2014-02-15



Il y a quelques jours, nous vous offrions les scans de l’édition de mars du magazine « Vogue US » pour lequel Rihanna fait la première de couverture. Aujourd’hui, nous vous proposons la traduction de l’interview accordée à la chanteuse.
 

Nous sommes en décembre, le temps est hivernal cet après-midi là. Le magasin « Alexander Wang » de SoHo est provisoirement fermé, aucun client n’ayant droit d’entrer. Un garde du corps observe les alentours, tel un personnage de la série « Homeland ». Son regard fait des vas et viens de manière suspicieuse entre Wang, habillé d’une veste noire tombante (assis à côté de moi sur un canapé de cuir noir, lequel est parsemé de coussins en vison) et le hamac suspendu au milieu du magasin. Il plisse des yeux en observant, par la fenêtre de secours, la grande peluche noire haute de trois mètres. « J’ai besoin de savoir où se trouve l’hôpital le plus proche, » murmure-t-il. Aussitôt dit, aussitôt fait: un hôpital convenable est localisé.
 

Le garde est écrasé par un sac à dos qui semble très lourd.
« Puis-je prendre votre sac ? » lui demande gentiment la vendeuse. « Non, merci. Je le garde, il contient tout ce dont Elle a besoin. »
 
« Elle » (je le savais, nous le savions tous, car cela faisait au moins cinq longues minutes que nous l’attendions) c’était Rihanna. J’ai découvert par la suite que quiconque travaille pour la chanteuse méga-star parle d’elle comme « Elle », de la même façon que les pasteurs disent « Lui » ou « Il » pour faire référence à Dieu. Et cette vénération est légitime, en tout cas aujourd’hui: elle vient d’apprendre qu’elle a autant de singles n°01 que Michael Jackson dans le classement « Hot 100″ du magazine « Billboard ». Cela a pris vingt-trois ans à MJ, mais sept à Rihanna. Elle a vendu 50 millions d’albums et 180 millions de singles, et a emporté six « Grammy Awards ». Tout cela est plutôt extraordinaire pour un garçon-manqué de la Barbade prénommée Robyn Rihanna Fenty, qui n’a jamais pris de cours de chant.
 
Concernant la mode, Rihanna est un grand nom aux yeux du public et des couturiers. L’Effet Rihanna était présent partout pendant les collections de printemps. Peter Dundas, créateur artistique chez Pucci a présenté des boxers en cuir portés avec des vestes ornées de pierreries, et a paré sa robe de tapis-rouge de harnais noirs perlés. Olivier Rousteing, pour « Balmain » (dont Rihanna fait la campagne de publicité pour le printemps), a présenté ce qui équivaut à une garde-robe de Rihanna sur le podium: des vestes de baseball accordés à des hauts simples, avec des pantalons slim à motifs pied-de-poule ; des robes courtes en jean inspirées des années 80, cintrées au niveau de la taille. Les robes très courtes incrustées de joyaux ainsi que les sandales à cuissardes de Tom Ford étaient tout simplement à l’image de Rihanna.
 
Voici ce que ces couturiers ont à dire d’elle: « Personne ne m’excite autant qu’elle, » dit Alexander Wang, en sirotant un café glacé. « C’est brut, c’est intelligent, c’est tout ce dont la culture pop a besoin pour aller de l’avant. »
De son studio londonien, Tom Ford déclare « Elle peut enfiler des fringues difficiles à imaginer sur d’autres personnes, et être quand même magnifique. Dans le monde de la mode, elle a inspiré une très large gamme de vêtements auxquels on ne s’attendait pas. »
Peter Dundas, dans son train entre les bureaux de Pucci à Milan et Florence, dit qu’elle est « une fille qui sait s’habiller, très talentueuse, de la même manière que l’est Kate Moss. C’est une version amplifiée de ce à quoi beaucoup de filles aimeraient ressembler, mais elle a toujours une longueur d’avance. »
« L’e-mail que je lui ai envoyé pour faire partie de la campagne disait BalmainRiRi, » explique Olivier Rousteing au téléphone depuis Paris (un rappel à BadGalRiRi, le compte Instagram de Rihanna, dont le nombre d’abonnés s’élève à 11 millions. Son compte Twitter en comptant 33 millions). Olivier me dit que Rihanna est sa muse. « Mon but c’est… je l’aime !, » s’enthousiasme-t-il avec son accent français. « J’aime ma marque ! J’aime mes vêtements ! Et je veux les voir partout ! Et Rihanna est partout ! Nous aimons tous les deux les réseaux sociaux ! On adore s’envoyer des messages !!! C’est la nouvelle Wonder Woman !!! ».
 
