2017-01-12



A propos de : Jean-Pierre Frey, Les voies erratiques de l’urbanisation. Être architecte et devenir urbaniste en Afrique du Nord (Éditions L’Harmattan : Paris, 2016)

Jadaliyya (J.) : Qu’est-ce qui vous a fait écrire ce livre?

Jean-Pierre Frey (J.-P. F.) : Mes expériences d’enseignement et de montage de formations de troisième cycle pour permettre à des architectes de devenir docteurs et de s’engager pleinement dans des carrières d’enseignants du supérieur. C’est à l’occasion de mon expérience marocaine et grâce à la collaboration de l’un de mes anciens étudiants, Hakim Cherkaoui, actuellement directeur de la nouvelle école d’architecture de Tétouan, que j’ai réalisé cet ouvrage à partir d’une série d’entretiens avec lui. J’ai ainsi fait part de mes réflexions sur mes missions d’enseignement en Algérie, puis en Tunisie. Mes étudiants marocains, dont certains sont maintenant des collègues, avaient envie de savoir comment les choses s’étaient déroulées dans les autres pays du Maghreb avant eux : années 1980 pour l’Algérie, 1990 pour la Tunisie, début du XXIe siècle pour le Maroc. Il fait suite à l’ouvrage que j’ai moi-même réalisé sur le mode avec Henri Raymond (Paroles d'un sociologue, Vers une histoire architecturale de la société) pour qu’on puisse mieux connaître ce sociologue de l’architecture récemment disparu (1921-2016) et apprécier son itinéraire intellectuel.

J. : Quels sujets et enjeux ce livre aborde-t-il et avec quels travaux entre-t-il en discussion ?

J.-P. F. : Il y a à la fois une réflexion sur les questions pédagogiques —choix et élaboration du contenu des enseignements d’initiation à la recherche— et sur les échanges de bons procédés dans les apprentissages croisés entre un pays où, comme missionnaire de coopération, on apporte ce que l’on a acquis par ailleurs (principalement en France) et ce que l’on découvre sur place. Cette acculturation croisée m’a surtout permis de découvrir et d’approfondir ma compréhension du pays, de sa population et des problèmes qui s’y posent. Ce type d’expérience d’enseignement à l’étranger est aussi une expérience originale d’apprentissage d’une réalité sociale mal connue à travers son développement urbain fulgurant. Urbanisation quelque peu désordonnée, faite dans la précipitation, sur les voies d’une modernité dont je considérais depuis longtemps qu’elle ressemblait (en France aussi) à un enfer pavé de bonnes intentions. On ne peut voir un pays faire les mêmes erreurs que celles dont on revenait à peine en Europe sans formuler quelque critique, d’autant que j’avais tendance à dénoncer les travers de cette modernisation forcenée dans la plupart de mes enseignements. Trop rares sont aussi les retours critiques sur la vie quotidienne, les dilemmes, engouements, convictions, découvertes, joies et déceptions que vit un universitaire dans sa pratique pédagogique effective et dans ses implications institutionnelles concrètes. Les conditions matérielles des abstractions théoriques du chercheur et les conditions d’élaboration et de la transmission effective de savoirs proprement universitaires s’effacent trop souvent derrière le docte contenu de façades académiques. Sont ainsi rejetés dans l’ombre portée des institutions les affres et avatars d’une production moins assurée et largement ignorée des connaissances.

