2013-04-08

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La semaine dernière, le vert olive des uniformes de la police populaire vietnamienne a de nouveau envahi la blogosphère et les sites d’information sur le Viêt Nam. L’opinion publique s’est passionnée pour l’ancien militaire Doan Van Vuon et les membres de sa famille jugés pour « tentative d’homicide » dans une affaire de rébellion armée contre la force publique survenue le 5 janvier 2012. De part son déroulement inédit, celle-ci avait fait grand bruit [1]. Pour tenter de comprendre les tenants et les aboutissants de cette affaire, un petit rappel des faits est nécessaire.



Doan Van Vuon et les membres de sa famille à l’ouverture du procès du 5 avril 2013 © 2013 TTXVN

Comme le souligne le site Vietnam Express (VN Express), en 1993, Doan Van Vuon fut autorisé par le Comité populaire de Tien Lang un district rural (commune de Vinh Quang) de la ville de Hai Phong d’utiliser 21 hectares de terre pour y implanter son projet de pisciculture [2]. L’ancien militaire épaulé par sa famille défricha et mit en valeur pendant de longues années un terrain difficile à exploiter sur la région côtière, ce que même les brigades des Jeunesses de choc (TNXP) n’avaient réussi à faire [3]. Le site d’information  Eglises d’Asie a bien résumé le processus d’une collaboration avec les autorités provinciales jugée à bien des titres comme exemplaire :

En 1993, dans le cadre d’une politique consistant à étendre la zone d’élevage des poissons et crustacés dans les plaines alluviales du bord de mer, le Comité populaire du district avait confié à Pierre Vuon et à sa famille 24 ha de terrain, charge à eux de trouver les investissements et d’y créer les équipements nécessaires. Grâce à la compétence et aux efforts de l’exploitant, l’entreprise ne tarda pas à devenir prospère. A tel point qu’en 1997, le Comité populaire du district lui confia 10,9 ha supplémentaires à exploiter. La réussite se poursuivit pendant une douzaine d’années jusqu’au 7 avril 2009, date à laquelle un décret du président du Comité populaire du district annonçait la récupération par les autorités de l’ensemble de la propriété [4].

Affrontant les intempéries, l’insalubrité et la dureté de la vie sur une terre sauvage en bord de mer, les habitants de la commune considéraient tout à fait crucial le rôle de la famille de M. Vuon pour protéger la digue qui pouvait céder lors des tempêtes. La présence de cette famille volontariste rassurait donc les habitants qui n’étaient plus obligés de fuir lors des fortes pluies [5]. Selon le journaliste Nguyen Hung, le sacrifice de Doan Van Vuon et de sa famille est aussi avéré car ces années de dur labeur coûtèrent la vie à une fille de Vuon âgée de 8 ans et à un autre neveu [6]. Selon Pham Van Danh, l’ancien secrétaire du PCV pour la commune de Vinh Quang, âgé de 82 ans, la réussite de M. Vuon sur cette terre inculte fut pour tous une véritable surprise. Cependant, de son côté, Ngo Ngoc Khanh, le représentant du Comité populaire du district de Tien Lang, déniait le travail important de Vuon en précisant que ce dernier s’était opposé depuis 2007 à restituer le terrain alors que son premier bail était terminé. Il soulignait en outre que les fruits de son labeur n’apportaient rien à la collectivité [7]. Héros du travail pour les locaux ou exploitant égoïste pour les autorités du district, la détermination de la famille de Vuon dans la conduite de ses affaires déplaisait fortement. Jalousie pour une réussite flagrante et une entreprise prospère, affront d’un ancien militaire de confession catholique pour faire valoir son expérience, caractère bien trempé de M. Vuon, le tour de force entre les autorités locales et la famille de Vuon s’intensifia jusqu’à l’altercation armée de janvier 2012.



Le chef de la police de Haiphong Do Huu Ca (porte-voix en main) et le groupe spécial d’intervention de la police populaire lors du siège de la maison de Doan Van Vuon le 5 avril 2013 © 2013 NLD

Acculés à résister

Selon plusieurs sources, deux baux permettaient à Vuon d’utiliser le terrain sur lequel il avait implanté et agrandit son entreprise d’élevage de poissons et de crustacés. Le premier bail avait été signé pour 14 ans, soit de 1993 à 2007 et le second pour 12 ans, de 1997 à 2009. Arrivés à leur terme en 2009, ils ne furent pas reconduits et les autorités provinciales intimèrent la famille de Doan Van Vuon de restituer la totalité du terrain. Après tant d’années de dur labeur et la reconnaissance du travail accompli par les habitants de la commune de Vinh Quang, Vuon et sa famille décidèrent de déposer plainte contre cette décision jugée injuste pour faire entendre leur cause et parvenir à négocier avec le Comité populaire. Celui-ci campa fermement sur ses positions et le 24 novembre 2011 obligea M. Vuon à restituer les terres exploitées aux autorités locales [8]. Soumise à une obligation de cesser toute activité, ce qui équivalait à un déclassement social brutal, la famille de Vuon décida de ne pas se laisser faire. Sans négociation, la réquisition d’un terrain de 50 hectares fut finalement ordonnée le 5 janvier 2012 par le directeur de la police de Haiphong et exécutée avec la plus grande fermeté.