Donc, si je suis en train d’attendre RiRi (tel qu’on la surnomme souvent) dans le magasin Alexander Wang, c’est parce-que je — et tout le monde chez « Vogue » — trouve que ses goûts sont tellement géniaux, tellement bons actuellement, que nous voulons savoir comment bien s’en sortir. Rendez-vous compte: Rihanna a accepté de m’habiller. J’étais sur le point de vivre un conte de fée de la mode — la chanteuse la plus cool de la planète saupoudrant de la poussière d’étoiles sur cette maman anglaise travailleuse.
 
Nous n’avons pas à attendre longtemps. Contrairement à sa réputation, Rihanna est plutôt ponctuelle. J’aperçois une fille menue se faufilant sans se faire remarquer à travers la porte du magasin, suivie par une petite troupe d’assistants, d’amis et deux conducteurs.
« Coucouuuu ! » lance Rihanna à Alexander, le prenant dans ses bras.
« Saluuuutttt! » me dit-elle, me faisant un câlin auquel je ne m’attendais pas.
L’atmosphère du magasin passe de « Homeland » à « Cheers » en à peine 30 secondes.
 
Laissez-moi vous décrire Rihanna. Une fois que je me détache d’elle, je lui demande de faire un pas en arrière afin de l’examiner, ce qu’elle fait vaillamment en faisant des gestes sensationnels — les jambes écartées, les mains dans les poches, avec un grand sourire. Son rire, un mélange de tintement chantant contagieux et un gloussement des îles, est l’élément de fond. Tout fait rire Rihanna.
 
Mais pour en revenir à son apparence: Rihanna est mince, avec la silhouette d’une danseuse, presque plate. Son visage est angélique. Elle a un adorable petit nez légèrement courbé ; des lèvres parfaitement tracées, avec un rouge à lèvres « vamp ». Sa peau parfaite est rayonnante. Ses yeux clairs couleur caramel sont maquillés de khôl, tel un félin. « Je les maquille moi-même, » explique-t-elle. « Pourrait-elle me maquiller les miens ? » « Jen. Apporte moi mon eye-liner de chez « M.A.C », » demande-t-elle à son assistante personnelle, qui file tout droit à la boutique « M.A.C » du coin. Les longs cheveux noirs ondulés de Rihanna sont rasés d’un côté. « Ce ne sont pas mes cheveux, mais la femme qui en a fait don, c’est la meilleure, » dit-elle. « Les filles noires ne montrent ça à personne, » ajoute-t-elle, en me montrant le travail compliqué de ses faux cheveux, qui sont tissés dans un filet accroché à ses vrais cheveux. « J’ai deux principaux coiffeurs avec qui je travaille. Ils sont toujours avec moi. Je suis là genre, ‘J’en ai marre ! Je veux changer de coiffure !’ C’est la chose cool avec le tissage. Tu peux faire n’importe quoi avec. »
 
