Il ne voulait pas passer la nuit dehors lors de la première neige. Un tribunal le déclare coupable d’introduction par effraction et la police de l’immigration se sert de cette condamnation pour lancer des procédures de déportation pour l’expulser du Canada. Devenu sans-abri après avoir été expulsé de son appartement, il se réfugie dans le métro par un temps hivernal, où il est abattu par un policier qui voulait le chasser des lieux. L’affaire Farshad Mohammedi est sans contredit une histoire d’expulsions.
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Farshad Mohammadi vint au monde en Iran, en 1977. Il était plus précisément originaire de la petite ville de Khamiran, dans la province d’Ispahan.
Durant la vingtaine, il se joignit aux peshmerga, nom donné aux combattants kurdes signifiant littéralement « ceux qui confrontent la mort », en langue kurde.
« Les rebelles, ce n'est pas comme l'armée. Ils vivent dans les montagnes avec le stress, la pression », explique « Ehsan » (nom fictif), lui-même d’origine kurde, qui fut le meilleur ami de Farshad Mohammadi pendant plusieurs années, à Montréal. (1)
Selon Amnesty international, les 12 millions de Kurdes vivant en Iran souffrent de discrimination depuis longue date. Non seulement leurs droits sociaux, politiques et culturels sont-ils bafoués, mais en plus leur marginalisation économique confine une bonne partie des Kurdes iraniens la pauvreté. (2)
Durant l’année précédant le départ de Farshad Mohammadi de l’Iran, les relations entre les autorités iraniennes et la communauté kurde connurent une escalade de tensions, en particulier après le décès de Shawan Qaderi, un leader de l’opposition kurde.
En juillet 2005, Shawan Qaderi et deux autres hommes furent abattus par les forces de sécurité iraniennes. Son corps fut ensuite attaché à une jeep et trainé dans les rues de la ville de Mahabad. L’incident provoqua une série de manifestations, lesquelles furent violemment réprimées, les forces de l’ordre n’hésitant pas à faire feu sur les protestataires.
Ces manifestations donnèrent lieu à une nouvelle vague de répression contre les Kurdes, ciblant plus spécifiquement les activistes militant pour le respect des droits humains, dont plusieurs furent victimes de torture en prison. En outre, au moins une quarantaine de publications kurdes fermèrent boutique ou furent carrément interdites après l’arrivée au pouvoir du politicien ultra-conservateur Mahmoud Ahmadinejad, en août 2005.
Par ailleurs, à compter de l’année suivante, les Gardiens de la révolution, une organisation paramilitaire relevant directement du chef de l’État iranien, s’engagèrent dans des combats sporadiques avec les peshmerga, la plupart du temps dans les quatre provinces du nord-ouest bordant l’Irak.
C’est dans ce contexte dangereux et explosif que Farshad Mohammadi quitta l’Iran, en 2006, en quête d’une vie meilleure.
Farshad Mohammadi vécut brièvement dans le nord de l’Irak, avant d’arriver à Halifax, puis à Montréal. Il fut admis au Canada, où il ne compte aucune famille, en vertu d’un programme spécial du Haut-commissariat aux réfugiés des Nations Unies.
En acceptant Farshad Mohammadi, les autorités canadiennes reconnurent que ce dernier « craint avec raison d’y être persécuté », pour reprendre la terminologie employée par Citoyenneté et Immigration Canada. (3)
« C'est un Kurde du nord de l'Iran, il a été parrainé par le gouvernement canadien pour immigrer parce qu'on reconnaissait qu'il était en danger », résume l’avocat Arash Banakar.
Éventuellement, Farshad Mohammadi se vit octroyer le statut de résident permanent.
Les personnes qui rencontrèrent Farshad Mohammadi à Montréal disent de lui qu’il se présentait à elles comme étant un réfugié politique et un barbier.
« Il m'a déjà coupé les cheveux, il était bon, un vrai barbier », confirme « Ehsan ».
Décrit comme étant « très renfermé », Farshad Mohammadi partagea néanmoins son parcours de vie difficile avec son ami « Ehsan ».
« Je savais qu'il avait besoin d'aide. Je ne l'ai jamais vu être violent, mais il s'est sauvé de ses problèmes et ça ne l'a pas aidé. Il n'a jamais voulu se faire soigner », explique « Ehsan », ajoutant que Farshad Mohammadi avait parfois du mal à dormir la nuit.
« C'est clair que monsieur avait des problèmes de troubles mentaux et souffrait encore de certains événements traumatiques dans son pays d'origine », ajoute Me Banakar.
Comme de fait, Farshad Mohammadi fut admis dans un hôpital de Toronto, en juin 2008, avec des symptômes de type psychotique, des hallucinations auditives et un délire paranoïde. Son état se normalisa quelques jours après son admission.
Du 16 au 18 juin 2008, il fit un séjour à l’hôpital Douglas de Montréal suite à une psychose toxique. Un test révéla par ailleurs la présence de cannabis dans l’urine.
Puni deux fois plutôt qu’une
Le 26 novembre 2008, Farshad Mohammadi fut arrêté pour introduction par effraction dans un immeuble non résidentiel du centre-ville.
À l’époque, Farshad Mohammadi était sans-abri puisqu’il avait donné les coordonnées d’un refuge pour personnes itinérantes, sur la rue Antoine, en guise d’adresse. (4)
Selon toute vraisemblance, Farshad Mohammadi ne souhaitait pas passer la nuit dehors alors que Montréal recevait sa première bordée de neige de la saison. (5)
Le 15 juin 2009, après sept mois de détention préventive, Farshad Mohammadi fut déclaré coupable de l’infraction reprochée. Il fut condamné à purger une journée de prison et fut soumis à une probation d’une durée de deux ans.
Mais ce n’était là pas la fin des tribulations judiciaires de Farshad Mohammadi, bien au contraire.
En effet, les personnes qui, à l’instar de Farshad Mohammadi, n’ont pas la citoyenneté canadienne sont souvent soumises à une double peine dans le système judiciaire, c’est-à-dire qu’elles sont punies deux fois pour une même infraction.
Dans le cas de Farshad Mohammadi, les autorités de l’immigration décidèrent d’appliquer l’article 36(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.
Cette disposition prévoit que les tribunaux d’immigration peuvent ordonner l’expulsion de toute personne dépourvue de la citoyenneté canadienne ayant été déclarée coupable d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou qui se sont vues imposer une peine de plus de six mois d’emprisonnement pour une infraction à une loi fédérale. Dans les deux cas, la loi considère qu’il s’agit là de « grande criminalité »
La peine maximale pour une introduction par effraction étant l’emprisonnement à perpétuité, Farshad Mohammadi se retrouva donc à risque de se voir expulsé vers l’Iran pour « grande criminalité », et ce, même si son crime était non-violent et n’a fait aucune victime.
C’est donc en raison de cette condamnation que Farshad Mohammadi comparut devant le commissaire Louis Dubé de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR), le 19 mai 2011.
La transcription officielle de l’audience, dont nous avons obtenu copie, permet d’ailleurs clairement de voir que Farshad Mohammadi semblait dépassé par la situation.
Ainsi, dès le début de l’audience, le commissaire Dubé désigna un représentant à Farshad Mohammadi en vertu de l’article 167(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.
