2013-03-22

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Le compte-rendu sténographique du congrès de 1913 est la source essentielle sur ce évènement. Photo DR, coll.particulière.

Lors du congrès socialiste de Brest, chaque fédération départementale est représentée par un nombre de délégués qui varie selon le nombre d’adhérents.  Plusieurs des militants présents sont connus à cette date, certains le deviendront plus tard. Ainsi, sont venus Jean Longuet, Pierre Renaudel, Francis de Pressensé, mais aussi Sixte-Quenin, Bracke, Jacques Sadoul, Rappoport ou encore Édouard Vaillant. D’autres leaders socialistes sont absents, tant l’actualité politique, entre la discussion de la loi des trois ans et le remaniement ministériel, oblige de nombreux socialistes à reste à Paris. C’est en particulier le cas de Jean Jaurès, mais aussi de Jules Guesde ou de Marcel Sembat. Pour ce qui est des délégués bretons, on constate  que la fédération du Finistère, organisatrice du rassemblement, a le droit d’être représentée par davantage de délégués, cinq au total. Le Morbihan et l’Ille-et-Vilaine quant à eux, sont représentés par une seule personne, ce qui montre la faiblesse du nombre d’adhérents dans ces départements. Plusieurs des délégués sont jeunes et c’est la première fois qu’ils assistent à un congrès national: c’est le cas du nouveau responsable fédéral du Morbihan, Louis Bonneaud, mais aussi d’Octave Brilleaud qui représente la fédération des Côtes du Nord. Cela illustre le renouvellement des fédérations bretonnes qui, avant 1914, sont en développement .Elles reposent sur de jeunes militants qui vont être touchés de plein fouet par les années de guerre, ce qui parfois rend plus délicate la connaissance des parcours de ces militants. Mais plutôt que de citer l’ensemble des délégués bretons, je voudrais  m’arrêter sur l’un d’entre eux moins connus que d’autres.

Un inconnu breton au congrès : Cymerman

Il s’agit de Bernard Cymerman, mais l’écriture de son nom est bien souvent fluctuante ce qui renforce la difficulté à trouver des données sur lui. Ce militant du sud du Finistère apparaît à partir des années 1910 dans la fédération socialiste et il est désigné régulièrement  comme délégué aux congrès nationaux. Après 1914, il disparaît par contre totalement des documents socialistes. On trouve en conséquence bien peu de traces de lui, du moins en apparence. Le nom de ce militant m’a bien sûr interrogé, il m’a fallu chercher davantage de précisions. Il a ainsi droit à une série de rapports de la police que l’on peut lire aujourd’hui dans les archives départementales de Quimper. J’ai aussi retrouvé un de ses descendants, qui n’a pas voulu pour le moment donné suite à mes demandes de renseignements. Mais  j’en sais toutefois davantage : Cymerman est d’origine polonaise et est venu en Bretagne afin de mener une étude ethnographique sur le pays bigouden. Il s’installe dans le Finistère et organise la propagande socialiste dans le sud du département. Il est clairement marxiste, un jeune intellectuel que l’on remarque mais que l’on peut aussi redouter. C’est en particulier le cas de l’homme fort de la fédération, Émile Goude qui semble mal voir son intelligence et sa connaissance théorique du socialisme. Marcel Cachin, délégué à la propagande du parti socialiste, en fait le portrait suivant dans ses carnets :

« Jeune Polonais (du PS polonais) [il] fait une thèse sur les Bigoudens et est venu de l’université de Zurich pour la préparer à Pont l’Abbé. Il y a formé un groupe socialiste et lui a fait prendre des ordres du jour d’ordre marxiste. Aussi est-il en lutte avec Goude. Il est venu à la réunion de Rosporden pour se mettre en rapport avec moi. [1]»