Je dirais que Rihanna fait à peu près 1m75, mais elle porte des botes en daim Saint Laurent à talon aiguilles de 10 centimètres, avec des attaches en cuir autour de ses chevilles. « Je peux danser avec, » dit Rihanna. « Ca n’a rien à voir avec la douleur, tout est question d’engagement. Je me dis ‘Je veux ressembler à ça’, et je me soucie de la douleur seulement pus tard. J’ai passé des nuits où j’ai du rentrer à la maison sur la pointe des pieds car je n’arrivais pas à tenir debout sur plante des pieds. » Elle porte un « costume » en jean — ou du moins, la version Rihanna de ce qui semble en être un. Conçu par le couturier Jen Kao, le costume consiste en un pantalon taille haute, foncé et moulant, assortie à une chemise déboutonnée qui tombe presque jusqu’à ses genoux. En dessous, elle porte une combinaison noir à col roulé et une grosse chaine en or autour du cou. Ses boucles d’oreilles créoles sont très grandes. Sur son bras, elle porte un bracelet en or en forme de serpent. Sur ses doigts et ses mains sont tatouées au henné des bagues. « Mes bijoux sont tous faux — ils viennent de « Claire’s ». Ou alors je les prends dans la boutique de ma mère à la Barbade. Son magasin s’appelle « FAB-U-LUS ». » (J’aime le fait que Rihanna porte des faux bijoux car selon le magazine « Forbes », elle a gagné 43 millions de dollars l’an dernier.)
Rihanna est magnifique et tellement originale. « Rihanna, » lui dis-je, « je me sens morne, mal fagotée. Je trouve que j’ai un look de maman vraiment pas top, et pas du tout stylé. » L’intensité de ces sentiments augmente à chaque seconde passée avec Rihanna.
 
Elle me fixe pendant quelques secondes. J’étais habillée d’un jean slim vraiment moyen, un haut en satin plutôt joli, et je portais de vieilles bottes à hauteur des genoux. Elle me dit, « Je n’aimerais jamais habiller quelqu’un de la même façon que moi. Je veux que tu sois toi-même avec une petite touche de Rihanna. Meuf ! Tu dois avoir cette petite touche fougueuse !!! » Pendant un petit moment, elle parle avec son accent barbadien. Rihanna semble tout droit sortir de « Pygmalion ». La plupart du temps, elle parle avec cette diction parfaite de la fille emmenée dans le Connecticut à l’âge de 16 ans, par le producteur Evan Rogers après avoir auditionné pour lui. Lorsqu’elle est contente ou qu’elle se retrouve avec ses anciens amis, son accent des îles ressurgit.
 
Rihanna prend son rôle dans la mode très au sérieux, avec une verve impossible à arrêter. « Boom ! Une veste trop grande ! » dit-elle, en attrapant une veste pour homme en cuir et en me la tendant. Elle a l’air énorme. « N’est-ce pas trop grand ?, » lui demandé-je.
« C’est sauvage. C’est un cuir génial. J’adore les vestes plus que tout. Tu peux tout faire avec une grande veste, plus c’est large, mieux c’est ! Tu peux avoir n’importe quelle silhouette en-dessous. Ca te donne de l’allure. Ca peut rendre une robe longue superbe. » Elle a un ton autoritaire. J’apprenais quelque chose de sa part concernant la mode. « J’aime les choses larges. Je porte des vêtements d’homme, des chaussures d’homme, des chaussures de ville, des creepers. » « Une veste pour homme, » me dit-elle est l’élément-clé de sa garde-robe. Ces manteaux géants qu’elle porte avec des petits sous-vêtements, ce sont tous des manteaux d’hommes. Bien qu’elle se souvienne que pour la fête d’anniversaire de ses cinq ans, sa mère Monica (qui était une « rebelle refoulée » et qui s’habillait comme une jeune Diana Ross à l’époque) l’avait habillée d’une robe rouge à fleurs, avec un jupon en tulles, des collants bleus, et des petits mocassins blancs avec des glands au bout, ces efforts pour lui faire porter des robes « convenables » n’ont pas duré. Rihanna faisait ce qu’elle voulait à partir d’un très jeune âge — non seulement musicalement mais aussi vestimentairement. « Je chantais beaucoup quand j’étais petite. Beaucoup. Je me suis beaucoup entraînée à manoeuvrer ma voix. J’adore chanter. J’aime ça, et je ne considère pas ça comme une corvée. C’est une forme d’expression. Je n’ai jamais voulu être célèbre. Je voulais juste que ma musique soit entendue partout dans le monde. C’est arrivé, et la célébrité est venue avec. Je ne peux pas m’imaginer un jour m’en lasser. »
 