Cette disposition stipule qu’un représentant est commis d’office à la personne intéressée, en l’occurrence Farshad Mohammadi, lorsque la commissaire estime que celle-ci n’est pas « en mesure de comprendre la nature de la procédure ».
La transcription révèle en outre que Farshad Mohammadi se montra incapable de de nommer l’infraction qui l’a conduit à la fois en prison et devant le tribunal d’immigration.
En effet, durant l’audience, le commissaire Dubé demanda à Farshad Mohammadi s’il était exact qu’il avait été condamné pour introduction par effraction.
« [TRADUCTION] J'avoue que j'avais pris des boissons alcoolisées et que j'étais ivre », répondit Farshad Mohammadi.
Le commissaire Dubé revint ensuite à la charge et demanda à nouveau à Farshad Mohammadi s’il avait bien été trouvé coupable d’introduction par effraction.
« [TRADUCTION] Je ne sais pas. Le juge m'a dit que j'allais aller en prison pour un jour et c'est tout », déclara Farshad Mohammadi.
Au terme de l’audience, le commissaire Dubé déclara que la condamnation de Farshad Mohammadi correspondait aux critères de « grande criminalité » énoncés dans la loi sur l’immigration, une décision portée en appel par son avocat, Me Banakar.
Me Banakar tenta d’ailleurs de rassurer son client en lui disant qu’il était sûr de gagner l’appel. C’est en effet devant la Section d'appel, et non devant la Section de l’immigration, que Farshad Mohammadi aurait pu faire valoir des considérations humanitaires. « On n'aurait pas pu le renvoyer puisqu'il était un réfugié », de dire l’avocat.
Mais Farshad Mohammadi était terrorisé, d’ajouter l’avocat. « C'était un stress énorme pour lui. Juste à la mention du fait qu'il puisse perdre son statut de réfugié, il était en état de panique », se souvient Me Banakar.
Un réfugié politique dans les refuges pour sans-abri
Durant les trois années précédant son décès, Farshad Mohammadi utilisa les services offerts aux sans-abri par des organismes comme l’Accueil Bonneau et la Maison du père.
« C'est un monsieur qu'on connaît depuis 2008. Il passe son temps entre trois refuges », relate Cyril Morgan, président-directeur général de la Mission Bon Accueil, en faisant allusion à la première semaine du mois de janvier 2012.
« C'est un monsieur bien tranquille, on n'a jamais eu de problème avec lui. Même qu'on voulait l'embarquer dans nos programmes de transition, pour l'aider à trouver autre chose à faire, un emploi et un toit. Mais ça ne l'intéressait pas », ajoute-t-il.
Farshad Mohammadi effectua tout de même de petits travaux bénévoles dans ce refuge pour hommes itinérants.
« Quand je suis arrivé, c'est lui qui m'a donné mon training. Il me montrait quoi faire », a confié un autre homme itinérant fréquentant ce refuge.
« Ce n'était pas un gars problématique, indique Claude Lanoie, directeur de la Mission Bon Accueil. Il n'avait pas vraiment d'amis, mais toujours poli. Il n'était pas du tout arrogant », ajoutant que Farshad Mohammadi avait l'air plus vieux que son âge réel, comme quoi il avait été « magané » par la vie.
Pour Jean-François Peterka, bénévole pour une soupe populaire dans le Vieux-Montréal, Farshad Mohammadi était un « solitaire » qui se parlait souvent seul et qui ne cadrait guère avec les autres. (6)
« C'est un gars qui se tenait seul, qui ne parlait à personne. Un gars de la file comme on dit. Ça veut dire qu'il était dans la file chaque soir pour manger, mais qu'il ne résidait pas ici », indique un autre homme rencontré à la Mission Old Brewery.
Certaines personnes de la Mission Old Brewery ne semblaient toutefois pas conserver un bon souvenir de lui.
« Nous l'avons expulsé en 2008 après un épisode de violence », a déclaré Jessica Falardeau, intervenante à la Mission Old Brewery.
« [TRADUCTION] On lui a refusé l'accès une nuit pour avoir été agressif verbalement. Et il n'est jamais revenu », précise-t-elle. (7)
Matthew Pearce, le directeur général du refuge Mission Old Brewery, précisa toutefois que l’incident n’était probablement pas bien dramatique, parce que si tel avait été le cas, cela aurait été consigné dans un dossier.
Durant l’été 2011, Farshad Mohammadi fut admis au sein du Projet Chez Soi, un programme fédéral financé par la Commission de la santé mentale du Canada visant à fournir un logement aux personnes itinérantes.
Il put alors s’installer dans un modeste appartement supervisé d’une pièce sur la rue Sainte-Marguerite, dans le quartier de Saint-Henri, dont le loyer de 520 $ était presque entièrement subventionné par le Projet Chez Soi. (8)
« Il avait des hauts et des bas, raconte Gilles St-Louis, qui fut voisin de Farshad Mohammadi à l’automne 2011. Une journée, il te faisait des cadeaux, comme de la nourriture ou de la bière. Et le lendemain, il pouvait t'envoyer carrément promener ». (9)
« Il ne mangeait presque rien et fumait beaucoup de pot, poursuit Gilles St-Louis, qui a lui-même vécut dans la rue. Il avait des comportements bizarres. Il s'était débarrassé de son matelas neuf parce qu'il aimait mieux coucher par terre ».
« Parfois, il était assis sur son balcon à trois heures du matin dans une couverte, et il restait là sans dormir, se souvient Nicole Murray, une autre voisine. C'est sûr qu'il avait des problèmes mentaux. Et les gens qui venaient le voir étaient des robineux ».
« Des fois, il était agressif un peu, verbalement. Il faisait des crises, il parlait fort dans sa langue, y'a eu des plaintes », a indiqué Gilles Saint-Louis. (10)
« Souvent, il venait m'achaler pour de la bouffe. Avec son argent il achetait du pot. Je lui ai dit un jour "Si t'es capable d'acheter du pot t'es capable d'acheter de la bouffe avec". Il n'était pas content quand je lui ai dit ça, il m'a dit : "I'm gonna fuck you up" », raconte-t-il.
« Mais, jamais je n'ai eu peur de lui », de conclure St-Louis.
Nicole Murray abonde dans le même sens.
« Il n'était pas méchant, dit-elle. Il avait des problèmes, mais je n'avais aucune crainte que ma fille passe à côté de chez lui ».
« Des fois, il se mettait à crier dans une langue inconnue sur son balcon, mais je lui répondais et c'était drôle, se rappelle Nicole Murray. Il n'était pas agressif ou violent. C'est vraiment triste ».
« Sa place était dans une institution, il n'était pas fait pour être en appartement », indique le propriétaire du bloc où il demeurait, Albert Sleiman.
« Il était violent. Mais avant tout, il était malade. Il passait la nuit à crier "Fuck Israël" ou "Fuck le Mossad", il pouvait sortir tout nu dans la rue», ajoute-t-il.
C’est d’ailleurs en raison de ses problèmes de comportement, mais aussi d’une dette impayée de 215 $, que Sleiman s’adressa à la Régie du logement pour demander l’expulsion de Farshad Mohammadi.
