Débat
Par Leslie Péan
Soumis à AlterPresse le 27 octobre 2012
La famille Brandt défraie la chronique en Haïti, non pas depuis l’incarcération de Clifford junior, mais depuis un siècle. La saga de cette famille commence à la Jamaïque avec la rencontre d’Oswald John Brandt, né dans cette île en 1890, avec une charmante Haïtienne, Thérèse Barthe, venue visiter son père en exil. Boyer Bazelais, Anténor Firmin, Edmond Paul, François Légitime sont tous passés par ce refuge, toujours prometteur. Les deux jeunes se marient en 1910 et, suivant le chemin tracé par son cœur, Oswald Brandt plie bagages et émigre en Haïti. Il a alors seulement 20 ans.
Une fois en Haïti. O.J. Brandt, dont l’épouse est la nièce du colonel Jules André, est partout un invité de marque, surtout chez les anciens exilés qu’il a connus et aidés à la Jamaïque. Parmi eux, l’influent Antoine Pierre-Paul et Septimus Marius, qui, nommé ministre des Finances par Antoine Simon, le place à la Banque Nationale d’Haïti en 1910 en dépit ou à cause de son statut d’étranger. Ainsi commence sa carrière de financier. En 1916, il passe à la succursale que la Banque Royale du Canada vient d’ouvrir à Port-au-Prince.
Le feuilleton se poursuit. O. J. Brandt gravit très vite les divers échelons de cette institution pour accéder au poste de directeur en 1925. On est en pleine occupation américaine et l’économie du pays est en train de s’ouvrir au capital étranger. C’est à ce moment que commence la légende du petit-gars-parti-de-rien-et-qui-s’est-élevé-à-la-force-de-son-poignet-par-le-travail-et-l’audace.
Le prestige de l’homme est d’autant plus grand qu’il est le seul homme d’affaires de toute l’histoire du pays à s’être forgé une réputation de philanthrope à l’américaine. Le seul à avoir contribué à la diffusion du savoir et à la formation de la jeunesse par un geste d’envergure : le don du seul laboratoire d’une école publique haïtienne, le Laboratoire O. J. Brandt du lycée Pétion (immeuble compris). Cette dépendance du Vieux Lycée, presque adossée à la Cathédrale, a été fréquentée par toutes les générations qui ont étudié à cet établissement après la fin de la Deuxième Guerre mondiale.
Cette semaine encore, le nom O. J. Brandt refait surface dans la mémoire des professionnels passés à cette école à partir des années 50. En particulier des médecins et des ingénieurs qui y ont manipulé, pour la première fois de leur vie, des éprouvettes avec Marcel Francoeur ou des électrodes et des aimants avec Parnell Marc. Des professeurs, avocats et fonctionnaires sortis de la section A et qui ont fait leurs classes terminales dans les belles salles du second étage de l’immeuble O. J. Brandt.
Cette histoire à succès comporte toutefois quelques épisodes peu reluisants et peu connus du public. Après l’entrée en guerre d’Haïti aux côtés des Alliés, sous Élie Lescot, Oswald Brandt est un des grands bénéficiaires de la nationalisation des biens des citoyens allemands établis au pays (Reinbold, Gerlach, Gaetjens, Jaeger, Ludecke, etc.), et la presse n’en fait aucune mention. C’est seulement à la faveur de l’éclaircie démocratique des premiers jours de 1946 que le journal La Ruche commence à l’épingler. Et sans ménagement. Il écrit : « En effet, ce mystérieux personnage d’Oswald John Brandt, après avoir, sans aucun doute, "corrompu" son associé Élie Lescot, Grand Fonctionnaire Public dans l’exercice de ses hautes fonctions – Délit prescrit par la Loi haïtienne – l’escroc Oswald John Brandt se fit passer les usines de Saint-Marc valant au minimum Deux cent mille dollars pour la scandaleuse somme de trente cinq mille dollars, se rendant de ce fait coupable au titre de receleur que la loi Haïtienne punit beaucoup plus sévèrement que l’auteur [1]. »