Le jour de la réquisition, les autorités provinciales mobilisèrent plus d’une centaine d’hommes des forces policières et militaires pour déloger Doan Van Vuon par la force. La famille, préparée à cette pression et acculée, organisa la résistance armée. Elle disposa des “mines de fabrication artisanale” pour empêcher la progression des forces mobilisées contre elle (une bombone de gaz a semble-t-il explosé). Elle accueillit les policiers, retranchée à l’inérieur de la maison et riposta aux attaques de la police les armes à la main blessant six agents avant de disparaître [9]. Selon les témoins, l’affrontement était « plus palpitant qu’un film d’action » [10]. L’affaire n’en resta pas là. Un avis de poursuite fut lancé contre trois hommes de la famille de M. Vuon [11]. Doan Van Vuon lui-même fut arrêté le 6 janvier un jour après l’affrontement. Son frère Doan Van Quy et d’autres membres de sa famille furent arrêtés quelques jours après et l’habitation familiale complètement détruite [12]. L’enquête se poursuivit et le 10 janvier quatre coupables furent clairement désignés : Doan Van Vuon (49 ans), Doan Van Quy (46 ans), Doan Van Sinh (55 ans) et Doan Van Ve (38 ans) tous les quatre accusés d’« homicide ». Les deux épouses de Doan Van Vuon, Nguyen Thi Thuong et de Doan Van Quy, Pham Thi Bau (Hien), assignées à résidence, furent poursuivies pour entrave aux forces de sécurité publique [13].



La maison familiale de Doan Van Vuon lors du siège du 5 avril 2013 © VOV

Une affaire d’Etat et une question brûlante

L’affaire, peu banale, prit peu à peu la tournure d’une véritable affaire d’Etat. Dang Hung Vo, ancien responsable au ministère des Ressources naturelles et de l’environnement posa dès le 13 janvier la question de la légalité d’une telle opération sur un plan strictement juridique. Il rappelait qu’habituellement un bail était signé pour 20 ans et non 14 comme dans le cas de Doan Van Vuon et que la surface confiée par le district à M. Vuon outrepassait largement la Décision 773 du Premier ministre (qui autorisait jusqu’à 10 hectares). Il pointait du doigt l’arbitraire et les manquements à la loi du Comité populaire du district de Tien Lang. En clair, il soulignait le caractère illégal de toute l’opération [14]. Ce fut le premier coup de semonce. L’affaire eut une résonance toute particulière lorsqu’elle fut relayée par le Premier ministre en personne qui considéra lui aussi l’expropriation comme illégale [15]. Le 17 janvier, le président du Comité populaire de la ville de Haiphong justifia l’intervention en arguant de sa légalité et exposant la spécificité du bail négocié de 14 ans lié à la configuration géographique particulière des plaine alluviales. Il défendit également l’option qui consista à détruire l’habitation de M. Vuon comme une mesure évidente de sécurité compte-tenu de la réaction imprévisible de la famille de M. Vuon, l’habitation pouvant abriter des explosifs [16]. Ces arguments tout à faits recevables ne mirent pas fin à la crise.

Pour le moins, l’éviction violente d’une famille d’honorables travailleurs dont la figure principale était un ancien militaire « sans peur et sans reproche », ingénieur agronome, catholique de surcroît, fit très mauvais genre en ce début d’année 2012 en pleine période de préparation de la nouvelle année lunaire. Elle combinait toute une série d’éléments pouvant favoriser une dégradation plus générale de la situation. Parmi ceux-ci : intervention disproportionnée des forces de la Sécurité publique pour faire plier le récalcitrant ; parcours irréprochable de M. Vuon dans son entreprise de pisciculture ; famille catholique appréciée localement et soutenue par l’évêque de Haiphong ; question foncière brûlante avec à la clé une loi en cours de révision à l’Assemblée nationale ; rivalités locales ; tout un ensemble de faisceau donnant le sentiment d’une injustice flagrante. L’Etat devait intervenir pour désamorcer cette crise locale à éventuel rebondissement et tenter de rétablir l’autorité dans une zone où l’emportait l’arbitraire et la loi locale du parti. En la personne du Premier ministre, une enquête donc fut conduite pour saisir où et par qui le dérapage avait pu prendre forme. Questions que le Front de la Patrie s’était posé auparavant démontrant l’importance de l’affaire sur le plan national [17].

L’affaire se révéla des plus embarrassantes pour le Comité populaire car les buts de l’éviction présentaient des contradictions évidentes entre la promesse de retour de la terre aux habitants du chef du Comité populaire du district et l’avis soudain de réquisition pour la construction d’un aéroport international [18]. Le 20 janvier 2012, le Comité populaire et le Comité local du Front de la Patrie donnaient une explication quelque peu surprenante. Selon eux, l’intervention contre M. Vuon aurait servi à « garantir l’égalité » entre les paysans de la commune. En clair, la famille de Doan Van Vuon, à qui il était reproché « de n’avoir beaucoup contribué à la collectivité », aurait commis la faute de s’enrichir suscitant un déséquilibre local [19] et sans doute quelques jalousies. De toute évidence, l’affaire se révélait plus complexe qu’une simple rébellion qui avait mal tourné [20]. Elle révélait une série de dysfonctionnements dans la gestion de la question foncière au niveau des communes et des districts ruraux.