Aux côtés de ce délégué qui représente le Finistère, mais qui est Polonais, on trouve a contrario des militants qui eux sont originaires de la région même s’ils sont les représentants d’autres départements. Marcel Cachin, militant né dans les Côtes du Nord qui garde toute sa vie des racines bretonnes,  est délégué de la fédération de la Charente inférieure. Jean-Marie Baco, quant à lui, est né à Lorient. Il a participé à la création de la fédération du Morbihan en 1907 mais il est installé depuis 1910 en Tunisie, où il dirige le groupe socialiste tout en gardant des liens forts avec son département d’origine. Baco est lui aussi délégué à Brest. C’est encore le cas du représentant de l’Yonne Gustave Hervé, né dans le quartier brestois de Recouvrance et véritable «héros» local pour de nombreux socialistes du cru.

Tous ces délégués sont arrivés depuis quelques jours dans la ville de Brest. On escomptait toutefois davantage de monde. Plus de 400 représentants socialistes étaient attendus, moins de la moitié devaient finalement se rendre dans le Finistère. Le rassemblement devait durer 8 jours, mais trois jours suffiront.

Les sources

Pour connaitre le déroulement du congrès de Brest, on doit tout d’abord se référer aux rares études historiques portant sur le sujet. La seule étude spécifiquement consacrée au congrès de 1913 est à ma connaissance l’article de l’actuel maire de Brest François Cuillandre « la Sfio à l’heure du congrès de Brest ( 23,24,25 mars 1913 »[2] mais on peut aussi utiliser le numéro spécial des Cahiers Jaurès portant sur  les années 1905-1914 de la Sfio[3] ou encore la publication collective de C.Bougeard, G.Gramoullé, M.Lucas et J.J.Urvoas  les Socialistes dans le Finistère ( 1905-2005).[4]

Les sources principales sur ce sujet sont toutefois des sources primaires, au premier rang desquelles se trouve le compte-rendu sténographique du congrès qui paraît quelques mois après le congrès[5]. Il y a d’ailleurs lors de ce congrès une discussion pour savoir s’il faut continuer à publier les compte-rendus sténographiques qui peuvent être souvent très longs, ou s’il ne vaut pas mieux publier simplement un résumé des discussions. Pour le chercheur, le fait de disposer d’un compte-rendu sténographique complet est bien sûr une énorme chance et ce type de document est une mine d’informations. On peut y trouver la liste des délégués, avoir des tableaux comparatifs des cartes d’adhérents de tous les départements, lire l’ensemble des rapports déposés au Conseil national du parti et surtout la totalité des discussions. Bien sûr, le fait de disposer d’un compte-rendu sténographique oblige à se poser la question pour savoir si réellement la totalité des propos est reprise par écrit. C’est pourquoi à ce document doivent être ajoutés les nombreux rapports de police rendant compte de évènement  De ce point de vue, les archives départementales sont particulièrement riches puisque on dispose de plusieurs résumés très précis sur les journées de congrès[6].On peut  ainsi connaître certains aspects restés dans l’ombre du compte-rendu officiel. L’ensemble documentaire doit aussi être complété par d’autres publications socialistes, que ce soit le quotidien national l’Humanité ou les publications locales de la Sfio, en Bretagne (Le Cri du Peuple pour le Finistère, ou bien encore le Rappel du Morbihan) mais aussi dans les autres départements. C’est le cas par exemple du journal de la fédération Sfio de Seine-et-Oise La Lutte sociale  qui contient plusieurs articles très intéressants sur le déroulement du congrès de 1913.

Mais comment maîtriser l’espace public socialiste lors du congrès ?