J. : Comment ce livre se raccorde-t-il, ou au contraire se distingue-t-il de vos recherches antérieures?

J.-P. F. : Ma thèse de sociologie sur la représentation de l’espace à la Renaissance et la genèse de l’espace architectural soutenue en 1981, année où je débutai mes enseignements à Constantine, m’avait rendu particulièrement sensible au rôle des images, du dessin et des plans dans la production de l’espace. Je devais découvrir un tout-autre rapport entre ce monde iconique et la réalité urbaine chez mes étudiants algériens. Ma thèse d’État en lettres soutenue en 1987 sur l’urbanistique patronale, c’est-à-dire la politique du logement et la planification urbaine menées par le patronat paternaliste des XIXe et XXe siècles en France, correspond à des travaux de recherche que je menais conjointement à mes multiples enseignements, et notamment ceux en Algérie. Je retrouvais en quelque sorte en accéléré —et avec un État régentant ses populations sur un mode similaire à celui du patronage industriel— les mêmes processus d’acculturation à l’urbain qu’imposait à une population encore largement rurale une industrialisation forcée. Ce parallèle entre la prolétarisation de la classe ouvrière française et la salarisation urbaine généralisée de la population algérienne me permettait de mettre l’accent sur la violence symbolique consistant à propulser des populations rurales et démunies dans des grands ensembles en les privant des transitions liées au développement progressif du confort domestique. Dans les années 1970, le marché algérien de la consommation restait en souffrance et l’habitat pavillonnaire en lotissement encore largement décrié, notamment par des intellectuels en mal de progrès. Le manque d’équipements, de services et de biens avant que n’explosent les brutalités des terroristes se disant islamistes donnait aux questions d’habitat —notamment à travers les débordements de l’autoconstruction et les conditions débridées d’appropriation de l’espace urbain— une valeur heuristique stimulante pour traiter des rapports entre espace et société en termes véritablement anthropologiques. Ce fut sans doute le contenu le plus stimulant de mes enseignements de cette période tant en Algérie que, par contrecoup, en France.

J. : Qui, espérez-vous, lira ce livre, et quel impact espérez-vous qu’il aura?

J.-P. F. : Je m’adresse comme d’habitude à tous les bons esprits qui réfléchissent à l’espace et aux questions théoriques et politiques qui se posent à tout citadin. Pour peu qu’on n’en fasse pas le simple cadre physique et trace figée de nos activités, l’espace urbain et de l’habitat peut devenir un analyseur privilégié de l’organisation sociale. C’est ce que désigne l’expression d’histoire architecturale de la société s’opposant à la quête typique des architectes privilégiant une histoire sociale à base d’enquêtes destinée à enrober une architecture avant tout conçue comme une activité créatrice de projets. L’espace est pour moi une modalité d’effectuation de la pratique selon une série de formes (vécues, perçues, conçues) variables selon les époques et les sociétés et fonctionnant, selon les acteurs, à différents degrés de matérialisation et d’abstraction. La sociologie permet ainsi de mettre en balance d’une part la fabrication et les usages quotidiens de l’espace par les habitants et leurs représentations ordinaires, d’autre part les vues, visées et visions des outils iconiques des professionnels de l’aménagement. Toute compréhension des écarts et des contradictions entre ces deux pôles de la fabrique de l’espace domestique et des villes est utile aux uns comme aux autres pour se hausser à une compréhension plus globale des processus qui président à la production et à l’usage des lieux. On peut aussi espérer rendre les enseignants en architecture à la fois plus modestes, sur ce qu’ils prétendent savoir et cherchent à imposer aux autres, et plus ambitieux dans la conception de leurs enseignements par un réel investissement dans la recherche.

Mais il y a aussi dans ce livre une approche plus anecdotique confinant au récit de voyageur attentif au paysage urbain et aux réalités sociales du terrain.

J. : Quels autres projets préparez-vous actuellement?

J.-P. F. : J’ai réalisé tardivement que l’aménagement des villes avait été et est toujours largement faite par des gens qui méconnaissent largement l’histoire urbaine et encore plus l’histoire de l’urbanisme, ses théories et ses doctrines. Les aménageurs restent en général confinés dans un univers procédurier réducteur quand

ils ne rêvent pas d’échapper à toute contrainte politique et sociale. J’ai donc approfondi mes connaissances sur leur épistémè, notamment en me focalisant sur la population des urbanistes ayant suivi une formation spécifique, à l’IUP notamment depuis 1919, et sur leur advenir professionnel, notamment dans le défunt empire français. Par ailleurs, il apparaît tant dans les publications que dans les enseignements —pour des raisons liées aussi bien au découpage disciplinaire qu’aux difficultés de conceptualisation des objets liés à l’espace habité ou urbain— que les questions de morphologie ont été délaissées depuis longtemps ou ne sont appréhendées que de façon partielle et partiale. Les articulations telles qu’elles se sont concrètement établies par des mécanismes plus ou moins explicites de ségrégations sociales, raciales, confessionnelles ou ethniques entre la morphologie sociale et la morphologie urbaine méritent une approche épistémologique renouvelée à laquelle je me consacre depuis plusieurs années. Les questions concernant l’espace et la morphologie sont marginales en sociologie et les architectes raisonnent trop souvent sur des boîtes vides en inventant leur sens social. Ce que j’appellerais l’urbanistique des conquêtes territoriales et l’analyse comparative de l’urbanisme des divers empires coloniaux restent à faire dans la quiétude de sources archivistiques originales. Projet trop ambitieux sans doute, n’ayant que peu d’écho à cause des difficultés liées notamment à l’interdisciplinarité, mais aussi aux contentieux et discordes entre histoire et mémoire.

