2014-08-06



Arvind Kejriwal, Président de l’AAP (Pradeer Gaup – Live Mint ©

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Les résultats des élections nationales indiennes[1], annoncés le 16 mai dernier, ont été qualifiés « d’historiques » par de nombreux commentateurs. Historique, la victoire du Bharatiya Janata Party (BJP, Parti du peuple indien) l’est sans aucun doute, puisque sous la houlette de son leader, Narendra Modi, celui-ci remporte la majorité absolue des sièges au Parlement. Il devient ainsi le premier parti au niveau national, devant le parti du Congrès dont la défaite constitue, elle aussi, un événement majeur de la vie politique indienne. Ces élections marquent en effet une étape nouvelle dans la diminution progressive de l’importance du Congrès sur la scène politique indienne. Après avoir été le parti dominant, depuis l’indépendance jusqu’à 1977, le Congrès était devenu le principal parti national, puis le leader de la coalition « United Progressive Alliance » qui avait remporté les élections nationales en 2004 et en 2009.  Or aujourd’hui, ne serait-ce que pour prétendre au titre de parti leader de l’opposition, le Congrès ne compte plus suffisamment d’élus, tandis que le score du BJP démontre que les gouvernements de coalition ne sont pas une fatalité.

Cet article entend revenir sur un autre fait « historique » ayant caractérisé ces élections : la place occupée par un parti créé dix-huit mois plus tôt, animé par de nouveaux venus en politique, et doté d’un très faible financement : l’Aam Aadmi Party (AAP) ou « parti de l’homme ordinaire ». Bien que l’AAP n’ait remporté que 4 sièges (sur un total de 543), sa trajectoire révèle une mobilité nouvelle des lignes de définition de la scène politique indienne – qu’il s’agisse de la frontière entre mouvements sociaux et partis politiques, des thèmes mobilisateurs, des styles de la mobilisation ou même du sens du vote.

Un parti très visible

Au cours de la campagne électorale, l’AAP a occupé 10% de la couverture télévisuelle en prime time ; trois fois moins, certes, que le BJP (qui était donné favori), mais deux fois plus que le Congrès[2]. La presse écrite lui a également consacré de nombreuses pages. Cette visibilité disproportionnée par rapport à son poids politique supposé (les sondages annonçaient au mieux 10 sièges) s’inscrivait dans le prolongement d’un engouement médiatique lié à la victoire tout à fait inattendue de l’AAP aux élections de décembre 2013 dans l’Etat de Delhi. A partir de cette période, Arvind Kejriwal, le président de l’AAP, est devenu l’une des personnalités les plus en vue de la scène politique indienne, que ce soit dans les médias classiques ou sociaux (Facebook, Twitter).

Kejriwal n’était certes pas un inconnu avant cette date. Cet ingénieur devenu haut fonctionnaire puis activiste avait reçu en 2006 le prix Ramon Magsaysay, souvent qualifié de « Nobel asiatique », pour sa lutte contre la corruption et son engagement dans la campagne pour le Droit à l’information[3]. Cinq ans plus tard, en 2011, Kejriwal revient sur le devant de la scène avec le mouvement dit « India Against Corruption » (IAC). Il fait venir à Delhi Anna Hazare, un vieil activiste gandhien connu en particulier au Maharashtra, et qui deviendra le visage du mouvement IAC. Le mouvement revendique la mise en place d’une puissante agence de lutte contre la corruption (des fonctionnaires, des élus, des ministres, des juges), le Jan Lokpal, suscitant une mobilisation inédite des classes moyennes et supérieures urbaines, mobilisation largement soutenue par les médias. Un long bras de fer avec le gouvernement  indien s’engage alors, ponctué de grèves de la faim, de manifestations massives et d’incarcérations temporaires. Celui-ci se termine en demi-teinte : le projet de loi sur le Lokpal finalement introduit au Parlement[4] est très en deçà de ce que demandait le mouvement IAC.

