les touristes australiens du coin, habitués de Sanur. Ils la connaissent bien aussi et l'aide en lui apportant des vêtements démodés, téléphones portables relégués au rang d'antiquité chez eux, livres pour les enfants... Elle leur en ai reconnaissante. Elle me pose plein de questions sur ma vie, veut voir des photos de Paris, de mon quotidien, je lui montre, lui raconte. C'est une femme intelligente. Elle s'inquiète de connaître un jour les mêmes problèmes que nous occidentaux : les divorces, les infidélités, la destruction d'une famille. A Bali, tout cela n'existe pas en apparence, mais elle n'est pas dupe et s'en préoccupe. Wayan a l'air d'être un mari et un homme fantastique, elle est heureuse avec lui, qu'elle connait depuis ses 18 ans et pour qui elle a du quitter sa famille. Surement à cause d'un mariage contre castes, il ne veulent plus d'elle aujourd'hui... J'aime beaucoup Méga, elle me touche, elle est ma maman balinaise. On se raconte nos tracas et problêmes, et même si l'on ne peut rien y changer, on les laisse s'envoler avec légerté dans des éclats de rires partagés. Face à des vies difficiles, on apprend à relativiser. Je suis encore bloquée à Sanur alors que j'aimerais partir découvrir le reste de l'Indonésie, si grand pays (4è population mondiale!). Je suis toujours sans carte bleu. Je voyage normalement avec deux CB, et là plus aucune : l'une volée et l'autre fraudée depuis l'Argentine. On a du copier ma carte et elle a été utilisé à mon insu, et hop 800€ volatilisés! La poisse continue... Ma 1ére CB, qui est arrivée par DHL, est repartie sans que personne ne se l'explique!! Ahhh les mystères de Bali!.. Il ne faut pas essayer de comprendre, c'est comme ça, il n'y a qu'en France que l'on peut se plaindre, faire un scandale et obtenir réparation. Ici, je passerais pour une étrangère impolie et incapable de contenir ses émotions. A Bali, la colère et toute manifestation de mécontentement est un péché spirituel, méprisé et détesté. Alors personne ne se plaint, et tout s'arrange dans la douceur et surtout dans le temps. Mieux vaut ne pas être présse. Ca fait donc trois semaines que ma carte doit arriver, le délai normal étant de 5 jours... C'est un peu la même épopée pour mon visa, à la base d'un mois, que j'ai dû faire renouveller. Trois semaines de délai, un 1er passage à l'immigration juste pour donner les papiers, un 2ème une semaine plus tard pour venir le payer, puis un 3ème juste pour récupérer le passeport tamponé... Le tout avec des heures interminable d'attente. Quand on sait qu'à l'arrivée à l'aéroport, la même démarche se fait en 5min, on se pose des questions quand même... Et l'on me répond en rigolant "Bali style Madame!" ;) Ainsi va la vie à Bali. C'est un peu moins marrant quand il s'agit de la police, puisque pour être remboursé de ma fraude sur CB et pour mon opposition sur l'autre volée, il me faut déposer plainte depuis l'Indonésie. Et là, c'est toute une histoire... Je vais au commissariat, un peu à reculons depuis ma mauvaise expérience lors du vol, mais ça n'est pas le même, alors je croise les doigts pour que ça se passe mieux. J'appelle le consulat à l'avance pour aller voir une police touristique qui parlerait anglais, mais à ma grande surprise, ça n'existe pas! Il me conseille de prendre un interprête au poste. M'y voici. L'interprète est présent, ça tombe bien, sauf qu'il m'explique que je ne peux pas porter plainte pour vol, mais uniquement pour perte. Malgrès de longues explications, il n'y a rien à y comprendre, il essaie juste de m'embrouiller l'esprit dans ses flots de paroles pour finalement me donner aucunes raisons valables de refuser ma plainte. J'appelle la consult dix fois pour qu'elle s'explique avec la police, elle n'a pas l'air étonnée, et parait plutôt blasée et saoulée par les difficultés administratives auxquelles elle est plus qu'habituée. A chaque fin d'appel, c'est pareil, le policier semble d'accord, puis dès qu'il raccroche il me fait patienter trois plombes, puis revient pour me dire