La charge est lourde contre le trio Lescot-Brandt-Brouez, ce dernier étant le commis encaisseur de Lescot. Difficile de condamner Oswald Brandt sans des preuves palpables de pots-de-vin. Difficile surtout à cause des complices invisibles qu’il a alors au sein du Comité Exécutif Militaire (CEM) qui vient de prendre le pouvoir. Paradoxalement, les jeunes militants de La Ruche demandent de soutenir la junte militaire [2]. Difficile enfin de déboulonner Oswald Brandt, un symbole qui fait rêver une classe politique avide de ses subsides. Les jeunes de La Ruche en sont conscients et écrivent : « Si le monopole de la Fabrique et vente de tissus de coton Lescot-Brandt-Brouez doit fonctionner sous quelque rubrique que ce soit, alors vous n’aurez plus rien à espérer de notre pays, suicidez-vous [3]. »
Une vue en plongée de la réalité
Personne ne s’est suicidé devant les complexités d’Haïti. Oswald Brandt a traversé tous les mauvais régimes jusqu’à ceux des dictateurs François et Jean-Claude Duvalier, jouant continuellement double jeu. En 1961, il est forcé de financer le bétonnage de la Grand-Rue [4] et même mis en prison par Papa Doc qui veut lui soutirer de l’argent. Il se vengera à sa façon. Le journaliste à la retraite Jean Florival nous apprend dans Duvalier : La face cachée de Papa Doc qu’Oswald Brandt — qui était son ami personnel et celui de Gérard Daumec, conseiller écouté de François Duvalier - alimentait régulièrement la radio Vonvon en renseignements embarrassants pour le pouvoir. Cette station clandestine, qui émettait à partir des États-Unis, fit les délices de l’opposition pendant la fin des années 1960 [5].
En plein cœur de la dictature féroce de François Duvalier, O.J. Brandt bénéficie d’un tel prestige au pays que, même lorsqu’il est pris la main dans le sac, le pouvoir noiriste et populiste lui réserve un traitement de faveur. Accusé, avec son fils Clifford, d’avoir financé l’invasion avortée de la Coalition Haïtienne en mai 1968 au Cap-Haïtien, il sera logé aux Casernes Dessalines avec droit de visite, tandis que Clémard Joseph Charles, le financier d’origine modeste, sera, selon ses propres dires, enfermé « pieds nus, en caleçon et chemisette à Fort Dimanche, puis au Pénitencier national ».
Oswald Brandt construit au fil des ans un véritable empire. Quittant la finance dès 1928, il décide de faire cavalier seul et d’acquérir l’usine à mantègue (USMAN). Il investit dans le textile, avec la filature Brandt (FITICOSA), et dans l’agriculture, particulièrement dans l’exportation du cacao et du café (où il devient un des principaux acteurs). Il est aussi importateur de produits pharmaceutiques, de véhicules et d’autres produits de consommation. On le retrouve ensuite dans l’huile de cuisine, les assurances, puis à la tête de l’usine de fabrication de pâte de tomates FACOLEF, dans le Sud, et de la PRINSA (élevage) dans la région de Thomazeau.
La PRINSA a fonctionné de 1981 à 1998 avant d’être victime de l’embargo des années 1991-1994. La politique ultralibérale du gouvernement de René Préval en a sonné le glas. En effet « l’élevage industriel a connu un véritable déclin vers 1991 à cause notamment de l’embargo économique et de l’importation massive de morceaux de poulet congelés. La production est passée de 6 500 000 à 300 000 têtes, puis à 45 000 têtes en 1998 pour les poulets de chair ; et de 112 000 à 30 000 pour les poules pondeuses [6]. »
En 1973, cinq ans après avoir été incarcéré avec son père O.J. Brandt aux Casernes Dessalines, Clifford Brandt relève le défi d’Alejandro Grullon qui veut implanter sa banque Banco Popular Dominicano en Haïti. Brandt prend les devants et crée, avec 420 actionnaires haïtiens, la Banque de l’Union Haïtienne (BUH) dotée d’un capital initial de 15 millions de gourdes répartis en 60,000 actions de 250 Gourdes. C’est la deuxième fois que le secteur privé haïtien crée une banque commerciale, la première ayant été la création en 1966 de la Banque Commerciale d’Haïti par le même Clémard Joseph Charles. Le premier conseil d’administration de la BUH est composé de Marcel Léger, Président, Marcel Ed. Dupuy, Vice-Président, Georges Baussan, Clifford H. Brandt, Jehan Dartigue, Raymond Flambert, Faidherbe Guillaume, Maurice Mompoint [7], Lucien Rousseau, Membres. Le patriarche Oswald meurt en 1976 et son fils Clifford prend la barre qu’il gardera jusqu’à son décès en 2001. Entretemps, l’empire Brandt essaime à la Jamaïque, aux Bermudes et aux Bahamas.