En novembre 2012, Arvind Kejriwal et un groupe de fidèles créent l’AAP, arguant qu’entrer dans le jeu politique pour le « nettoyer » de l’intérieur constitue la seule façon efficace de lutter contre la corruption politique. Le symbole choisi par le parti est un balai, et son slogan : « l’Inde a besoin d’une révolution ». Kejriwal se brouille alors avec Hazare qui considère l’entrée en politique comme une compromission.

A peine un an plus tard, en décembre 2013, l’AAP, à la surprise générale, remporte 28 des 70 sièges de l’Assemblée législative de Delhi. Il se place ainsi juste derrière le BJP mais loin devant le Congrès, au terme d’une élection marquée par un taux de participation exceptionnel de 67%[5]. Ce succès complètement inattendu doit beaucoup à la campagne électorale de l’AAP, d’un style nouveau. Contraint par le manque de fonds (le parti vit des dons de ses membres), l’AAP a réinventé le porte-à-porte : ses militants ont pris le temps de passer dans chaque famille pour discuter, collecter les numéros de téléphone et les adresses électroniques. Le parti a ainsi eu massivement recours aux SMS, à Facebook et à Twitter. Il a mobilisé la flotte des auto-rickshaws de Delhi (victimes régulières de la corruption policière), transformés en panneaux publicitaires ambulants. L’analyse sociologique du vote recèle une autre surprise : alors qu’il était perçu comme le parti de l’élite urbaine, l’AAP a en réalité également attiré les suffrages des classes populaires, des habitants des bidonvilles, des dalits – autrement dit, il a capté l’électorat traditionnel du Congrès (à l’exception des musulmans)[6].

Une fois les résultats connus, le BJP refuse de former un gouvernement minoritaire. De son côté, ayant dénoncé durant toute la campagne la corruption des deux autres partis en lice, l’AAP répugne également à former un gouvernement de coalition avec le Congrès. Pour sortir de son dilemme, l’AAP innove encore une fois en lançant une vaste consultation des électeurs à travers un référendum en ligne et une série de réunions, les jan sabha, dans toutes les circonscriptions. Devant le résultat largement positif de cette consultation, le parti décide de former le gouvernement avec le soutien des huit élus du Congrès, et Arvind Kejriwal devient ministre en chef de Delhi. L’AAP ne restera que 49 jours au pouvoir, mais au cours des premières semaines il semble ré-enchanter la politique. Le gouvernement s’efforce de mettre en pratique son credo participatif (en étant très présent dans la rue) et multiplie les décisions spectaculaires (gratuité de l’eau et réduction drastique du prix de l’électricité pour les petits consommateurs, création d’une « branche anti-corruption » qui dépose plusieurs plaintes pour corruption contre des ministres et des patrons de l’industrie). Cependant, il donne rapidement l’image de gens trop pressés, amateurs, incohérents dans leur discours et leur action. Arvind Kejriwal démissionne quand l’adoption de son projet de loi emblématique, le Jan Lokpal, apparaît compromise pour des raisons à la fois procédurales et politiques. L’AAP est alors libre de s’investir pleinement dans la campagne électorale pour la Lok Sabha, c’est-à-dire la chambre basse du Parlement de l’Union indienne.

Le parti de la « défiance organisée »

L’expression proposée par Pierre Rosanvallon de « défiance organisée »[7] résume bien ce qui distingue l’AAP des autres partis indiens, que ce soit dans ses origines, dans son projet ou dans ses modalités d’intervention. Les origines de l’AAP, on l’a vu, se trouvent dans le mouvement anti-corruption, la campagne nationale pour le droit à l’information, mais aussi, en remontant plus loin encore, dans l’action de l’ONG fondée par Kejriwal en 2002, Parivartan, qui se consacrait à la lutte contre la corruption dans la ville de Delhi. Ces différents types de mobilisation incarnent la « contre-démocratie » telle qu’elle est définie par Rosanvallon, c’est-à-dire l’appropriation, par la société civile, de « pouvoirs de contrôle et de surveillance »[8] sur les gouvernants.

