2017-03-03

De nombreux étudiants dans notre département travaillent sur les représentations ou une partie de leur mémoire qui traite de cette thématique. J’ai donc décidé d’écrire cet article afin d’apporter mon propre point de vue sur ce sujet après les locuteurs que j’en ai effectué.

Définition des représentations:

Les jugements sur la langue ou sur les langues appartiennent au domaine des représentations ou des phénomènes épi- linguistiques. Les représentations regroupent les attitudes, les perceptions et les opinions linguistiques. L’origine des représentations en tant croyances collectives partagées par la communauté linguistique remontent aux années 1950. Dès lors, il a été découvert que les représentations sont présentes dans toutes les sociétés et ce sont elles qui régissent le fonctionnement de ces dernières et l’action individuel de ses sujets (Rouquette et Rateau cité par Boyer ,2003 :11).

En sociolinguistique, il y a lieu de distinguer trois notions : les représentations, les attitudes et les opinions linguistiques. Selon Boyer (2003), Ludi et Py (2003) Bavoux (2002) Guenier (1997) Lafontaine (1997). Les représentations sont des croyances sournoisement construites par les membres de la communauté linguistique. Les représentations se manifestent à travers la valorisation, dévalorisation, sublimation ou mépris (Bavoux, 2002: 57). Bien que les attitudes découlent des représentations, une différence existe entre elles. Les attitudes sont observables au niveau du comportement. En d’autres mots, l’attitude est la matérialisation de la représentation. Quant aux opinions, elles ont pour rôle la verbalisation en énoncés des représentations (Bavoux, 2002: 67).

Représentation, effet de causalité

2.1 Les représentations et l’insécurité linguistique

Les représentations linguistiques étaient considérées pendant longtemps comme la principale cause de l’insécurité linguistique. L’école variationniste, où Labov avait basé son étude sur la stratification sociale des variables linguistiques[1], a montré l’effet que peuvent exercer les représentations sur le locuteur d’une langue donnée. L’image négative que le locuteur se construit de sa langue est à l’origine du sentiment d’insécurité linguistique. D’ailleurs, Cécile Canut considère l’insécurité linguistique comme une mauvaise autoévaluation voir un regard évaluatif instable sur sa langue (Canut, 1995 : 41:42). Ainsi, pendant longtemps, l’analyse des représentations était prise comme point central dans l’étude du phénomène d’insécurité linguistique (Canut, 1995 : 41:42). Plusieurs chercheurs depuis Labov ont constaté que les représentations ont un effet majeur dans l’insécurité linguistique que peut ressentir le sujet. A partir du moment où ce dernier se rend compte de l’existence d’un modèle idéal qu’il n’arrive pas à atteindre, il ressent un mal être linguistique, lequel mal-être pouvant le conduire au silence et le cas extrême au mutisme (Billiez et al., 2002).

2.2 Les représentations et le contact avec la langue française

Je vais parler ici des représentations des étudiants algériens par rapport à la langue française pour plusieurs raisons. D’abord, il s’agit d’un public que je fréquente et connais mieux. D’autre part, c’est le public sur lequel je travaille dans mon mémoire de recherche. Dans une de mes précédentes publications, j’ai évoqué le rôle prestigieux qu’occupe  la langue française en Algérie. En effet, maîtriser le français en Algérie signifie l’accès à des domaines importants sur le plan social. Ainsi, les étudiants ont développé de nombreuses représentations sur cette langue. Les études suivantes nous montrent cet état de fait.

D’après une étude menée sur les Représentations de la langue française chez les étudiants de première année de licence de français par Djeghar (2014 :100), il ressort que la majorité des étudiants ont des représentations positives sur la langue française. Ils qualifient cette dernière de langue de prestige, de savoir, de culture, de promotion sociale, et que le seul moyen pour l’acquérir demeure l’école. Les liens positifs que ces étudiants entretiennent vis-à-vis de cette langue nous ont été aussi montrés à travers les termes d’affection et de subjectivité que ces étudiants ont employés dans leur discours épilinguistique à savoir : c’est la langue que j’aime, c’est une passion, de hiérarchies sociales, de travail et de contact avec les gens. Pour la plupart d’entre eux, le français est la langue de travail, de communication, et ils pensent que c’est grâce à cette langue qu’ils pourront acquérir le statut social de développé et d’intellect. Cependant, Djeghar (2014 :100) nous fais remarquer que ce sentiment d’appréciation à l’égard de la langue française est dû à une prolixité des propos positifs utilisés dans la société algérienne afin de décrire la langue française. De plus, il a été constaté que ces étudiants dénigrent leurs niveaux en langue française. De nombreux étudiants sous-estiment leurs pratiques de la langue française. Il s’agit d’une autodépréciation générée par l’insatisfaction linguistique Djeghar (2005 :100).

