Alors que les hommages à la Britpop se multiplient, anniversaires des 20 ans pour bon nombre d’albums obligent, on a décidé de s’arrêter du côté de Sheffield, ville de naissance de Pulp, star du documentaire Pulp: A Film About Life, Death And Supermarkets.
A Different Class
Si A Film About Life, Death And Supermarkets est l’actualité rêvée pour vous parler de Pulp, un petit saut dans le temps s’impose au préalable. En effet, si Pulp a marqué l’année 1995, c’est parce que c’est cette année-là que le groupe a réellement explosé. Deux événements majeurs ont ainsi scellé le destin du groupe de Sheffield: en juillet, les Stone Roses, sensés prendre la tête d’affiche de Glastonbury annulent leur performance au dernier moment. C’est alors que Pulp est appelé à la rescousse et, porté par la sortie de leur tube « Common People » deux mois auparavant, le groupe va alors rallier à sa cause la foule du plus grand festival de Grande-Bretagne. Du pain béni promotionnel pour eux puisque le 30 octobre suivant voit la sortie de leur cinquième album: A Different Class. Celui-ci se classera en tête des ventes d’albums au Royaume-Uni, porté par les singles « Common People » et « Disco 2000″.
Common People: un groupe ordinaire
Mais revenons à un passé plus proche. En 2012, Pulp effectue une ultime tournée, laquelle doit se clôturer dans la ville qui l’a vu naître en 1978: Sheffield. C’est alors que l’idée vient à Jarvis Cocker et au réalisateur Florian Habitch de tourner un documentaire autour de cette dernière date. Le parti-pris d’Habitch est alors de ne pas se focaliser exclusivement sur le groupe et sa performance mais plutôt de s’intéresser à cette journée dans sa globalité. A Film About Life, Death And Supermarkets est donc, comme son titre le laisse entrevoir, une oeuvre existentielle avant d’être un « documentaire sur Pulp ». Et pourtant, c’est dans ce parti-pris que réside la pertinence du choix d’Habitch: il n’aurait pas pu réaliser meilleur film « sur » Pulp qu’un film où le groupe devient presque un protagoniste comme un autre, ou plutôt, le point de liaison de toutes les micro-histoires racontées ici.
En effet, à bien des égards, Pulp pourrait se définir comme une formation qui s’applique à rendre l’ordinaire extra-ordinaire. Porté et incarné par le seul et unique membre présent depuis sa création, Pulp est à l’image de son chanteur, Jarvis Cocker. « Middle-class-hero » exemplaire, le petit Jarvis a grandi dans l’ancienne cité industrielle de Sheffield où il a connu une enfance et une adolescence pour le moins communes. Lors d’une de ses interventions dans le film, il nous révèle même ce qui l’a motivé à former un groupe en 1978, à savoir la perspective de séduire les filles de son âge et de leur paraître plus charismatique que timide. Que l'(ex)adolescent qui n’a pas souhaité monter un groupe pour cette même raison lève la main… A cette même époque, en parallèle de ses études et de la musique, on nous raconte dans le documentaire que Cocker bossait sur un stand de poissonnerie au marché, ce qui, pour l’anecdote, finissait souvent par anéantir ses efforts de séduction à cause de l’odeur qu’il trainait constamment dans son sillage.
Cette image de middle-class-hero est donc parfaitement entretenue dans A Film About Life, Death And Supermarket. En effet, on peut notamment voir, dans les rares parties scénarisées, Jarvis Cocker qui tente de changer une roue de voiture au milieu d’une cité, qui se balade en vélo dans un parc ou encore qui nourrit des canards. Mais c’est encore plus à travers les interventions des autres membres du groupe qu’on saisit surtout à quel point Pulp est un ovni du star-system Brit-Pop: Candida Doyle nous y dépeint un quotidien loin des paillettes et Mark Webber nous explique le bonheur de pouvoir sortir prendre le bus et acheter son pain comme n’importe qui après tant de succès. D’ailleurs, autre anecdote singulière et abondant dans le sens de « l’ordinarité », avant d’être guitariste de Pulp, Mark Webber était le président du fan club du groupe en Angleterre.
Mais cette idée d’ordinarité se retrouve aussi dans les textes du groupe. Dans un des extraits du concert retenu pour le documentaire, Cocker dit au public que ses chansons racontent des histoires vécues avec des habitants de Sheffield et que les autres, celles qui parlent de sa vie à Londres, n’auraient pas pu être écrites ainsi s’il n’avait pas grandi à Sheffield. C’est vrai qu’une oreille attentivement jetée sur les paroles des morceaux de Pulp nous révèle à quel point le quotidien a pu inspirer le groupe. Il y est parfois questions de voisines dévergondées, comme dans Babies, d’une riche héritière Grecque rencontrée sur les bancs du Central Saint Martins College Of Arts And Design, comme dans Common People, ou de son amie d’enfance Deborah, comme dans Disco 2000. Là où la plupart des groupes du mouvement Brit-Pop se contentent de chanter des histoires sûrement inspirées mais non incarnées, Pulp va mettre en avant le commun des mortels, chanter à la gloire de la voisine mignonne ou du mineur en grève. Et c’est en cela que le groupe va, d’une part, se distinguer de ses camarades de fortune de l’époque et, d’autre part, laisser une empreinte unique dans l’épopée musicale anglaise.
« It took us a long time to get here »: les raisons d’un succès différent
Contrairement à la majeur partie des groupes ayant connu un énorme succès durant la vague Brit-Pop, Pulp n’est pas un groupe formé à cette époque. Il leur aura fallu dix-sept ans et beaucoup de changements d’orientation musicale et de line-up avant de connaître le succès. Cela signifie aussi que les membres du groupe étaient alors plus âgés que la plupart de leurs camarades de formations comme Blur ou Oasis.
C’est probablement tous ces éléments qui ne les ont pas fait entrer de plein pied dans le star-system. En dehors de Jarvis Coker, figure de proue et personnage exubérant qui n’avait aucun souci avec les (re)présentations publiques, le reste du groupe s’est toujours fait discret. Il est également possible qu’une relative nonchalance liée aux déboires anciens – à la fin de ses études, Cocker était sur le point de se lancer dans une carrière de vidéaste quand le succès a enfin frappé à sa porte – ait joué dans cet éloignement des projecteurs. Et puis, contrairement aux deux groupes cités plus haut qui alimentaient et entretenaient leur visibilité en se tirant dans les pattes, en dehors des gentilles moqueries et traits d’humour de son leader, Pulp n’a jamais pris part aux scandales de son époque. C’est parce que les années 90 ont été, plus que jamais, la décennie de l’avènement des tabloïds et du star-system que tous ceux qui n’avaient pas leur place dans les colonnes de la presse people car trop calmes ou trop ordinaires (on y revient) n’ont pas accédé au sommet de la pyramide des paillettes.
Enfin, ce qui pourrait également expliquer un succès international plus mitigé pour Pulp, c’est justement son ancrage très – trop – profond dans la culture locale, avec des textes et sujets qui avaient peut-être une portée trop personnelle et moins universelle que ce que requérait les standards du succès de l’époque.
Quoi qu’il en soit, A Film About Life, Death And Supermarkets est une belle déclaration d’amour mutuelle entre Pulp et les habitants de Sheffield. Rarement, une ville aura semblé autant intégrer dans son patrimoine le travail des musiciens de son temps. Dans ce documentaire, c’est toute la ville qui raconte son histoire, qui réinterprète et s’approprie l’oeuvre de Pulp et c’est tout simplement l’histoire d’amour entre un territoire et ce qu’il a produit de plus beau. A voir absolument.
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