2014-03-25



Au large des côtes marocaines, l’Espagne possède une petite île où il fait bon tremper ses palmes. Visage volcanique et sécheresse sur terre, abondance de vie et variété des sites de plongée sous l’eau. Bienvenidos à Lanzarote, une des plus belles îles des Canaries.

Depuis le hublot, je vois le paysage rapetisser au fur et à mesure. L’avion s’éloigne rapidement du sol et tout prend une autre dimension. Un petit virage, et nous mettons le cap sur le Nord. Le ciel est dégagé et la visibilité exceptionnelle me permet de jouir d’un superbe panorama. Au Sud, je distingue certains des sites de plongée proches de Playa Blanca. À l’horizon apparaissent les volcans de Timanfaya, dont l’éruption il y a moins de 300 ans changea le devenir de l’île. En un soupir, nous atteignons Puerto del Carmen et Playa Chica, son emblématique “muellito” (petit port) où s’effectuent des centaines de plongées chaque jour. Des immersions magnifiques, variées et adaptées à tous niveaux. Nous survolons brièvement la capitale, Arrecife. Dès la côte Nord, Lanzarote montre son visage plus sauvage, avec des endroits singuliers comme les plages d’Órzola. Les imposantes falaises de Famara – offrant une vue incomparable sur l’archipel Chinijo – semblent désormais minuscules. Le Río, canal qui sépare Lanzarote de la Graciosa, apparaît tout étroit, transparent, peu profond. J’ai une vue d’ensemble sur la plage de las Conchas et sur Montaña Clara, avec ses parois couleur ocre. Roque del Oeste est un minuscule point perdu dans le bleu. Pour finir, nous survolons le petit bout de terre le plus septentrional des Canaries, l’île Alegranza. Je contemple son cratère parfait avant de fermer les yeux et de repasser dans ma tête les meilleurs moments de ces derniers jours : requins anges (ou anges de mer) frénétiques, bancs infinis de saupes, nage reposante et élégante de la raie papillon épineuse, interminables récifs de corail noir et parois recouvertes d’anémones entre lesquelles se promènent des centaines de mérous royaux… Durant ces quelques petites minutes, l’avion m’aura permis de revivre une semaine de rêve dans l’une des meilleures destinations plongée d’Espagne : Lanzarote.




PLAYA BLANCA : IL ÉTAIT UNE FOIS DANS LE SUD

J’effectue ma première halte au Sud. Je suis basé à la Marina Rubicón et, guidé par Christian Massaad, directeur du Rubicón Diving Center, je visite une zone peu connue par la plupart des plongeurs. À peine arrivé, Christian me lance : “Tu vas halluciner en voyant toute la vie qu’il y a ici !” Il ne m’a pas menti. Sur des sites comme Playa Flamingo, tout grouille de vie. Malgré un relief présentant très peu d’intérêt, les bancs de poissons recouvrent chaque centimètre au niveau de la petite digue qui protège ladite plage. Rougets, dorades, grondeurs et dorades marbrées évoluent de tous côtés, mais le plus incroyable, c’est un banc gigantesque de saupes qui, quand nous sommes tombés dessus, s’étendait de la surface de l’eau jusqu’à presque 16 mètres de profondeur ; des milliers de poissons réunis en un banc unique et dense, tournant sur eux-mêmes comme s’il s’agissait d’une grande masse amorphe. Surprenant ! Au cours de cette même plongée, nous avons également croisé des raies papillons épineuses, des raies pastenagues, et un grand nombre de requins anges. À cette période de l’année, ces derniers s’approchent de la surface pour se reproduire. Les mâles, inquiets, nagent la plupart du temps collés sur le fond à la recherche des femelles qui attendent enterrées sous le sable. Cette espèce de requin, considérée par l’UICN comme “en danger critique”, était il y a encore peu très présente sur une grande partie du littoral européen, y compris en Méditerranée. Mais aujourd’hui, la seule population de requins anges qui ne soit pas menacée se trouve dans les eaux des Canaries.

