2017-02-08

Auteur : Yvon Fotia

8 Février 2017 (29 juillet 2013)

L’histoire récente des questions sociales liées aux « discriminations racistes » met en évidence dans le contexte français le moment fondateur de « l’invention française de la discrimination » (Fassin, 2002). Au début des années 1990, ce tournant permet une prise de conscience pour notre société de comment la mobilisation à différentes échelles convergentes (politiques, sociales, scientifiques, médiatiques, etc.) peut contribuer à rediscuter les mises en ordre social : ceci à partir du déploiement d’une catégorie comme celle de « discrimination », objet du conflit entre les différents groupes sociaux qui prennent place aux différents moments de ces processus de dominations. Cette rupture qu’introduit cette « invention » peut être mise en parallèle avec celle introduite par l’invention dans le contexte états-unien du concept de « discrimination institutionnelle1 » (Carmichael et Hamilton, 1967). Cette invention matérialise de façon irréversiblement irréductible2, pour la première fois, dans l’espace du débat académique mais aussi militant (les deux auteurs sont des miltants Black Panther), que toute épistémologique de ces questions passe par la dialectique de deux termes pour comprendre les processus de domination liée à la race : racisme individuel vs discrimination systémique3. Ces mécanismes de construction des mots pour dire le monde de façon renouvelée, qui relève d’un nominalisme, quels qu’en soient les contextes socio-historiques, ne vont jamais de soi : ils sont eux-mêmes les champs de bataille où se vivent ces conflits sociaux, pour et par ceux qu’ils prétendent désigner, par et pour ceux qui prétendent désigner (et souvent réduire). Ici dans le champ du racisme, dans un mouvement de tension entre processus de simplification vs de recomplexification du monde. Le présent travail part de l’hypothèse qu’un tel processus peut également être cherché dans la production historique du concept de ségrégation raciale qui s’opère à partir de l’évolution sémantique du terme plus ancien de ségrégation, au cours des 18e et 19e siècles, dans différents contextes socio-nationaux historiques, et dans le contexte français plus récent. Pour cela, il présente ici quelques traces historiques des contextes d’apparition du terme « ségrégation », dans le but d’en dégager une « socio-sémantique historique » (Dufoix, 2012) qui restera à élaborer dans un travail ultérieur.

Une telle approche est pertinente, si on se rappelle que la « ségrégation » est une question rémanente dans les sciences sociales en France depuis l’après-guerre, au regard de l’importance de la littérature qui lui est consacrée (Madoré, 2004) ou si on examine ses connexions avec grand nombre des politiques publiques qui ont été menées durant cette période (Kirszbaum, 2008). Pour matérialiser cette prégnance il faut rappeler dans quels contextes cette question sociale a été scientifiquement traitée et de multiples façons. Et tout d’abord à travers les travaux pionniers de sociologie urbaine de l’école de Chicago (en particulier à travers la théorie des « relations cycliques »), initiés par William Thomas et Florian Znaniecki (1918-1920), puis développés par différents chercheurs (Burgess, 1924), sur plusieurs décennies et théorisée de façon la plus aboutie par Park (Park et Burgess, 1921, Park 1950). Puis à travers les travaux d’autres chercheurs qui ont continué ou remis en cause et réorienté ces premiers éléments dans le contexte états-unien (Frazier, 1939 ; Novak, 1972 ; Sandberg, 1973 ; Greeley, 1974 ; Myrdal, 1974 ; Gambino, 1975 ; Gans, 1979 ; Roche, 1982 ; Alba, 1981 ; Sarna, 1978 ; Nelli, 1970 ; Yancey et al., 1976 ; …).

Cette question a émergé plus tardivement (après la Seconde Guerre mondiale) dans le contexte français, marqué par la reconstruction généralisée et à marche forcée des grands pôles urbains. L’évolution historique du contexte social a alors donné lieu à une évolution progressive de la manière de poser la question, à partir de différentes perspectives disciplinaires qui s’y sont progressivement intéressées (sociologique, géographique, historique, économique, etc.). Les premières recherches des années 50 (George, 1950) ont cherché à appréhender la ville à la fois comme une entité à part entière et également dans ses disparités spécifiques. Selon François Madoré (op. cit., 25), c’est à cette époque qu’est introduit pour la première fois le concept de « ségrégation sociale » dans le champ de la géographie sociale à l’initiative de Pierre George (ibidem) ou de Marcel Roncayolo (1952). C’est dans le contexte des années 60-70 que se sont fortement développés le thème et les travaux scientifiques qui l’ont alimenté, de la ségrégation sociale et du rôle joué par l’État dans celle-ci, à travers à la fois les politiques de développement des Grands Ensembles et de renouvellement urbain des centres anciens (Chombart de Lauwe, 1951 ; 1959 ; Coing, 1960 ; Castells, Lefebvre, 1968 ; etc.).

