2016-04-08



PodiumCafe a passé trois jours à discuter avec le cyclisme phenom Taylor Phinney à Los Angeles, avant qu'il débarqua pour les classiques.

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Traduction par Lisa Bardet

" Si tu veux un avant-goût de la culture cycliste locale il faut aller à Golden Saddle ", me texte Taylor avant notre rencontre. Le magasin de vélos de Los Feliz est aussi ésotérique que possible. Décoré de d’affiches cyclistes rétro et des mêmes types de personnages que vous verriez dans votre bar de quartier. Dehors, un beau vélo de cyclo-cross BMC sort tout juste de révision, et un coureur olympique a hâte de rouler.

Taylor Phinney est à Los Angeles pour s’amuser. Bien sûr, le jeune homme s’entraîne comme un forcené, mais La La Land a la sorte de stimulation excentrique qui colle bien à ses passions. Ce qui pourrait sembler être un choix étrange comme havre de paix pour préparation cycliste hivernale devient évident dès qu’on commence à discuter. Taylor a réalisé début novembre, lors d’une visite et de sorties avec des amis locaux, que la ville pouvait offrir une alternative sympathique pour son programme hors saison. Trouver une adresse permanente dans le coin est dans sa to-do list, puisqu’il a décidé de passer quelques unes de ses prochaines années de jeune adulte en dehors de sa zone de confort, sa ville natale de Boulder (Colorado). Si Hollywood est bien le lieu de prédilection pour les stars, de préférence jeunes et excentriques, celle dont nous sommes en présence roule dans les environs de Silver Lake sans fanfare.

Mais il ne faut pas se fier à l’air désinvolte qu’il arbore sans cesse. Taylor sait parfaitement où il en est dans sa vie, profitant à plein de l’ambiance décontractée et créative de Los Angeles. Il est candide, livre autant son avis sur l’état du cyclisme que son admiration pour les légendes passées, qui ont roulé avec flair. Et bien qu’il affirme à de nombreuses reprises ne suivre aucun scénario défini pour ses choix de carrière, sa motivation est profonde.

BMC a fait preuve d’une grande confiance dans le jeune cycliste en lui lassant grande liberté sur son calendrier d’entraînement et son programme de courses pour l’année. C’est un cycliste qu’ils connaissent bien, depuis qu’ils ont signé l’Américain pour son premier contrat World Tour il y a cinq ans – et c’est une équipe qu’il sait loyale et solide. Il affirme qu’il ne s’est jamais senti en danger par rapport au statut de son contrat lorsqu’il a souffert d’une grave blessure à la suite de son accident lors des championnats nationaux de 2014. Même si avec son talent et son palmarès… Il aurait été peu probable qu’il soit mis à la rue.

A l’approche des classiques de printemps, le jeune Phinney montre une forme ascendante, une approche mûre de la gestion de son poids à laquelle tout jeune pro se heurte, et une confiance en soi indéniable. Il a réussi à affronter une souffrance extrême, que peu imaginaient pouvoir venir d’une double facture à la jambe. Souffrance qui pourrait finalement agir comme tremplin pour de grands succès cyclistes.

Ryan : Le début de saison approche. Tu as fait l’impasse sur les courses au Moyen-Orient pour rester en Californie et t’entraîner…

Taylor : Mes objectifs en début de saison restent les mêmes, avec de grandes courses comme les Flandres et Paris-Roubaix. J’ai pu courir sur un seul type de classique l’an passé (les Championnats du Monde sur route à Richmond) car ma jambe a très mal répondu, mon genou et tout mon corps ont souffert. Donc j’ai préféré rester concentré sur ma récupération, ce que je faisais en salle de sport, et aussi sur ma force lorsque je suis sur le vélo pendant l’hiver, et non pas me disperser sur des courses qui ne sont pas capitales. Ca me convient de ne débuter la saison que fin février, même si à l’inverse beaucoup de coureurs préfèrent commencer début février, voire en janvier, pour être prêts en avril.

Ryan : Est-ce que tu envisages les Flandres différemment par rapport au passé? Est-ce que tu te sens plus fort en tant que grimpeur et plus préparé?

Taylor : C’est certain que, dans le passé, j’ai eu du mal dans les courses comme les Flandres. J’étais toujours bon, mais pas autant que je le souhaitais. Paris-Roubaix, parce que c’est plat, me correspond mieux. Mais depuis l’accident, mon corps a changé, tout comme ma mentalité, lorsqu’on en vient à grimper. Les Flandres ne sont vraiment qu’un effort court et intense, dû aux pavés et à l’effort mental d’être balancé de tous les côtés et de souffrir en permanence. Maintenant lorsque je pense aux Flandres, j’ai moins peur. J’ai hâte de courir les Ardennaises. Faire Liège et arriver à grimper… (rires). J’y penserai dans quelques années!

