2013-04-24

Posted in: "hyporadar" via Marie-Anne in Google Reader

Alors qu’un sondage récent passé inaperçu révélait qu’un vietnamien lisait à peine un livre par an (0,8), il y a un an, un événement littéraire inédit marqua le Salon du livre à Ho Chi Minh-Ville [1]. Il ne s’agissait pas des mémoires d’une jeune fille du Nord Viêt-Nam sacrifiée par la guerre comme celles de Dang Thuy Tram parus quelques années auparavant [2]. Il ne s’agissait pas non plus des mémoires d’un général de l’armée populaire comme la RSVN en produit chaque année. L’événement littéraire de l’année 2012 revêtait le visage d’une femme malade du sida épuisée par une vie chaotique courageusement reconvertie dans l’action sociale auprès des enfants des rues. Se sachant à terme condamnée, Truong Thi Hong Tam, alias « Tâm sida », a décidé de se confesser pour donner à réfléchir sur la dureté de la vie, celle d’une femme pauvre sans éducation et sans protection.

Elle expose dans son autobiographie sa vie tumultueuse, une descente aux enfers entre prostitution, drogue, délinquance et maladie qui débute avant 1975. Née en 1956, elle évoque sans fioritures son destin tragique au sein d’une famille éclatée à Cantho puis dans le Saigon en guerre et enfin après la réunification. Motivée par « la haine et une vie superficielle » dit-elle, elle commence « la vie de quelqu’un qui n’avait plus rien d’humain » [3]. Ce sont les mémoires d’une fille perdue, issue d’un milieu pauvre, martyrisée pendant son enfance, devenue prostituée, « rééduquée » à de nombreuses reprises, droguée, séropositive puis définitivement malade. Son parcours tragique n’a rien d’inédit dans le Viêt-Nam d’aujourd’hui où la maladie fait encore des ravages. Sa résurrection par la parole a touché le lecteur et ses actions en faveur des jeunes plus encore. Car, depuis une quizaine d’années, « Tam Sida » s’est investie à corps perdu dans le social. Travailleuse sociale volontaire, elle s’occupe désormais des enfants des rues, malades comme elle du fléau du siècle. Elle rencontre des jeunes filles pour les mettre en garde contre les pièges de la vie.

Son témoignage en quatre parties est une évocation sociologique du Saigon de guerre à la réunification. Il frappe le lecteur car il relève de l’intime, celle d’une famille brisée et de l’apprentissage de la vie par une enfant déterminée, bien décidée à se venger du sort qu’on lui impose (première partie). Mais cette vengeance la plonge dans l’univers des “poussières de vie” et le déni de soi-même. En 1970, c’est une débauche de LSD et d’héroïne, “je n’avais que quatorze ans et je m’étais déjà amusée comme une folle”. Le 30 avril 1975 arrive mais ne met nullement fin à cette dérive qui se poursuit de façon beaucoup plus contraignante. Sa vie va de nouveau basculer dans de multiples expériences d’enfermement, de fuite et de rééducation forcée (seconde partie). Son récit donne aussi à voir comment sont traités les “fléaux sociaux” après la réunification. Puis la chance lui sourit peu à peu, la résurrection s’impose comme une nécessité pour survivre, la reconstruction se met en place avec l’aide des autres au sein d’un groupe d’information sur le Sida et au service des autres filles à la dérive (troisième partie). En 1998, avec la création de la Maison de l’espoir, elle s’implique auprès des jeunes dans ce nouveau combat contre la drogue, une lutte difficile également pleine de défis (quatrième partie). Elle expose son ultime souhait en fin d’ouvrage : celui de retrouver une identité, la sienne, la reconnaissance de son existence par l’obtention de papiers d’identité officiels pour ne plus être “une citoyenne sans nationalité”.