de nouveau qu'il n'acceptera ma plainte que si je déclare une perte et non un vol. C'est un disque rayé qui passe en boucle, sans explications, il répète juste inlassablement la même chose, le but étant de me décourager à force d'user de ma patience. C'est une grande technique balinaise, utilisée dans tous les pays sous développés ou j'ai voyagé : on vous rappelle insidieusement que vous n'avez aucun droit, la police décide et fait la loi comme bon lui semble. Le tout se passant dans le calme, avec sourires trompeurs, faux égards et complaisance. Le but étant clairement pour eux de tromper les statistiques de vols et agressions, antant pour la bonne réputation de l'île que pour toucher leurs primes. Ca fait des heures que je suis face à cercle vicieux et je désespère d'en sortir, pour une fois je ne trouve plus de solution. Si même la consult n'y arrive pas, que puis-je faire? Tout le monde a l'air résigné devant tant de difficultés. Je ne peux guerre protester ou m'énerver, j'ai épuisé toutes mes ressources, utilisé tous mes sourires, essayé la fermeté, l'attendrissement, la compassion, l'insistance, rien ne marche... Mais je n'ai pas le choix pourtant : il faut que je dépose mes plaintes sinon adieu les assurances et remboursements. Je suis au bord des larmes, tant la pression est montée et contenue en moi, je lache un dernier soupir désespérée, prête à laisser tomber... Une tête apparait, un jeune homme entrevoit mon desespoir et intervient : "Bonjour, je suis Nur, je parle français, je peux vous aider, vous avez des problèmes je crois". Merci mon Dieu!!! Un ange est passé! Nur est en train d'enregistrer le décès de son père avec sa famille, il termine, laisse les siens partir et leur dit qu'il les rejoindra plus tard, quelqu'un a besoin de lui. J'en ai encore des frissons rien qu'à y repenser. Alors qu'il est dans la peine et la tourmente du deuil, il me vient en aide sans hésiter. Un geste formidable, d'une telle générosité. Il me sauve de cette situation infernale. Nur est de la caste la plus élevée; face à lui, les policiers arrêtent de suite leur cinéma et prennent ma plainte, en trois heures tout de même, ce qui nous laisse le temps de papoter. Nur a étudié à Rome et a Paris, où il a soutenu sa thèse d'histoire et sociologie. Il enseigne maintenant à l'université de Jakarta, sur l'île voisine de Java. Il est sur Bali pour l'enterrement de son père, Nur est catholique et non indouïste, ce qui est très rare a Bali. Bizarrement, hormis Méga, tous mes amis de Bali sont des catholiques, venus d'îles voisines ou juste exception parmis les balinais (5% dans toute l'Indonésie). Je ne suis pas devenue amie avec eux pour ça, ce sont des choses que l'on découvre après, c'est juste que ce sont ceux qui se sont montrés les plus gentils et altruistes avec moi. Drôle de constatation, qui m'amène à me demander une fois de plus à quel point les religions peuvent nous conditionner et nous faconner. Nur sait que je mens, j'ai du dire à la police que l'agression s'était passé à Sanur au lieu de Gyaniar, pour échapper au commissariat de la première fois (trop corrompu, je ne veux plus y retourné par sécurité). Je ne sais pas comment il le sait, en tant qu'ex commerciale je maîtrise à merveille l'art du mensonge même si je ne l'use guére. Il me met presque mal à l'aise car il lit en moi lui aussi, encore une fois. Comme le peintre d'Ubud. C'est une rencontre étrange, il me dit des paroles qui me touchent au plus profond de moi, il appuit en plein sur les points sensibles, que personne, ni même mes proches, n'aurait pu entrevoir, par des sous entendus légers et quelques petites phrases inocemment lachées. C'est incroyable, comme un ange qui passe dans ma vie. Il me met en garde sur certaines choses, me donne de grandes leçons de morales en seulement quelques mots. Je ne sais pas comment le remercier pour son aide et temps passé, je lui propose de l'inviter à manger, mais il doit rejoindre sa famille déjà trop longtemps délaissée. Je le raccompagne alors en