Ryan : Tu as 25 ans maintenant, à l’aube de ta meilleure condition physique. Est-ce que tu as pensé aux courses que tu pouvais gagner, aux chefs d’œuvre que tu pourrais remporter?

Taylor : Je n’ai pas de plan très défini. L’une des choses pour laquelle j’aurai toujours hâte dans ma carrière, c’est les Jeux Olympiques. Je pense à Rio à chaque fois que je monte sur un vélo. Au-delà du fait que le calendrier cycliste soit le même chaque année, j’aime toujours commencer la saison avec de nouvelles ambitions. Cette année, je travaille sur une approche différente avec moins de courses en début de saison et un entrainement plus poussé aux Etats-Unis. J’aime être ici, dans des communautés qui ont une culture cycliste riche… Même si ce n’est pas toujours la culture du vélo de course.

Ryan : Un bon kiné fait des miracles, comme une nourriture saine. Est-ce que tu en as trouvé un ici?

Taylor : J’en ai trouvé une à Pasadena, elle s’appelle Julie Vanarelli et c’est sûrement la meilleure kiné que j’ai vue durant toute ma période de rétablissement. Elle peut soinger tous les maux de mon corps et elle est si compétente que je n’ai pas besoin d’un masseur classique ni d’un chiropracteur. Il me suffit d’aller la voir. Elle est très concentrée sur le travail du corps et la manipulation manuelle et elle a trouvé sa propre démarche. Si je voulais avoir ce niveau de soin ailleurs, je devrais vivre en Belgique, et je n’ai pas vraiment envie de vivre en Belgique toute l’année (rires).

Ryan : Il me semble qu’il y a une montée d’un kilomètre dans le parcours des prochains Jeux Olympiques?

Taylor : Il y a une longue montée dans le parcours en ligne et quelques unes dans l’épreuve du contre-la-montre. Il y a deux tours et deux montées assez difficiles à chaque tour, d’après ce que je sais. Elles sont courtes mais assez difficiles.

Ryan : Et tu n’es pas allé reconnaître le circuit?

Taylor : Non, je le verrais seulement quand j’y serai. La route est encore longue jusqu’au Brésil!

Ryan : Tu penses pouvoir faire un podium?

Taylor : Oui. Le meilleur contre-la-montre long que j’ai fait, c’était à Valkenberg aux championnats du monde 2012, quand j’ai fait deuxième après Tony Martin. C’était un parcours très vallonné, avec une montée très pentue sur un kilomètre. Le problème est que je sais comment grimper, mais pas avec les autres. J’aime aller à mon rythme, et c’est pourquoi j’aime le contre-la-montre. Mais maintenant que j’ai perdu un peu de poids et que je suis plus à l’aise sur les montées, je suis plus motivé par un Rio vallonné que par les contre-la-montre plats comme Londres en 2012 et Richmond l’an passé. Les parcours plus accidentés me conviennent parce que je peux aller bien au-delà de mon seuil de performance, et puis profiter de moments de répit pour récupérer. Je ne suis pas un coureur de type diesel, qui garde la même vitesse tout au long de la distance. C’est lié à mes succès sur la piste, où je peux profiter des virages pour prendre un peu de repos. Certains gardent la même vitesse mais ma puissance en watts était comme ça (bouge la main de haut en bas, ndlr).

Ryan : Revenons-en à Los Angeles. Tu as mentionné la météo tout à l’heure… Est-ce que ce serait un choc pour toi d’aller en Belgique tout de suite?

Taylor : Tout le monde part s’entrainer au chaud l’hiver, que ce soit le sud de l’Espagne ou Hawaï. Il faisait 24°C ici ces dernières semaines, ça fait du bien au moral. J’aime beaucoup courir dans le froid, mais s’entraîner lorsque fait froid n’est vraiment pas l’idéal. Tu t’arrêtes, tu transpires, tu as froid, il faut se réchauffer.

Ryan : Est-ce que s’entraîner dans le froid affecte aussi la perte de poids? Crois-tu que ton corps serait plus susceptible de contenir de la graisse, plutôt que d’être dans un endroit plus chaud?

