Un long article sur la certification de la version LibreOffice par le groupe des ministères liés à MIMO a été publié sur la partie Joinup de la Commission Européenne. Vous en trouverez une traduction libre ci-dessous. Tout d'abord, le lien vers l'article original pour ceux qui veulent le lire dans la langue de David Robert Jones ;-)

MIMO : un groupe de travail constitué de ministères français pour la certification de LibreOffice

Un modèle de gouvernance basé sur une communauté

Un groupe de travail constitué des principaux ministères français introduit une suite bureautique certifiée basée sur les logiciels libres et open source. Ce groupe de travail, appelé MIMO (Mutualisation Interministérielle pour une bureautique Ouverte) montre que les grandes et complexes organisations administratives publiques peuvent utiliser et adapter l'open source à leurs applications bureautiques. Une autre leçon apprise de MIMO est la façon dont une administration publique peut engager les communautés de développeurs open source. Les ministères mettent en commun à la fois leurs activités et leurs ressources, ainsi que leur expérience et projet de déploiement. Il en résulte une solution logicielle testée, certifiée, pérenne et interopérable qui répond aux besoins de l'administration publique.

Depuis 2005, les principaux ministères du gouvernement français ont mis en commun leurs projets internes de solution bureautique pour former un groupe de travail unique appelé MIMO. L'objectif de ce groupe de travail est de partager les aptitudes et les ressources afin de définir et recommander une suite bureautique basée sur les standards intéropérables dans les administrations publiques. Pousser le logiciel libre en remplacement de logiciel propriétaire dans le secteur public français est le but premier de MIMO, mais les membres du groupe mettent un point d'honneur à faire cela correctement en testant la suite sur des processus métiers critiques. Initialement basée sur OpenOffice, MIMO est maintenant passé à LibreOffice après qu'Oracle ait donné le code d'OpenOffice à la Fondation Apache.

Le groupe de travail MIMO a été créé par l'ADAE maintenant DGME (Direction Générale de la Modernisation de l'État) en 2005 sous la gouvernance du premier ministre. Cette agence était en charge de la modernisation des technologies de l'information dans les administrations publiques. Depuis 2011, MIMO est contrôlé par un département - DISIC (Direction Interministérielle des Systèmes d'Information et de Communication) - dont la mission est de coordonner la politique des TIC dans les administrations françaises. La DISIC a mis en place des groupes de travail sur le cloud computing, l'organisation et la gestion des systèmes TIC et l'open source ; chacun est organisé et géré par un seul ministère. MIMO et le groupe de travail open source sont gérés par le DSI du ministère de la Culture. Il y a d'autres groupes de travail open source comme MIMDB (bases de données), MIMOS (systèmes d'exploitation) et MIMOG (inventaire et déploiement).

À sa création, seul un petit groupe de ministères étaient actifs dans le groupe de travail, dit Christophe Cazin, représentant MIMO pour le ministère de l'Intérieur. Mais le projet s'est rapidement étendu aux autres départements dans la mesure où la mutualisation et la réduction des coûts étaient à la base de la politique publique des TIC. Actuellement, neuf ministères composent le coeur du groupe de travail : Écologie, Défense, Intérieur, Justice, Agriculture, Culture et Communication, Éducation et Finances. Les outils open source bureautiques de MIMO peuvent potentiellement être déployés sur 500 000 postes de travail sur lesquels OpenOffice est déjà installé. Le ministère de l'Intérieur est responsable du plus large projet de déploiement avec 240 000 postes.

Le but premier de MIMO était de fournir aux DSI des ministères et à leurs techniciens un moyen de partager leur expérience sur les suites bureautiques, les systèmes d'exploitation et l'ouverture afin d'accélérer la modernisation des postes. Mais MIMO a également fourni un moyen d'abaisser les coûts explique Christophe Cazin : "Bien que MIMO ait joué un rôle politique, les DSI voulaient mettre la pression sur les coûts dans la mesure où les logiciels propriétaires installés (principalement Microsoft) dans les ministères étaient trop coûteux." Il ajoute : "les DSI devaient également mettre fin à 'l'approche en silo' dans laquelle chaque ministère a sa propre politique de TIC mais ne la partage jamais avec les autres." MIMO a été sélectionné comme un lieu où les techniciens, les DSI et les gestionnaires de projets peuvent partager leurs pratiques et discuter des moyens de réussir avec des logiciels libres.