Pendant son adolescence, Rihanna a commencé à porter des vêtements pour homme. « Quand j’avais treize ou quatorze ans, je ne voulais pas porter ce que ma mère voulait que je porte. J’étais vraiment un garçon dans mon style, et dans mon comportement. Tous mes amis étaient des mecs, j’aimais les choses que les gars font. J’aimais bien ne pas me prendre la tête avec mes fringues. J’aimais porter des chapeaux, des foulards et des casquettes. C’était ma façon de me rebeller. Je voulais m’habiller comme mon frère. Après un moment, ce fut plus facile pour ma maman de simplement nous habiller pareil. On portait les mêmes jeans, les mêmes tee-shirts. »
 
Le côté rebelle de Rihanna ne l’a visiblement pas lâché. Elle a fait la une des tabloïds avec non seulement des histoires de drogues mais aussi en rapport avec ses petits-amis. « Je ne fais pas tout pour être rebelle ou donner cette image mais beaucoup des décisions que je prends, beaucoup des directions que je veux prendre, vont à l’encontre des valeurs, ou à l’encontre des limites posées par notre société, et j’en ai conscience parfois. Ca ne rentre peut-être pas dans la norme, mais ça me va personnellement. »
 
Je dis à Rihanna que secrètement, j’ai toujours voulu porter des vêtements pour hommes dans les magasins mais n’ai jamais eu le cran de demander.
« Ma belle ! Tu ne seras jamais stylée si tu ne prends pas de risques. » Rihanna me réprimande. Rihanna est plutôt autoritaire pour une fille de 26 ans. Mais si je peux lui ressembler, quelle importance ? « Si tu vas dans un magasin pour homme et que tu essayes quelque chose, ils te regarderaient en mode ‘C’est une bad bitch’, » dit-elle. Être une bad bitch pour Rihanna, c’est une bonne chose.
 
Elle attrape quatre ou cinq vestes et manteaux pour hommes différents afin que je les essaye, tous énormes et drapés, avec des capuches ou des cols géants. Ensuite, elle sort la combinaison classique de Rihanna — un pantalon de survêtement gris, un tee-shirt noir en soie, une veste style aviateur en satin rose pâle. C’est le look RiRi que je veux plus que tout. Sur toutes les photos que j’ai vu de Rihanna en survêt’, elle semble être aussi à l’aise que belle — ma vision du rêve.
 
On se dirige vers la cabine d’essayage. Son assistante personnelle réapparaît avec un sac de eye-liners de khôl noir, et Rihanna me fait m’asseoir sur un tabouret, tout en me maquillant les yeux. « Je n’ai jamais fait ça sur quelqu’un, » dit-elle, tout en se mettant à l’oeuvre. Au même moment, une des personnes autour déclare que ce moment doit être immortalisé — ce qui dans le monde de Rihanna veut dire futures publications sur Instagram — et ainsi la session maquillage est filmée avec un iPhone.
 
J’étais convaincue que le truc des pantalons de survêt’ marcherait avec brio. Ça allait être tellement facile, esthétiquement, mentalement, et même au niveau de l’entretien. Tout irait dans le lave-linge et le sèche-linge. Ce serait mon nouvel uniforme. J’enfile le pantalon de survêt gris. Rihanna fait un ourlet en bas pour le rendre plus court. J’y ajoute le haut en soie, la veste d’aviateur, et une grosse paire de talons que Alexander a choisi. Je me sens bien. Alors que je me change, Rihanna parle de la façon dont elle a créé ce look caractéristique.
« Tout a commencé pendant les répétitions de danse, » explique-t-elle. « Quand tu pars en tournée, tu répètes en survêt-baskets. Puis tu répètes tes chansons avec les talons que tu porteras le soir même. Et je me suis rendu que wow, ça rendait bien ! J’ai un ami qui est littéralement sans arrêt en train de chercher des tee-shirts cool pour moi car ça m’obsède. »
 
J’entre dans la cabine d’essayage et me regarde dans le miroir. Mon Dieu.
« - J’ai l’impression d’aller à la gym. De manière négative, » précisé-je.
« - Ouais. T’as l’air horrible, » me dit Rihanna.
Et comme un choeur grec, le petit groupe acquiesce.
 