taxi, lui demande ses coordonnées, l'invite à venir chez moi la prochaine qu'il est Paris. Il me répond qu'il n'a pas fait ça pour que je lui redonne quelque chose en retour mais juste pour m'aider, qu'il faut savoir être bon de façon désintéressée; et il disparait de ma vie comme il y est rentré... Je lui ai envoyé plein de messages, emails, ai essayé de le trouver sur les réseaux sociaux, sans aucun succès et sans aucune réponse. Ca n'est que le jour où je quitterais l'Indonésie que je recevrais étrangement un email de sa part, comme s'il avait deviné que je partais, avec juste ces quelques mots "bon voyage Stéphanie"... Je me rend le jour suivant chez la consult, qui pars en France pour trois semaines de vacances, j'ai de la chance qu'elle me recoive un samedi matin, 2h avant son envol! Elle ouvre le consulat juste pour moi (bon en même temps, le consultat est en fait installé dans la dépendance de sa maison!). Elle est très décue de Bali, dont elle connait tous les revers de médaille, depuis les dix ans qu'elle y vit et y gère tant de problèmes qu'on ne soupconne pas. La suposée spiritualité de Bali n'a a ses yeux pas de sens, elle la juge superficielle, fanatique et supersticieuse. Il y a beaucoup de vrai la dedans, car malheureusement beaucoup appliquent des gestes et traditions dont ils ne connaissent pas le sens. Elle est décue des gens aussi, qui paraissent doux, souriants, gentils, et sont en fait fermés à qui quonque n'est pas du clan familial, source de la vie balinaise, cloisonnés dans des régles de société lourdes et pesantes, incontournables et impénétrables. Mais je crois aussi que c'est grâce à cela que les balinais ont su préserver leur culture si particulière face à un tourisme démesuré pour une si petite île, ils arrivent à conserver leur religion si marginale par rapport à cette grande Indonésie, plus grand pays musulman au monde. Sans ces clans imperméables aux étrangers, ils se seraient surement fait absorber par l'homogène mondialisation et leur identité ne serait plus qu'une mascarade pour touristes en mal d'originalité et d'authenticité. La consult me traduit donc en français mes dépôts de plaintes et me permet de conclure ces démarches administratives si pesantes dès que l'on est à l'étranger. On ne peut s'imaginer à quel point les choses sont ici compliquées, un "il vous suffit juste de nous envoyer par mail votre plainte" depuis la France, se traduit ici par une grosse journée galère au commissariat, une demi journée perdue au consulat pour la traduction, des heures pour trouver un cyber-café avec scanner, encore quelques heures de patience pour les envoyer par mail, du à la lenteur des connexions, donc au total trois jours pour faire ce qu'on ferait en deux heures en France... Je ne raconte pas souvent tout ça, mais c'est monnaie courante pour moi depuis que je voyage, ces quelques extraits vous donneront surement une bonne idée des galères au delà des frontières... Enfin... Ma dernière semaine à Bali est un mélange de démarches, comme vous l'aurez compris, mais aussi de bon temps partagé avec mes amis balinais, à préparer des offrandes, à papoter, à rigoler, et aussi avec mes amies voyageuses : toujours le groupe des "super-mamies", précédemment rencontrées, Margaret, Anna et Jeanne. Auquelles s'ajoute Denise, l'amie de Margaret, venue la rejoindre pour une semaine (australienne, elle aussi). Nous sommes donc cinq, toutes si différentes, à sortir le soir, dans les bons restos et dans les bars, comme un pti groupe de jeunettes, vibrant sur la musique, avec shooters et cocktails à l'appui!! De sacrées nanas mes mamies! Elles paraissent toutes dix ans de moins! Je suis admirative : quelle pêche, énergie, jeunesse d'esprit. Comme quoi, tout se passe dans la tête. Et quel courage aussi pour des femmes seules de venir à l'étranger. J'apprécie vraiment leur compagnie, nos conversations si enrichissantes, le partage de leurs expériences, tout comme nos bains de minuit dans la piscine du homestay ou nos fous rires incessants. Jamais