Le patriarche, son fils et ses petits-fils gardent une sérénité de distanciation leur permettant de fructifier leurs avoirs à une distance respectable des cercles mulâtristes dominants. On ne s’étonnera donc pas de ne pas retrouver le nom d’un seul Brandt dans la liste des 41 présidents qu’a eus le Cercle Bellevue de 1905 à 1985 [8]. Est-ce parce que le Cercle Bellevue a été dès son origine sous l’influence de la communauté allemande avec des présidents tels que Robert Gerlach, Frédéric Gaetjens, Carl Jaeger, Fred Ludecke, etc ? Pourtant O.J. Brandt aurait pu se prémunir de son ascendance allemande, car son grand-père Wihelm Brandt était allemand [9].
Quoiqu’il en soit, les Brandt ont une vue pratique sur la société haïtienne, son imaginaire et son anomie, une perspective qu’on ne saurait sous-estimer. La grande déception de la vie de Clifford Brandt aura été d’avoir été mis en quarantaine par le gouvernement américain en 1993, accusé d’avoir agi contre les intérêts américains en soutenant le coup d’État de 1991 contre le premier gouvernement de Jean-Bertrand Aristide. À la fin de sa vie, nonagénaire, il en sortit profondément troublé, ne pouvant comprendre, de sa hauteur, la vue en plongée que lui offrait la réalité. Les choses avaient bougé dans leur fixité.
Le kidnapping sème pour récolter sans attendre
Dans le même temps, la dégradation de la situation politique et économique affectait les consciences et les valeurs. Les capitaines d’entreprise sont de moins en moins considérés comme des valeurs à émuler. Les tontons macoutes et autres rentiers politiques devenus riches en un clin d’œil ont imposé d’autres mœurs. Qui représentent une aubaine pour les forces de la globalisation économique plus intéressées à mettre au pouvoir des receveurs d’ordres que des entrepreneurs indépendants. Tout en déplorant leurs agissements scandaleux, ces forces globalisantes préfèrent s’inspirer des voyous pour lesquels les valeurs intrinsèques n’existent pas. Les générations qui naissent au cours des années 1960-1970 n’ont de modèles que ceux de l’argent volé par des hommes de sac et de corde.
Le viol de la société haïtienne réalisé par l’occupation tonton macoute étale son désordre partout même dans les familles de l’élite. Sous les yeux des parents qui sont dépassés. L’ascenseur du trafic des stupéfiants accommode toutes les promiscuités. Les sociologues américains parleront de l’élite moralement répugnante (morally repugnant elite) pour rendre compte de la pourriture observée au sommet de la société haïtienne. Une société en ruines et qui, de surcroit, trouve des gens à dévaloriser l’intellectualité. Devant le vacarme des intérêts particuliers et autres relativités, la note intellectuelle mettant en valeur la vérité effraie les petits esprits se délectant dans les cancans.
L’affaire de Clifford Brandt junior, le kidnappeur, qui défraie la chronique depuis le lundi 22 octobre 2012 s’inscrit dans la décadence de la société haïtienne et fait pâlir l’histoire d’une famille qui a laissé sa marque dans la finance, l’agriculture et l’industrie. Dans un pays qui veut que seule la politique soit fertile et où les citoyens sont convaincus que c’est l’unique endroit à semer pour récolter sans attendre. La mentalité de l’argent facile s’est développée avec le narcotrafic et son corollaire, le kidnapping contre rançon.
Clifford Brandt junior s’est laissé glisser sur cette pente dangereuse. Ce faisant, il a délaissé la civilisation en ne contrôlant pas ses pulsions d’agressivité. Elles se sont relâchées au point de le conduire au crime. C’est dans une atmosphère d’indignation et de réprobation générale que le kidnapping des deux jeunes Moscoso a été accueilli. Aucune humanité ne peut être construite avec des pratiques relevant de la mentalité des fauves. En attendant de comprendre cette économie affective, il s’est enfermé lui-même dans le cycle de la violence et de la terreur. On ne saurait innocenter les criminels individuels qui terrorisent les familles dans des kidnappings en série depuis près d’une décennie. Les enlèvements et séquestrations sont devenus monnaie courante depuis 2005.