Brest est une municipalité socialiste depuis 1912, après avoir connu une première expérience malheureuse quelques années auparavant. La ville a également amené au parlement un député de la Sfio depuis 1910. En ouvrant le congrès, le maire de la ville, Masson, revient  sur cette histoire encore récente et tumultueuse de l’implantation du socialisme dans l’extrême-ouest breton. Mais surtout, il faut ici s’interroger sur la gestion par la commune de cet évènement  Plusieurs fois inquiété par les autorités, Masson vient de perdre son autorité de maire dans le domaine de la gestion de la police qui est directement exercée dorénavant par l’Etat et  par la préfecture maritime. Cette sanction est une illustration des relations difficiles et compliquées que la municipalité Sfio entretient avec le pouvoir central. Mais c’est encore plus le cas lorsqu’on aborde les relations avec la presse locale. La Dépêche de Brest, qui est le quotidien le plus lu dans la ville, est fermement hostile aux socialistes et lorsque ce journal évoque le congrès, c’est avant tout pour dénigrer l’action municipale et l’idéologie socialiste. C’est pourquoi Masson et son équipe savent qu’ils doivent parfaitement réussir l’organisation de ce rassemblement national. La question de la logistique du congrès sera, entre autres éléments, abordée dans le prochain billet, mais voici une photographie de la salle de réunion pendant le congrès qui permet de connaître les lieux. Cette photographie est parue dans l’Encyclopédie socialiste, syndicale et coopérative de l’Internationale ouvrière qui est publiée sous la direction de Compère-Morel[7].



La salle du congrès ( Tome II de l’encyclopédie socialiste, syndicaliste et coopérative p.274.)

La salle choisie est  un grand espace situé à l’Hôtel de ville. Toute l’organisation a été soigneusement préparée comme on pourra le voir dans le prochain billet. Pourtant comme l’écrit un des délégués après le congrès, André Lebey représentant de la Seine-et-Oise, ce congrès est un échec cuisant :

« Quel triste spectacle nous y avons donné ! Je regardais les bonnes figures des militants venus assister à nos délibérations et j’y surprenais une stupeur nouée, une désillusion profonde, tandis que nous nous disputions sans fin – et sans ménagement. Les Bretons sont des croyants. Certains ont quitté la religion pour nous. Prenons garde qu’ils y retournent.[8] »

Le congrès de Brest commence en effet lors du week-end pascal, comme pour montrer en Bretagne et ailleurs que le socialisme devait remplacer le christianisme et incarner une nouvelle «religion». Mais comme ce témoin le souligne, le congrès va être davantage le théâtre de querelles nombreuses au point qu’il sera écourté. La suite de ce centenaire de papier Brest 1913-2013 le montrera.

[1] Marcel Cachin le 23 août 1911 in  Carnets 1906-1916, Paris, Cnrs éditions, 1993.

[2]  Cette étude est parue dans un ouvrage collectif, Histoire et politique, mélanges offerts à Edmond Monange, Brest, 1994, p.27-34. Monange a été un de mes professeurs d’histoire contemporaine à l’UBO de Brest. Son enseignement m’a beaucoup appris.

[3] Cahiers Jaurès « les débuts de la Sfio », n°187-188, 2008. On peut lire le sommaire de ce numéro ici.

[4] C.Bougeard et alii, Les Socialistes dans le Finistère (1905-2005), Rennes, éditions Apogée, 2005. Ce livre a été publié lors du centenaire de la Sfio ; bonne synthèse souvent très utile, cette publication n’est toutefois pas exempte d’approximations parfois dommageables pour la connaissance du milieu socialiste dans ce département.

[5] 10e congrès national tenu à Brest, 23-24-25 mars 1913, Parti Socialiste, 1913.

[6] Les rapports sur le congrès de Brest sont rassemblés dans le dossier 1M 218 qui porte sur l’activité des socialistes dans le département. Comparé à d’autres archives départementales de Bretagne, on doit reconnaître que ces archives ( ainsi que le dossier suivant 1M 219) sont très riches et permettent de bien connaître le milieu partisan socialiste dans le Finistère

[7]  Cette photographie se trouve dans le Tome II de cette Encyclopédie intitulé La France socialiste qui est un très important document sur les fédérations de la Sfio avant et après la guerre de 14. On peut en consulter les volumes en ligne ici

[8] « Bon sens » article de André Lebey, La Lutte sociale de Seine-et-Oise, 5 avril 1913.

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