Clairement, ça allait être plus dur que je le pensais de m’habiller comme elle.
Elle me tend une tunique noir en peau de crocodile. Ça rend mon teint encore pire. « Non. T’as l’air trop pâle, » me dit-elle. Puis elle l’essaye, et sa peau brillait avec ce cuir tape-à-l’oeil. Ca rendait bien avec son petit justaucorps. La combinaison est manifestement l’idée même que Rihanna a de la mode actuelle. Qu’est-ce qui lui a donné cette idée ? « J’enregistrais « Good Girl Gone Bad » [son troisième album] et pour le vidéo clip de « Umbrella » je portais beaucoup de justaucorps. Je l’ai apporté sur scène et ensuite je l’ai ajouté à la collection que j’ai faite pour « River Island » — une marque britannique pour laquelle elle a créé quatre collections. « J’aime les chemises moulantes et qui ne ressortent pas du pantalon. »
 
Me sentant légèrement démoralisée par toute cette expérience avec Rihanna, je remets mon jean, mes bottes et mon haut. Mais Rihanna ne va pas s’arrêter là. Elle veut que je porte une tenue Alexander Wang. J’essaye manteau après manteau jusqu’à ce que j’arrive à un super drapé en mouton, m’arrivant jusqu’aux genoux, avec une énorme capuche sophistiquée en coton lustré. Ca semblait magnifique ! Je me regarde dans le miroir.
« J’ADORE ! » dis-je en haletant. Je ne veux pas me la péter mais j’ai l’air vraiment intéressante avec cette veste. Je ne l’aurais jamais choisie. C’était entièrement l’idée de Rihanna, et ça marche. Ma silhouette androgyne avec mon jean slim et mes bottes semble glamour, décontractée, cool. Tout ce que vous avez envie que Rihanna fasse de vous est dans cette veste.
« Si je te voyais marcher dans Starbucks avec ça, je t’épouserais ! » hurle Rihanna. Lorsque je demande ce qu’elle veut dire par là, une tonne de gloussements dans le groupe se fait entendre.
« Sors du magasin avec, » me dit Alexander, ravi qu’on ait enfin trouvé un look qui marche.
Je me dirige vers la porte très rapidement — Alexander n’a même pas le temps de changer d’avis concernant le manteau. Maintenant Rihanna veut m’emmener au magasin « Tom Ford » dans les quartiers résidentiels pour un look de soirée. Je lui dis que je vais à un vernissage à Chelsea, puis à une fête de Noël chez John Demsey, président du groupe Estée Lauder. Je veux avoir l’air atypique. J’en ai marre de porter des robes en soirée. Ça ne semble plus convenir.
 
« Je veux que tu sois élégante, » me dit Rihanna dans la salle privée chez Tom Ford. « Essaye ça, » m’ordonne-t-elle, sortant d’une étagère des bottes à talons aiguilles en daim noir. J’exécute. Tout à coup mon jean slim médiocre semble magnifique. « Maintenant celles-ci ! » me dit-elle, en me balançant une paire de sandales à talons en crocodile de couleur bleu de Colbat. « Tu devrais les porter avec un jean et une veste pour homme. »
« C’est ce qu’un mec veut, » continue Rihanna. « Quand ça a l’air d’être à toi et que ça te ressemble, c’est ça qui marche. Tu as envie d’avoir l’air de quelqu’un qui porte des vêtements cool… donc tu pourrais porter ça pour un rendez-vous. » (Je m’adresse aux lecteurs célibataires, car moi je suis mariée depuis sept ans.)
 