Dans les années, 80, la reconfiguration du contexte (accession de la gauche au pouvoir, décentralisation, crise, premières « émeutes » dans les « banlieues », émergence de la politique de la ville, évolution du monde de la recherche, etc.) fait qu’un nouveau cycle de recherches va émerger, où deviennent centrales les analyses de l’école Tourainienne (Touraine, Dubet, etc.) sur la question (Tissot, 2007, 68-106). Analyses qui se développent à partir du paradigme de l’« exclusion », avec des grilles de lecture structurant l’approche de la question en termes de « banlieues », « jeunes de la galère » « immigration comme problème ». Ces approches seront alors dominantes, car elles entrent en phase avec les attentes des pouvoirs publics et des décideurs (ibid.). La question sociale est dès lors redéfinie, comme politiquement déconnectée de l’analyse marxiste en terme « de mécanisme d’exploitation liée au travail » et « >em>rabattue sur la dualisation territoriale » (ibid.). Cette logique paradigmatique semble encore aujourd’hui dominante, en mettant au cœur du discours et de l’action publique la question de la « mixité sociale », qui montre ainsi le visage inversé d’une ségrégation qui bien qu’ainsi présente ne dit pas son nom, même si par ailleurs de nombreux travaux ont fait une analyse critique de cette approche des problèmes sociaux qu’elle voudrait appréhender (Kirszbaum, op. cit.).

D’autres travaux vont également se développer, sous l’impulsion par exemple de l’INED ou du Plan construction (Bonvalet et Fribourg, 1990), qui même s’ils ne se situent pas dans cet axe d’analyse tourainien dominant, vont abandonner les mécanismes macro-économiques ou macro-sociologiques comme cadres d’analyses, et se focaliser sur les trajectoires individuelles des acteurs (Tissot, op. cit., 85). Demeurent une partie congrue de chercheurs (de Rudder, Topalov, Pinçon, Pinçon-Charlot, etc.), dont les travaux se structurent toujours autour des questions de ségrégation, mais dont leurs analyses restent minoritaires et marginales dans le champ scientifique (Tissot, op. cit., 86-87). D’autres champs disciplinaires s’empareront de cette question à la même période. Par exemple, un ensemble de travaux historiques mettront en évidence les divisions sociales qui ont caractérisé la ville historique (Le Roy Ladurie & Quilliet, 1981), à la fois de façon verticale et horizontale (Roncayalo, 1993).

Ainsi, pour finir, selon Madoré (op. cit.), du point de vue de ces différents moments épistémologiques, trois grands axes de recherches sociologiques ont été développés en France pour appréhender la question des différenciations sociales et de la ségrégation : 1) La division sociale des villes et en particulier la division sociale de l’habitat (Tabard, 1993 ; Préteceille, 1995, etc.), par exemple par l’analyse du fonctionnement des marchés de l’immobilier et du logement : Rhein, 1990 ; Lévy, 1997, etc. ; voire par l’inégal accès aux équipements : Pinçon et alii, 1986 ; Préteceille, 2000, etc. ; 2) Les mobilités résidentielles et les processus de composition ou de recompositions socio-spatiales (mobilités, immobilités, gentrification, etc.) : Simon, 1998 ; Authier, 2003 ; Bacqué, 2006 ; etc. ; 3) Les politiques urbaines de peuplement (Morel Journel & Sala Pala, 2010) du logement et de l’habitat et en particulier leurs liens avec les différenciations sociales, les discriminations au logement et les ségrégations (causalités, impact, transformations) : Coing, 1960 ; Chamboredon & Lemaire, 1970 ; Castells et alii, 1973 ; Simon, 1995 ; Tanter & Toubon, 1999 ; etc.