Selon Sleiman, Farshad Mohammadi se montra menaçant lorsqu’il reçut l’avis d’éviction
C’est donc sous escorte policière que Farshad Mohammadi fut expulsé de son appartement, le 18 décembre 2011, soit une semaine avant Noël. (11)
« L'état de l'appartement était lamentable quand il est parti », se désole Sleiman.
Retour à la case départ, donc, pour Farshad Mohammadi, qui retourna dans les refuges pour sans-abri.
« À Noël et au jour de l'An, il était à la Maison du Père, et les quatre derniers jours avec nous », note Cyril Morgan de la Mission Bon Accueil, en faisant allusion aux jours précédant le décès de Farshad Mohammadi.
Chassé de son logement et menacé d’expulsion du Canada, Farshad Mohammadi n’avait pas pour autant l’intention de se laisser décourager par ces revers.
En effet, selon « Ehsan », Farshad Mohammadi parlait de déménager à Ottawa pour se reprendre en main.
« Je l'ai vu la journée du chèque (d'aide sociale). Il voulait partir en train ou en autobus. Il disait qu'à Ottawa, c'est la capitale, il y a plus d'emplois. On a fumé un joint, je lui ai donné la main, et il est parti », raconte « Ehsan » en se souvenant de sa dernière rencontre avec son ami.
Dehors les sans-abri
Dans son rapport, l’un des deux agents du Service de police de la ville de Montréal impliqués dans l’intervention policière qui coûta la vie à Farshad Mohammadi consacra quelques lignes à décrire la situation à la mezzanine de la station de métro Bonaventure.
On peut en effet y lire que les constables interviennent à l’endroit des personnes itinérantes qui dorment sur place, flânent ou quêtent, autant d’activités interdites par le règlement R-036 de la Société de transport de Montréal (STM).
Selon l’auteur du rapport, l’action des constables se résume souvent à demander à ces personnes de circuler, ajoutant qu’un constat d’infraction sera remis en cas de refus d’obtempérer.
Or, le fait que des constables du SPVM ordonnent à des sans-abri de se déplacer pour le seul motif que ces personnes occupent un endroit aussi public qu’une station de métro devient carrément discriminatoire lorsqu’un tel traitement n’est pas appliqué à l’égard de « flâneurs » qui n’ont pas l’apparence de gens vivant dans la rue.
S’il n’a rien de nouveau, le phénomène du profilage social – pratique discriminatoire de personnes en position d’autorité consistant à prendre pour cible des gens en fonction de leur condition sociale – est cependant de mieux en mieux documenté.
Ainsi, dans son rapport sur le profilage social, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse a relevé une « explosion soudaine du nombre de constats d’infraction » dans le métro suite à la mise sur pied, en 2007, de l’Unité métro du SPVM, une escouade regroupant les constables patrouillant le réseau souterrain de la STM. (12)
Entre 2006 et 2007, le nombre de constats passa de 16 082 à 25 383 sur une période d’un an, ce qui fit dire à la Commission des droits de la personne qu’il y a « fort à parier que cet accroissement spectaculaire de la répression policière dans le métro se soit traduit par une augmentation congrue du nombre de constats d’infraction remis à des personnes itinérantes ».
Dans une récente étude, Céline Bellot, de l’École de service social de l’Université de Montréal, et Marie-Ève Sylvestre, de la Faculté de Droit de l’Université d’Ottawa, recensèrent le nombre de constats d’infraction émis par les policiers de l’Unité métro et les agents de surveillance de la STM, de 2006 à 2010.
Parmi la « multitude d’infractions » utilisées pour judiciariser les personnes en situation d’itinérance, les auteures notent l’émission de 3741 constats d’infraction pour s’être couché ou étendu sur un banc, un siège, ou le plancher d’un véhicule; 440 constats pour avoir crié, clamé, flâné, s’être livré à une altercation ou à toute autre forme de tapage; et 170 constats pour avoir mendié dans station de métro à l'intérieur du tourniquet. (13)
En 2010 seulement, les sans-abri reçurent plus de 6500 constats pour des infractions aux règlements municipaux, dont les deux tiers furent émis dans le métro. (14)
Au début du mois de décembre 2010, le SPVM annonça la création d’une petite escouade « de prévention en matière d'itinérance » dans le métro ayant pour mission de « rehausser le sentiment de sécurité » des usagers du métro et des commerçants. (15)
« Avec le retour du froid, de nombreux itinérants occupent les espaces publics dans le métro, ce qui entraîne de nombreuses plaintes de la part des usagers, du personnel œuvrant dans le métro et des commerçants ayant une vitrine dans ces espaces publics », lit-on dans le communiqué du SPVM.
« Ils nous expulsent du métro, parfois sans aucun motif. On ne leur fait rien. On est calme », explique Benoît Noël Nana, un itinérant habitué de la place Bonaventure. (16)
« [TRADUCTION] Les sans-abri peuvent percevoir la police comme des gens qui les font circuler ou œuvrent contre leur capacité à se trouver un endroit sûr, c'est donc conflictuel. Et la police n'a peut-être pas suffisamment d'informations et de sensibilité envers les sans-abri », déplore Jessica Falardeau, de la Mission Old Brewery.
« C'est l'hiver, c'est un besoin fondamental de se réfugier pour eux. C'est aussi important que de manger. La réaction peut être forte », souligne-t-elle.
Et la réaction de Farshad Mohammadi sera effectivement « forte », si l’on se fie à la version du policier impliqué.
Une expulsion de trop ?
Selon les archives de Météo Média, la température n’était pas particulièrement clémente en ce vendredi 6 janvier 2012.
En effet, le site web de l’organisme indique une température maximum de -7.6 °C et une température minimum de -13.3 °C.
Bref, il faisait un froid de canard, le genre de température qui attire les sans-abri vers des endroits chauds… comme les stations de métro.
Vers 13h40, deux agents affectés à l’Unité métro du SPVM se rendirent à la station de métro Bonaventure.
L’un des policiers comptait près de dix-neuf années de service tandis que son partenaire était un constable temporaire qui ne cumulait que quatre mois d’expérience au SPVM. (17)
Les deux patrouilleurs avaient été dépêchés à la station Bonaventure en réponse à un appel concernant un individu jouant de la musique sur le quai Côte-Vertu du métro. À leur arrivée, toutefois, la personne en question avait déjà déguerpie des lieux.
Qu’à cela ne tienne, les deux policiers décidèrent de profiter de leur présence pour se rendre à la mezzanine de la station de métro, d’où ils aperçurent plusieurs personnes se trouvant, selon eux, en « infraction » (le rapport ne précise pas de quelle infraction il pourrait s’agir). Les deux agents ordonnèrent alors aux gens de quitter les lieux.
L’une de ces personnes s’avéra être Farshad Mohammadi.
La narration de l’intervention policière qui suit ci-dessous est tirée du rapport de l’un des policiers impliqués, rapport cité abondamment par le coroner Jean Brochu dans son propre rapport d’investigation sur les causes et circonstances du décès de Farshad Mohammadi.
Constatant que Farshad Mohammadi demeurait assis près des bacs de recyclage, l’un des deux policiers l’approcha et lui ordonna de circuler.
« No sleep, no sleep », répondit Farshad Mohammadi, voulant vraisemblablement dire par là qu’il ne se trouvait pas à la mezzanine pour dormir.