Taylor : Bien sûr. Si tu transpires plus, et que bois beaucoup d’eau, tu es plus susceptible de rester fin. Venant du Colorado, je prends du poids l’hiver parce que c’est ce qui arrive quand il fait froid. Mais pour progresser toute l’année en cyclisme, il faut que tu sois toujours mince. J’aime être ici l’hiver parce que je n’éprouve pas la sensation de faim typique de l’hiver.

Ryan : Pour faire des intensités, quelles sont tes côtes préférées ici?

Taylor : Je remonte la Highway 2, la Angeles Crest Highway qui passe dans Angeles Forrest jusqu’à Mount Wilson, c’est une côte de 30 kms. Les montées aussi longues sont assez rares ici, et j’ai de la chance d’être près d’une côte sur laquelle je peux faire des paliers d’une heure trente. Si tu continues sur la route, il y a de moins en moins de vélos et de voitures en fait. Tu peux échapper à l’activité de la ville. J’aime aussi les côtes auxquelles je peux accéder via Mulholland Drive. Tu peux descendre dans la vallée, et voir les villas de Bel Air et Beverly Hills… Il y a 8 ou 9 canyons différents que tu peux faire, et ils ont toujours une bande d’arrêt sur laquelle les vélos peuvent circuler.

Ryan : Est-ce que tu te sens en sécurité de rouler à L.A.?

Taylor : J’ai vécu à côté de Florence en Italie, et même si les routes sont super, il y a beaucoup de trafic et c’est plus dangereux que de rouler à L.A. Les gens peuvent être agressifs ici, mais ils ne sont pas habitués à voir des vélos sur la route… Ils semblent timides. Les conducteurs en Italie sont habitués aux vélos donc ils te dépassent vite, alors qu’à L.A. ils prennent leur temps.

Ryan : Où est-ce que tu vas t’entraîner pour le contre-la-montre? J’imagine que tu recherches idéalement un parcours long, plat et droit.

Taylor : Ici, quand je veux faire un effort poussé du type contre-la-montre, je vais au Rose Bowl, c’est un circuit de 7 minutes environ. Ca me prend 35 minutes pour y aller et je fais des tours. Il n’y a pas de panneau stop au moins. Plein de gens marchent et font de l’exercice et moi… Je suis sur mon vélo et je fais un effort de contre-la-montre.

Ryan : Qu’est-ce que tu as fait pendant ton temps libre à L.A.?

Taylor : J’aime simplement aller explorer la ville. Il y a une semaine, j’ai emmené des amis qui me rendaient visite à Mulholland pour leur montrer les points de vue que j’ai quand je roule, mais que beaucoup de locaux n’ont jamais vu. J’aime bien visiter la partie ouest de la ville. J’ai des amis à Venice, mais j’aime bien l’ambiance du côté est et je me sens plus chez moi ici. Les premières années que j’étais ici, je suis resté sur le côté ouest pour aller rouler dans les Malibu Canyons, mais le fait qu’il n’y ait qu’une seule route pour y aller rendait ça assez compliqué. Il faut aussi compter une heure avant que les routes ne prennent de l’altitude. Ici à l’Est, j’ai le choix entre plusieurs directions dès que je passe la porte. Je roule à Pasadena jusqu’aux Verdugo Mountains et le Canyon de La Tuna. C’est aussi possible d’aller du côté de Burbank et dans la forêt d’Angeles par le Nord (Big Tajunga Canyon Road). Ou tu peux prendre Mulholland et rouler jusqu’à ce que ça se transforme en chemin… Il y a tout d’une certaine manière.

Ryan : Tu as des galeries d’art préférées ici?

Taylor : Je ne suis pas encore allé dans une galerie ici.

Ryan : Vraiment?!

Taylor : Eh oui… Je me suis beaucoup entraîné. Mais je veux voir la Rain Room au LACMA (Los Angeles County Museum of Art, ndlr) et ça m’énerve parce que j’ai raté l’exposition de James Turrell " Breathing Light ". Je n’ai fait que m’entrainer depuis que je suis arrivé à L.A. C’est en partie la raison pour laquelle je veux m’installer ici, pour pouvoir faire des sorties comme ça quand j’ai un peu de temps… Là, quand je ne m’entraîne pas je fais des choses comme ça (il rit mais a été très généreux pour son temps, ndlr).

Ryan : Tu t’es mis plus sérieusement à l’art récemment, n’est-ce pas ?

Taylor : Oui, il y a juste un an.

Ryan : Est-ce que tu t’es jamais douté d’avoir une telle capacité en toi?

