2013-08-30

« Il ne faut jamais dire jamais, mais les consommateurs ne semblent pas être intéressés [par le système d'abonnement du streaming musical] », avait indiqué Steve Jobs en 2007 à Reuters. « Le modèle par abonnement a échoué jusqu’ici ». Cinq ans plus tard, Apple a revu son jugement. L’entreprise à la pomme a officiellement annoncé la sortie de son service de stations radio personnalisées, iTunes Radio, en septembre.  

Le streaming : premier vecteur de croissance de l’industrie musicale

Confrontée depuis une décennie à la révolution numérique, l’industrie musicale explore la viabilité de nouveaux modèles économiques à travers des offres de streaming. Ce mode de consommation porte aujourd’hui la dynamique du marché. Les consommateurs ont dépensé 5,6 milliards de dollars dans l’industrie de la musique digitale en 2012, soit une croissance de 9% par rapport à 2011 d’après un rapport de l’IFPI (International Federation of the Phonographic Industry). Il s’agit du taux de croissance le plus élevé depuis 15 ans.

De fait, une myriade d’acteurs propose différentes offres de streaming musical : web radios (Last.FM, Radio.FR, Slacker, etc.), plateformes de streaming vidéos musicales (YouTube, Vimeo, Hulu, TapeTV, etc.), services de musique personnalisée en streaming (Spotify, Deezer, etc.), services de contenus générés par l’utilisateur (Grooveshark, etc.) et plateformes de musique en mode cloud (iTunes,etc.).
   

Un marché en plein bouleversement

De nombreux acteurs

Outre Apple, d’autres géants du web investissent le streaming musical :



Microsoft a adapté son nouveau produit Xbox Music sur le web,

Google vient de lancer son service d’abonnement payant Play Music All Access offrant un « accès illimité à des millions de titres de majors ou de labels indépendants »,

Twitter a développé Twitter Music, une offre qui analyse les groupes populaires sur le réseau social ou le profil de l’utilisateur,

Amazon serait, quant à lui, sur le point de proposer sa propre offre. 

Ces nouveaux services vont directement concurrencer les pionniers du marché du streaming : Pandora, leader de la radio en ligne aux États-Unis grâce à ses 70 millions d’utilisateurs, la plate-forme suédoise Spotify numéro un mondial de la musique en ligne et Deezer, le leader français.

Un marché pourtant non rentable

Aujourd’hui les purs players du streaming ne gagnent pas d’argent. Pandora a ainsi accusé une perte de 28,6 millions de dollars au 1er trimestre 2013. La perte nette de Spotify a également augmenté de 29 % entre 2012 et 2013, soit 58,7 millions d’euros. De nombreux acteurs ont d’ailleurs fait faillite ou été bradés en bourse : fermetures de Yahoo ! Music en 2008 et de SpiralFrog en 2009, faillite de MP3tunes.com en 2012, … En cause, le fait que la croissance du chiffre d’affaires ne compense pas celle des dépenses.



Spotify, leader mondial du streaming musical

Le coût des contenus est en effet très élevé, en partie à cause des royalties. Plus de 60% du chiffre d’affaires de Pandora et 70 % de celui de Spotify est redistribué aux ayants-droit. Les acteurs sont confrontés à une équation dont ils n’ont pas trouvé la solution : ils doivent encourager leurs utilisateurs gratuits à évoluer vers le premium pour accéder à des offres plus complètes mais ils doivent toutefois éviter de rendre leur offre gratuite trop restreinte, ce qui découragerait ceux qui ne veulent pas payer. La clé de la rentabilité réside dans l’équilibre entre abonnements premium d’une part et gratuits avec publicité d’autre part. Le marché est d’autant plus difficile que des offres entièrement gratuites avec publicité accroissent la concurrence. Comment expliquer l’arrivée de ces géants des technologies sur ce marché alors que ce dernier n’est pas rentable?
  

Pourquoi les géants des technologies se lancent-ils sur le marché ?

Le marché du streaming musical est très concurrentiel de par la multiplicité des acteurs, et complexe de par la difficulté à développer un business model viable et surtout rentable. Les géants des technologies réussiront-ils là où les autres échouent ou les objectifs de ces derniers sont-ils différents ?

