2016-03-24

Comme promis, nous vous proposons de lire la traduction de l’interview donnée par Rihanna au magazine « Vogue US » du mois d’avril. Merci à Esteban pour son travail.

Le monde appartient à Rihanna.

Aujourd’hui, c’est le dimanche du Superbowl. Je me trouve dans une grande maison style gothique, au sein de la Real Housewife Carlton Gebbia à Beverly Hills, lieu dans lequel Rihanna a fait sa séance-photos pour le magazine Vogue. La chanteuse, âgée de 28 ans, entre dans la pièce, tout juste de retour de Toronto où, la veille, elle a tourné le clip de « Work » avec Drake. Elle porte une veste de motard vintage en cuir « Guess », un t-shirt gris « Star Wars », et un pantalon de survet’ vert. Concernant sa coiffure, elle arbore une coupe au carré façon années 90. Même habillée à l’arrache, on peut distinguer les formes singulières de son corps. Elle m’enlace pour me dire bonjour, puis monte à l’étage, où l’équipe beauté l’attend.

Je m’assieds sur une chaise à l’extérieur et tue le temps en utilisant mon téléphone (quoi d’autre ?). À cause des actualités quotidiennes, chaque photo postée sur Instagram par une pop star devient une source d’intrigues, et chaque extrait de vidéo clip fait face aux spéculations les plus folles. Cet après-midi là, le bla-bla concernant Rihanna, déjà très présent chaque jour, atteint un pic d’hystérie.

Dix jours auparavant, Rihanna sortait « ANTI », son premier album depuis 2012. Pendant 7 ans, elle avait sorti un album par année. Puis tout à coup, rien. Le timing n’était pas le bon. « ANTI » s’est directement auto-proclamé différent. Mélange provocateur et caractéristique de dance hall, de doo-wop, et de soul, l’album ne suit pas sa formule pop habituelle. Pour attiser le feu, la rumeur courait que « ANTI » avait fuité sur « Tidal », le service de streaming dirigé par Jay-Z et copossédé par Rihanna. Par la suite, le bilan a fait état d’un nombre de ventes remarquablement bas. Puis, le jour précédent, comme par enchantement, « Formation », le vidéo clip ostensiblement politique de Beyoncé, est sorti. Internet était en furie: « Beyoncé ne vient-elle pas juste d’essayer de voler la vedette à Rihanna ? ». Mieux encore: « Rihanna va-t-elle faire une apparence surprise au Super Bowl ?

Pendant ce temps, Rihanna bronze, allongée sur une méridienne, dans la véranda. Elle fume son joint, et crache la fumée en direction du ciel bleu californien. Elle écoute un remix de « Chandelier » de Sia, et se met de temps en temps à sortir quelques paroles, avec un accent barbadien inimitable: « I’m gonna live like tomorrow doesn’t exist! Like it doesn’t exist ».
Nous vivons aujourd’hui dans l’âge d’or des divas de la pop. Beyoncé, Taylor Swift, Adele: jamais les classements musicaux n’avaient autant été dominés par les femmes. On se sent tous vulnérables en écoutant Adele, mais également valorisé grâce à Taylor. Nous voulons regarder Beyoncé danser, la voir dominer le marché, la voir tout tuer. Dans cette arène glorieusement bondée, Rihanna transmet quelque chose d’unique. Elle n’a pas peur de nous montrer ses défauts, et nous donne l’inspiration afin de « suivre notre instinct, et si les gens ne nous aiment pas, on les emmerde » — comme dirait son amie Cara Delevingne.

Cette façon de voir les choses, c’est ce qui attire les jeunes femmes dans la fanbase loyale de Rihanna — sa Navy, d’après les paroles de sa chanson « G4L ». Et en 2016, cette Navy va en recevoir beaucoup de la part de Rihanna.

Rien que dans les prochaines semaines, elle compte aller à la Fashion Week de New York afin de faire la promotion de sa collection en collaboration avec « Puma ». Par la suite, elle retournera à L.A. pour les Grammys, suivi d’un aller direct à Londres afin de se produire sur la scène des Brit Awards. Puis finalement, deux jours après, elle retournera en Californie pour commencer sa nouvelle tournée. Ses tenues de scène sont « inspirées des tons neutres de la terre, dit-elle, et évolue d’un extrême à l’autre au fil du show ». Big Sean et The Weeknd feront ses premières parties en Europe, ainsi que Travis Scott; avec qui Rihanna a traîné ces derniers mois. « J’aime m’entourer de personnes qui chaufferont le public, dit-elle ».