De fait, ces pouvoirs sont au cœur du projet de l’AAP, tel qu’il apparait dans le livre-programme publié par Kejriwal en 2012, Swaraj[9], dans la Constitution du parti, ou dans sa « Vision »[10]. Le parti se donne pour mission de lutter contre la corruption, le népotisme et le capitalisme de connivence, de promouvoir le mandat impératif et de conférer des pouvoirs importants aux assemblées locales (gram sabha dans les villages, mohalla sabha dans les villes). L’AAP vise ainsi à donner aux citoyens le pouvoir de surveiller, contrôler, inspecter mais aussi rejeter, le cas échéant, les gouvernants et leurs actions.

Enfin, le défi caractérise également le type d’intervention privilégié par l’AAP  dans le débat public: poser des questions qui fâchent, dénoncer, accuser, sans relâche, sans crainte et souvent sans nuance , les hommes politiques les plus en vue, les patrons de l’industrie mais aussi les journalistes[11].

Ces trois aspects – son origine, son projet, son style d’intervention – sont justement les grandes forces du parti. Son origine – la société civile organisée – lui offre un large vivier de militants à la fois expérimentés et très motivés, parmi lesquels on trouve beaucoup de jeunes (étudiants, diplômés, chômeurs). Son projet principal, la lutte contre la corruption, lui permet de toucher tous les électeurs et de transcender les barrières de classe, de caste, de genre et de religion. Enfin, son style  lui vaut d’occuper une place considérable dans les médias. A  l’aspect sensationnel du défi s’ajoutent un sens très développé de la communication politique ainsi qu’une grande maîtrise des médias sociaux[12] qui offrent aux médias classiques une matière abondante et facilement utilisable.

Les paris de l’AAP en campagne

La forte présence médiatique de l’AAP au cours de la campagne électorale du printemps 2014 s’explique à la fois par ce talent pour la communication politique et l’idée que le parti pourrait, cette fois encore, créer la surprise. Elle s’explique aussi par son audace politique qu
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l’a poussé à présenter des candidats dans 434 des 543 circonscriptions, soit plus que le BJP et le Congrès (qui présentent respectivement 415 et 414 candidats). Cette décision apparaît d’autant plus audacieuse que le parti part avec deux handicaps majeurs : il a manqué de temps pour s’implanter en dehors de Delhi et son budget est minuscule[13]. L’ambition de l’AAP était donc de toute évidence de faire de ces élections un accélérateur de croissance politique.

Lorsque les résultats sont diffusés, le 16 mai, le baptême électoral au niveau national s’est transformé en douche froide : 4 candidats seulement sont élus, qui plus est, là où on ne les attendait pas (dans l’Etat du Punjab où l’AAP réunit 24 % des voix). Aucun des candidats-stars du parti (Arvind Kejriwal à Varanasi, Medha Patkar à Mumbai, Yogendra Yadav à Gurgaon) n’est élu. A Delhi, le parti recueille 33% des voix. Cela représente un meilleur résultat qu’en décembre (il avait alors réuni 30% des suffrages) mais reste insuffisant pour battre le BJP qui remporte tous les sièges dans la capitale. Au niveau national, l’AAP réunit seulement 2% des voix, soit deux fois moins que ce que ses dirigeants espéraient.

Un regard rétrospectif sur la campagne et l’analyse du pourcentage de voix obtenu dans quelques circonscriptions-clés permettent aujourd’hui de discerner les trois paris gagnés par l’AAP, et les trois paris perdus.