L’agent expliqua alors à Farshad Mohammadi que le règlement du métro interdit le flânage, ajoutant que toutes les personnes n’ayant pas l’intention de prendre le métro doivent quitter les lieux.
Le policier affirma également à Farshad Mohammadi que si ce dernier refusait de s’en aller, les autres l’imiteront et ne voudront pas partir non plus.
Farshad Mohammadi demeura sur place, mais, comme l’a indiqué le coroner Brochu dans son rapport, « il n’est pas possible de savoir s’il avait bien compris les ordres et indications du policier ».
D’ailleurs, c’est peut-être parce qu’il a lui-même senti une barrière linguistique que l’agent fit un signe de la main à Farshad Mohammadi, indiquant la sortie du métro et le menaçant de lui remettre une contravention s’il restait sur place.
Farshad Mohammadi se leva alors pour se rassoir aussitôt, tout en mettant la main dans la poche de son manteau, un geste qui indisposa le policier.
Dans son rapport, l’agent ouvrit une petite parenthèse pour expliquer que les aspirants policiers se faisaient enseigner de ne pas laisser un suspect mettre la main dans sa poche sans raison. Le suspect pourrait y chercher une arme, inculque-t-on aux futurs membres de la force constabulaire.
Après avoir demandé à Farshad Mohammadi de retirer la main de sa poche, l’agent ordonna à ce dernier de lui remettre une pièce d’identité aux fins de rédiger un constat d’infraction.
Paranoïa policière
Dans son rapport d’investigation, le coroner Brochu a reproduit plusieurs longs passages du rapport rédigé par le policier impliqué :
Je lui demande: You do not have any piece of ID? [TRADUCTION: Vous n’avez aucune pièce d’identité?] ». Il se lève et pointe loin avec sa main. Je comprends qu’il y a peut-être quelques choses qui l’identifieraient en quelque part dans cette direction, mais je préfère ne pas déplacer l’intervention car il nous est enseigné d’éviter d’être conduit à un autre endroit par une personne avec qui on intervient car cette personne pourrait nous conduire vers une arme ou une embuscade.
Comprenant qu’il n’a pas de pièce d’identité, je lui demande de me dire verbalement son nom. Il me répond : « My name is Nobody » [TRADUCTION: Mon nom est personne]. Je lui réponds qu’il n’a plus le choix, qu’il doit s’identifier car il commet une infraction. C’est alors qu’il dit : « I will kill you there » [TRADUCTION: Je vais te tuer là-bas], en pointant l’autre endroit où (l’autre policier) se tient. Cette menace était si gratuite que j’ai cru avoir mal compris. Je lui demande de répéter mais il ne répète pas. Je lui demande : « Are you threatening us ? [TRADUCTION: êtes-vous en train de nous menacer?]. Il répond : « No sleeping, no sleeping » [TRADUCTION: Pas dormir, pas dormir]. Je constate alors qu’il n’est pas toujours cohérent. Je décide de ne pas procéder pour menace de mort car il n’a pas réitéré la menace.
Je lui demande à plusieurs reprises de me donner son nom de façon verbale en précisant qu’il a l’obligation de le faire mais il répond toujours qu’il s’appelle Nobody. Jusqu’au moment où il décide de se lever et de marcher en direction de l’autre extrémité de la mezzanine. J’enfile derrière lui en disant « Hey, where are you going? [TRADUCTION: Où allez-vous ?]. Il a continué d’un pas décidé.
Environ cinq ou six pas plus loin, il change de direction en pivotant à 180 degrés et fait un pas vers moi en avançant sa main droite vers l’avant. Je vois dans son visage qu’il a les sourcils froncés et montre les dents, il a les jambes un peu fléchies, comme pour baisser son centre de gravité. Il pivote à nouveau et poursuit son chemin. Je sors mon bâton car l’individu vient de me donner des signes clairs précurseurs d’attaque. À ce moment, je crois que l’individu va m’attaquer à main nue. C’est pourquoi je choisis le bâton télescopique.
« Sourcils froncés » ? « Montre les dents » ? Voilà un choix de mot qui rappelle étrangement le langage utilisé par le policier Jean-Loup Lapointe durant son témoignage à l’enquête publique sur les causes et circonstances du décès de Fredy Villanueva…
Cela pourrait-il s’expliquer par le fait que le policier impliqué dans le décès de Farshad Mohammadi et l’agent Lapointe ont en commun d’avoir retenus les services de l’avocat et ex-agent de la GRC Pierre Dupras, lequel pourrait avoir été une « source d’inspiration » durant la rédaction du rapport ? (18) (hypothèse malheureusement invérifiable puisque les communications entre un avocat et son client sont scrupuleusement protégées par le secret professionnel, sauf en de rares exceptions).
Dans ses conclusions, le coroner Brochu énonça quelques commentaires critiques au sujet de la façon dont fut menée l’intervention policière :
Au moment où il devenait évident que la résistance de monsieur Mohammadi ne s’inscrivait pas dans l’ordre de la désobéissance ou du défi mais qu’elle pouvait être interprétée par la présence d’indices d’un état mental perturbé (dans le rapport du policier : « Je constate alors qu’il n’est pas toujours cohérent »), la question se pose à savoir si l’agent aurait pu concentrer son attention sur l’état mental de la personne devant lui plutôt que sur la nécessité qu’elle quitte les lieux au plus tôt pour passer à autre chose.
En d’autres mots, mettre en suspens l’intervention visant à expulser l’individu du métro pour chercher à comprendre ce qui cloche pour que l’interaction se termine de la meilleure façon possible.
En ce sens, il faudrait mieux enseigner aux agents, comme le fait maintenant le personnel de l’École nationale de police du Québec, comment détecter les possibles problèmes de santé mentale d’un individu qui « résiste » afin de déterminer si l’action à faire est de poursuivre l’intervention dans la même veine ou réclamer une intervention sociomédicale et discuter calmement avec l’individu en attendant l’arrivée des intervenants de la discipline requise.
En fait, à la lecture de la narration de l’événement, il semble assez clair que le principal souci du policier n’était pas l’état mental de Farshad Mohammadi, mais bien plutôt sa propre sécurité à lui.
D’ailleurs, le récit du policier démontre à quel point les policiers sont formés à se méfier des citoyens, en leur attribuant les pires intentions pour des gestes ou des paroles souvent banales.
Un citoyen met sa main dans sa poche ?
Ne le laissez pas faire, il pourrait sortir une arme de sa poche et vous attaquer avec !
Un citoyen vous invite à le suivre un autre endroit ?
Attention, il pourrait s’agir d’une embuscade !
Décidément, les personnes atteintes de troubles mentaux ne sont pas les seules à souffrir de paranoïa…
X-Acto vs pistolet
Poursuivons avec la narration de l’événement par l’un des policiers impliqués :
Le temps que je sorte mon bâton, l’homme s’est encore retourné et fonce vers moi en faisant aller sa main de droite à gauche. Je comprends alors qu’il ne s’agit pas d’un corps à corps à mains nues mais bien d’une attaque au couteau. Il fonce vers moi. Je tente d’atteindre sa jambe avec mon bâton mais je rate la cible. L’homme profite de ce moment pour foncer vers moi avec le couteau (lame) qui passe de tous côtés et me fait trébucher sur le dos. Une fois au sol, l’homme est par-dessus moi et me donne plusieurs coups de lame au thorax. Les coups commencent au niveau du ventre et remontent vers le cou. À ce moment, je suis convaincu que je suis victime d’une attaque à l’arme blanche et je suis très conscient que mon cou n’a aucune protection et qu’une seule entaille au mauvais endroit peut entrainer ma mort en quelques secondes. Alors que je tente de me dégager de cette position, je sens la lame qui pénètre dans la chair de ma tête, j’ai eu vraiment peur pour ma vie. Je réussis à me retourner pour me relever, tournant ainsi le dos à l’agresseur pendant environ une seconde.