Toutefois à ma connaissance, la question de la ségrégation n’a jamais été appréhendée sous l’angle linguistique ou mieux socio-sémantique (ou plutôt ne l’est que depuis très récemment : on peut ainsi citer, à titre de contre-exemple, Ledegen G., et Bulot T., 2013). En tout cas c’est vrai, pour ce qui m’intéresse, à travers la manière dont les modifications du sens de ce concept permettent des usages sociaux évoluant au fil du développement historique de sa phénoménologie. En faisant cela, il s’agit en particulier d’apporter une contribution à l’observation des pratiques, des réalités sociales, des effets sociaux lés au mot ou de l’idée de ségrégation et de ce qu’ils recouvrent. Faire une socio-sémantique historique de ce terme c’est faire « l’étude des usages du terme » (Dufoix, 2012, 16) depuis son apparition dans différents contextes nationaux, et ainsi chercher à saisir sur le long terme « les logiques sociales, politiques, intellectuelles, économiques, ayant présidé aux divers cheminements de son utilisation » (ibid.). Il ne s’agit donc pas de faire une histoire des mots dans une perspective linguistique, mais de voir que l’évolution sémantique d’un mot retrace une évolution sociale par les usages sociaux qui en sont faits4, y compris à travers la manière dont un terme peut agir sur la réalité en prétendant seulement la décrire (Dufoix, 2012, 27). Il s’agit ainsi de rechercher le sens des mots dans les usages qu’ils permettent et les effets qu’ils produisent (ibid.), dans la perspective que repère Dufoix, tracée par Ludwig Wittgenstein : « […] un mot n’a pas un sens qui lui soit donné, pour ainsi dire par une puissance indépendante de nous ; de sorte qu’il pourrait y avoir une recherche scientifique sur ce que le mot veut réellement dire. Un mot a le sens que quelqu’un lui a donné », 2004, 71). La signification « d’un mot est [donc] son emploi dans le langage », selon Wittgenstein (2005, 50). Dufoix rattache cette logique au concept de performativité, proposé par John Austin, qui en distinguant « l’acte locutoire (l’acte de dire quelque chose), l’acte illocutoire (l’acte de faire quelque chose en le disant) et l’acte perlocutoire (l’acte produit par le langage, le résultat de l’acte illocutoire) », (Dufoix, op. cit., 28), renverse la logique habituelle qui va de la chose au mot, en mettant en évidence comment le mot fait exister une certaine manière de voir la chose, et donc le monde. Dire le monde, c’est ainsi à la fois construire une vision du monde et une division du monde, pour reprendre Pierre Bourdieu (1998, 13). Si le mot est ainsi en général un outil social de division du monde, celui de ségrégation l’est à un second degré qui transfigure la conception du pouvoir que l’acte qu’il symbolise renferme. Le mot comme expression symbolique d’une connaissance qu’il véhicule est la matérialisation du pouvoir comme le montre Michel Foucault. Il met ainsi en évidence comment un savoir produit des effets de pouvoir et inversement comment un pouvoir se légitime au travers de la production d’un savoir. Foucault définissant le pouvoir comme « un ensemble d’actions sur des actions possibles : il opère sur le champ de possibilité où vient s’inscrire le comportement de sujets agissants : il incite, il induit, il détourne, il facilite ou rend plus difficile, il élargit ou il limite, il rend plus ou moins probable ; à la limite il contraint ou empêche absolument ; mais il est bien toujours une manière d’agir sur un ou sur des sujets agissants, et ce tant qu’ils agissent ou sont susceptibles d’agir (…). Gouverner en ce sens, c’est structurer le champ d’action éventuel des autres » (1994, 237). Tandis que le savoir doit être considéré selon lui comme « toutes les procédures et tous les effets de connaissance qui sont acceptables à un moment donné et dans un domaine défini » (1990, 38). Reliant et situant tout savoir à des effets de pouvoir, inséparables l’un de l’autre comme « un nexus de savoir-pouvoir qui permette de saisir ce qui constitue l’acceptabilité d’un système, que ce soit le système de la maladie mentale, de la pénalité, de la délinquance, de la sexualité, etc. » (Foucault, 1990, 39). Ainsi, nous voudrions explorer ici, dans le cas de la ségrégation, l’hypothèse que si des pratiques de pouvoir et des réalités sociales (qu’on pourrait qualifier de ségrégatives) ont de tout temps existé (comme on le mettra en évidence dans ce qui suit), même en l’absence du mot, son invention et surtout l’invention progressive de nouveaux sens au mot, ont permis et en même temps ont correspondu au renouvellement de ces réalités et à leur transformation, et donc à l’extension du pouvoir de ces pratiques politiques (démultiplier les effets de pouvoir de ces réalités sociales). Créant ainsi à différents titres, et dans différents contextes socio-historiques les réalités, « par la force que peut acquérir le mot lui-même au cours de sa diffusion dans les milieux sociaux trouvant dans ce mot un moyen de décrire une expérience vécue, une forme de division du monde ou une identité jusque-là innomée ou mal nommée » (Dufoix, 2012, 29). Instituant ainsi également de nouvelles manières de voir le monde, dans un processus autoréflexif : nommer et agir s’entremêlerait dans un processus qui tout à la fois dit, voit et agit autrement le monde et se constitue en pouvoir autrement au monde. Avec Dufoix, qui distingue le discours performatif illocutoire, qui fait en disant, du discours proprement perlocutoire, on propose ainsi de qualifier le premier comme relevant de la performativité, et le second de la formativité, incluant « une action par laquelle l’usage du terme crée ou contribue à créer un groupe ou une entité, mais cette action se prolonge souvent dans le temps par la constitution de porte-paroles, par l’objectivation linguistique, politique ou juridique, par la reconnaissance médiatique ou académique, ainsi que par la progressivité évidente que prend l’existence de l’entité ainsi produite » (ibid.). L’intérêt dans cette démarche proposée par Dufoix c’est bien ici de se focaliser, dans le cas du mot « ségrégation », sur cette dimension de formativité. Et ce en mettant à distance la simple recherche de la première occurrence du terme, pour privilégier la recherche des périodes « où un nouveau sens « prend », se diffuse, est relayé d’un écrit à un autre, est discuté, voire contesté ou refusé » (op. cit., 30). De le faire tout en cherchant ainsi à comprendre les raisons de possibilité ou d’impossibilité d’ancrage d’un sens dans un champ de discours (politique, médiatique, scientifique, etc.), en fonction des valeurs associées aux termes, à un moment donné de son histoire…