Des hommes sans foi ni loi
La société haïtienne surfe sur le crime impuni depuis sa naissance. Un groupe de tueurs a organisé des massacres systématiques depuis ceux des Français en avril 1804, de Germain Pico en 1805 et de Dessalines en 1806. Un petit groupe a kidnappé le pays en exploitant la paysannerie systématiquement. On lui a pris la production de café, de sucre, de coton, etc. et on lui a donné en retour de la monnaie de singe. Dans ce kidnapping, il n’a pas eu accès à la santé, à l’éducation, au logement, à l’eau potable et à l’électricité. Comme le dit Vertus Saint-Louis « les habitations sont soumises aux commandants militaires, eux-mêmes placés sous les ordres des généraux comme Dessalines, nommés inspecteurs de culture. Les cultivateurs n’ont pas le droit de se déplacer sans permission, même pour se rendre au marché [10]. » Les paysans sont privés de la liberté de se déplacer d’une plantation à une autre. La nuit les bandes Zobop continuent l’ordre diurne en exigeant un laissez-passer. Sinon, c’est la mort !
L’étude de la société haïtienne depuis 1804 indique que les élites ont accepté de négocier leur position de « commandeur » en se vautrant dans la fange, entourées de sbires venus de la « meilleure » société sous Geffrard avec les Gibosiens et des bas-fonds sous Soulouque avec les Zinglins. Le kidnapping d’Haïti est consacré dès la dette de l’indépendance de 1825. La culture de la rente a développé une pourriture qui s’accumule. Dans les villes, des hommes sans foi ni loi ont imposé les mœurs vandales tandis que dans les campagnes leurs alliés ont promu la peur et la zombification. Registre d’une barbarie qui connaît des alternances dans le consensus du chen manje chen pour la destruction de l’Autre. Aversion et hostilité, affrontements et règlements de compte sont toujours au rendez-vous dans une culture de vendetta qui n’a rien à envier à celle des Siciliens ?
La pensée a été combattue. Le baccalauréat a été jusqu’à la fin des années 60 un lieu où les dissertations étaient écrites par les étudiants en trois heures sur une feuille double. L’élève était convoqué à penser sur un sujet qui lui était proposé. Mais la dégradation de l’enseignement a fini par convaincre les professeurs de ne plus donner une feuille double aux élèves. Dès la fin des années 1970, ces derniers recevaient une feuille simple pour consigner le fruit de leurs réflexions. Il a fallu trente ans pour éroder les valeurs éthiques du travail bien fait, de la rectitude et de l’honnêteté qui existaient dans la vie publique au profit de la débauche et l’hédonisme tèt kalé. Les certitudes ont dépéri et ce n’est plus avec de la poésie que l’on courtise une jeune fille. Le seul paramètre de la séduction et de la valeur, c’est l’argent, comme l’a souligné le président Martelly en comparant son fils Olivier aux avocats Newton Saint Juste et André Michel. La messe est dite !
La baisse du niveau de l’instruction (le moyen) s’est répercutée sur celui de l’éducation (la finalité). La constante dialectique entre ces deux niveaux s’est transmise dans la famille, les comportements individuels, bref dans la civilisation haïtienne. Exit le contrôle de soi et l’autolimitation. On se permet d’écrire n’importe quoi et de dire n’importe quoi. Tout devient vulgarité jusqu’aux plus hautes sphères de la société et du pouvoir politique. Cette acceptation n’est-elle pas la forme que prend le rejet des institutions scolaires, des valeurs, des mœurs ?
Le chaos de la réalité haïtienne s’est amplifié et la connaissance est en retard sur ce chaos. Le crétinisme qui s’est imposé pour gouverner la société haïtienne a des racines profondes. On les trouve chez ces dictateurs à la Sténio Vincent et François Duvalier qui, se voulant providentiels, refusent le pluralisme. On les trouve également chez ceux qui rejettent les 10plomes, 20plomes et autres plomes, et qui utilisent leur gouvernement charismatique [11] pour lancer le pays sur les voies de garage des industries en cavale. Situation d’autant plus grave que, comme le dit Norbert Elias, « le commandement peut échoir à des personnes qui jusque-là n’avaient pas grand-chose à dire [12]. »
L’orthographe élémentaire
Les discussions vont bon train sur le sort que la justice haïtienne réservera à Clifford Brandt junior surtout depuis les déclarations de son avocat Me Calixte Delatour qui ont provoqué un véritable tollé. Selon son défenseur, « il ne s’agirait pas d’un kidnapping mais plutôt d’un problème personnel [13]. »
Au cœur de la stratégie de la défense, on redécouvre des faits qui remontent à 2007 et qui ont aussi à voir avec la disparition-exécution de Robert Marcello, directeur du Centre national de passation des marchés publics. On se rappelle encore que Fritz Brandt et son fils David Brandt avaient été mis en prison par le commissaire du gouvernement Claudy Gassant en juillet 2007 sous le gouvernement de René Préval. Selon le commissaire Gassant, ils avaient été pris la main dans le sac pour une affaire de factures de douane. Il circule toutefois une autre version des motifs de cette arrestation intempestive.