Pendant que son collègue lutte avec Farshad Mohammadi, l’autre agent frappe ce dernier à deux reprises à la tête avec son bâton télescopique après avoir été lui-même frappé à l’épaule. Son intervention eut pour effet de faire cesser les coups que son partenaire policier recevait.
De retour à la version écrite du policier :
Une fois debout, je reprends ma position de défense avec mon bâton face à l’agresseur. L’homme fonce encore sur moi. Je tente de l’atteindre une autre fois avec mon bâton mais encore sans succès. Malheureusement, la fin de ma motion m’a fait échapper mon bâton. L’homme a alors changé de direction et est allé ramasser celui-ci. Avec mon bâton en main ainsi que son arme blanche dans l’autre, l’homme se met à marcher sur la passerelle de la mezzanine en nous tournant le dos. J’en profite pour prendre mon radio et donner le 10-07. J’ai dit : « 50-51, 10-07 au métro Bonaventure. Je suis poignardé, j’ai besoin d’une ambulance ». J’ai aussi donné une description physique de l’individu sur les ondes.
Par la suite, je décide de prendre mon arme à feu en main et de pointer l’individu en prenant soin de mettre mon index sur le châssis de l’arme pour ne pas tirer accidentellement. L’homme marchait d’un pas décidé vers l’autre extrémité de la station de métro (vers la sortie de la Cathédrale). En prenant mon arme, je constate que mon index de la main gauche est ensanglanté. Je vois mon gant qui est coupé avec du sang qui en ressort. Je sais que je suis blessé à la tête et crois l’être à l’abdomen également. À ce moment, je sais qu’il faut absolument neutraliser cet homme qui est une menace pour la vie de toute personne qui se mettra sur sa route. Je crains qu’il s’en prenne à un citoyen ou encore qu’un policier ayant eu la description, l’interpelle à l’extérieur et qu’il subisse le même sort que moi. Il est clair que cet homme constitue une menace et qu’il doit être neutralisé.
En compagnie de mon partenaire, nous suivons l’homme à quelques mètres de distance. Je constate immédiatement qu’il y a plusieurs personnes qui se trouvent sur la mezzanine et qui sont directement dans notre angle de tir. J’informe mon partenaire de ma constatation pour m’assurer qu’il ne tirera pas dans ces conditions.
Tout de suite, je crie à l’individu de se coucher au sol en disant : « Down, down, get down, down ». [TRADUCTION: À terre, à terre, couchez-vous à terre, à terre]. L’homme continue son chemin sans broncher. Voyant qu’il n’y a aucun résultat, je décide plutôt de crier aux citoyens de se tasser et de dégager le corridor. Mais il y a toujours de nouvelles personnes qui arrivent, nous empêchant de neutraliser la menace. Durant cet épisode, l’homme lance le bâton au sol en direction de la clôture.
Bien que plusieurs usagers et usagères du métro assistèrent à cette partie de l’intervention policière, le rapport du coroner Brochu ne cite aucun témoin civil, seulement le rapport d’un des policiers impliqués. Différents médias montréalais rapportèrent cependant les propos de plusieurs des personnes ayant été témoins de cette scène plutôt insolite.
L’un de ces témoins s’appelle Carl Nantel. « On venait de payer. On s'est alors retrouvé en travers du chemin des policiers et d'un homme. Il y avait deux policiers, un avec une matraque électrique et l'autre avec un fusil, ils pointaient un homme », relate-t-il. (19)
« Je marchais avec deux collègues dans le couloir de la station Bonaventure, a expliqué une employée de la Gare Windsor sous le couvert de l'anonymat. Tout à coup, on a vu deux policiers qui suivaient un homme. Un des policiers avait sorti son arme, et j'ai eu son fusil pointé vers moi. J'ai pensé: ça doit être des balles de caoutchouc, ça ne doit pas être un vrai gun ».
« Le policier le plus à gauche tenait dans sa main droite un pistolet noir et dans sa main gauche une matraque: sa main avec le pistolet reposait sur l'autre en position de tir tout en marchant très rapidement », a indiqué un collègue de l’employée de la gare.
Certains témoins remarquèrent que l’un des deux policiers saignait. « Il était blessé, dit une dame. Quand il est passé à côté de moi, j'ai vu qu'il y avait du sang dans son cou et sur son col de chemise ».
Selon l’employée de la gare, Farshad Mohammadi marchait en marmonnant, l’air de demander qu’on le laisse tranquille. « On ne comprenait pas trop ce qu'il disait », dit-elle. Son collègue se souvient d’avoir entendu les policiers crier. « Je ne comprenais pas ce qu'ils disaient, mais ça semblait être "get down, get down" », se rappelle-t-il.
« L'homme avait l'air de tenir serré quelque chose dans ses poches, note une dame. Il avait plié quelque chose en deux avant de le glisser dans ses poches... Il avait l'air très nonchalant. On pensait que les policiers étaient en train d'accompagner un itinérant, jusqu'à ce qu'on voit l'arme. Il avait l'air d'un itinérant. Je dirais qu'il avait une quarantaine d'années. Il avait l'air dérangé - normalement, quand deux policiers armés nous suivent, on ne réagit pas comme ça... »
« L'homme marchait les mains dans les poches, manteau de cuir, cheveux gris peignés par en arrière, je dirais dans la cinquantaine. Un personnage assez louche qui restait calme même si les policiers pointaient des armes sur lui. Il continuait de marcher sans regarder les policiers. Il avait l'air de quelqu'un fâché de s'être fait prendre. Il avait l'air lucide. Ce n'est pas un fou », affirme Carl. (20)
« [TRADUCTION] L'homme n'était pas violent, il semblait en colère contre la police, mais il n'était pas violent ou quoi que ce soit. Ils ont dégainé leurs armes et lui ont dit de se coucher au sol à trois reprises, ajoute Carl Nantel, en précisant qu'il y avait seulement une poignée de témoins immédiats. Ils nous ont dit de nous écarter et l'homme s’est enfui. Tout le monde s’éparpillait. Il y avait beaucoup de chaos ». (21)
Tirer jusqu’à temps qu’il s’effondre
Le policier impliqué continue son récit :
L’homme arrivant au bout de la mezzanine, il tourne vers la droite et se dirige vers l’escalier qui mène à la sortie de la Cathédrale. À ce moment, il n’y a plus personne dans la ligne de tir, je dis à mon partenaire : « Là, on a plus le choix, on va devoir le tirer! ». Mon partenaire répond : « Oui, mais il est toujours de dos! ». Après cette courte discussion, l’homme a tourné à droite et commence à monter l’escalier. Il a quitté mon champ de vision durant une seconde, le temps que nous arrivions dans le bas de l’escalier. Il est à noter que jusque-là, nous n’avions jamais perdu de vue l’individu et que personne d’autre n’était dans l’escalier lorsque je suis arrivé en bas de l’escalier une seconde plus tard.