« Je vais avoir quatre jours de répétitions pour la tournée, et ça me fait carrément flipper, explique Rihanna ». Il est 21:00 passées, la séance-photo est terminée.
« Mon emploi du temps est tellement fou en ce moment. » C’est la raison pour laquelle Rihanna est célibataire, dit-elle. « Cela va être un vrai challenge lorsque je prendrai la décision de poursuivre une relation… mais j’ai de l’espoir ! ». Il lui est également compliqué de trouver du temps pour faire du sport. « Je ne fais pas autant d’exercice que j’aimerais le faire, mais ma coach Jamie est une bête, et me le fait payer ».

Après sa dernière tournée, en 2013, Rihanna a fait le voeu de s’éloigner des studios d’enregistrement. « Je voulais consacrer une année à ce que je souhaite faire au niveau artistique et créatif, mais ça n’a duré qu’une semaine. » Les paparazzis ont pris une photo d’elle entrant dans un studio. « Mes fans se disaient ‘Oh, génial! Rihanna sort un nouvel album’. » À partir de ce jour, les fans ont attendu un nouvel album… pendant deux ans.

Il s’avère que réinviter sa propre musique prend du temps. Comme le dit Delevingne: « Anti dispose de son propre genre, et ça lui ressemble tout à fait. »

Rihanna en a-t-elle eu marre de la formule pop ? « Totalement. Je me suis uniquement dirigée vers les musiques qui me parlent, aujourd’hui ». Dès la première chanson, « Consideration », une collaboration trip-hop avec SZA, le messag est clair. Rihanna chante au refrain: « I got to do things my own way, darling ». Elle reconnaît les risques: « Ce n’est peut-être pas une chanson qui finira dans le Top 40, mais je ressentais cette possibilité de faire ça, maintenant. »

Une chanson, « Higher », révèle l’histoire d’une femme, brûlée par l’amour. Rihanna compare cela à un « message vocal laissé après avoir trop bu ». Elle s’explique: « Tu sais qu’il a tort, mais là tu bois et tu te dis ‘Je pourrais lui pardonner, l’appeler, faire l’amour avec.’ T’es juste désespérée ». Cette sincérité est renforcée par une voix rauque et une chaleur qui altère l’âme. « On s’est dit ‘Tu sais quoi ? Buvons du whisky et enregistrons cette musique !’ « .

Puis il y a « Work », dans laquelle elle répète le mot « work » jusqu’à ce qu’il ne fasse plus sens. Cette chanson est un clin d’oeil à la culture de son île natale, la Barbade. Bien que Rihanna passe son temps entre New York et L.A., ses liens avec l’île restent très forts. Elle est très proche de sa mère, Monica Braithwaite, propriétaire d’une boutique de vêtements; et de son grand-père maternel, Lionel, qui apparaît fréquemment sur ses photos Instagram.

« Vous comprenez ce que je dis, mais ce n’est pas parfait du début à la fin. C’est comme ça que nous parlons aux Caraïbes ».

Dans le vidéo clip, en collaboration avec Drake, Rihanna est à une soirée dance-hall. Elle se trémousse, vêtue d’une robe aux couleurs Rasta, de la marque « Tommy Hilfiger ». Rihanna explique que c’est le genre de soirée auxquelles elle irait dans les Caraïbes afin de danser, boire, fumer et flirter; en compagnie de ses meilleures amies, Melissa Forde et Jennifer Rosales.

Avant la sortie de l’album, quelques singles sont sortis, tel que « FourFiveSeconds », une collaboration acoustique avec Kanye West et Paul McCartney. « J’ai l’impression que personne ne lui a jamais dit à quel point il était connu, dit Rihanna à propos de McCartney. Il était très humble. C’était du genre, ‘N’êtes vous pas trop occupé à être un Beatle ? ».