Selon cette version, il s’était plutôt agi de mettre au pas les Brandt qui avaient repoussé une collusion que leur proposait le pouvoir. Le gouvernement Préval avait appuyé les concurrents de Brandt qui lui avaient promis de plus substantielles ristournes sur un contrat d’achats de véhicules. Brandt se croyait dans son bon droit en gagnant un appel d’offres ouvert où le moins disant décrochait le contrat. Il s’est alors fait de dangereuses inimitiés politiques avec les gangsters de l’entourage de Préval qui ne lui ont pas pardonné le culot de se défendre pied à pied contre les vœux du président. Il avait haussé les épaules, se croyant à l’abri des poursuites des chacals. Il avait oublié que dans la culture politique haïtienne, mettez n’importe quel quidam président et la population tombera à ses genoux.
À ceux qui leur disaient d’être prudents, de ne pas chercher une plage de sable ensoleillé à la montagne ni de faire la morale au président Préval, les Brandt avaient répondu qu’ils étaient des commerçants et pas des curés. Ce serait là le début de la mobilisation anti-Brandt qui s’est soldée par la mise en prison du père et du frère de Clifford Brandt junior. La lutte anti-corruption étant devenue un habillage de luxe pour les gouvernements contre leurs opposants. Les Brandt père et fils sont restés en prison jusqu’à ce qu’ils cessent de rouspéter.
Dans de nombreuses villes
On ne saurait écarter du revers de la main ces hypothèses d’explication du comportement de Clifford Brandt junior. Mais il faut admettre que même dans le cas où elles seraient justes, la décision de kidnapper les deux jeunes Moscoso est un remède pire que le mal. La famille Brandt ne saurait s’affranchir ni s’émanciper du carcan corrupteur de l’État marron en prenant le chemin du kidnapping comme revanche. Cela va à l’encontre du besoin de sécurité incompressible de l’être humain. C’est un principe intemporel et une logique éternelle pour l’existence et la viabilité de toute société.
Le procès de Clifford Brandt junior devrait servir de cadre pour l’évaluation du délabrement de la société haïtienne, du vide existant dans les esprits et de la disparition des valeurs. Depuis celles de l’orthographe élémentaire qui porte des écrivassiers à se balader sur les réseaux sociaux de l’Internet en écrivant n’importe quoi sans le moindre respect pour la langue et la logique jusqu’aux déclarations farfelues de la « diplomatie des affaires » qui reflète la folie des grandeurs d’un gouvernement pourtant hué et condamné par des manifestants dans de nombreuses villes du pays. Il faut entreprendre des travaux de rénovation, mais il faut surtout du neuf.
Depuis le procès de la Consolidation, l’État haïtien a raté toutes les occasions de faire preuve d’une détermination et d’une capacité d’instaurer la règle de droit dans ce pays. Qu’il s’agisse d’un simple citoyen accusé de vols de bétail ou d’hommes d’affaires puissants, d’adversaires ou de partisans bien placés du gouvernement, les procès intentés en Haïti ont toujours été une mascarade. On a encore en mémoire les procès bâclés de Luc Désir à la chute de Duvalier, de Roger Lafontant sous le premier gouvernement de Jean-Bertrand Aristide, de Léon Jeune, Claude Raymond et Prosper Avril sous René Préval. Le gouvernement actuel aura-t-il la sagesse et le courage de garantir aux accusés et à la société haïtienne le procès juste que toute la population appelle de ses vœux ?
Le décollage d’Haïti se fera au prix d’une rupture avec la tradition. Le moment est venu de montrer la possibilité d’une justice égalitaire, loin des brumes et épaisseurs organisant trafics et influences qui bloquent ou minent la confiance dans l’État de droit. Puisse l’attention sérieuse portée à ce procès inciter à une illustration du bien commun en montrant le triomphe d’une révolution mentale inscrite dans le sens de la modernité. Sinon, le gouvernement va au-devant d’affrontements périlleux, car la société est maintenant au bout du rouleau.