D’en bas, je constate qu’il est dans l’escalier en béton qui est parallèle à l’escalier roulant et qu’il en a monté la moitié. Il n’y a personne d’autre dans ces escaliers. Je vois que le mur du fond, en haut, est à angle et qu’il fera ricocher les balles vers le haut si jamais je rate la cible. Je crie encore « Get down, get down, stop… » à plusieurs reprises. Il continue à monter l’escalier. Je décide de rester en bas pour être le plus stable possible car je lui donne jusqu’au haut de l’escalier pour obtempérer sans quoi je devrai tirer avant qu’il ne tourne le coin et emprunte le dernier ensemble d’escalier avant de sortir à l’extérieur. Cet ensemble d’escalier est constitué par plusieurs paliers et plusieurs petites longueurs d’escaliers qui tournent de 180o et qui finissent par conduire à l’extérieur. Je sais que si l’individu entre dans cette section, ce sera extrêmement plus difficile d’agir. Dans ce cas, nous devrons monter palier par palier, tranquillement en s’assurant que l’homme ne nous attend pas caché derrière chaque virage de 180o et si le chemin est libre, lorsque nous arriverons en haut, l’homme se sera probablement sauvé.
Il monte la dernière marche et tourne vers la gauche pour s’engager dans cet immeuble d’escalier. Je m’assure qu’il n’y a toujours personne d’autre et je tire deux coups de feu. L’homme s’arrête mais ne tombe pas. J’ignore s’il est touché ou juste surpris. Je lui crie une dernière fois : « Get down », mais il ne réagit toujours pas. Je tire donc un coup de plus et je vois l’homme tomber.
« J'ai entendu trois coups de feu, dit l'employée de la Gare Windsor. Mes collègues et moi, on s'est regardé sans y croire. On se disait qu'ils avaient sûrement utilisé des balles de caoutchouc, qu'ils n'allaient pas tirer alors qu'il y avait plein de monde dans le métro. Après les coups de feu, un paquet de gens se sont rués vers les escaliers pour voir ce qui se passait. Ils sont carrément allés vers les coups de feu! »
« [TRADUCTION] C'était surréaliste, dit Geneviève Gagnon, qui accompagnait Carl Nantel. J'ai entendu un coup de feu et j'ai couru dans un dépanneur pour me protéger. Il y avait trois ou quatre autres personnes qui se cachaient dans le magasin ».
Nadine Younis, étudiante au Collège Vanier, dit trouver ça « inquiétant » que des coups de feu aient été tirés dans la station de métro elle utilise chaque jour. « [TRADUCTION] D'autant plus que c'est à l'intérieur de la station de métro. Tant de gens passent par là », ajoute-t-elle.
Voici maintenant la suite et la fin du compte-rendu du policier impliqué:
Nous montons l’escalier en courant. Tout en montant, j’informe le Prao [NDRL : système de répartition des appels par ordinateur] que l’homme a été tiré, que nous avons besoin d’une ambulance. Une fois en haut, l’homme est couché au sol, couché sur le ventre, légèrement sur son côté droit, il est inconscient ou mort. Il y a un couteau de style x-acto à manche jaune ensanglanté près de sa main. L’agent (l’autre policier) donne un coup de pied à l’arme pour l’éloigner de la personne blessée. Pour ma part, craignant qu’il reprenne conscience et qu’il blesse d’autres personnes, je le menotte au dos, il n’offre aucune résistance.
À ce moment, les gens commencent à arriver, provenant de l’extérieur, je décide donc de les empêcher de descendre voulant protéger la scène. Je regarde mon partenaire et je comprends qu’il demeure avec l’homme blessé. La Prao nous demande notre emplacement exact pour envoyer les ambulances. Heureusement, une première policière est arrivée de l’extérieur. Je lui ai demandé de quelle sortie elle arrivait. Elle m’a répondu : « Sortie de la Cathédrale ». J’ai tout de suite donné l’information sur le canal 6. La policière m’a ensuite dit : « Je pense que tu devrais t’asseoir »…
Farshad Mohammadi n’avait aucune activité cardiaque, autant sur la scène que lors du transport en ambulance ou à l’Hôpital général de Montréal, où son décès fut constaté, à 14 h24. La gravité de ses blessures par balles ne lui laissa aucune chance.
Le coroner Brochu conclut que Farshad Mohammadi décéda des suites d’un traumatisme thoracopulmonaire secondaire au passage d’un projectile d’arme à feu.
« Le policier, qui a presque 19 ans d'ancienneté, a passé 10 heures à l'hôpital », a indiqué Yves Francoeur, président de la Fraternité des policiers et des policières de la Ville de Montréal. (22) (Cependant, dans l’état actuel du système de santé québécois, ce laps de temps en dit peut-être moins long sur la gravité des blessures que sur le temps d’attente pour recevoir des soins).
Quant à l’autre policier, les médias rapportèrent qu’il fut traité pour un « choc nerveux ».
Entre-temps, les policiers établirent un vaste périmètre de sécurité autour de la scène en attendant l’arrivée des enquêteurs.
Le déploiement policier eut pour conséquence l’interruption de service entre les stations Berri-UQAM et Lionel-Groulx durant plusieurs heures, tandis que la station Bonaventure fut ré-ouverte au public seulement au lendemain du drame.
La situation compliqua le retour à la maison pour les milliers de personnes qui utilisent les services d’autobus interurbains desservant la Rive-Sud de Montréal, en partance de la Gare Centrale - Terminus Centre-ville, situé dans le même bâtiment que la station de métro Bonaventure.
Une justification boiteuse
C’est par les médias que « Ehsan » apprit la mort de son ami Farshad Mohammadi, deux jours après les faits.
« Mon cœur a failli arrêter », a-t-il déclaré, ajoutant que Farshad Mohammadi pourrait avoir eu des flash-back de la guerre en Iran lors de son altercation avec la police.
« C'était un bon gars au fond, mais il n'avait pas de médicaments. Une personne malade, comme lui, pourquoi ne pas le soigner plutôt que lui tirer une balle? On les laisse dans la rue! », dénonce « Ehsan ».
« Mourir à 34 ans dans le pays qui devait vous sauver la vie: il y a là une tragique ironie, commente Rima Elkouri, chroniqueuse au quotidien La Presse. Il craignait de mourir en Iran. Il est mort dans le métro de Montréal, sous les balles de la police ». (23)
Comme on l’a vu ci-haut, le policier impliqué tenta de justifier ses trois coups de feu en écrivant dans son rapport qu’il éprouvait une crainte à l’effet que Farshad Mohammadi ne s’en prenne à un citoyen ou à un autre policier s’il réussissait à lui échapper.
Encore une fois, le policier n’hésita pas à prêter les pires intentions à Farshad Mohammadi.
Cependant, si Farshad Mohammadi avait vraiment voulu s’en prendre à des citoyens, ce n’est certainement pas les occasions qui manquaient lorsqu’il traversait à pied la station de métro avec les deux policiers à ses trousses.
Or, tous les témoins civils qui parlèrent parlé aux journalistes ont décrit Farshad Mohammadi comme étant calme, nonchalant et non-violent, bref, tout le contraire d’un fou furieux prêt à bondir sur le premier venu.