je n'aurais imaginé m'entendre si bien avec des femmes d'une autre génération. Malgrès presque deux mois à Bali, l'île me réserve encore des surprises! Aujourd'hui je vais assister à une cérémonie de crémation. C'est un moment plutôt de réjouissance pour les Balinais, qu'ils sont fiers d'offrir à leur ancêtre décédé, afin de l'accompagner comme il se doit vers l'au delà. Ils économisent des mois, parfois des années, pour pouvoir financer la crémation (le corps du défunt étant provisoirement enterré). Selon l'importance (la caste) de la personne décédée, ils construisent un hotel plus ou moins élevé, comme une pyramide, et mettent le corps dans un animal, statut de cartons et papiers, définit par la caste (une vache ici = caste moyenne). Tout le village et la famille est conviée. Ils apportent des offrandes à la conception élaborées, constituées de fruits, fleurs, riz, etc, bénissent le corps puis l'emportent sur cet hotel jusqu'au lieu de crémation avant de l'enflammer à l'aide d'énormes chalumeaux. C'est long, trèèès long, pour le corps de se consummer. La vache de papier s'embrasse rapidement et disparait, l'armature métallique reste, le corps noirci et semblant momifié persiste avant de s'en aller dans les dernières flammes, des heures après. Pas de larmes, pas de peine exprimée, des rires, du silence, de l'entre-aide communautaire, puis le soulagement d'avoir honoré son ancêtre dans un adieu respectable, lui permettant de s'élever parmis les esprits. Lors de cette crémation, je rencontre Chantal et Serge, deux parisiens, la cinquantaine, travaillant sur les marchés de porte de Montreuil depuis des années. Lui est juif, elle chrétienne, ils sont un peu bohèmes et aventuriers, des gens adorables. On accroche tellement bien que l'on décide de passer la journée ensemble le lendemain, ils viennent de loin en taxi pour me rejoindre à Sanur où l'on passe un très bon moment, à échanger sur nos mondes différents, sur les voyages, Bali, etc. Ils me font un cadeau formidable : touché par mon histoire de vol et mon envie de voir le monde, ils m'offrent leur appareil photo pour me permettre de continuer à capturer des instants précieux de vie. Ils en ont acheté un nouveau et avait décidé d'offrir l'ancien à leur petite fille, mais finalement ils m'en font cadeau et ne pouvaient me faire plus plaisir. Quelques semaines plus tard, ce sera Margaret qui m'offrira son appareil photo aussi, juste au cas où le premier me lache ou se perde (j'ai un mauvais karma avec les appareils photos faut dire!), puis je recevrais un chèque inatendu de mon ancien employeur, couvrant largement ma fraude à la CB. Bilan : deux appareils photos et pas mal de sous volé; quelques semaines après, deux nouveaux appareils et argent retrouvé! Je fais juste confiance à Dieu, suis mon chemin sans me préoccuper, et les choses arrivent comme elles doivent arriver. Un ange veille sur moi. Souvent on ne pense qu'à la destination et en oubli l'importance de la route, alors que quand on prête attention à ses pas, le chemin s'ouvre devant nous et créé la meilleure destination qui ne soit, sans qu'on ai à s'en soucier. D'ailleurs ma CB est enfin arrivée (Allélouiaaaaaa!!), je vais pouvoir partir, et en parlant de chemin je me demande lequel prendre? J'ai envie de retourner en Asie mais le climat n'est pas idéal et je n'ai pas mes visas (je ne sais pas pourquoi, mais je crois que ça va être compliqué depuis Bali! lol), j'hésite avec l'Australie. Je ferais les deux, il s'agit juste de choisir par lequel commencer. La réponse ne se fait pas tarder : Denise et Margaret m'invitent à venir chez elles à Perth, elles rentrent bientôt; Du coup, c'est décidé : j'irais en Australie! C'est l'avantage de n'avoir rien de vraiment plannifié, c'est ça la liberté!!! En attendant d'avoir mon visa, je pars sur les îles Gilis, à quelques heures de Bali, puis ferais un tour à Singapourg avant d'aller au pays des kangourous. Next stop : Gili Trawangan!!

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