Une autre étude analysant les représentations de quatre étudiantes algériennes récemment immigrées en France Quatre étudiantes algériennes en France vis-à-vis de leurs représentations sociolinguistiques a montré que ces étudiantes valorisent les sujets parlant français et dévalorisant les locuteurs de leur langues locales en l’occurrence l’arabe et le kabyle. Ces étudiantes pensent que le fait de pratiquer les langues locales l’arabe et le kabyle peut envoyer une mauvaise image d’elles-mêmes et les éloigner du prestige que procure la langue française. Pour les étudiantes, pratiquer une langue a statut représentationnel positif donnera une image positive d’elles-mêmes et inversement, une langue a statut représentationnel négatif renverra une image négative d’elles-mêmes. L’autre élément révélé par l’étude menée par (Guehria, 2013:61) est que ces étudiantes adoptent une attitude de rejet à l’égard de ceux qui ne maîtrisant pas le français. Pour ces étudiantes, en rejetant les étudiants du département de la langue arabe, elles pourront sauvegarder l’image positive qu’elles ont d’elles-mêmes. Et l’inverse est correcte, c’est à dire qu’on fréquentant les locuteurs maîtrisant la langue française, elles auront une image valorisée (Guehria, 2013:61).

2.3 Les représentations et l’apprentissage

Les apprenants acquièrent les représentations dans un milieu formel (école) ou informel (contact avec les pairs). Les représentations de l’apprenant sont le fruit d’expériences, d’observation de fait, d’accumulation d’idées. Les représentations agissent de façon indubitable sur le processus d’enseignement-apprentissage (Castellotti et Moore ,2002)..

En didactique, les représentations qu’ont les apprenants à propos de la langue cible influence les mécanismes à mobiliser dans l’appropriation de cette langue. Les images que les apprenants se construisent sur la langue ont un pouvoir « déterminent le pouvoir valorisant, ou à contrario, inhibant vis-à-vis de l’apprentissage lui-même » Castellotti et Moore (2002).

Ainsi, la manière d’appréhender une langue a des retombées sur les conduites et les stratégies à utiliser pour apprendre cette langue. Les représentations d’une langue donne lieu à « des topiques et des objets de discours (…), elles donnent lieu à des traces ou à des symptômes observables dans la pratique langagière » Castellotti et Moore (2002). Reuter développe le même point de vue en mettant en avant l’étude des représentations avec l’utilité didactique. Ce sociolinguiste précise « Les performances des apprenants ; la pratique et l’apprentissage de la langue ; avec les obstacles de la pratique et de l’apprentissage de la langue ; enfin avec les modifications qui en découlent » (Hilton,2003).

Les recherches menées dans le domaine scolaire sur les représentations Perrefort (1997) et Muller et saida (1998) ont constaté qu’il existe une relation entre les représentations qu’à l’apprenant d’un pays et le processus d’apprentissage mis en place. Si l’apprenant a des représentations positives sur la langue d’un pays, l’apprentissage de la langue de ce pays devient aisé. Inversement, si l’apprenant a de mauvaises images sur le pays et sa langue, sa motivation pour apprendre cette langue va fortement diminuer. Pour illustrer cela Perrefort  (1997) et Muller (1998) donne l’exemple suivant : l’image négative qu’ont les apprenants a propos de l’Allemagne va créer chez eux des réticences à apprendre cette langue. Par contre, pour ce qui est de l’anglais, explique Berger (1998) que les voyages effectués par les lycées en Grande Bretagne ont adouci la tension de représentation entre ce pays et les lycées français. Et cela grâce au contact avec les natifs de l’anglais. De ce fait, le contact scolaire avec la langue est pris dans un sens positif.