Son témoignage littéraire rédigé avec des mots simples, ceux de la rue, ceux des milieux populaires, a rencontré ses lecteurs. S’il ne peut éviter une forme de mea culpa assez convenu et soigneusement mis en scène en quatre parties – enfance martyre, vie de “débauche”, prise de conscience, résurrection par le social (sans quoi il n’aurait pu être publié), il est néanmoins rare [5]. Il lève un voile sur cette génération de femmes plongée dans la marginalité pendant et après la guerre, ce qui est également peu courant au Viêt-Nam. Les lecteurs ne s’y sont pas trompés. Lors du Salon du livre de HCM Ville de mars 2012, son témoignage était arrivé dans le top 10 des ventes avec 5000 ouvrages vendus. Depuis novembre 2012, il a été réédité à 3000 exemplaires. Un-e lecteur/trice nommé Ngoc Nguyen traduisit son sentiment à la lecture du livre de Tam et tente d’expliquer ce succès : « il y a de la tragédie, des erreurs qu’il faut payer très cher, des rechutes bardés d’épines selon moi, chaque lecteur, de quelque condition qu’il soit, peut trouver dans ce livre des leçons précieuses pour sa propre vie » [4]. Pour le docteur Do Hong Ngoc, son témoignage est « un message envoyé, un avertissement » : « c’est un livre qui mérite d’être lu comme un moyen d’éviter les erreurs commises par Tam sida ou au minimum pour mieux connaître le sort douloureux d’une personne au destin précaire » [6]. Mais Tam ne demande pas de la compassion, elle assume sa vie passée et se consacre à sa nouvelle mission de sauvegarde pour tenter, comme l’indique le titre de ses mémoires, de « surmonter la mort ».

FG, 24/04/2013.

Notes

[1] Hồ Hương Giang, Giật mình! người Việt không đọc nổi 1 cuốn sách/năm, VietnamNet, 12/04/2013 et voir l’analyse de Dan Lam Bao : Trần Thành Nam, Tại sao người Việt đọc ít?, Dan Lam Bao, 23/04/2013.

[2] Dang Thuy Tram, Les carnets retrouvés (1968-1970), Arles, Philippe Picquier, 2010.

[3] Voir : Trương Thị Hồng Tâm, Càng bước càng lún sâu, Tuoi Tre Online, 20/03/2012.

[4] Toutes proportions gardées, son récit fait immanquablement penser au best seller allemand des années 1970 : Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée… (Wir Kinder vom Bahnhof Zoo – Nous, les enfants de la station Zoo) qui relatait la descente aux enfers d’une jeune fille des rues de Berlin. L’ouvrage, qui connut une immense popularité dans toute l’Europe, fut adapté au cinéma et est, depuis sa première parution en 1979,  régulièrement réédité. Réf. : Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée…, Paris, Gallimard Folio, 1983.

[5] Thất Sơn, Tái bản ‘Hồi ký Tâm Si-đa’, VN Express, 12/11/2012.

[6] id.

Lire Truong Thi Hong Tam dans le texte original sur Tuoi Tre Mobile :



Vượt lên cái chết kỳ 1 – Hồi ký Tâm si-đa, 24/04/2012.

Vượt lên cái chết kỳ 2: Lạc mất tuổi thơ, 25/04/2012.

Vượt lên cái chết kỳ 3: Lưu lạc theo cha, 26/04/2012.

Vượt lên cái chết kỳ 4: Không chốn đi về, 27/04/2012.

Vượt lên cái chết kỳ 5: Đường đời chông chênh, 28/04/2012.

Vượt lên cái chết kỳ 6: Vòng đời luẩn quẩn, 29/04/2012.

Vượt lên cái chết kỳ 7: Cuộc đời sang trang mới, 01/05/2012.

Vượt lên cái chết kỳ 8: Hạnh phúc quay lưng, 02/05/2012.

Vượt lên cái chết kỳ 9: Căn nhà Hy Vọng, 03/05/2012.

Vượt lên cái chết kỳ 10: Thêm một lần thử thách, 04/05/2012.

Vượt lên cái chết kỳ 11: Công dân không quốc tịch, 05/05/2012.

Vượt lên cái chết kỳ cuối: Chị Tâm si-đa, 06/05/2012.

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