J. : Quelle est la contribution de ce livre aux études urbaines en général et dans le monde arabe en particulier?

J.-P. F. : J’avais envie d’attirer l’attention sur l’enjeu que représente une pédagogie adaptée aux réalités sociales d’un pays donné, en l’occurrence les trois pays du Maghreb. Je voulais souligner aussi l’importance de faire de la réponse à une demande sociale d’espace éclairée par les travaux de recherche en sciences sociales un impératif catégorique dans la formation des architectes. Il est invraisemblable que les étudiants s’entichent d’un Le Corbusier en méprisant les habitants au point de ne pas vouloir les écouter et de puiser leur inspiration dans les simples images de projets importées par des medias et des publications indigentes sur le plan intellectuel. Contre la vulgate internationaliste d’une historiographie architecturale fétichisée parce que décontextualisée et déterritorialisée —et donc trop peu urbaine—, j’ai toujours milité pour une histoire architecturale propre à chaque société, expliquant à mes étudiants qu’ils avaient sous les yeux et à portée de leurs mains de quoi faire des manuels d’architecture spécifiques à leur pays, et couvrant tous les styles, techniques et éléments de doctrines et des théories soutenant la comparaison avec ce qui sert de références dans une culture plus mondaine.

J. : En conclusion, quels sont les défis que doit affronter l’enseignement de l’architecture et de l’urbanisme au Maghreb ?

J.-P. F. : Il leur faudrait tout d’abord s’intéresser aux réalisations de la période coloniale et renoncer à les ignorer, les dénigrer et les discréditer. L’architecture et l’urbanisme de cette période, nonobstant les travers et les crimes de la colonisation, sont des témoignages irremplaçables d’une modernisation universelle de l’espace et des modes de vie ayant touché toutes les catégories de population. Terrain privilégié d’analyse aussi bien des mécanismes ou des politiques de ségrégation, mais aussi de cohabitation.

Il y a par ailleurs, plus particulièrement en Algérie, une contradiction, qui ressemble à une bombe à retardement, entre la production effrénée et inconsidérée d’un nombre grandissant de diplômés plus ou moins bien formés (et donc aux compétences incertaines) et les places inexistantes ou inaccessibles que les générations montantes ambitionnent d’occuper sur le marché du travail. Il y a ceux qui s’évadent à l’étranger, les diplômés chômeurs que la subversion tente dangereusement, les incompétents occupant indûment des postes à responsabilités où ils bloquent ou marginalisent ceux qui amélioreraient le fonctionnement institutionnel par leurs heureuses initiatives et leur feraient honte par leur virtuosité ou vivacité intellectuelles. Lorsqu’un certain laxisme ou des arrangements douteux avec les autorités politiques ou intellectuelles créditent de titres symboliquement prestigieux des abrutis prenant place à des postes enviés (je pense à ces doctes enseignants-chercheurs ayant obtenu des thèses à bon compte), ce sont des générations d’étudiants qui sont sacrifiées et l’avenir d’un pays qui d’en trouve compromis. Mais on sait qu’on préfère pudiquement détourner le regard plutôt que de regarder en face les travers de cette face cachée de l’homo academicus. Des recherches sur la formation et les itinéraires professionnels des aménageurs seraient les bienvenues pour étoffer une histoire des villes et de l’urbanisation telle qu’elle s’opère de plus en plus avec une division trop inconsidérée du travail.