Malgré ce que je viens de dire, dans ce travail liminaire, je vais partir de la recherche de la première occurrence du terme, même si ces éléments ne nous disent pas suffisamment de choses sur ses usages sociaux concrets pour pouvoir faire un travail de « déblayage préparatoire ». Les éléments qui suivent donneront ainsi seulement éventuellement quelques indices sur ce qui a pu être les premières raisons et le contexte de son ou de ses premiers usages, et éventuellement une borne temporelle au-delà de laquelle il est a priori inutile de rechercher une occurrence du mot. Cela ne dit presque rien des pratiques sociales antérieures et pas assez sur celles qui peuvent être reliées à ce mot et à ses sens, une fois ceux-ci présents. De même, le travail rapide effectué ici ne permet pas de dire comment l’existence du mot et de ses sens peut éventuellement modifier ses pratiques et en particulier la perception de celles-ci. Mais ce travail de précision semble possible à condition d’entrer dans l’analyse croisée des textes et des contextes de ceux-ci : travail qui me restera à opérer à partir de ces soubassements…

Si le terme « ségrégation » apparaîtrait dans la langue française dès le 16e siècle5, ses usages ponctuels au 15e6 , ou ceux au 19e et au début du 20e siècle se limitent à une « séparation » entre des choses ou des objets, et ne concernent des groupes ethno-raciaux que relativement très tardivement en français. Une telle utilisation est ainsi signalée une première fois par le TLFi dans le roman Magie Noire écrit en 1928 par Paul Morand7. Or, à la fois dans le contexte français, mais également dans de nombreux autres contextes nationaux et/ou coloniaux, des mécanismes de ségrégations sont inhérents aux dynamiques du phénomène colonial8 : sans même envisager l’Apartheid sud-africain plus tardif (après-guerre), qui pousse à l’extrême cette logique. Les pratiques de ségrégation, sans que le terme soit forgé, remontent ainsi a priori à une date bien antérieure : elles ont sans doute toujours existé, depuis les premières cités antiques (hypothèse historique qui nécessiterait d’être interrogée). Elles sont manifestes durant le moyen-âge avec les ghettos à Venise – pour les juifs ou même déjà pour d’autres groupes ethniques – et ailleurs en Italie, ou encore dans le cadre de la colonisation anglaise de l’Irlande (Nightingale, 2012, 1-2). Mais, si on se limite à la période moderne, les premières « politiques »9 d’administration des cités coloniales ont été mises en œuvre dans le contexte des Indes britanniques dès le 18e, en particulier en distinguant une « ville noire » d’une « ville blanche » à Madras (ibid., 2). Durant le 18e et le 19e siècle, l’Empire colonial britannique a été la matrice d’émergence de pratiques et de politiques de ségrégation, ce qui se traduit sans doute par l’apparition assez précoce du terme ségrégation dans ce contexte-là, que repère Nightingale dès les années 189010. Mais sans que la ségrégation soit spécifique à ce contexte colonial particulier, puisque l’auteur l’identifie également au contexte brésilien, ou encore au cas de Rabat dans le Maroc colonial11, tout comme d’autres auteurs le repèrent dans le cas de la colonisation française de Dakar au Sénégal : des pratiques de ségrégations furent recommandées dès 1893 et officiellement adoptées dès 1901 (Headrick, op. cit., 163). La « ségrégation-mania » se diffuse ainsi durant toute la fin du 20e siècle à une large part des cités coloniales du monde (Nightingale, 2012).

Pour revenir au cas sud-africain évoqué, on peut en fait distinguer avec William Beinart et Saul DuBow (1995, 3) deux périodes : celles de la ségrégation de 1910 à 1948, de laquelle émerge, après cette date, le système de l’Apartheid. Les racines de ce système politique de divisions sociales coloniales étant elles-mêmes bien plus anciennes et se situeraient selon ces auteurs (op. cit., 1) dès la période coloniale initiale des 17e-18e siècle (période néerlandaise, puis britannique et enfin des Boers) : ce qui donnera lieu, déjà dès le 19e siècle et la colonisation britannique de l’Afrique du Sud, à des pratiques effectives de ségrégations raciales (Maylam, 1995, 22). Par contre dans ce contexte, le terme de « ségrégation » semble apparaître tardivement, là encore dans les discours politiques nationaux, puisque celui-ci n’a pu être attesté qu’à partir de 1908 (DuBow, 1995, 147), alors que des politiques de « séparation territoriale » sont pensées dès 1903 (ibid.) par exemple dans le cadre de la South African Native Affairs Commission (SANAC).