Premier succès, l’AAP est parvenu à occuper l’espace médiatique dans l’ensemble du pays, en se présentant comme le premier rempart contre la « vague » annoncée en faveur de Modi. Arvind Kejriwal avait choisi de se présenter à Varanasi pour y défier le leader du BJP. Il s’était rendu, tôt dans la campagne, au Gujarat, Etat dont Modi est le ministre en chef depuis 2001. Il avait dénoncé sans relâche l’idée-phare de la campagne de son concurrent, selon laquelle le Gujarat serait un Etat « modèle » en termes de croissance et de gouvernance. Enfin il accusait Modi de faire financer sa campagne par les grands groupes industriels et donc d’être corrompu.

Deuxième succès, l’AAP a su imposer ses thèmes de prédilection dans le débat public, qu’il s’agisse de la lutte contre la corruption et la criminalité en politique, de la question du financement des campagnes électorales ou de l’inféodation des médias aux puissances économiques. Ce succès, répétons-le, se limite au débat, car au bout du compte le pourcentage de députés ayant été élus alors même qu’ils faisaient l’objet de poursuites judiciaires ne cesse d’augmenter (34% aujourd’hui contre 24% en 2004) ; le coût de la campagne de Narendra Modi a été sans précédent ; et deux semaines après les élections, le plus grand groupe privé indien, Reliance (dirigé par Mukesh Ambani) a pris le contrôle du plus grand groupe médiatique, Network 18[14].

Enfin, l’AAP a fait des émules concernant quelques aspects caractéristiques de son style politique – le défi, le local, le participatif. En effet, le BJP a vu la nécessité d’adopter, lui aussi, une stratégie électorale plus dynamique. Ainsi, il est allé défier l’adversaire sur son propre terrain (Modi est allé faire campagne contre Rahul Gandhi dans sa circonscription d’Amethi), il s’est mis à cultiver des cercles locaux (et non pas seulement régionaux ou nationaux) de sympathisants sur internet et  a multiplié les réunions restreintes, avec questions et réponses (appelées « chai pe charcha ») à côté des grands meetings électoraux. La campagne du Congrès, par contraste, est apparue vieillotte, ce qui a pu contribuer à sa défaite. Les affiches qui montraient un Rahul Gandhi pensif, en noir et blanc, n’ont rien fait pour rajeunir l’image du parti  et les tentatives d’occuper l’espace des réseaux sociaux ont surtout mis en évidence les lacunes de l’équipe du Congrès en matière de communication politique.

En ce qui concerne les paris perdus, vient en premier lieu l’ambition de l’AAP d’être le parti du changement[15], et notamment de faire évoluer la règle du jeu électoral. Face à l’austérité ostentatoire de l’AAP, Modi a déployé un faste sans précédent. Pendant la campagne, comme toujours, la politique s’est donnée en spectacle, et le contraste entre les processions de l’AAP et celles du BJP à Varanasi fut saisissant ; plus Kejriwal affirmait sa normalité, plus Modi parlait de ses relations privilégiées avec le divin[16]. Face au parti de “l’homme ordinaire”, le BJP a promu la qualité quasiment surhumaine de son candidat.

Un autre objectif manqué consistait en devenir un parti national (ce qui implique de recueillir au moins 6% des voix dans au moins quatre Etats de l’Union indienne). Or on l’a vu, l’AAP n’a réalisé de scores honorables qu’à Delhi et au Punjab. Par ailleurs, les victoires symboliques sur lesquelles il misait, en présentant des figures de proue du parti contre les leaders du BJP et du Congrès, ne se sont pas matérialisées. Si l’échec de Kejriwal à Varanasi est honorable, celui de Kumar Vishwas, qui se présentait contre Rahul Gandhi à Amethi, est cuisant.