Extraits de l’introduction

« À la cité des Lauriers-Roses, les promesses électorales crèvent d’ennui et le rêve tire le diable par la queue, le matin celle de derrière, le soir celle de devant pour ne pas perdre la main. Les Architectes qui l’ont conçue n’avaient qu’une idée en tête : comment garder pour eux et pour les commis de l’État quarante pour cent du budget alloué au projet. Ils ont dressé sur un champ qui sent encore la bouse de vache quatre barres d’une laideur absolue où même avec la mort aux trousses on n’aimerait pas se planquer. C’est un immense dortoir dépourvu de tout : ni épicerie dans le coin, ni crèche, ni café. L’aire de jeux joliment dessinée sur les plans s’est transformée sur le terrain en un dépotoir vallonné de ferraille et de monceaux d’ordures que colonisent des chats hirsutes. La chaussée qui y conduit n’est plus qu’un mince ruban d’asphaltes miné de nids-de-poule si profonds que n’importe quelle voiture avec cinq personnes y laisserait un cardan. Quant aux arbres crucifiés suer le bas-côté, ils ne sont pas près de revoir pousser une feuille à leurs branches. »

KHADRA (Yasmina), Qu’attendent les singes, Paris, Julliard, 2014, coll. Pocket n° 16153, 316 p., pp. 104-105

L’élaboration des cours ou des conférences, comme du reste les conditions de transmission de leur contenu, font rarement l’objet d’une réflexion a posteriori. Ce que l’on pourrait nommer des retours sur les expériences pédagogiques appartiennent à la catégorie des scories et autres matériaux voués à une disparition rapide au profit de ce que l’on considère en général comme l’essentiel : la transmission par voie orale d’un savoir scolaire. Mais les voix s’envolent, les notes de cours s’effacent progressivement au gré des ajouts et des ratures qui, comme des gribouillis maintes fois recommencés, n’ont qu’une existence aussi discrète qu’éphémère, quand elles ne sont pas de l’ordre d’un secret jalousement gardé dans des chemises délicatement rangées. Il y a bien ces polycopiés et autres feuilles volantes en quoi consistent souvent de simples extraits de textes empruntés ça et là et des références bibliographiques étudiées pour qu’on puisse en garder la trace, mais les documents de ce genre sont rapidement considérés comme obsolètes quand ils ne s’égarent pas en piles éparses avant de plonger résolument dans l’oubli ou plus directement dans les corbeilles à papier.

C’est avec le souci d’offrir de quoi se souvenir des moments souvent assidus dans de toujours un peu ingrates salles de cours, mais aussi d’instants furtifs grappillés au détour d’un couloir ou d’une table de bistrot que j’avais entrepris de tirer les vers du nez de mon directeur de thèse et maître à penser la sociologie urbaine et de l’architecture. Je veux parler d’Henri Raymond dont j’ai en quelque sorte momifié les propos dans un recueil d’entretiens publié en 2006[1]. Ces paroles devinrent ainsi une sorte de remake des enseignements dispensés à Nanterre dans les années 1970, mais elles constituent aussi des leçons de la vie du XXe siècle offertes aux générations de futurs aménageurs en tous genres sur ce que furent aussi l’existence et l’itinéraire intellectuel de ce sociologue trop eu connu. Passionné de football, il se classait ainsi volontiers dans la catégorie peu orthodoxe des sociologues en deuxième division. Diffusé auprès des étudiants en architecture et en urbanisme du Maroc auxquels je me suis adressé dans la première décennie des années 2000, ce type de récit sur un cheminement à la fois institutionnel et conceptuel fit germer l’idée que cette initiative éditoriale puisse être réitérée à propos de mes expériences de coopération en matière de mise en place d’enseignements de troisième cycle adressés principalement à des architectes. Le développement de la recherche dans un domaine encore largement assujetti aux objectifs prioritaires que constitue la pratique opérationnelle de construction des édifices reste largement secondaire tant dans la pédagogie que dans une instruction pourtant de plus en plus urbanistique des interventions ponctuelles d’aménagement. S’initier au domaine de l’urbanisme correspond donc, tout particulièrement dans l’aire culturelle française et francophone, à une démarche et à un cursus où se confondent d’une part l’immersion dans un monde proprement universitaire. Ce monde est fait d’approches disciplinaires diverses plus ou moins bien articulées entre elles avant de prétendre à des avancées conceptuelles et méthodologiques interdisciplinaires reconnues. Il offre aussi une façon d’aborder les questions d’aménagement à une échelle plus globale et une envergure disciplinaire plus large que ce n’est en général le cas dans le cadre des écoles d’architecture. Il permet enfin d’espérer renouveler la pédagogie de la formation des architectes grâce à la production d’un savoir susceptible d’être transmise d’une façon proprement scolaire dans des cours venant en complément —mais aussi de façon concurrente— à l’apprentissage du projet en atelier. J’ai bien senti tous les tiraillements et conflits tant institutionnels qu’introspectifs que le prolongement des études d’architecture par une initiation à la recherche et par la recherche ne pouvait manquer de produire. Les acquis et avancées de disciplines prétendant à une scientificité contrarient toujours peu ou prou une pratique professionnelle marquée tantôt du flou artistique et de la quête désespérée de l’innovation qu’induit la création de formes inédites, tantôt d’une ingénierie constructive aux rigueurs mathématiques résolument étrangères aux humanités les plus classiques. Il faut par ailleurs reconnaître que les sciences humaines sont malheureusement le parent pauvre du développement des disciplines universitaires du Maghreb pour de multiples raisons économiques, sociales, culturelles et politiques —ce qui fait somme toute beaucoup. Leur contribution à la formation des professionnels de l’aménagement au sens large est donc pour le moins problématique. Mais le désarroi sémantique de la quête du sens de l’espace par les architectes auprès d’habitants de plus en plus citadins et citoyens ouvre aussi de nouvelles perspectives particulièrement enrichissantes. Parmi ces sciences qu’on dit humaines ou sociales, la géographie a réussi à imposer de longue date une lecture utile et performante des territoires et, si elle apparaît à la marge d’un espace architectural confiné dans l’univers parcellisé de la fabrique des édifices, elle offre une assise nettement plus consistante à l’établissement des plans d’aménagement par l’appréhension globale des territoires dont elles est porteuse. Que ces plans soient de l’ordre de l’urban design ou du town planning (pour faire la distinction entre les aspects programmatiques et la mise en forme dessinée de futures configurations matérielles), ils gagnent à concilier le façonnement coordonné des édifices, la distribution globale des équipements, les tracés viaires et les agencements paysagers des espaces urbains.