Dans un autre contexte important – celui des États-Unis –, on se situe dans un cas très particulier, puisque tout en se plaçant dans un contexte colonial (et de fortes immigrations), l’essentiel des mécanismes de ségrégation, même s’ils peuvent concernées plusieurs « groupes ethniques » (mais jamais avec la somme des réalités sociales, juridiques et politiques qui a caractérisé la ségrégation des Africains Américains durant plus d’un siècle) s’exercent sur des esclaves puis des anciens esclaves et descendants d’esclaves Africains Américains, « objets » de ces processus, qui sont ainsi les « produits » (au sens sociologique et économique) « importés » d’un système colonial marchand. Le contexte d’émergence sémantique initiale de ce sens-là du terme ségrégation peut ainsi, sans doute, être resitué dans celui de la ségrégation raciale états-unienne12. Le terme est d’abord repérable13 dans ce qui semble être son sens initial dans des documents de différentes origines dès 182314. On peut également repérer une première occurrence du terme avec un usage politique au moins à partir de 185115. Comme on peut repérer un usage politique spécifiquement lié à la place des Africains Américains aux États-Unis au moins à partir de 188416. Un usage ethnographique peut être également repéré au moins dès 188517. Ce contexte peut être resitué dans les périodes de la guerre de Sécession et de l’abolition de l’esclavage, puis de la reconstruction (Reconstruction Era) entre 1865 et 1877, et de la mise en place du système Jim Crow (voir infra) à partir de 1876. Dans ces deux dernières périodes s’expriment à la fois :

1) la volonté de légiférer à un niveau fédéral en faveur de l’égalité juridique pour mettre fin aux distinctions sociales ségrégatives concrètes entre blancs et noirs (par l’élaboration du Civil Rights Act de 187518, appelé également Enforcement Act (mais le terme ségrégation n’apparaît pas explicitement dans ce texte, même si l’idée y est présente) qui a cherché à élaborer les conditions effectives d’un traitement égal dans l’accès à certains domaines sociaux (transports, justice, etc.)) ;

2) la mise en œuvre effective de la ségrégation socio-raciale des Africains Américains. En fait le Civil Rights Act, fut ainsi dès 1883 reconnu inconstitutionnel par la Cour Suprême, qui le remplaça par les Civil Rights Cases. Ce faisant elle limitait ainsi la possibilité légale d’imposer les conditions de la déségrégation effective, quand dans le même temps dès 1876, le système Jim Crow, réintroduisait légalement ou dans les pratiques la ségrégation (ce qui introduit deux formes de ségrégation comme pratique sociale : une ségrégation de jure et une ségrégation de facto ; distinction qu’on peut encore retrouver dans certaines manières de définir sociologiquement le terme ségrégation19 dans notre contexte contemporain), en particulier à partir d’un ensemble de textes juridiques instituant une ségrégation basée sur le principe Separate but equal, soit spécifiques à certains états en particulier du Sud, ou à un niveau fédéral.

Là encore, dans ce contexte, les pratiques ségrégatives sont à la fois plus anciennes que l’apparition du mot dans la littérature académique ou politique états-unienne, et par ailleurs le terme ségrégation n’est pas le seul qui concerne les questions posées. On pourrait dès lors faire l’hypothèse qu’elles peuvent également s’exprimer, même si c’est avec des usages différents, par exemple à travers le terme ghetto. Si on regarde cette hypothèse de plus près, en s’intéressant ponctuellement à l’usage de ce terme dans la littérature durant cette période, on constate qu’un premier usage semble seulement être effectif au mieux dès 1878 : usage qui est relié à la place des Noirs dans la société états-unienne, mais qui se limite au sens étymologique du terme ghetto (en référence au « ghetto juif »)20, tout en parlant de « quartier noir » (negro quarter), faisant ainsi implicitement référence à la même figure. Une première référence explicite21 au « ghetto noir » repérable est issue du travail pionnier du sociologue Africain Américain William E. B. Du Bois dans The Philadelphia Negro (1899)22. On voit donc que la pertinence de l’hypothèse doit être discutée.

À partir des éléments précédents, on peut ainsi proposer en guise de synthèse l’hypothèse23 de différents usages du terme « ségrégation ». Cette hypothèse repose sur le repérage d’au moins six formes différentes et ainsi de différents basculements de sens du terme, qui viennent ainsi qualifier des pratiques sociales qui émergent progressivement au cours du temps : un usage qui correspond au sens original, d’ordre phénoménologique, qui indique la séparation entre des « choses » (« usage initial »), un « usage biologique », pour parler de la séparation dans le champ de l’écologie des espèces. Cet usage semble s’être étendu (peut-être aux 17e-18e siècles) au champ médical dans le traitement sanitaire des populations (« usage anthropologique »), en particulier semble-t-il, dans des contextes coloniaux au 18e siècle (par exemple pour lutter contre la propagation de maladies, la « ségrégation » des populations permettant la « ségrégation » des risques sanitaires en séparant les populations sur des bases raciales). Il s’est, dans la continuité, attaché à des discours liés à l’émergence de l’ethnographie (« usage ethnographique »), au 19e siècle, pour qualifier l’émergence d’« ethnies », à partir des premières théories supposant des processus d’isolement des groupes et des populations pour les « produire ». Dans le même temps, il s’est étendu avec l’émergence d’un sens politique (« usage politique ») du terme, aux 18e-19e siècles, lorsqu’on a cherché à appliquer des politiques de séparation (d’abord sur des critères sanitaires, mais basés sur une vision anthropologique des « races ») de groupes sociaux dans le contexte colonial (incluant des groupes fondés sur des critères ethno-raciaux). Usage qui relève de la volonté de séparer (ou plus tard de ne pas séparer) des groupes sociaux (ou socio-raciaux). Un sens sociologique (« usage sociologique ») existe de fait dans le temps (émergeant avec la volonté de décrire des réalités sociales, en même temps que sont élaborées les prémisses d’une sociologie, peut-être dès le 18e siècle), qui relève de la description de ces politiques et des phénomènes sociologiques liés à ces groupes sociaux. Cet usage a d’abord concerné une dimension générale, sociétale, avant d’être doublé d’un sens restreint à une dimension spatialisée, comme c’est le cas parfois dans l’utilisation dans le contexte de l’usage français du mot. Par ailleurs, les discours qui utilisent explicitement le terme ségrégation mélangeant parfois dans les faits ces différents sens, par les glissements implicites qui s’opèrent de l’un vers l’autre.