FG, 08/04/2013.

A suivre : l’enquête et le procès.

Notes

[1] A titre d’exemple, le tag Doan Van Vuon sur le site d’actualités VN Express renvoie à 96 occurrences sur 7 pages. L’ensemble des articles publiés sur ce site à propos de cette affaire dépasse largement la centaine. Certains articles sont suivis de nombreux commentaires des lecteurs. Ces articles constituent ici l’essentiel de notre corpus. Voir p. 1 du tag Doan Van Vuon.

[2] Xuân Hoa, Mâu thuẫn dẫn đến nổ súng chống đối ở Hải Phòng, VN Express, 10/01/2012.

[3] Voir : Nguyễn Hưng, Góc nhìn đối lập về chủ đầm tôm bị cưỡng chế, VN Express, 11/01/2012.

[4] L’évêque de Haiphong vient au secours d’un catholique spolié de son exploitation, EDA, 17/01/2012.

[5] art. cit., EDA, 17/01/2012. Les avis contradictoires sur l’apport de Vuon à la collectivité sont exposés brièvement dans cet article.

[6] art. cit., EDA, 17/01/2012.

[7] art. cit., EDA, 17/01/2012.

[8] art. cit., EDA, 17/01/2012.

[9] Voir les reportages de VN Express des 5, 6 et 7 janvier 2012:

Hải Hưng, 4 cảnh sát bị bắn trọng thương khi tham gia cưỡng chế, VN Express, 05/01/2012.

Reportage photo : Nguyễn Lê, Cận cảnh vụ cố thủ trong nhà, bắn trọng thương 4 cảnh sát, VN Express, 06/01/2012.

Việt Dũng, Phút sinh tử của cảnh sát trẻ trước họng súng ‘hoa cải’, VN Express, 07/01/2012.

Hà Anh, ‘Vụ nổ súng ở Hải Phòng ly kỳ hơn phim hành động’, VN Express, 07/01/2012.

Nguyễn Hưng, Góc nhìn đối lập về chủ đầm tôm bị cưỡng chế, VN Express, 11/01/2012.

[10] Hà Anh, ‘Vụ nổ súng ở Hải Phòng ly kỳ hơn phim hành động’, VN Express, 07/01/2012.

[11] Hà Anh, Truy lùng 3 hung thủ bắn trọng thương cảnh sát, VN Express, 06/01/2012.

[12] La question de la destruction de l’habitation de Doan Van Vuon est posée dans cet article qui s’interroge sur le périmètre concerné par l’éviction. Périmètre dont serait exclu la maison familiale :

Nguyễn Hưng, ‘Ngôi nhà xảy ra nổ súng có thể nằm ngoài đất cưỡng chế’, VN Express, 12/01/2012.

[13] Tiến Dũng, Bộ Công an vào cuộc vụ cưỡng chế đất ở Hải Phòng, VN Express, 16/01/2012.

[14] Selon Dang Hung Vo, le bail de Vuon aurait dû se terminer au plus tôt le 15/10/2013.

Tiến Dũng thực hiện, ‘Quyết định thu hồi đất ở Hải Phòng là trái luật’, VN Express, 13/01/2012.

[15] Sur l’enquête des services du Premier ministre, voir : Tiến Dũng, Thủ tướng: ‘Làm rõ trách nhiệm vụ cưỡng chế ở Hải Phòng’, VN Express, 17/01/2012.

[16] L’avis de Do Trung Thoai : Nguyễn Hưng, Phó chủ tịch Hải Phòng: ‘Dân bất bình nên phá nhà ông Vươn’, VN Express, 17/01/2012.

[17] Voir : Nguyễn Hưng, Lập đoàn giám sát vụ cưỡng chế đất Hải Phòng, VN Express, 19/01/2012.

[18] Nguyễn Hưng, ‘Khu vực đất cưỡng chế ở Hải Phòng sẽ làm sân bay’, VN Express, 20/01/2012.

[19] Nguyễn Hưng, ‘Cưỡng chế đầm tôm ông Vươn để đảm bảo công bằng’, VN Express, 20/01/2012.

[20] Voir par exemple l’analyse de l’avocat Le Duc Tiet, membre de la commission d’enquête du Front de la Patrie, dans un entretien accordé à VN Express le 21 janvier 2012  :

Nguyễn Hưng, ‘Chưa minh bạch trong việc cưỡng chế đất ở Hải Phòng’, VN Express, 21/01/2012 et Luật sư Lê Đức Tiết, ‘Cảnh báo sóng ngầm sau vụ cưỡng chế ở Hải Phòng’, VN Express, 31/01/2012.

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Le reportage de la chaîne ATV – Phóng sự của kênh ATV – truyền hình an ninh Thủ đô

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