Taylor : Je dessinais beaucoup quand j’étais petit, et ma mère a gardé tous ces dessins parce qu’ils étaient super bizarres. Ils avaient tous ces motifs du Sud-Ouest, et ressemblaient même parfois à des Basquiat (de l’artiste américain Jean-Michel Basquiat, ndlr). J’avais un livre de Basquiat pour enfants. C’est mon artiste préféré. Ses œuvres ont une qualité presque enfantine. Il venait de New York et il est mort à 27 ans, en 1988, mais il a fait partie du boom artistique des années 80 avec Andy Warhol et Keith Harring.

Ryan : A quoi ressemble un livre de Basquiat pour enfants?

Taylor : Il y avait des peintures, des dessins avec des poèmes de Maya Angelou. Il avait une manière de dessiner et de peindre très enfantine, et travaillait sur des œuvres très grandes. Certains de ses écrits étaient dans le livre aussi. Pour continuer… Ma mère a retrouvé tous les dessins qu’elle avait gardés et elle me les a montrés après l’accident. Et au même moment, j’avais cette amie très proche, Sophia, qui était une artiste mais qui n’était pas vraiment resté dans l’art ces dernières années. C’était une artiste très talentueuse qui était poussée par tout le monde à être artiste, parce qu’elle avait tellement de talent et plein de gens attendaient beaucoup d’elle. Elle a perdu une grande partie de sa créativité à cause des œuvres commissionnées que certains lui ont demandé, et de l’école d’arts où tout ce qu’on lui apprenait, c’était une manière de peindre. Et ma mère qui m’a montré tous les trucs bizarres que j’avais fait plus jeune. Alors j’ai réalisé qu’on n’était pas obligé de connaître l’art ou la peinture pour créer, et je me suis dit : " C’est fou! Je vais m’y mettre ". Et en fait tu ne fais que jouer avec les couleurs. Tu fais ta palette et ensuite tu joues avec la manière dont les couleurs interagissent l’une avec l’autre, en plaçant quelques figures bizarres au milieu.

Ryan : Donc tu n’as pas forcément de plan quand tu commences? Tu improvises comme un joueur de jazz?

Taylor : Non, je n’ai jamais été capable de commencer une œuvre en me disant : " C’est ce que je veux faire ", et en le faisant après.

Ryan : Qui est-ce que tu admires en ce moment, comme artiste?

Taylor : Il y a ce Norvégien dont je n’arrive pas à me souvenir du nom, mais qui fait ce spectacle nommé " Acid Bunny Party ", ou quelque chose du genre. Des couleurs très intenses. Juste des choses bizarres. J’aime beaucoup les choses bizarres. Un de mes artistes préférés, qui n’est plus en vie aujourd’hui, est Egon Schiele. Cétait un impressionniste qui a peint beaucoup d’œuvres intenses, bizarrement colorées. J’adore la manière dont il a dessiné ses mains. Les doigts sont très longs et profonds, et il y a une sorte de légèreté qui se dégage. Assez extrême, mais très évocateur.

Ce qui m’intéresse, c’est le moment où les artistes ont commencé à expérimenter avec l’art, quand ce n’était pas encore quelque chose à la mode. Les gens jugeait une pièce en disant " Ce n’est pas de l’art ", alors que maintenant tout ce qu’on voit, c’est de l’abstrait. Avant, si tu pouvais peindre une personne ou une scène… Tu étais considéré comme un artiste. Aujourd’hui tu es un artiste si tu peux capturer cette essence bizarre, cette sorte de 4ème dimension de qui se passe, ou si tu sors juste quelque chose de ton chapeau, et que les gens essaient de l’interpréter.

Ryan : Est-ce que tu vois des parallèles entre le fait d’improviser en peinture et sur le vélo?

Taylor : Oui, il y a vraiment un parallèle dans la mesure où j’approche ma vie comme la peinture. C’est complètement improvisé. J’aime ne rien prévoir… Jamais. (rires)

J’aime me réveiller le matin… Et mon jour de rêve, ce serait de ne rien avoir à faire. Ca ne veut pas dire que je vais m’affaler dans un canapé et regarder la télé toute la journée, mais je vais juste sortir et faire ce que je veux, prendre le vélo, tester un nouveau restaurant, ou aller voir un musée. J’ai fait une soirée à Halloween, que j’ai prévue à 16h, et c’était une soirée de folie. Pour moi, c’est la meilleure façon de faire.