2.4 Les représentations de l’étranger

Dans mon mémoire, je travaille sur l’insécurité linguistique des étudiants algériens qui sont classé dans l’hyperonyme « d’étudiant étranger ». Ainsi, j’ai été amené à faire des recherches sur cette notion. Alors commençons par expliciter le terme « étranger ». Dans la Revue des sciences sociales de la France de l’Est publié en 1993, Brigitte Fichet donne la définition suivante du terme étranger « celui qui n’appartient pas à la communauté nationale ou à une autre communauté (régionale, locale, villageoise…) ou qui ne semble pas lui appartenir à cause de ses caractéristiques, quelles qu’elles soient (physiques, langagières, vestimentaires, religieuses…) ».

En fait, les représentations à l’égard de l’étranger indiquent une image de tout phénomène extérieur au groupe. Elles témoignent de la perception des idées du groupe producteur ainsi que de son identité. Les représentations témoignent également de la logique de division et de pensée chez un groupe social. Cette notion de représentation vis-à-vis de l’étranger m’a amené à m’interroger si les images que les français natifs se construisent à propos de l’étudiant étranger influence le parcours de ce dernier et le met en situation d’échec ou d’insécurité linguistique. D’après Daniel Coste  (2001), la réponse est affirmative. Les français natifs jouent un rôle important dans l’insécurité linguistique que ressent l’étudiant étranger. L’étude menée par Maria Roussi dans le cadre de sa thèse de doctorat L’insécurité linguistique des professeurs de langues étrangères non natifs : le cas des professeurs grecs de français confirme le fait que la conscience normative des non-natifs est partagée entre le français qu’ils ont appris et le stéréotype du français natif en tant que seul locuteur détenant la variété légitime. Ce qui les met dans une situation de dévalorisation de leur propre compétence.

Conclusion

En guise de conclusion, je peux dire que les représentations est un domaine de recherche très large. Les études qualitatives qui ont été menées jusqu’ à présent autour elles montrent qu’elles nécessitent une investigation interdisciplinaire et des outils d’analyse rigoureux.

[1] Francard M (1997), « Insécurité Linguistique », in M-L Moreau (éd),op. cit., pp170-176.

Bavoux, C. (2002). Représentations et attitudes dans les aires créolophones. Univers créoles, (2), 57-76.

Berger, C. (1998). Y a-t-il un avenir pour l’anglais?. Revue internationale d’éducation de Sèvres, (17), 107-117.

Billiez, J. (2002). De l’assignation à la langue d’origine à l’éveil aux langues: vingt ans d’un parcours sociodidactique. VEI enjeux, (130), 87-101.

Boyer, H. (2003). De l’autre côté du discours: recherches sur le fonctionnement des représentations communautaires. Editions L’Harmattan.

Canut, C. (1995). Dynamique et imaginaire linguistiques dans les sociétés à tradition orale. unpublished doctoral dissertation supervised by Anne-Marie Houdebine, University of Paris III.

Castellotti, V., & Moore, D. (2002). Représentations sociales des langues et enseignements. Guide pour l’élaboration des politiques linguistiques éducatives en Europe‐de la diversité linguistique à l’éducation plurilingue. Division des politiques linguistiques. Strasbourg: Conseil de l’Europe [Electronic Version]. Retrieved, 27(10).

Est, P., & Mentouri, A. (2014). Les Représentations de la langue française chez les étudiants de première année de licence de français.

Guehria, W. (2013). Quatre étudiantes algériennes en France vis-à-vis de leurs représentations sociolinguistiques. Insaniyat/إنسانيات. Revue algérienne d’anthropologie et de sciences sociales, (60-61), 65-79.

Hilton, H. (2003). L’accès au lexique mental dans une langue étrangère: le cas des francophones apprenant l’anglais. Corela. Cognition, représentation, langage, (1-2).

Lafontaine, D. (1997). Les attitudes et les représentations linguistiques. Le français en Belgique: une langue, une communauté, 381-390.

Lüdi, G., & Py, B. (2003). Etre bilingue. 3e éd. revue. Berne. Francfort-s. Main and New York: Lang.

Muller, P., & Sarda, L. (1998). Représentation de la sémantique des verbes de déplacement transitif du français. TAL. Traitement automatique des langues, 39(2), 127-147.

Perrefort, M. (1997). Et si on hachait un peu de paille-aspects historiques des représentations langagières. Tranel: Travaux Neuchâtelois de Linguistique, (27), 51-62.

Roussi, M. (2009). L’insécurité linguistique des professeurs de langues étrangères non natifs: le cas des professeurs grecs de français (Doctoral dissertation, Paris 3).

Show more