Ensuite, Rihanna me fait souffrir en me faisant porter des robes légères sans s’arrêter. Elle me fait porter un haut rouge à franges, avec une jupe droite en satin rouge. Elle adore. Je trouve que je ressemble à quelqu’un relookée pour « X-Factor ». Je proteste. Il fait un froid de canard dehors, et une tempête pointe le bout de son nez. J’ai besoin de me couvrir. Finalement, on s’arrête sur un pantalon droit noir, et un pull fin en cachemire noir à col-roulé. Elle me met un énorme bracelet sur le poignet gauche, et un épais collier autour de mon cou, avec des morceaux de peau de crocodile moulés à l’intérieur. Pour les chaussures, elle n’a aucune pitié — je porte une paire de sandales à lanières dont les talons aiguilles dorés font 10 cm, avec des oeillets noirs et dorés. Je me regarde dans le miroir. Le look est très Paloma Picasso style année 1986. C’est incroyablement chic. J’en ai rien à faire que mes orteils soient gelés quelques secondes après avoir mis les pieds dehors.
 
Rihanna enfile une énorme cape avec des fermetures éclairs dorées sur le dessus, car il fait froid. La cape lui donne une allure spectaculaire. C’est un look génial pour un cocktail. On discute également de ce qu’il y a en dessous — Rihanna porte-t-elle des sous-vêtements ? Je lui demande (elle ne porte rien sous sa combinaison, qui est entièrement dos-nu). « Si je porte un haut, je ne porte pas de soutien-gorge, » dit-elle. Nous sortons du magasin « Tom Ford » au milieu d’un éclat de rire de l’équipe qui nous a aidé pour notre mission.
 
Notre dernier arrêt est chez le couturier Adam Selman, 31 ans, qui a créé plus de 50 costumes pour Rihanna et a présenté sa première collection en septembre dernier. Je suis en voiture dans le centre-ville avec Jen, qui me dit qu’elle est « de garde » 24/24h pour Rihanna. Rihanna aime tellement Jen qu’elle lui a dit que si cette dernière avait un enfant, elle ferait faire un berceau sur mesure dans son bus de tournée. Tout en haut d’un escalier miteux et abrupt, au Twenty-ninth Street, Adam qui porte un jean et un hoodie, nous dit « La toute première chose que j’ai voulu faire pour elle était une robe pour un de ses vidéo clips. Vous l’avez vue pendant deux secondes à tout casser. » Sa collection consiste en des bas de pyjama en satin, des robes qui tombent jusqu’aux genoux avec des fines bretelles, des tout petits soutien-gorges et des culottes style années 40 assorties. Rihanna entre, avec un vison enfilé par-dessus sa veste en jean. « Je l’ai eu dans un magasin vintage dans le Texas, » dit-elle. Il est fait avec une vieille doublure en soie sur laquelle sont cousus les initiales de son ancien propriétaire. Ça ressemble au genre de manteau qu’unes des « Social X-Rays » [personnages féminins très minces du film "Le Bûcher des Vanités" de Tom Wolfe] porterait pour aller faire du shopping chez « Bergdorf ».
 
Rihanna commence par sortir des vêtements des stands pour moi.
« - Rihanna, » lui dis-je, « je ne peux plus rien essayer. Je ne peux vraiment pas. »
« - Maintenant, tu vois ce que je ressens, » me répond-elle.
À la place, on discute du phénomène Instagram. Qu’est-ce que ça signifie d’avoir 11 millions d’abonnés, lui demande-je ?
« Instagram est ma façon de communiquer avec le monde, dit-elle. Quand je suis en tournée, je tiens les fans au courant. Je n’y pense pas trop. En fait, je peux clairement être assis dans une voiture, m’ennuyer, et je fais une selfie juste parce-que je m’ennuie. Ou alors si mon chien tourne autour de moi et que je trouve ça drôle, je le mets sur Instagram. » Et qui Rihanna suit-elle sur Instagram ?
« Je m’abonne à des filles du Moyen-Orient. Ça me donne des idées. »
 