Le troisième échec est le plus grave pour l’avenir de l’AAP. L’analyse du vote montre que le parti n’a pas réussi à fidéliser les soutiens très hétérogènes qui avaient fait sa victoire à Delhi. Comme le montrent les résultats à Delhi, mais aussi à Mumbai ou Bangalore, les classes moyennes et supérieures urbaines semblent être restées fidèles au BJP dont elles constituent un soutien traditionnel. Au-delà de l’effet Modi, qui est évident, ce résultat met en cause le flou idéologique qui caractérise  l’AAP depuis ses débuts. Le parti, en effet, revendique une approche pragmatique des problèmes du pays, au risque du simplisme : « I want to fix problems ; I don’t understand right or left » a ainsi déclaré Kejriwal[17]. La référence à Gandhi, et surtout à Jaya Prakash Narayan, qui irrigue le discours et le style politiques de l’AAP, est à double tranchant. Jaya Prakash Narayan, un leader gandhien, appelait à la « révolution totale » au début des années 1970 pour lutter contre la corruption du gouvernement d’Indira Gandhi. Emprisonné en vertu de l’état d’urgence déclaré par celle-ci en 1975,  il devint le maître à penser du premier gouvernement non congressiste, formé par le Janata Party en 1977, un parti composé de tous les opposants à Indira Gandhi, de la droite hindoue à la gauche communiste, et qui s‘effondra rapidement sous le poids de ses contradictions. Or l’AAP se caractérise lui aussi par la grande hétérogénéité idéologique de ses membres, puisqu’on y trouve à la fois des déçus du Communist Party of India (Marxist) et du BJP[18]. L’analyse du profil des candidats du parti révèle que le groupe le plus important était celui des activistes

(au service de causes diverses, allant de la lutte contre la corruption et pour le droit à l’information aux droits des populations tribales, des dalits, des paysans ), et que le deuxième groupe est celui des professions libérales (avocats, médecins, ingénieurs). Le risque est donc majeur, pour l’AAP aujourd’hui comme pour le Janata Party autrefois, de ne pouvoir tenir ensemble des militants animés par des visions très divergentes du rôle de l’Etat dans l’économie et la société indiennes.

Le parti du rejet ?

Les résultats du 16 mai à Delhi, qui permettent une comparaison avec les élections de décembre, suggèrent, rétrospectivement, une explication nouvelle au succès de l’AAP à ce moment-là. Certes le facteur « anti-incumbancy » a fortement joué contre Sheila Dixit, la Ministre en chef qui avait mené trois fois le Congrès à la victoire (en 1998, 2003 et 2008), et l’opposition du BJP avait été plutôt terne. Mais il apparait aujourd’hui qu’au-delà des avantages liés à son statut d’outsider, l’AAP pourrait avoir bénéficié d’un vote d’adhésion non à ses propositions, mais à ses indignations, c’est à-dire d’un vote de rejet. De fait, il est plus facile d’identifier ce à quoi s’oppose l’AAP que ce qu’il préconise. L’AAP est le parti « anti » : anti-corruption, anti-népotisme, anti-capitalisme de connivence, anti-communautarisme aussi.

Cette interprétation est renforcée par le fait que le nombre des votes en faveur de l’AAP est parfois proche de celui des votes blancs[19], rendus possible pour la première fois au niveau national lors de
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élections d’avril-mai 2014. Même si, à l’échelle de l’Union indienne, le vote AAP est deux fois plus important que le vote blanc (qui concerne 1.1% des voix), on peut penser que la présence du parti dans la campagne, associée à la possibilité nouvelle du vote blanc, a détourné vers ce vote de rejet un nombre substantiel de voix qui seraient allées au Congrès, et a donc contribué à faire de cette élection un tournant de la vie politique indienne.

