Pour cette sixième édition, le marathon créatif Museomix s’est déroulé le week-end du 11 novembre 2016 dans cinq pays, quinze villes et dix-sept lieux. Toutes ces institutions culturelles ont accepté de vivre simultanément l’événement Museomix, trois journées intensives pour repenser, réinventer le musée et proposer de nouvelles expériences au public. Pour cette première participation toulousaine, le Musée Saint-Raymond, musée des Antiques de Toulouse, s’est lancé dans cette aventure, portant la promesse pour les visiteurs de « tester le musée du futur ». La présentation préalable de la « machine Museomix » et du discours qui l’accompagne permettent de tenter, quasiment à chaud, de questionner cet événement en tant que dispositif et en tant que processus de renouvellement des médiations muséales.
Un dispositif pour créer des dispositifs
Concrètement, les participants (les museomixeurs) ont eu trois jours et deux nuits pour concevoir et réaliser des prototypes de dispositifs de médiation, à savoir proposer au public de nouvelles façons de comprendre et d’accéder aux œuvres. Les museomixeurs se regroupent alors par équipe de six, par profils et compétences complémentaires : l’expert contenus garantit un prototype basé sur des faits scientifiques, le bricoleur le fabrique, le développeur le fait fonctionner, le graphiste rend le prototype visuellement attractif, le communicant le documente et le diffuse (sur internet et les réseaux sociaux), et le médiateur propose cette expérience à vivre au visiteur. Autour de ces équipes pluridisciplinaires gravitent d’autres personnes qui endossent également des rôles précis. Les facilitateurs aident à la coordination des membres d’une même équipe, mais n’en font pas partie. Les ingénieux sont des référents internes ou externes, spécialistes ou professionnels dans un domaine ou une compétence (musée, histoire de l’art, technologie, médiation…) que les participants peuvent solliciter pour un éclairage plus spécifique.
Pour construire leurs prototypes, les museomixeurs investissent directement le musée qu’ils souhaitent améliorer. Tout est mis à leur disposition : un lieu de travail délimité par équipe, une techshop (boutique de matériel technique et technologique), un guichet des savoirs (pour toute demande concernant les ingénieux), un fablab (espace proposant du matériel de construction : imprimante 3D, machine à coudre, découpe de matériaux…) et même une zone de restauration. Un autre espace-clé est dédié à Museomix dans le musée : la Mixroom ou Socialroom. C’est l’organe communicationnel de Museomix, l’antre des réseaux sociaux, du montage vidéo, photo… Il permet à tous les musées à travers le monde de vivre l’événement ensemble et avec le public, ainsi que de fédérer les communautés.
Tout événement Museomix est porté par son équipe organisatrice : la communauté Museomix locale. Les membres impliqués gravitent généralement dans les milieux de la culture et/ou du numérique, tout comme les fondateurs de Museomix et la plupart desmuseomixeurs. Depuis la première édition de 2011, les communautés essaiment et sont souvent lancées par d’anciens participants qui souhaitent voir l’événement se produire dans leurs villes. Chaque communauté regroupe des bénévoles soucieux du bien commun, adhérant aux valeurs du collaboratif, du participatif et de la co-création. Une autre partie prenante et fondamentale de l’organisation est le personnel du musée qui accepte d’être remixé. Dès le début du projet d’événement près d’un an avant, il est intégré à la communauté locale et adopte son mode de fonctionnement horizontal de co-construction. L’implication de plusieurs professionnels du musée et l’adhésion à l’esprit décalé de Museomix sont primordiales. L’organisation bien qu’horizontale est toutefois supervisée en amont par l’Intercommunauté. Ce regroupement de membres de communautés Museomixdésignés personnes référentes, chapeautent internationalement l’accompagnement et la cohérence des communautés locales, par le biais de réunions, d’un site internet permettant le partage des informations et le travail en commun. L’Intercommunauté travaille également à la diffusion, à l’évolution et à la pérennisation du concept Museomix.