On est à la bourre. Rihanna doit se refaire faire les cheveux, et j’ai des soirées auxquelles me rendre. Mais Rihanna a besoin de manger, alors elle va chez « Da Silvano » pour un casse-croûte. On s’assied (avec notre groupe silencieux) à une table à l’arrière, et miraculeusement la nourriture apparaît sans que qui que ce soit n’ait commandé quelque chose. Rihanna vient ici depuis qu’elle s’est installée à New York. Tout en entamant une assiette de calamar, elle raconte sa vie. Elle vient juste de déménager à New York (vivant à Los Angeles auparavant) et a acheté un appartement dans le centre-ville. J’ai réduit les effectifs. Je veux une plus petite penderie. Je veux des choses plus simples. Je veux juste revenir aux choses essentielles. » Elle aime pouvoir marcher dans les rues de Manhattan, même si une fois alors qu’elle rentrait chez elle d’une boîte de nuit, elle s’est rendu compte qu’elle était suivie par un policier. Il ne croyait pas qu’elle avait juste envie de marcher. (Elle avait envoyé sa voiture et son garde du corps en avant). « Quand je suis en tournée, si je sors de mon hôtel pour aller chez Starbucks, il y a genre des milliers de fans qui marchent derrière moi. C’est énorme. Et c’est pour ça que je ne fais pas grand chose en tournée. Je me cache dans mon hôtel. »
 
Elle a envie de créer un label de mode bientôt. Elle pense que la mode est une grande partie de son succès. « Tout n’est pas seulement question de ma voix. Il y a des personnes beaucoup plus talentueuses que moi vocalement. Des plus grandes voix. Mais les gens veulent savoir qui tu es. La mode en est une indication claire, une façon d’exprimer ton attitude, ton humeur. » Elle a créé une fondation caritative nommée la « Fondation Clara Lionel » (les prénoms de ses grands-parents combinés) qui aide les enfants. « J’ai une relation très solide avec Dieu et je crois en Jésus, et je m’attache à ça. » Mais Rihanna n’est pas une sainte. Quelques minutes après, elle me parle de son tout dernier tee-shirt favori, imprimé d’une poitrine dénudée.
« Tu veux savoir quelque chose de complètement fou ?, » me demande-t-elle. « Je me suis rendu compte seulement hier que c’était une photo de moi !!! C’est une ancienne photo nue qu’ils ont agrandi et… »
Elle explose de rire, incapable de finir son histoire.
 
Je jète un oeil à ma montre. 21 heures ! J’ai raté mes deux soirées. Je laisse Rihanna qui semble s’intégrer à Silvano, son rendez-vous pour ses cheveux disparaissant de plus en plus dans les cieux. Je fais un saut à mon hôtel avec la tenue « Tom Ford », et me dirige vers un restaurant dans le centre-ville pour dîner avec des amis de longue date. Je me sens changée: une nouvelle et meilleure moi-même. J’ai l’impression d’avoir des stalactites à la place des pieds, mais ça vaut le coup. J’ai été RiRi-fiée. « Tu as l’air d’une « intello fashion » me dit un de mes amis ce soir là. Ma soeur tripote la géante fermeture éclair dorée sur la cape et me dit, « Tu ressembles à Michael Jackson. De manière positive. »
 
Tôt le lendemain matin, je quitte mon hôtel en portant mon nouveau manteau « Alexander Wang », mon pantalon slim en velours, mes bottes de motard, et un col roulé — tout cela de couleur noir. J’ai un fourre-tout verni en crocodile vert, et des boucles d’oreilles créoles dorées. Je fais clairement honneur à Rihanna avant de prendre mon avion pour Londres. Je décide de prendre un café. Étonnamment, quelqu’un me prend en photo alors que je descends la rue. Peut-être que ce truc à la Rihanna marche vraiment. Une minute plus tard, je suis dans la voiture me dépêchant pour arriver à l’aéroport, et le conducteur me demande:
« - Êtes-vous docteur ? »
« - Non, » lui dis-je.
« - Vous ressemblez à un docteur. Vous êtes entrée dans la voiture et je me suis dit ‘elle ressemble à un docteur’. »
« - Je ne suis pas docteur. »
« - Ah vous êtes dentiste ». »
Finalement, j’explique au conducteur que je travaille dans le domaine de la mode. Avant de pouvoir ajouter, « et à vrai dire aujourd’hui je suis habillée comme Rihanna » il me dit, « Vous vous habillez comme une dentiste. »
Je vais avoir besoin de plus d’entraînement pour adopter ce truc à la Rihanna.

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