Pour conclure, je souhaite revenir sur l’utilité d’un tel travail. Ce qui me semble possible de faire à partir d’une étude socio-sémantique historique du terme ségrégation c’est de contribuer (pour une part) à une sociologie de la connaissance, en focalisant un tel travail sur les logiques de connaissance du monde social des acteurs. Que cette connaissance soit épistémologique ou gnoséologique, c’est-à-dire à prétention scientifique ou pas, permettant à différents acteurs de donner sens à ses expériences dans une perspective pragmatiste. À partir de ce premier temps d’une approche socio-sémantique historique, ce qui m’intéresse ce sont donc les relations entre, d’une part, les paradigmes scientifiques élaborés et mobilisés dans le temps pour comprendre les phénomènes sociaux relevants de mécanismes de ségrégation(s), à travers les usages que permettent ou ne permettent pas le/les mots, la manière dont les sens prennent pour le/les mots, et d’autre part comment ce travail peut alimenter, en comparaison, une compréhension de la manière dont aujourd’hui les acteurs, au quotidien, dans les villes, les quartiers qui sont les lieux de ces mécanismes de ségrégations, construisent également des « paradigmes de pensée » (ou de façon synonyme des « manières de voir le monde », des « visions du monde », etc.). Ces paradigmes, je les entends comme des ensembles de conceptions qui constituent des systèmes d’interprétation du monde (Boltanski & Thévenot, 1991) pour les individus et qui leur permettent d’expliquer ce monde social spécifique qui les entoure. Ces termes se rapprochent des notions de « folk theories » (Lamont, 2002) de la littérature états-unienne, parfois traduites par « théories naïves »24. Ce qui m’intéresse donc c’est la manière dont cette socio-sémantique historique du terme peut éclairer une sociologique de la connaissance des acteurs, dans la manière dont ils disent le monde social dans lequel et avec lequel ils interagissent. Pour moi il est donc question d’interroger les « lieux communs » des acteurs à propos de la ségrégation, comme sens commun : celui de l’acteur, du militant, de l’habitant du quartier, tout comme celui de l’habitant du quartier bourgeois, du dominant, du politique, du scientifique. Le sens commun du scientifique, dans une approche critique, c’est-à-dire ses « lieux communs » n’a pas a priori une supériorité dans la capacité critique par rapport au sens commun du militant, engagé dans la mise en lumière des réalités sociales vécues par les habitants d’un quartier ségrégé, ils possèdent chacun leurs ressources critiques. En ce sens, une théorie critique n’est pas l’apanage du scientifique, elle est présente chez le militant aussi : la rupture par le militant du sens commun militant se fait dans l’action. L’action est ainsi une forme d’enquête par l’expérimentation, ce qu’il faut rapprocher de l’enquête de John Dewey (1938).

Notes

[1] Les auteurs cités parlent de racisme institutionnel, mais on peut considérer que les deux termes sont possibles, c’est un autre débat…

[2] Même si cette rupture ne sera connue, sans être encore reconnue de façon dominante, que bien plus tard dans ce contexte ou le nôtre.

[3] Terme qu’il ne faut pas prendre comme validant une vision raciste du monde, mais, au même titre que le terme ethnie, comme une construction sociale de la réalité, même si elle n’a aucune valeur scientifique (biologique, génétique), elle existe socialement : ce n’est ainsi pas la différence raciale ou ethnique qui produit le racisme, mais c’est la construction sociale de frontières et leur maintien entre des groupes sur une base ethnique et/ou raciale qui créent la race et l’ethnie (Barth, 1969). Leur fonction est de désigner l’autre : avec une valeur ethnique (l’autre d’un point de vue de la différence fondée sur la culture) ou raciale (la différence fondée sur une nature) (voir Guillaumin, 1972).

[4] C’est ce que met en évidence l’émergence d’une socio-linguistique, selon Stéphane Dufoix (2012, 18-26), à travers les travaux de différents auteurs (Bréal (1897), Meillet (1905-1906), Febvre (1928), Starobinski (1999), Merton et Barber (1958), Skinner (1978), Guilhaumou (2007), etc.) débouchant sur la spécificité de l’approche épistémologique de la socio-sémantique historique qui cherche à prendre en compte dans l’étude d’un mot à la fois les dimensions sémantique, historique et sociales (Dufoix, 2012, 26).