Ces deux dernières années, Rihanna s’est occupée uniquement de ses affaires. Après avoir rempli son contrat avec Def Jam, elle a créé sa propre empreinte, « Westbury Road Entertainment », sur le label « Roc Nation ». D’un geste courageux, elle a fait une affaire promotionnelle de 25 millions de dollars, avec Samsung. Robyn Rihanna Fenty, la jeune fille des îles, arrachée de l’obscurité par une bande de magnats de la musique, en devient une elle-même. Elle est tellement consciente des changements dans l’industrie musicale, qu’elle a acheté une part de « Tidal ». « Le streaming est désormais très important, dit-elle ». Comme toute businesswoman qui se respecte, Rihanna est consciente qu’il est important de se diversifier. En automne dernier, elle annonçait son nouveau projet, « Fr8me », une agence qui représente les stylistes, ainsi que les coiffeurs et maquilleurs. Rihanna est passionnée par la beauté, et montre son propre talent sur Instagram.

Au milieu de tout ça, elle a réussi tant bien que mal à trouver le temps afin d’endosser un rôle dans « Valérian and the City of a Thousand Planets », un film basé sur une série comique française. Produit par Luc Besson, Rihanna partage l’affiche avec Dane DeHaan et Delevingne. Le film est prévu pour 2017.

Au téléphone, Besson est réticent à l’idée de nous en dire trop concernant son personnage. Cependant, il explique que sa personnalité change « toutes les quinze secondes ». « Comme vous pouvez l’imaginer, étant donné qu’elle est numéro 1 au niveau musical, elle a une protection, comme un crocodile, explique Luc Besson. Mais elle s’est vraiment laissée aller. Elle m’a beaucoup touché. »
Plus tôt dans la maison, deux hommes en costume sont arrivés tout droit de la « Recording Industry Association of America » afin d’offrir à Rihanna deux plaques: une qui certifiait « Anti » comme album de platine, l’autre qui commémorait un niveau atteint en juillet dernier, à savoir la première artiste au monde à atteindre les 100 millions de téléchargements en ligne. Rihanna semble vraiment très surprise par ces récompenses. « en chaussures basses et en jogging !, dit-elle, en levant une jambe. Si seulement j’avais su, j’aurais au moins enfilé un petit truc mignon ».

Avec la sortie soudaine de « Formation », pendant la semaine durant laquelle « Anti » grimpait dans les classements, inutile de préciser que Rihanna et Beyoncé ont été comparées l’une à l’autre sur Internet. Mais ce n’est pas la façon dont Rihanna réfléchit. « Le truc, c’est que les gens sont contents lorsqu’ils peuvent parler de quelque-chose de négatif. Quelque chose qui met en compétition deux personnes. Mais ce n’est pas du tout ce pourquoi je me lève chaque matin. Car je suis seule à pouvoir faire ce que je fais. Personne n’en a la capacité. »

Rihanna n’est pas la première chanteuse à s’essayer au monde du design. Mais à que point est-elle impliquée ? Björn Gulden, le PDG de Puma explique en coulisses: « Elle est très dévouée ». Melissa Battifarano, responsable design de la collection témoigne: « Elle a choisi chaque tissu. »C’est naturel pour elle: Rihanna aime la mode, et les couturiers l’adorent. Tom Ford décrit son style comme « osé, intrépide, et en constante évolution ».

Olivier Rousteing la compare à MIchael Jackson, David Bowie, et Prince: « Que ce soit masculin ou féminin, elle rend cela sexy. Elle possède cette force et cette modernité.

Elle semble très à l’aise dans ce rôle. Il n’y a qu’à se rappeler de la robe qu’elle portait afin d’accepter l’award de l’Icône Fashion, de la part du « Council of Fashion Designers of America » en 2014 — un filet très fin, incrusté de milliers de cristaux de Swarovski, par Adam Selman, qui laissait peu de place à l’imagination.

« Je préférais sans les lignes en dessous. Tu m’imagines porter un soutif pour cette occasion ? Je préférerais encore me trancher la gorge. J’en avais déjà envie à l’idée de porter un string qui ne brillait pas. C’est le seul regret de ma vie.

« Avoir porté un string qui ne brillait pas est ton plus grand regret ? » « À l’occasion des CFDA Awards, oui ».