Des stratégies de démarcation
Cette volonté de musée ouvert et connecté au monde d’aujourd’hui, c’est la devise de Museomix: people make museums (les gens font les musées). Or, ces museomixeurs ne représentent pas chaque catégorie socioprofessionnelle, ni un échantillon de la population. Il s’agit pour la plupart de passionnés de culture et/ou de nouvelles technologies, parfois même des professionnels. Il est d’ailleurs intéressant de distinguer ces deux univers : patrimoine et numérique. Ainsi, la première catégorie de participants semble très proche des problématiques muséales et patrimoniales. Leurs propositions sont donc influencées par leur culture dans ce domaine et les dispositifs de médiation innovants qui se développent de nos jours dans les institutions culturelles. Ceci pourrait expliquer le sentiment de « déjà vu » / « déjà fait » de certaines propositions. Les moins initiés aux dispositifs muséaux seraient plutôt les passionnés du numérique, sauf si l’innovation numérique muséale est telle qu’elle entre de fait dans leur sphère informationnelle (je pense notamment à l’utilisation de réalité virtuelle, augmentée ou rapprochée, en lien avec des contenus patrimoniaux). Par ailleurs, le terme de marathon créatif est inspiré d’un format spécifique dans l’univers de l’innovation numérique appelé hackathon où des développeurs programment en collaboration pendant plusieurs jours. Ce rapprochement des deux champs patrimonial et numérique est au cœur des réflexions actuelles des professionnels des musées afin de s’inscrire dans l’air du temps.
Museomix crée également des compétences. A Toulouse, ce sont quarante étudiants qui ont été impliqués grâce à des projets d’études. Les étudiants du département Information Communication de l’Université Toulouse III Paul Sabatier ont participé à la gestion des réseaux sociaux (DUT), à la réalisation des vidéos (Licence Professionnelle) ainsi qu’à l’évaluation de l’événement (Master 2 Communication et Territoires). Les étudiants du BTS Tourisme du Lycée des métiers de l’Hôtellerie et du Tourisme d’Occitanie, ont mené la médiation de l’événement pour le public ainsi que le street marketing. Les étudiants d’Epitech, l’école de l’innovation et de l’expertise informatique, ont assuré le support technique des équipes en occupant la fonction d’ingénieux développeur. Là encore, il s’agit d’étudiants dont les cursus sont liés aux domaines du patrimoine, de la communication et/ou du numérique.
Le monde de la culture libre est également un modèle présent dans l’ADN et l’organisation de l’événement. Un remix se revendique avant tout comme une démarche de contribution, de réappropriation ponctuelle d’un lieu, par des citoyens concernés, dans un objectif de bien commun. D’ailleurs, l’expérimentation du format de marathon créatif est aussi possible dans une bibliothèque, une église, un collège, sur une place… Et chaque prototype réalisé est libre de droit, puisque diffusé sous licence Creative Commons. Au-delà, une organisation participative et horizontale est revendiquée. Cette démarche de co-construction permet à chaque membre de l’équipe d’organisateurs de s’impliquer à sa mesure, d’être acteur et décisionnaire. Bien que moins hiérarchisée, cette planification des tâches fonctionne avec des répartitions de rôles précis et des personnes référentes. Cela modifie notamment les façons de travailler ensemble pour les professionnels du musée remixé.
Ainsi, Museomix semble vouloir se distinguer de l’institution muséale à la représentation parfois poussiéreuse, traditionnelle, soumise à de longues procédures administratives, donc peu encline à l’innovation. Le vocabulaire employé et spécifique à l’événement, participe à cette image novatrice mais peut toutefois paraître très excluant et sembler s’adresser uniquement à un public qui en comprend les codes. Peut-on alors parler de réelle ouverture ou de nouvel entre-soi ? Ce dispositif rappelle le fonctionnement du croisement des arts, consistant à faire venir au musée un public d’initiés d’une autre discipline, ici le public des médiations et du numérique.
La médiation-marathon Museomix en questions
Les prototypes réalisés au musée Saint-Raymond répondent globalement aux consignes Museomix de détournement ludique (gamification) des « terrains de jeux » pré-établis dans le musée. Ces prototypes semblent pouvoir être répartis en deux catégories : dispositif de médiation centré sur le contenu (explication des caractéristiques plastiques de l’œuvre) et dispositif de médiation centré sur la recontextualisation (ajout d’un récit fictionnel ou non). Quelques tendances peuvent être alors observées au musée Saint-Raymond. Les prototypes que le musée souhaite pérenniser suite à l’événement sont ceux centrés sur le contenu (des sarcophages et du four à chaux). Ils répondent notamment à un manque et une problématique constatés : les visiteurs ne font que passer rapidement à l’étage en question. Les dispositifs de médiation capteront donc l’attention des visiteurs. D’après le questionnaire publics1, ce sont plutôt les prototypes centrés sur la recontextualisation qui ont permis aux visiteurs de mieux découvrir / redécouvrir les œuvres. Il est à noter que l’œuvre la plus citée est celle pour laquelle la médiation était centrée sur la personnalité du médiateur, qui incitait les visiteurs à se déguiser pour rejouer les travaux d’Hercule mettant en scène des animaux. Un autre prototype basé sur les codes du jeu vidéo proposait une compétition musicale autour de la statue fragmentaire d’Athéna, seconde œuvre citée par le public.