"Au début le groupe de travail était composé de DSI," dit Cazin, "mais des techniciens et des personnes en charge de la gestion des postes de travail dans chaque ministère ont rapidement rejoint MIMO. Ils ont apporté de nouvelles expériences et un grand éventail de sujets : gouvernance, problèmes techniques (add-ons, plugins) et la gestion du changement - qui est une priorité. Le groupe MIMO est devenu maintenant une structure plus collaborative et est donc alimenté par des projets d'autres départements et ministères." Initialement ciblé sur les ministères à un niveau national, MIMO est ouvert aux entités locales et régionales afin de traiter un ensemble de sujets plus large et ainsi promouvoir l'usage de MIMO et des logiciels libres dans chaque administration.
Chrisophe Cazin détaille la première contribution du ministère de l'Intérieur au groupe MIMO : "À l'intérieur du ministère, nous n'avions pas le budget pour installer les logiciels Microsoft sur l'ensemble des 240 000 postes. La Police voulait une solution ouverte, nous avons donc donné un accord technique pour StarOffice qui correspondait bien à leurs systèmes. Nous avons partagé cette première expérience avec les autres à MIMO - cela a été notre première contribution."

Une version appouvée de LibreOffice
MIMO a maintenant standardisé la suite bureautique open source LibreOffice, une alternative à OpenOffice, développée par The Document Foundation. Le rôle de MIMO est de valider les versions successives de LibreOffice et de la rendre compatible avec l'infrastructure et les processus de chaque ministère membre. Une version unique et standard est validée et approuvée tous les six mois en fonction d'une feuille de route établie par Christophe Cazin et les autres membres de MIMO.
"C'est une version recommandée mais pas obligatoire" remarque-t-il. Les ministères peuvent choisir de l'installer ou non dans la mesure où MIMO n'instaure pas des règles, mais est plutôt un consultant technique qui certifie le logiciel. "MIMO définit un kit logiciel que les DSI sont libres d'utiliser. Ils peuvent le recommander en interne ou l'imposer, " explique Cazin.
Pour être approuvée, la version de LibreOffice est soumise à un processus de qualification opérant au niveau ministériel. Le logiciel est testé et sa compatibilité avec les logiciels métiers existants est analysée. Si la version LibreOffice passe les tests, elle devient une version certifiée MIMO. Le ministère de l'Intérieur a un processus de qualification en dix étapes, avec des tests incluant la compatibilité avec les logiciels métiers, les macros nécessaires au coeur de métier et la compatibilité avec les outils de déploiement. Mais l'ensemble des fonctionnalités n'est pas testé à ce point, il explique : "Le problème est que chaque ministère a son propre processus de qualification basé sur différents indicateurs. La version doit passer les tests d'au moins trois ministères."

L'approbation finale est donnée après accord des ministères membres de MIMO. Le processus est lent parce que les versions MIMO doivent être approuvées unanimement, suivant Christophe Cazin, mais il ne peut pas se souvenir d'un désaccord sérieux qui aurait pu aboutir à la non certification d'une version. "Ce processus requiert des précautions particulières dans la mesure où chaque version MIMO a des centaines de milliers d'utilisateurs. Nous devons également faire attention car toute la politique open source pourrait être remise en question si un logiciel que nous avons approuvé se bloque lors d'opérations critiques.

Alors que cette méthode peut faire ressortir des bugs ou des problèmes - ce qui représente un réel bénéfice - cela peut aussi ralentir l'implémentation. Si un seul ministère ne peut pas passer à une version plus récente à cause d'un problème de compatibilité, alors tous les autres membres de MIMO sont bloqués. Il peut même arriver que la version LibreOffice prise en charge par MIMO comme étant la seule qui corresponde à tous les ministères ne soit plus supportée par The Document Foundation, dit Cazin.

Il mentionne un problème avec le filtre RTF de LibreOffice. L'import RTF est un processus clé du ministère de l'Écologie et aussi longtemps que le bug existe, MIMO doit utiliser une ancienne version de LibreOffice. Pour circonvenir à cela, le ministère des Finances a signé un contrat afin de développer un patch pour le filtre RTF. Comme tout patch développé par MIMO, il sera contribué à la communauté LibreOffice.

Déployé à un niveau local
Le personnel informatique dans les ministères est en charge du déploiement de la suite bureautique approuvée par MIMO, dit Christophe Cazin. La plupart des ministères ne sont pas équipés de serveurs de logiciels automatiques centralisés, et les installations se font encore principalement manuellement. Chaque ministère est responsable les logiciels MIMO ou non afin de correspondre à son process interne. Au ministère de l'Intérieur par exemple, les outils open source MIMO sont installé sur 98 % des postes, dit Cazin, mais certains cabinets ou des entités locales utilisent toujours la suite bureautique Microsoft ou une ancienne version d'OpenOffice.