L’AAP, pour sa part, sort affaibli de l’épreuve électorale. Sur la scène médiatique, il est éclipsé par l’éclatante victoire de Narendra Modi ; sur le plan interne, il fait face à l’expression d’un fort mécontentement de ses militants qui critiquent le manque de démocratie interne, à des conflits entre leaders et à la démission de plusieurs membres éminents. Le parti s’efforce aujourd’hui de retrouver ce qui a fait sa force en décembre 2013: il procède à une réorganisation interne afin de faire plus de place aux militants (volunteers) de base ; et il a décidé de concentrer toutes ses ressources sur les prochaines élections à l’assemblée législative de Delhi. Arvind Kejriwal a présenté ses excuses aux habitants de Delhi pour “l’erreur qu’a été sa décision de démissionner en février dernier. L’AAP tente donc de se réinventer en parti d’une gouvernance urbaine alternative : plus participative, plus favorable aux pauvres, plus centrée sur les services essentiels. Les députés du parti multiplient ainsi les “mohalla sabha”, qui constituent une première tentative de budget participatif dans la capitale indienne. S’il est devenu beaucoup moins visible, l’AAP n’en reste pas moins un parti porteur de changement, à l’échelle de la capitale sinon à celle du pays.

[1] Le scrutin s’est déroulé en neuf phases, entre le 7 avril et le 12 mai 2014.

[2] “Modi got most prime time coverage”, The Hindu, May 8, 2014.

[3] Cette campagne aboutit, en 2005, à l’adoption au niveau national du Droit à l’information (voir http://righttoinformation.gov.in/webactrti.htm ).

[4] Le Lokpal Bill sera adopté au niveau national en décembre 2013.

[5] Lors des précédentes élections à Delhi, en 2008, le taux de participation était de 57%.

[6] “2013 Legislative Assembly Elections, Delhi”, Economic and Political Weekly, February 8, 2014, pp. 82-85.

[7] Rosanvallon, Pierre (2006), La contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance, Editions du Seuil, Paris.

[8] Ibid.

[9] Le terme « swaraj » (« auto-gouvernement » en hindi) se réfère clairement au Mahatma Gandhi et à son célèbre essai Hind Swaraj (Indian Home Rule, 1909). Cette référence permet  d’évoquer deux idées gandhiennes majeures d’A.Kejriwal et de l’AAP : d’une part l’Inde doit s’engager dans une nouvelle lutte pour rendre au peuple le pouvoir (confisqué, dans le contexte des années 2010, par des élus et des bureaucrates corrompus et par des entreprises qui ne rendent de compte
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à personne) ; d’autre part la décentralisation est le principal moyen d’atteindre cet objectif.

[10] Voir http://www.aamaadmiparty.org/our-vision

[11] Par exemple, en mars 2014, A.Kejriwal accuse « une partie des médias » de vendre aux partis politiques une couverture médiatique favorable – sans prendre la peine de préciser les journaux ou les chaînes de télévision visés, et sans offrir aucune preuve de cette accusation (“Parties paying media : Kejriwal“, The Hindu, March 15, 2014).

[12] L’AAP comprend une cellule consacrée aux médias sociaux, dotée d’une grande autonomie,  qui mobilise environ 250 militants, pour la plupart de jeunes diplômés du secteur des TIC.

[13] Le budget de la campagne électorale de l’AAP est estimé à 350 millions de roupies, alors que la loi autorise 7 millions de roupies par candidat et qu’on estime les dépenses réelles à 10 fois ce chiffre.

[14]GuhaThakurta, Paranjoy (2014), “What Future for the Media in India ?”, Economic and Political Weekly, June 21, pp.12-14.

[15] Roy, Srirupa( (2014), “Being the Change. The Aam Aadmi Party and the Politics of the Extraordinary in Indian Democracy”,  Economic and Political Weekly, April 12, pp. 45-54.

[16]“I have been chosen by God: Modi”, The Hindu, April 24, 2014.

[17] “A promise betrayed”, The Hindu, January 25, 2014.

[18] Parmi les 7 candidats de l’AAP à Mumbai on trouvait ainsi à la fois Medha Patkar (leader d’un mouvement de défense des habitants des bidonvilles et incarnation de l’activisme austère qui s’oppose au néolibéralisme) et Meera Sanyal (ex-banquière de renom, figure de la Confederation of Indian Industries).

[19] Notamment dans les Etats du Chhattisgarh et du Karnataka.

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