[5] Il est attesté dès 1374, sous la forme segregacion d’après le Trésor de la Langue Française Informatisé, TLFi (voir Article étymologique « ségrégation » http://www.cnrtl.fr/etymologie/s%C3%A9gr%C3% A9gation). Le sens premier est celui d’une « action de séparer », qui correspond à son origine latine (le verbe segrego signifie « séparer du troupeau » et par extension « mettre à l’écart, séparer, isoler, éloigner » (d’après Gaffiot, F. (1936). Dictionnaire abrégé Latin-Français. Paris : Librairie Hachette, 581).

[6] Chez Fabri, P. (1535). Le grand et vrai art de pleine rhétorique publié en 1889-1890 à Rouen par Alexandre Héron en 2 livres ou chez Meigret, L. (1550). Le Traité de la grammaire française, publié en 1980 à Tübingen par F. J. Hausmann (cités par TLFi, Article étymologique « ségrégation »).

[7] Pour l’auteur la ségrégation désigne la « séparation absolue, organisée et réglementée, de la population de couleur d’avec les blancs », Morand, P. (1930). Magie noire. Paris : Flammarion et Ferenczi (cité par TLFi, op. cit.). Il semble par ailleurs que le roman est en fait été précédemment publié aux éditions Grasset en 1928.

[8] Voir par exemple le numéro 99 des Cahiers d’Etudes Africaines intitulé « Ségrégation spatiale, ségrégation sociale » consacré à cette question et en particulier le préambule de ce numéro (Coquery-Vidrovitch, C. (1985). « Ségrégation spatiale, ségrégation sociale ? ». In, Cahiers d’études africaines, vol. 25, n°99, p.293-294).

[9] Pour Headrick (1988) ces « politiques » sont à la fois marquées par des décisions officielles explicitement pensées pour séparer spatialement des populations (souvent justifiées sur des bases sanitaires : Headrick, 1988, 163), mais se croisent avec des mécanismes qui constituent également autant de politiques de « faits », qui même sans que n’interviennent de décision effective, tendent dans la réalité aux mêmes résultats ségrégatifs qu’on laisse ainsi se développer (op. cit., 166).

[100] L’auteur indique : « The word “segregation” itself was first used for techniques of racial isolation in Hong Kong and Bombay (today’s Mumbai) in the 1890s. From there it inspired a nearly worldwide spread of what I call “segregation mania” across Asia, Africa, and the Atlantic world », (Nightingale, 2012, 3). L’expression segregation mania est une expression utilisée par Daniel R. Headrick (1988, 164).

[11] “The mania even resonated in Latin American cities like Rio de Janeiro and Buenos Aires, where distinctions between black and white were typically murkier than elsewhere. Monumental segregated colonial capitals went up in places like Rabat, in French Morocco, and New Delhi, in British India, signaling new arrogant ambitions for urban planning based on separate racial zones”, (Nightingale, 2012, 3).

[12] Il faut garder à l’esprit que les formes prises par la ségrégation (il faudrait dire les ségrégations) aux États-Unis sont largement à distinguer dans le temps et l’espace : entre les formes de ségrégation sociale avant la guerre de sécession que prennent la place des noirs dans les plantations du Sud, ou dans le Sud après cette période sous le système Jim Crow, ou à la même période dans les villes du nord, ou encore entre les deux guerres, ou mêmes dans les années 50-60. Mais je ne peux dans ce qui suit cette distinction de façon suffisamment précise.

[13] Ce travail provisoire de repérage d’occurrence du mot a été effectué à partir d’une recherche sur la base de données de Jstor qui archive des textes numérisés conservés aux États-Unis datant au moins du XVIe siècle. Ces textes concernent éventuellement différentes langues, mais essentiellement des textes en langue anglaise. Ils sont constitués (catégories de Jstor) par des « pamphlets » ou des textes de revues (articles, comptes-rendus d’articles ou d’ouvrages), mais pas d’ouvrages.

[14] Par exemple dans : “A Discourse concerning the Influence of America on the Mind, Being the Annual Or ation Delivered before the American Philosophical Society, at the University in Philadelphia, October 18, 1823 by C. J. Ingersoll”, The North American Review, Vol. 18, No. 42 (Jan., 1824), p.157-178; Report of the directors of the Maryland Penitentiary, made to the executive and communicated by His Excellency Governor Carroll, to the legislature, at December session, 1830. Maryland Penitentiary, Hume Tracts, 1830; Anti-national education, or, The spirit of sectarianism morally tested by means of certain speeches and letters from the Member for Kilmarnock, Hume Tracts, 1837.

[15] “We see not how these ends can be obtained in a country like ours, which is, so to speak, cursed with great advantages for agriculture, emigration, and the segregation of the people from each other, without throwing over our manufacturing industry, at least for half a century to come, the broad shield of an effective protecting tariff”, Colton, C., “Public Economy for the United States”, The North American Review, Vol. 73, No. 152 (July, 1851), p.90-116.