Autre plongée intéressante sur cette partie de l’île : Las Coloradas. Il s’agit d’une large barre de roches avec d’innombrables fissures et rochers brisés ainsi qu’une arche qui permet de passer d’un côté à l’autre du tombant. Sur cette plongée, qui se déroule entre 15 et 18 mètres de profondeur, on peut voir la faune la plus représentative de la zone : raies, bancs de grondeurs, rougets, pagres, murènes, quelques mérous royaux et petits mérous, ainsi que des raies papillons épineuses et requins anges. Une plongée très amusante, où l’on s’oriente facilement.

Dans cette zone, on trouve également les sites de Punta Berrugo et el Emisario, avec une faune abondante et des caractéristiques similaires à d’autres plongées des environs : fonds constitués de roches volcaniques et de sable, très riches en vie. L’immersion la plus singulière est peut-être celle de Punta Pechiguera, au Sud-ouest de l’île, où un immense massif rocheux situé en face du phare s’élève depuis le sable, à 50 mètres de profondeur, jusqu’à 20 mètres. Cette grande structure rocheuse, sujette à de forts courants, abrite de nombreuses espèces pélagiques.

PLAYA CHICA : L’INCONTOURNABLE POINT DE RENCONTRE

Cette minuscule plage constitue le centre névralgique de la plongée sur l’île de Lanzarote. C’est ici et dans les alentours que l’on réalise certaines des plongées les plus célèbres et fréquentées. Des sites comme La Catedral, La Cueva de las Gambas ou El Agujero Azul ont pour point de départ le “Muellito”, une petite digue sur la pointe Sud de Playa Chica, où l’on trouve en outre un bar idéal pour reprendre des forces avant la plongée suivante. Un peu plus au Nord de cet endroit, le Veril de los Fariones offre aussi de belles immersions. Toutes ces plongées présentent à peu près la même morphologie : elles font en effet partie d’une même paroi de roche qui parcourt toute cette côte. Après une petite pente de sable, le tombant démarre autour des 18-25 mètres, pour s’enfoncer à la verticale comme un mur, et ce jusqu’aux 40, 45 et même 50 mètres. À certains endroits, la lave a formé des grottes imposantes (La Catedral ou La Cueva de las Gambas), qui servent de cachette à quelques gros mérous, alors que dans d’autres on peut rencontrer des énormes concentrations de crevettes narval (Plesionika narval).

Au-delà du tombant, en allant plus vers le large, on atteint des profondeurs vertigineuses et on rencontre une des plus grandes prairies ce corail noir jamais vues. Ce lieu abrite des nuages d’anthias. Dans le bleu, quelques pélagiques tels que des thons ou des liches ont l’habitude d’évoluer. La visite de cette zone reste réservée aux plongeurs techniques et expérimentés.

 

ÉPAVES PORTUAIRES

Autour de la jetée de Puerto del Carmen, on trouve un grand nombre d’épaves. La totalité d’entre elles ont été coulées volontairement, en 1986, pour les plongeurs. Dans le port, sept bateaux ont été sabordés, mais une tempête a charrié l’un d’entre eux plus profond, hors d’atteinte de la plongée récréative. Hormis ce bateau-là, l’épave la plus profonde a sa proue dans la zone des 40 mètres. Mieux vaut donc visiter cette partie au tout début de l’immersion, pour pouvoir peu à peu remonter jusqu’à l’épave la moins profonde, qui se trouve à la pointe Sud de la digue, à 18 mètres, et qui est la mieux conservée de toutes. Sur ces épaves, il n’y a pas beaucoup de vie, mais on voit fréquemment de grandes liches et quelques thons dans le bleu. Entre les lattes de bois passent quelques mérous, des pagres rayés, des murènes, etc.

Plus au Sud, en face du Barranco Quíquere, on rencontre un autre groupe de trois épaves. Ce sont des bateaux de pêche en bois, coulés plus récemment, et qui se décomposent peu à peu. Les deux bateaux les moins profonds, situés au-dessus des 28 mètres, sont séparés par une petite distance, et les jours d’eau très claire, on peut entrevoir l’ombre du deuxième quand on s’éloigne du premier. La troisième épave est moins visitée car elle est plus profonde et il faut nager 60-70 mètres depuis la seconde pour l’atteindre. Elle est pratiquement détruite et ses membrures, visibles, lui donnent un aspect lugubre.