Presque un an plus tard, sur le tapis rouge des Met Gala 2015, des robes soi-disant transparentes étaient portées par Jennifer Lopez (Atelier Versace), Kim Kardashian West (Roberto Cavalli), et Beyoncé (Givenchy Haute Couture par Riccardo Tisci). Et que portait Rihanna ? Une énorme cape majestueuse, jaune poussin, qui a pris deux ans au couturier Guo Pei à la confectionner. Rihanna l’avait repérée sur Internet. Son designer, Mel Ottenberg explique: « Elle aime jouer avec les silhouettes, les textures et les styles; mais quand quelque chose fonctionne, elle est prête à aller dans la direction opposée. Pendant cette fameuse soirée, Ottenberg portait la longue traîne de la cape. « Mon costume était couvert de plumes jaunes, dit-il ».

Revenons en à Wall Street, où la mère de Rihanna, Monica, explique à un reporter que sa fille a toujours été un caméléon. « On ne savait jamais ce qu’elle voulait. Un jour elle voulait porter un pantalon, le lendemain des volants. Elle change constamment. Elle a toujours été comme ça. »
La pièce s’assombrit. Les mannequins font leur apparition. Luxe et futuriste sont les mots d’ordre de la collection. Des références à « Hood by Air » sont présentes, mais également le style de vie de Rihanna. Autrement dit, celui d’un globe-trotter glamour et nonchalant. Elle me dira plus tard que c’était « comme si la Famille Addams portait des vêtements de sport ». Le clou du spectacle, un hoodie en fausse-fourrure noir XXL, est porté par Gigi Hadid, telle une sorcière attaquée par le gel. Ses lèvres sont couvertes d’un noir mat, et des mèches de peinture blanche couvrent sa tête.
Kanye, dont le nouvel album et le défilé avaient été dévoilés le jour d’avant, a commenté sur Twitter: « Wow le paradigme a changé… Ma soeurette a tout déchirééééé !!!!!!! »

Dans les coulisses, Rihanna et sa team (un groupe très uni avec qui elle voyage partout) font la fête. Parmi eux, Forde, Rosales et Ciarra Pardo. Rihanna saute d’un canapé et me fait un gros câlin. Le champagne coule à flots. Pardo traverse la pièce afin d’enlacer Rihanna. « Tu as tout déchiré ! dit elle ». « Ne sont-ce pas EUX qui ont tout déchiré ? dit Rihanna, en désignant les mannequins ».

« Comment te sens-tu ?, lui demande-je ». « J’ai l’impression de flotter. Je suis sur un petit nuage, dit-elle ».

Je lui pose quelques questions à propos de ses sources d’inspiration pour le défilé, qui incluent la street culture japonaise, et la musique/mode des années 90.

« Tous mes artistes favoris mais aussi mes icones fashion proviennent des années 90, explique-t-elle, en citant Naomi Campbell, Cindy Crawford, Mary J. Blige, Lil’ Kim, Gwen Stefani, Jean Paul Gaultier et John Galliano. Ils étaient tous si intrépides. »

La pièce devient de plus en plus bruyante, et Rihanna demande à un groupe de se taire, parmi lequel se trouve Campbell. (Qui d’autre se permettrait de demander à Naomi Campbell de se taire ?)
Les ventes du quatrième trimestre de Puma ont déjà augmenté, grâce à l’implication de Rihanna avec la marque; ce qui ne présage que du bon pour ses autres collaborations au printemps prochain — avec Manolo Blahnik pour une collection de chaussures et Christian Dior pour une collection de lunettes de soleil. L’année dernière, Rihanna est également devenue la première égérie noire de Dior. « J’étais déjà fière d’etre une égérie de Dior, alors être la première égérie noire de la marque, ça m’a fait quelque chose ».

Dans sa quête de la domination du monde, Rihanna ne s’arrêtera sûrement pas de retourner les normes. Ce n’est pas une coïncidence si la plupart de ses créations pour Puma sont unisexes. « J’ai toujours voulu faire comme mes frères, dit-elle. Je voulais toujours jouer à leurs jeux, mettre des pantalons et traîner dehors ». C’est d’ailleurs toujours le cas. « Les femmes se sentent valorisées lorsqu’elles peuvent faire des choses soi-disant réservées aux hommes, vous voyez ? dit-elle. Ca brise les limites, c’est émancipateur de se dire que oui, nous pouvons aussi faire ces choses là ».

| Mert Alas and Marcus Piggott pour Vogue | 05 photo(s).

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