[16] “The negro may migrate, but he will not emigrate. He has been here more than two hundred and fifty years, and quite as much as any other class he is imbued with our religion and with our ideas, while he is largely interwoven with our material interests and prosperity. Every attempt at his deportation to the tropics or elsewhere, or his segregation on this continent, has signally failed. Every fact in his history, every known trait in his character, indicate that he will remain where he is. But while remaining here, he will also continue as a distinct race”, Emerson, J. A. In C. A. Gardiner, J. T. Morgan, F. Douglass, Z. B. Vance, J. C. Harris, R. T. Greener, O. Johnson, S. C. Armstrong, J. H. Walworth and J. A. Emerson. “The Future of the Negro”. The North American Review, Vol. 139, No. 332 (Jul., 1884), p.78-99.

[17] “Under such circumstances it results that women and children are gradually taken from the control of those persons who had previously been supposed to be their natural protectors, their clan kindred, and fall under the control of their husbands and fathers, who are members of other clans. The same result has always been produced by the segregation of the male members of the clan from the tribe through agriculture by irrigation”, Powell, J. W. “From Savagery to Barbarism. Annual Address of the President, J. W. Powell, Delivered February 3, 1885”. Transactions of the Anthropological Society of Washington, Vol. 3 (Nov. 6, 1883 – May19, 1885), p.173-196. Un tel usage ethnographique est auparavant repérable dans un contexte anglo-saxon dès 1857 : voir Yule, H. “On the Geography of Burma and Its Tributary States, in Illustration of a New Map of Those Regions”, Journal of the Royal Geographical Society of London, Vol. 27 (1857), p.54-108.

[18] Voir Wilson, K. H. (2002). The Reconstruction Desegregation Debate: The Politics of Equality and the Rhetoric of Place, 1870-1875. East Lansing: Michigan State University Press.

[19] Voir article Wieviorka, M. (1999). « Ségrégation », Dictionnaire de sociologique. Paris : Le Robert/Seuil.

[20] “The Italian Christian used to think that Nature had given to Jews the offensive odor which they brought with them from the wretched streets to which legalized intolerance for so many ages confined them ; just as those Georgians, described so amusingly by Mrs. Kemble, fancied that colored people, living in log-hovels, had naturally a disagreeable smell too deep for soap-and-water. It would not be easy to convince a Mohammedan of Algiers, a Christian of Rome, or a  » cracker  » of Mississippi, that the odor which they remark is simply the stench exhaled from the abodes of squalid poverty the world over – from the Irish cot, the Highland hut, the French, Italian, and Spanish hovel, as well as from the Ghetto at Rome, and the negro quarter of a rice-plantation”, Parton, J. “Antipathy to the Negro”. The North American Review, Vol. 127, No. 265 (Nov. – Dec., 1878), p.476-491, p.485.

[21] Une recherche dans Jstor ne met en évidence qu’un texte daté de 1912 (Haynes, 1912), écrit par un autre sociologue Africain Américain, Georg E. Haynes, qui fut lui-même le premier docteur diplômé de sociologie de l’université de Colombia à New-York (Saint-Arnaud, 2003, 241), qui y fait à la fois référence à la ségrégation raciale des noirs et à la figure du ghetto.

[22] “In Philadelphia, as elsewhere in the United States, the existence of certain peculiar social problems affecting the Negro people are plainly manifest. Here is a large group of people –perhaps forty-five thousand, a city within a city– who do not form an integral part of the larger social group. This in itself is not altogether unusual; there are other unassimilated groups: Jews, Italians, even Americans; and yet in the case of the Negroes the segregation is more conspicuous, more patent to the eye, and so intertwined with a long historic evolution, with peculiarly pressing social problems of poverty, ignorance, crime and labor, that the Negro problem far surpasses in scientific interest and social gravity most of the other race or class questions”, (Du Bois, 1899, 5). Au passage il faut noter que la ségrégation sociale ne touche ainsi pas seulement l’accès aux noirs à la justice, au vote politique, à l’école ou à la ville, mais également à la compréhension par eux-mêmes de leurs propres réalités sociales, à travers la production d’un récit sociologique, comme le montre l’ouvrage de Pierre Saint-Arnaud (2003), sur l’émergence d’une sociologie noire américaine.

[23] Les éléments qui suivent sont issus d’une analyse superficielle et rapide que j’ai effectuée des différents textes recueillis jusqu’à présent : il s’agit d’hypothèses exploratoires qu’il faudra étayer formellement dans la suite de la recherche.

[24] Sans lui donner ce sens implicitement péjoratif : en cela, le terme peut être rapproché de la notion de « théorie ordinaire » proposée par Michèle Lamont (2002).

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Cite this article as: Yvon Fotia, « Jalons pour une socio-sémantique historique du terme ségrégation : usages comparés et contextes d’usages, » in Paradigmes et ségrégations, 8 février 2017, http://pses.hypotheses.org/65.

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