Bref, l’explication du policier impliqué ne cadre pas du tout avec les faits.
Il faut se rappeler que Farshad Mohammadi ne dérangeait absolument personne lorsque les deux policiers lui donnèrent l’ordre de quitter les lieux.
Il faut aussi souligner que la seule personne que Farshad Mohammadi attaqua est ce policier qui voulait l’expulser du métro par une journée d’hiver alors qu’il n’avait rien fait pour mériter un tel traitement.
La légitimité des coups de feu du policier est d’autant plus contestable quand on sait que le pathologiste releva l’absence d’indice de proximité de tir sur la personne de Farshad Mohammadi, signifiant que le policier n’a pas tiré à bout portant.
Notons toutefois que le pathologiste s’est dit d’avis que les vêtements que portait Farshad Mohammadi pourraient avoir faire écran à ces indices, s’il y en avait.
Cette remarque, rapportée dans le rapport du coroner Brochu, suggère que les vêtements du défunt n’ont pas été soumis à des expertises ce qui, si cela est bien le cas, constituerait un manquement tout à fait déplorable.
Tout aussi aberrant est le fait que le policier tira une balle dans le dos de Farshad Mohammadi.
L’autopsie a en effet permis d’établir la présence d’une plaie d’entrée de projectile d’arme à feu au niveau du dos, sous la hauteur des omoplates, à 2,5 cm à gauche de la ligne médiane.
Ce projectile pénétra dans la cavité thoracique droite à la hauteur de la dixième vertèbre thoracique occasionnant des fractures de cette vertèbre avec section de la moelle épinière et perfora par la suite les trois lobes du poumon droit et la plèvre médiastinale gauche, provoquant des hémothorax bilatéraux et entraînant une contusion au lobe inférieur du poumon gauche.
Le projectile fractura également la quatrième côte droite en latéral et fut récupéré dans les tissus mous de la paroi thoracique latérale droite; il provoqua des blessures mortelles.
Une deuxième plaie d’entrée de projectile était visible à la face postérieure du bras droit; ce projectile provoqua une fracture communitive du tiers supérieur de l’humérus droit et fut récupéré dans les tissus mous de la face antérieure de l’épaule droite.
Enfin, l’autopsie démontra l’absence de substance (alcool, médicament ou drogue) dans le sang de Farshad Mohammadi.
Transparence, où te caches-tu ?
Le ministre de la Sécurité publique, Robert Dutil, transféra l’enquête criminelle sur l’intervention policière du SPVM à la Sûreté du Québec, une décision sensée rassurer le public sur la « transparence » de l’enquête policière, mais qui fut dénoncée de part et d’autres, notamment par Vision Montréal, principal parti d’opposition à l’hôtel de ville de Montréal à l’époque. (24)
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la Sûreté du Québec n’a pas fait de zèle en matière de transparence, justement.
« Les enquêtes de la police sur la police souffrent d'un grave problème d'indépendance qui les rend peu crédibles. Ce que l'on aimerait y voir éclairé semble trop souvent camouflé », note Rima Elkouri de La Presse.
Ainsi, le public ne fut jamais été informé du motif de l’intervention policière.
Comment peut-on se faire une idée sur la légitimé d’une intervention policière lorsque le motif de celle-ci est gardé secret ?
Le SPVM n’est évidemment pas sans savoir qu’une opinion publique ignorante est beaucoup plus facile à manipuler.
Désireux de tirer profit de cette ignorance, le SPVM clama à qui voulait bien l’entendre que les sans-abri sont bienvenus dans le métro de Montréal ! (25)
Ce qui, comme on le sait aujourd’hui, n’est rien d’autre qu’un vulgaire mensonge, le policier impliqué ayant lui-même écrit dans son rapport avoir dit aux gens se trouvant à la mezzanine que ceux et celles qui n’ont pas l’intention de prendre le métro doivent quitter les lieux.
La police refusa également de dire si les deux policiers impliqués faisaient partie de l’Unité métro du SPVM.
Le niveau d’opacité fut tel que la SQ refusa même de dire si les deux policiers impliqués avaient été interrogés par ses enquêteurs au lendemain du drame. (26)
« Si je fais un geste qui entraîne la mort d'une personne, immédiatement je serai interrogé, peut-être même avant l'arrivée de mes avocats. Je ne rencontrerai pas mes psychologues, mes dirigeants, mes conseillers syndicaux. Il y a de quoi de tordu qui existe dans le mécanisme », lance Pierre Gaudreau, coordonnateur du Réseau d'aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM). (27)
En outre, alors que le policier qui a fait feu n’a jamais été identifié publiquement, la vie de Farshad Mohammadi fut étalé au grand jour par les médias dans la semaine ayant suivi le drame, après que la Sûreté du Québec eut décidé de rendre son identité publique dans l’espoir de retracer des membres de sa famille.
La seule information rendue publique au sujet des deux policiers impliqués, c’est le nombre d’années et de mois d’expérience au sein de la police.
Et pendant que le public était maintenu délibérément dans l’ignorance, d’ex-policiers se ruèrent à la défense des deux agents impliqués dans l’intervention qui couta la vie à Farshad Mohammadi
Ainsi, dans un texte publié dans La Presse, Michel Oligny, ex-policier de la SQ, plaida en faveur des policiers impliqués en écrivant qu’ils avaient fait usage d’une « force excessive justifiée » ! (28)
Yves Boisvert, chroniqueur à La Presse, ne manqua d’ailleurs pas de relever que Michel Oligny venait de créer un « nouveau concept » en parlant de « force excessive justifiée ». (29)
(Peut-être a-t-on simplement oublié d’informer monsieur Oligny que le recours à la force excessive ne peut être justifié chez les policiers puisque celle-ci est prohibée par l’article 26 du Code criminel canadien…)
« On ne sait à peu près rien, de souligner Yves Boisvert. Ça n'empêche pas toute une série d'experts en technique policière de se relayer dans les médias pour nous expliquer que les policiers ont bien agi. Qu'en savent-ils? Comment l'ont-ils su? J'aimerais avoir la formidable assurance de ces experts, quand on ne sait même pas dans quel angle et à quelle distance les coups de feu ont été tirés, la séquence des événements, la gravité des blessures du policier, etc ».
La Sûreté du Québec termina son enquête en avril 2012. (30)
Évidemment, la SQ ne laissa rien filtrer de son enquête.
On sait seulement que le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) décida, en août 2013, de ne retenir aucune accusation contre les deux policiers impliqués.
Et encore une fois, la transparence n’était pas au rendez-vous puisque le DPCP ne rendit pas publique sa décision, alors qu’il s’était au moins donné la peine d’envoyer un communiqué de presse pour informer le public de sa décision de blanchir tous les policiers impliqués dans l’intervention policière qui se solda par le décès de Mario Hamel et de Patrick Limoges, en juin 2011. (31)
D’ailleurs, dans un entretien avec une journaliste du quotidien The Gazette, le coroner Brochu dit avoir appris par hasard la décision du DPCP. (32)
Une vidéo protégée jalousement
Si les images vidéo de l’intervention policière qui couta la vie à Farshad Mohammadi avaient été rendues publiques, cela aurait sans doute aidé le public à prendre position sur la légitimité des coups de feu tirés par l’agent du SPVM
Car ces images existent bel et bien, le coroner Brochu ayant lui-même noté dans son rapport que les caméras de surveillance de la station de métro avaient captées toutes les scènes décrites par le policier impliqué dans son rapport.