Saisissant la balle au bond de la formation que j’ai eu l’occasion de dispenser à l’ÉNA (École Nationale d’Architecture de Rabat) dans le cadre d’un DÉSA (homologue de nos DÉA) intitulé Architecture et urbanisation des territoires, Hakim Cherkaoui, architecte et enseignant chercheur ayant suivi cette formation, suggéra l’idée que l’on pouvait renouveler l’exercice que j’avais effectué avec Henri Raymond. Il entreprit donc de me tirer également les vers du nez dans l’espoir d’obtenir la restitution de la substantifique moelle de mes pérégrinations d’enseignant-chercheur en Afrique du Nord. Le présent texte, d’un genre littéraire assez peu académique dans la mesure où il mélange des récits anecdotiques, des réflexions de type ethnosociologiques affranchies des exigences méthodologiques scientifiques et des considérations politico-institutionnels les moins politiquement correctes possibles, est donc issu d’une série d’entretiens où nous avons allié l’utile à l’agréable par des conversations à bâton rompu organisées au gré de nos disponibilités à l’occasion de mes missions à Rabat.

Si tout est parti d’une expérience marocaine, qui aura accompagné les dernières années de ma carrière universitaire, il ne sera pas question de ce pays dans cet ouvrage. Le texte porte sur un période allant du début des années 1980 à la dernière décennie du XXe siècle et concerne essentiellement l’Algérie, plus marginalement la Tunisie.

On nous pardonnera quelques coups de griffe et les propos parfois un peu acerbes ou ironiques qui témoignent plus d’un attachement affectif et sentimental à des populations et des pays plus porteurs de l’avenir de l’humanité et d’émancipation politique qu’on ne leur reconnait habituellement vu d’une France toujours un peu nostalgique de son empire perdu. Nous espérons aussi offrir une sorte de miroir sans teint dans un croisement de regards par-delà une Méditerranée qui rassemble plus qu’elle ne divise si l’on veut bien suivre les sillages de ses traversées multiples plutôt que déplorer les naufrages de nos échanges internationaux ou les rêves de concorde échoués sur l’écueil des intérêts partisans et du labyrinthe des égarements bureaucratiques.

[1] FREY (Jean-Pierre), Henri Raymond : Paroles d’un sociologue, vers une histoire architecturale de la société, Paris, l’Harmattan, 2006, 271 p. ISBN : 2-296-01143-8

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