 

LA GRACIOSA : LE PARADIS PERDU

Pour finir en beauté un voyage à Lanzarote, rien de tel qu’une visite de La Graciosa. L’arrivée par mer jusqu’au port de Caleta de Sebo, unique village de l’île, nous permet de profiter avec calme et sans hâte du paysage, et de nous préparer ainsi à ce qui nous attend. La visite de cet archipel est une sorte de voyage dans le temps, permettant de découvrir à quoi ressemblaient les Canaries avant le développement touristique. Ses routes de sable, l’absence de trafic, les plages désertes et l’affabilité de ses habitants rendent ce lieu très particulier. La Graciosa a été déclarée parc naturel en 1986. Avec une surface de 700 km2, elle est la plus grande réserve marine d’Europe. Ses fonds riches et bien préservés abritent des joyaux naturels comme el Bajo de las Gerardias, un massif sous-marin situé à 750 mètres à l’Ouest de l’île Montaña Clara, dont la colonie de Gerardia savaglia (anémones buissonnantes) est la plus grande connue au monde dans des eaux peu profondes. Ce site, découvert il y a un peu plus de 15 ans, est absolument magique. Bien que la profondeur minimum (proche des 35 mètres) soit quelque peu élevée pour un plongeur loisir et que la durée de plongée au fond soit très réduite, la visite reste incontournable. Quelle émotion devant ces parois verticales recouvertes de corail et se perdant dans le bleu sombre, tel un bois enchanté, pendant que des centaines de mérous royaux déambulent avec indolence entre les grandes branches de cnidaires…

Si el Bajo de las Gerardias est la plongée star, les autres sites de l’archipel Chinijo ont aussi quelque chose d’unique et de spécial. À el Río, on trouve des tombants regorgeants de vie, comme el Veril de la Langostas, la Cueva de los Jureles et el Veril de las Anclas, où reposent un grand nombre d’ancres de galions. La Burrera, dans le passage entre La Graciosa et Montaña Clara, est une autre grande plongée, facile et avec une multitude de bancs de poissons. Alegranza est un des joyaux de ce parc naturel. Cette île, propriété d’une famille de Lanzarote, est un sanctuaire pour des oiseaux comme le puffin cendré et l’aigle pêcheur. Sous l’eau, on peut effectuer des immersions exceptionnelles comme el Bajón, situé au Sud de cette île. Ce sec abrite un tombant qui va de 23-25 mètres jusqu’à 50 mètres, avec des grottes remplies de corail noir et quelques madréporaires arborescents (Dendrophyllia ramea) de grande taille. Dans certaines grottes, on trouve généralement de grands bancs de chinchards et de grondeurs rayés. La visibilité est la plupart du temps exceptionnelle. Ici, il ya pléthore de mérous et de labres pourceaux, atteignant des tailles impossibles à observer dans les zones non protégées. Hormis le fait de receler certaines des plus belles plongées des Canaries, La Graciosa et ses îles offrent un séjour nature parmi les plus paisibles qui soient. Le visiteur en quête de calme y sera donc comblé.

 

LE REQUIN ANGE (SQUATINA SQUATINA)

Le requin ange peut être confondu avec une raie de par sa forme, son comportement et sa manière de se déplacer sur le fond. On trouve ce type de requin sur nos côtes, à la fois en Méditerranée et en Atlantique, mais la surpêche en a fait une espèce menacée. Sur les îles Canaries, il est encore très commun. On peut le trouver jusqu’à 100 mètres de fond, mais il est facile aussi de le croiser à de faibles profondeurs, autour des 5-7 mètres, surtout en novembre et décembre, période de l’année où il se reproduit. Chasseur expert, il a développé une technique pour se camoufler : imitant la couleur du sable, il est capable de passer complètement inaperçu une fois enterré. Ainsi, au cours de la nuit, il chasse par morsure rapide des poissons et crustacés qui ne sentent pas sa présence.

 

 

Retrouvez le texte et les photos de Jordi Chias dans Plongée Magazine n°62

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