Ces images n’ont malheureusement jamais été divulguées, ce qui constitue une nouvelle illustration de l’absence totale de transparence dans les enquêtes de la police sur la police.
Si les bandes vidéo demeurent encore aujourd’hui cachées du public, ce n’est pas faute d’avoir essayé de les obtenir.
La journaliste Linda Gyulai du quotidien The Gazette entreprit en effet des démarches pour obtenir les bandes vidéo en adressant une demande d’accès à l’information auprès de la Société de transport de Montréal (STM), en janvier 2012.
La STM n’a cependant pas voulu communiquer les images vidéos à la journaliste Gyulai, en invoquant les articles 28 et 53 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et la protection des renseignements personnels (communément appelée loi sur l’accès à l’information).
En gros, l’article 28 protège les informations détenues par les corps policiers tandis que l’article 53 protège les renseignements personnels.
La journaliste Gyulai demanda alors à la Commission d’accès à l’information (CAI) de procéder à la révision de la décision de la STM.
Entre-temps, le SPVM demanda à la CAI l’autorisation d’intervenir dans le dossier afin de présenter des arguments additionnels relatifs à l’application de l’article 28 de la Loi sur l’accès, aux droits à l’image et à la protection de la vie privée et au refus de divulguer les renseignements se trouvant dans la vidéo sans le consentement des policiers impliqués.
Les 27 mai et 19 juin 2013, la commissaire Christiane Constant de la CAI entendit la demande de révision de la journaliste Gyulai.
À cette occasion, le SPVM fit témoigner de Michel Guillemette, assistant-directeur du SPVM, chef du Service à la communauté de la région Nord, et anciennement commandant dans la controversée escouade ÉCLIPSE.
Mais Guillemette témoigna surtout en raison du fait qu’il occupait le poste de chef de la Direction des Affaires internes et des normes professionnelles au SPVM au moment du décès de Farshad Mohammadi.
Durant son témoignage, Guillemette révéla qu’il avait lui-même visionné les bandes vidéo en litige. En effet, la STM communiqua les images de la vidéosurveillance au SPVM, et ce à la demande de celui-ci, en plus de les avoir transmises aux enquêteurs de la Sûreté du Québec.
Comme l’a indiqué la journaliste Gyulai dans un texte publié dans le quotidien The Gazette, le fait que le corps policier des deux constables impliqués ait pu obtenir les images vidéo de l’intervention policière faisant l’objet d’une enquête criminelle menée par un autre corps policier soulève à lui seul de sérieuses questions sur l’indépendance de ladite enquête. (33)
Cet article sembla d’ailleurs avoir contrarié le SPVM puisque Me Alain Cardinal, l’avocat du corps policier, crut en effet nécessaire de commenter l’article en question durant l’audience, en affirmant que ce texte pouvait amener des gens à se questionner quant à l’impartialité de l’enquête criminelle de la Sûreté du Québec.
Pour sa part, Guillemette justifia l’intérêt du SPVM envers les bandes vidéo en invoquant la simple possibilité que la Direction des affaires internes de son corps policier décide de déposer des accusations disciplinaires contre les deux constables impliqués une fois que la Sûreté du Québec aura conclu son enquête.
L’autre témoin, Tang My Hanh Nguyen, cheffe de la section Gestion à la formation au secrétariat général et Affaires juridiques à la STM, confirma avoir également visionné les images vidéo lorsqu’elle traita la demande d’accès à l’information du journal The Gazette.
Durant son témoignage, Nguyen déclara que la STM refusa de remettre les bandes de vidéosurveillance au quotidien anglophone après avoir constaté que la demanderesse, en l’occurrence la journaliste Gyulai, n’apparaissait pas sur les images vidéo…
Or, la STM ne semblait plus se soucier de la protection de renseignements personnels lorsque le SPVM effectua une demande d’accès à l’information pour obtenir le même document !
Cependant, Me Mark Bantey, avocat du quotidien The Gazette, fit valoir que la STM pouvait facilement assurer le respect de la vie privée des personnes apparaissant sur la vidéo. Il suffit de masquer les visages de ces personnes, de suggérer l’avocat.
Me Bantey déposa d’ailleurs en preuve une vidéo émanant de la STM dans laquelle on y aperçoit des individus en train de commettre une agression à l’endroit d’un chauffeur d’autobus. Les visages de toutes les personnes figurant sur les images ayant été masqués par la STM, celle-ci ne pouvait donc plaider l’impossibilité d’appliquer une telle technique d’élagage.
Malheureusement, Me Mohammed Chkikar, avocat pour la STM, rejeta cette proposition du revers de la main. Selon lui, il serait encore possible de reconnaître toutes ces personnes même si leur visage était masqué…
Les bandes vidéo en question furent elles-mêmes visionnées par la commissaire Constant durant l’audience, mais en l’absence de de Me Bantey et de la journaliste Gyulai, comme le permet d’ailleurs les Règles de preuve et de procédure de la Commission d’accès à l’information.
Cependant, Nguyen révéla que la vidéo visionnée par la commissaire Constant n’était pas la même version que la vidéo transmise à la Sûreté du Québec. Elle expliqua durant son témoignage qu’elle sélectionna les images qui, selon elle, répondaient à la demande d’accès à l’information de la journaliste, au lieu de fournir à la CAI l’intégralité des bandes vidéo.
Mais la commissaire Constant ne l’entendit pas ainsi et ordonna à la STM de lui fournir, sous scellé, la même version des bandes vidéo qui fut remise à la police, d’où la tenue d’une seconde audience. La STM s’engagea également à vérifier si elle remit la même version au SPVM et à la Sûreté du Québec, ou s’il existe plutôt une troisième version du document.
La CAI à la rescousse des partisans du secret
Me Mark Bantey nota que, contrairement au SPVM, la Sûreté du Québec n’avait pas jugé nécessaire d’intervenir dans le dossier, ce qui lui fit dire que la divulgation des bandes vidéo ne nuirait pas à l’enquête criminelle du corps policier provincial.
Dans sa décision, rendue le 25 octobre 2013, la commissaire Constant rejeta cet argument, en écrivant « que la divulgation de cette vidéo serait susceptible d’entraver une enquête en cours, ou à venir ou sujette à réouverture », en indiquant que l’enquête de la Sûreté du Québec n’était pas terminée, ce qui, comme on l’a vu ci-haut, est inexact. (34)
La commissaire Constant conclua aussi que les images doivent demeurer confidentielles, en statuant que « tous les éléments composant les images des personnes qui apparaissent dans la vidéo, tels leur visage, leur physionomie et leurs faits et gestes constituent des renseignements qui les concernent et permettent de les identifier ».
Selon la commissaire Constant, « les agissements des policiers lors de l’événement particulier constituent des renseignements personnels qui les concernent et non des renseignements ayant un caractère public ».
« En ce qui concerne la personne décédée après l’altercation, la Commission doit s’assurer de la protection de ses renseignements personnels, puisqu’elle n’a pas consenti à leur divulgation », ajoute la commissaire Constant.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là puisque <e