Le groupe de travail essaye d'aider les agents locaux en leur fournissant un kit comprenant une documentation et des informations à propos de MIMO. Les agents sont également libre de se joindre aux réunions MIMO afin de rencontrer et de partager avec leurs homologues dans les autres ministères et de rencontrer les techniciens et DSI. Le ministère de l'Intérieur est actuellement en train de travailler sur une plateforme de formation à distance afin de former les agents locaux.

Un modèle de gouvernance basé sur la communauté
Bien que le ministère de la Culture gère le groupe open source, le groupe de travail MIMO est autonome. "C'est une approche bottom-up", dit Christophe Cazin, "différente de l'approche top-down traditionnelle dans le secteur public". Toute institution publique peut s'investir dans MIMO ; la seule condition est de devenir un participant actif. Chaque membre doit accepter de réaliser un certain nombre de tâches :

mises à jour disponibles via un site web et DVD
support de communication institutionnelle (Wikipedia, supports marketing, logo)
test des patchs
application des patchs de sécurité
liens entre les projets qui doivent interopérer

Les membres se rencontrent au moins deux fois par an, ajoute Christophe Cazin, mais les réunions peuvent être plus fréquentes si de nouveaux membres, comme des entités régionales, rejoignent le groupe. Les réunions MIMO futures correspondront avec celles des contractants en charge du support de logiciel open source dans les ministères français. Ce contrat de 2 millions d'euros, remporté par Capgemini, AlterWay et Zenika couvre le support de 350 logiciels libres et open sources dans 15 ministères.

La position du secrétaire tourne dans le groupe afin d'alléger la tâche d'organisation des réunions : trouver une salle, dresser un ordre du jour et publier un agenda. Cela libère les membres afin qu'ils puissent se concentrer sur le travail critique d'examen du logiciel. Les membres communiquent par le biais d'une mailing liste.
MIMO étant alimenté par des projets, chaque nouveau participant doit identifier un problème clé, l'apporter à MIMO et le partager avec les autres membres, explique Christophe Cazin.
Chaque nouveau participant renforce le groupe en apportant une question et en retour bénéficie du travail du groupe - c'est une relation gagnant-gagnant. Ainsi le nombre de membres dépend des problèmes traités par le groupe de travail. Lorsqu'un projet est finalisé et que le nouveau déploiement de MIMO est prêt, le membre qui a rapporté le problème peut toujours participer, mais sa participation tend à être moindre. Ce qui est intéressant avec MIMO, c'est le travail sur de nouveaux problèmes afin de réactiver la dynamique et d'accélérer la mise à jour des versions". Le groupe de travail a besoin de projets réels pour vivre. "Fournir une nouvelle version certifiée MIMO est notre priorité, puisque c'est ce dont ont besoin les membres. Ils ne sont pas enclins à déployer une version qui est trop ancienne", il explique.

Relation avec les éditeurs et la communauté
Étant responsable de la validation technique de la version MIMO de LibreOffice, le groupe MIMO doit maintenir des relations avec les éditeurs, les intégrateurs, les fournisseurs de service et les membres de la communauté. Des représentants de ces groupes sont régulièrement invités aux réunions MIMO afin de fournir des clarifications, d'en apprendre sur le cycle de développement du logiciel ou de voir en premier lieu la richesse d'une communauté open source. Le groupe sert de plaque tournante collaborative où les DSI des ministères et les personnes des métiers de l'open source peuvent se rencontrer et discuter la façon de résoudre les problèmes de MIMO. Par exemple, des experts LibreOffice incluant StarXpert, Linagora (deux fournisseurs de services français), Atos (une société fournissant des services au ministère des Finances), Suse et The Document Foundation ont été invités à des réunions MIMO afin d'en apprendre sur les subtilités du processus de développement et les problèmes de compatibilité connus. C'est le premier challenge : collecter l'information et maintenir la relation.

Le second challenge est de créer un impact sur les éditeurs et les membres de la communauté. Ici, MIMO peut pousser au développement de patchs ou l'ajout de nouvelles fonctions qui peuvent améliorer le logiciel et son interopérabilité avec les applications métiers des ministères. Dans ce sens, MIMO peut être considéré comme un lobby - la voix des ministères français - qui peut influencer les éditeurs et les développeurs dans la mesure où il représente la voix des principaux ministères français, dit Christophe Cazin. "Lorsque les développeurs de The Document Foundation avaient trop de travail pour développer un patch critique pour notre filtre RTF - une fonctionnalité critique pour plusieurs départements - nous avons demandé aux personnes en charge de Chorus (le système de compte global basé sur SAP) de s'assurer qu'ils pouvaient travailler avec SAP afin de patcher l'application globale."