Ryan : La dernière fois qu’on s’est vus, je t’ai parlé de mon travail préparatoire pour cet entretien, et comment je suis tombé sur Liège-Bastogne-Liège 1995 sur Youtube. Tu savais que Bartoli était dans l’échappée finale et tu as mimé sa manière de courir. Tu es une sorte d’historien du sport non?

Taylor : Oui, je crois que je m’intéresse de plus en plus à l’histoire. Le cyclisme est un sport avec un passé tellement riche et intéressant, des personnages vraiment intenses et avenants. Je respecte beaucoup quelqu’un comme Bartoli. Je l’ai rencontré plusieurs fois. Il vit près de là où j’habitais, vers Florence. C’était un coureur avec beaucoup de style, du même temps et de la même classe que Pantani – ce qui est je pense la dernière fois qu’on a vu des coureurs avec le même esprit du style que précédemment dans le sport.

J’ai l’impression que le cyclisme s’est séparé de son histoire il y a 15/20 ans, et je crois que la technologie a beaucoup à voir là-dedans. Maintenant il faut avoir l’équipement le plus aérodynamique, comme pour les casques. Les vélos. Les roues. Ca éloigne le sport de son origine… De ces types un peu fous qui se chargeaient d’amphétamines et sortait pour rouler! Il y a vraiment un aspect de style dans ce sport. Tu peux voir sur toutes ces photos de Coppi qu’il porte cette petite montre avec un bracelet en cuir et ces gants en cuir, et il avait une telle classe! C’étaient des icônes de style. Aujourd’hui, personne au sommet de ce sport ne peut être considéré comme une icône de style. Parce que c’est impossible en portant ces couleurs folles, les marques… Il n’y a plus de place pour l’expression personnelle. Il me semble que ce sens du style a manqué dans le vélo récemment.

Ryan : Peut-être que c’est, pour les coureurs, par crainte de la critique qui pourrait venir de leur équipe ou des médias?

Taylor : Oui, j’ai l’impression que Team Sky a ruiné le style du sport. Ils ont des équipements très sympas, mais sont tellement guidés par les chiffres, tellement robotiques. Et maintenant toutes les équipes, même la mienne, veulent imiter Sky. J’adore la science du sport et la voir progresser mais… Nous ne sommes pas des robots, et on ne peut pas être traité d’une manière qui serait trop orientée par le chiffre, parce que c’est un sport très mental. Ca repose totalement sur la douleur et la souffrance, et tu peux faire autant d’études quantitatives que tu veux, mais si à la fin de la course tu n’as pas le mental, tu ne vas pas y arriver. Il y a un aspect très expressif du cyclisme, et ça n’a pas changé depuis 100 ans.

Ryan : Il y a des similarités entre les photos de Coppi, Anquetil, Merckx, Hinault, et tout tient à l’œil.

Taylor : Absolument. Je pense que Wiggins est du même acabit. Je l’admire vraiment, et encore aujourd’hui, parce qu’il est différent et bizarre, et il n’a pas peur d’être lui-même. Il fait aussi partie de l’histoire du vélo, même s’il ne le dit pas. C’est important de garder un lien avec l’histoire du sport. C’était un aspect que j’avais pris comme acquis avant l’accident, et maintenant je redécouvre ce pourquoi j’aime rouler parce que je me dis " Tu sais, c’est vraiment un sport cool ".

Je m’y suis mis à 15 ans. Et qu’est-ce que tu sais de la vie quand tu as 15 ans? Je suis passé pro à 20 ans… Qu’est-ce que tu sais de la vie quand tu as 20 ans?  Rien. Maintenant j’ai 25 ans et je n’en sais pas plus sur la vie, mais c’est fou de penser que j’aurais pu faire tellement de choix différents entre 15 et 25 ans… C’est étrange d’être toujours dans ce qui a fait ma vie depuis que je suis jeune, mais j’ai retrouvé ce que c’était par le fait de me plonger dans l’histoire du sport, et dans ce que le cyclisme a fait pour les gens. Ca m’a beaucoup inspiré. Le sport est très puissant pour les communautés, les familles et les nations, et pour la fierté et la morale. Je pense à l’impact positif de mon succès sur ma famille. Ca a été énorme pour nous, comme pour ma ville natale de Boulder (Colorado, ndlr). C’est en partie pour ça que j’aime tant les Jeux Olympiques. Il y toute l’énergie d’une nation qui te soutient, et même si tout le monde ne te connaît pas, il vont t’applaudir parce que tu as le dossard américain sur ton dos. C’est au-delà du vélo.

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