Des économies d’échelle sur les coûts opérationnels



Le manque à gagner pour les acteurs du streaming découle majoritairement d’accords défavorables sur les licences négociées avec les ayants-droit. Cet « épine » économique devrait moins impacter les géants des technologies. D’une part, leur poids sur le marché leur confère davantage de légitimité dans les négociations concernant les licences. D’autre part, de nombreux analystes estiment que ces entreprises réaliseront des économies sur leurs coûts opérationnels grâce à leur taille. Au-delà de ces gains, la rentabilité directe de l’offre de streaming n’est pas la première motivation des nouveaux entrants.

Une stratégie d’adaptation

Pendant des années, ces entreprises – Apple en tête – ont privilégié les produits et services qui contribuaient directement à générer de la marge. Aujourd’hui, elles sont contraintes de revoir leur stratégie pour dynamiser leur propre écosystème media. Et justement, Pandora est la deuxième application gratuite la plus populaire de tous les temps sur l’Apple Store… Investir cette industrie c’est donc affirmer sa position sur le marché du digital pour répondre à des enjeux forts de fidélisation via l’adaptation des offres aux habitudes d’écoute musicale par exemple. 

Valoriser l’image de marque

Même si le secteur du streaming musical n’est pas rentable en tant que tel, les nouveaux entrants l’investissent également pour renforcer leur image de marque. D’une part, le partage de contenu permet aux marques de véhiculer une image de bienveillance. Dans une économie de plus en plus tournée vers le partage, ce dernier argument n’est pas négligeable. D’autre part, ces entreprises s’inquiètent d’être considérées comme dépassées si elles n’intègrent pas ce marché. Le fait d’être perçues comme obsolètes aurait un impact très négatif sur l’ensemble de leurs produits et services.

Un relais vers des offres plus lucratives

Enfin, les marques espèrent attirer leurs clients vers d’autres offres plus lucratives : stores en ligne, produits mobiles, hardware, etc. L’enquête publiée en mars 2012 par le Môle armoricain de recherche sur la société de l’information et les usages d’Internet  montre que le streaming légal a « un effet significatif et positif sur l’achat de musique en ligne ». L’étude évoque ainsi les retombées du « sampling effect », qui permet aux internautes de découvrir un titre en ligne avant de l’acquérir dans sa version numérique. Cela alimente la thèse selon laquelle le streaming serait complémentaire aux autres modes d’exploitation de musique enregistrée.

En réalité, peu importe, pour ces entreprises, que le streaming soit générateur de profit en tant que tel. C’est avant tout un moyen d’inciter les consommateurs à acheter les titres écoutés sur les autres canaux de distribution des marques et à intégrer des écosystèmes – comme celui d’Apple – relativement verrouillés. 

Devices, services et contenus sont dorénavant intimement liés. Pour Google par exemple, il pourrait s’agir d’une stratégie globale visant à cloisonner le client dans un environnement purement Android. Attirer les consommateurs avec des contenus exclusifs et de qualité pourrait permettre de les inciter à acheter des terminaux. Cette stratégie devrait être payante sur le long terme.

   

L’avenir du streaming musical

L’entrée sur le marché de ces géants devrait modifier durablement le paysage de l’écoute musicale en ligne. La véritable plus-value des offres développées par les géants du web est de proposer un service homogène de bout-en-bout incluant le terminal, le service, le paiement et le contenu. En se rendant indispensables aux yeux du consommateur, ces entreprises devraient dominer le marché du streaming musical. Dans ce cas, la rentabilité du modèle ne portera pas sur la vente de la musique mais sur le renforcement de l’attractivité de la marque et la promotion des produits à forte marge, comme les terminaux mobiles.

Toutefois, le leadership de ces géants n’est pas garanti. La qualité du contenu diffusé sera décisive. L’histoire a démontré que de petites entreprises uniquement concentrées sur le streaming musical pouvaient défier les géants à l’offre diversifiée. Ce fut par exemple le cas de Pandora qui concurrença Yahoo ! et AOL lors de son entrée sur le marché Américain de la radio en ligne. Désormais, ces deux dernières entreprises ont quitté le marché et Pandora y règne en maître.

Cet article Le streaming musical en pleine révolution est apparu en premier sur Telcospinner.

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