Les résultats sont néanmoins à affiner concernant la réception du public2 : a-t-il vraiment accédé à un savoir supplémentaire sur les œuvres ou s’est-il juste amusé avec les prototypes, les œuvres devenant alors de simples prétextes ? Car, si Museomix crée des dispositifs de médiation pour les œuvres, il est aussi lui-même dispositif de médiation pour le musée afin de toucher de nouveaux publics : les jeunes, les passionnés de nouvelles technologies, des curieux, rassemblés autour de la promesse d’entrevoir le musée du futur.
Une autre caractéristique de Museomix à ne pas négliger est la gratuité de l’événement et donc du musée pendant trois jours. Ayant étudié dans mon mémoire de recherche l’impact de la gratuité dans la médiation muséale3, en particulier au musée Saint-Raymond, il me semble intéressant d’établir certains parallèles (concernant Museomix, je m’appuie à nouveau sur le sondage réalisé par les étudiantes du M2 au musée Saint-Raymond). Museomix en tant qu’événement gratuit, semble attirer 50% de primo-visiteurs soit une proportion dans la moyenne des études réalisées dans des musées en situation de gratuité mensuelle (45% de primo-visiteurs le dimanche gratuit4, permanente (60% de primo-visiteurs dans des musées et monuments nationaux rendus gratuits pendant six mois5) ou festive (64,2% de primo-visiteurs pour la Nuit européenne des musées mais également pour la visite de musée en général6). Par ailleurs, le nombre de visiteurs pendant les trois jours de Museomix au musée Saint-Raymond est sensiblement le même que lors de la Nuit européenne des musées (environ trois mille entrées). Cette manifestation à l’esprit proche de celui de Museomix est également ludique, festive, et basée sur une façon créative de présenter les œuvres au public. Il est intéressant également de noter le caractère international de ces deux événements : cet aspect favorise-t-il la curiosité des visiteurs ?
En termes organisationnels pour le musée Saint-Raymond, la Nuit Européenne des musées est depuis quelques années assurée par des prestataires extérieurs. Cet événement exige du personnel du musée une implication peu élevée. L’organisation de Museomix, au contraire, a nécessité près d’une année d’investissement, humain et financier, soutenu et régulier, pour un projet non reconductible, Museomix n’intervenant qu’une seule fois par lieu. Il est donc important de distinguer Museomix d’un simple événement même ponctuel. D’une part, les trois journées gratuites pendant lesquelles se déroule l’événement attirent de nombreux visiteurs et sont relayées par une intense campagne de communication internationale. Mais d’autre part, l’objectif final semble être pour le musée de pérenniser des dispositifs de médiation innovants créés sur mesure et librement exploitables. Il s’agirait donc de s’investir dans la création d’un écrin pour accueillir cette machine à prototypes de médiation qu’est Museomix.
In fine, la médiation Museomix paraît s’insérer à la fois dans le paysage événementiel culturel actuel mais aussi dans l’offre de médiation permanente de l’institution muséale. Pour un musée, cela semble aller au-delà d’une tentative parmi tant d’autres d’attirer de nouveaux visiteurs au musée, et représente une volonté d’amélioration de l’offre muséale.
Pour citer ce billet : « La médiation-marathon Museomix », par Muriel Molinier, publié sur Com’en Histoire, le 13 décembre 2016. Lien : http://cehistoire.hypotheses.org/900.
Questionnaire administré à près de deux cent personnes sur les trois journées de Museomix par les étudiantes du Master 2 Communication et Territoires de l’Université Paul Sabatier.
Une évaluation des dispositifs de médiation réalisés pendant Museomix au musée Saint-Raymond est en cours de réalisation par l’équipe de chercheurs MICS du LERASS.
MOLINIER Muriel, 2016. Médiation muséale : la voie de la gratuité. Mémoire recherche de Master 2 Information-Communication, M2 Communication et Territoires, sous la direction de Patrick Fraysse. Toulouse : Université Paul Sabatier. 138 p.
FOURTEAU Claude, 2007. La gratuité, point aveugle des politiques culturelles. La lettre de l’OCIM, n°111 : Ticket pour la gratuité. p.15-22.
EIDELMAN Jacqueline, 2010. Du non-public des musées aux publics de la gratuité. In JACOBI Daniel & LUCKERHOFF Jason. A la recherche du « non-public ». Québec : Presses de l’université du Québec. p.173-200.
GERMAIN Floriane, 2014. Les visites nocturnes, l’impact de la nuit sur l’expérience de visite : le cas de la cour Marly au musée du Louvre. Thèse de doctorat en Muséologie, médiation, patrimoine. 522 p.