Dans la mesure où MIMO est autonome et fonctionne avec plusieurs ministères, il n'a pas de budget séparé pour financer ses réunions ou son travail de développement. Ce n'est pas nécessairement un inconvénient, explique Christophe Cazin : "Ajouter de l'argent pourrait diminuer les contributions et les éditeurs seraient plus motivés par une approche commerciale."

La crise OpenOffice : comment bénéficier des communautés ouvertes

Le groupe MIMO a décidé de passer à LibreOffice lorsque la communauté OpenOffice a été scindée en deux branches :

une branche OpenOffice, est supportée par Oracle qui en a hérité lorsqu'il a acquis Sun. Oracle a donné le code d'OpenOffice et la marque à la Fondation Apache, une institution open source indépendante
l'autre branche, LibreOffice, est supportée par The Document Foundation.

La communauté OpenOffice s'est scindée à cause d'un désaccord sur la gestion du projet avec Oracle. Certaines des personnes qui ont critiqué le manque de contribution d'Oracle au développement d'OpenOffice ont continué et ont créé The Document Foundation. Oracle cependant, possédait toujours le code et la marque OpenOffice, causant beaucoup de soucis aux membres de MIMO.

MIMO a donc rencontré les trois parties. "Nous avons invité The Document Foundation, Oracle et leur communauté respective, ainsi que la Fondation Apache à nos réunions," dit Christophe Cazin. "Cela nous a pris un an mais nous avons fait un choix éclairé. Même s'il y avait encore certaines incertitudes avec The Document Foundation, il nous ont fourni une feuille de route LibreOffice là où la stratégie d'Oracle était très floue. Leur responsable de communauté OpenOffice est venu nous voir mais n'était pas soutenu par son entreprise. Apache est une communauté très active mais ne fournit pas de logiciel installable (des binaires). Et ils ne savaient pas comment régler le problème. Nous avons choisi LibreOffice parce que nous manquions de visibilité sur le produit OpenOffice et sa feuille de route", dit-il.

Construisant sur ce qu'ils ont appris lors de ces réunions, certains membres MIMO ont aussi fait leur propre évaluation de la durabilité de The Document Foundation. "Nous avons trouvé qu'en France, la communauté OpenOffice a suivi The Document Foundation - mais nous n'aurions pas pu anticiper cela", explique Christophe Cazin. "Nous avons utilisé les réseaux sociaux comme Twitter et Facebook pour savoir ce qui se disait sur le produit et ce que les membres de la communauté faisaient. La communauté est la clé parce que c'est la fondation d'un produit open source tel que LibreOffice. Lorsque nous avons vu que la communauté OpenOffice n'était pas active et n'avait pas fourni une version depuis un an et demi, pas de mise à jour, nous avons pris la décision finale de poursuivre avec LibreOffice.

Fin de la traduction

Update donc du 20/07/12 : Pour avoir suivi MIMO depuis le début (peut-être même avant ;) quelques pensées donc devant ma porte :

c'est la première et seule initiative du type que je connaisse et qui fonctionne malgré toutes les difficultés rencontrées et qui entretienne une relation réelle avec notre projet open source, et ce malgré le fork.
ce groupe a représenté pour notre communauté un ancrage sûr au sein des administrations de par sa volonté et sa pugnacité d'une part, d'autre part par ce que comme le souligne Christophe, l'approche "bottom-up" a permis de mettre en place une communication dépolitisée, centrée sur des objectifs fonctionnels.
bien sûr je peux regretter que devant le nombre de postes concernés, il n'y ait pas plus d'implication dans notre projet de cette base d'utilisateurs, mais bon, ce n'est pas lié à ces utilisateurs particuliers, plutôt à un défaut d'éducation sur les modes de fonctionnement consom'acteur en France.
je peux regretter également le peu d'implication direct dans l'écosystème de LibreOffice qui n'est pas dû à MIMO qui n'a pas de budget de fonctionnement pour cela mais sans doute plus à une position politique d'ignorance de l'économie que représente un projet comme LibreOffice et autres projets open source, là encore au niveau français.
enfin, je termine sur une note d'espoir que les sociétés sélectionnées pour le contrat de support logiciels libres auprès des ministères jouent le jeu et ne se débarassent pas simplement de leur lignes de code via une issue sur les bases de données des projets, fassent la démarche de trouver des interlocuteurs dans ces communautés et travaillent en synergie avec elles.

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