2017-01-30

MÉLANGES TIRÉS D’UNE PETITE BIBLIOTHÈQUE (15)



LE LIVRE QUI A CHANGÉ MA VIE : LES POESIES D’EXPILLY (1596)

En mémoire de Jean Paul Barbier-Mueller (1930-2016)[1]

Nous avons tous connu des moments tournants dans notre existence, des instants où tout bascule, sans d’ailleurs qu’on le sache ou comprenne immédiatement, les conséquences ne se faisant sentir qu’à plus ou moins long terme. Certains nous demeurent à jamais inconnus ; d’autres, en revanche, sont parfaitement identifiables et leurs conséquences, calculables : ces jours que l’on dit « à marquer d’une pierre blanche ». A titre personnel, l’un de ces moments charnières a été provoqué (mais est-ce une surprise ?) par un livre, et c’est ce volume, cet exemplaire que je veux vous présenter aujourd’hui.



I. Un livre auquel je dois tout

L’impact personnel, je le décrirai en quelques mots. Le 13 juin 2003, vers la fin de mes études, je reçois au domicile de mes parents, près de Douvaine, le catalogue de la librairie « La Bouquinerie », sise dans le centre-ville de Grenoble, juste à côté du lycée Champollion.



Durant mes années d’hypokhâgne-khâgne, j’y avais passé bien des heures, après-midis et soirées, glanant au fil des années quelques très beaux livres, avec de très sympathiques et érudites conversations avec les amis François et Martine Gaspari. Or donc, ce catalogue « Choix de livres » présentait, sous le n° 95, une notice qui me fit sauter le cœur.



Il s’agissait ni plus ni moins que d’un exemplaire des Poésies de Claude Expilly (1596), un ouvrage fort rare que je connaissais par le catalogue Ma bibliothèque poétique de Jean Paul Barbier-Mueller, offert par mes parents durant mon adolescence. Ni une, ni deux, je réserve le livre par téléphone, saute dans ma voiture et fais l’aller-retour jusqu’à Grenoble, payant le livre d’un mois de pension paternelle (sans doute le meilleur investissement jamais fait !).

Profitant des vacances pour étudier le livre et son histoire sous toutes les coutures, je me paye le culot d’écrire à Jean Paul Barbier-Mueller le 13 juillet suivant, répondant ainsi à l’invitation qu’il avait faite, dix ans plus tôt, dans la préface d’un des tomes de son catalogue bibliographique, aux jeunes chercheurs et collectionneurs. Quelques jours plus tard, il me répond très aimablement de sa retraite estivale, m’expliquant que c’est la première fois que cette invitation trouvait un écho ! Nous convenons d’un rendez-vous pour comparer nos exemplaires, ce qui advient finalement le 17 septembre 2003, lors d’une communion mémorable autour des livres poétiques Renaissance de sa prodigieuse collection. Avec son immense et coutumière générosité, il me fait alors cadeau d’une des quatre lettres autographes d’Expilly en sa possession, m’expliquant avec humour pouvoir « très bien vivre avec seulement trois lettres » du poète ! Six mois plus tard, alors que je prépare l’agrégation d’histoire, sa secrétaire personnelle me téléphone et me propose le poste de conservateur de la bibliothèque, alors vacant, pour le 1er août 2004. De là, près de 10 ans au Musée Barbier-Mueller, avec de nombreux challenges (l’exposition Mignonne, allons voir…, les recherches en vue du Dictionnaire des poètes du XVIe siècle, etc.), puis, dans la lignée directe, mon poste à la Fondation Bodmer. Et, last but not least, la rencontre de ma femme Ella (qui travaillait alors comme « petite main » au Musée Barbier-Mueller pour payer ses études) et, par voie de conséquence, la naissance de nos enfants Sophie et Alexis. Bref, du seul achat de ce livre (que j’aurai pu rater en recevant le catalogue en retard ou en étant le deuxième à décrocher mon téléphone : j’en tremble rétrospectivement !) découle donc toute une série de rencontres favorables et d’opportunités extraordinaires. On comprendra que Claude Expilly occupe une place particulière dans ma collection !



II. Claude Expilly, magistrat et poète grenoblois

Issu d’une famille de la petite noblesse dauphinoise, Claude Expilly (Voiron, 1561 – Grenoble, 1636) mena ses études à Paris, au collège de Tournon, avant de se fréquenter les universités de Turin, puis Padoue, où il rencontra l’humaniste et poète Sperone Speroni, qui l’initia « à la galanterie des Muses » (autrement dit aux vers). Il obtint son doctorat en droit à l’université de Bourges en 1583. Il entra dans la carrière juridique comme avocat au Parlement de Grenoble, où il se distingua par ses brillants plaidoyers. Il soutint un temps le parti de la Ligue, mais se rallia, après la victoire remportée par les Royaux à Pontcharra le 18 septembre 1591, à la cause d’Henri IV et à son représentant dauphinois, le duc de Lesdiguières. Le monarque lui confia plusieurs missions de confiance et le nomma conseiller d’Etat. Outre ses remarquables travaux de juriste, Expilly fut aussi un poète remarqué. Il fut finalement nommé conseiller au Parlement de Grenoble, avocat-général en 1604, puis président de cette cours, une fonction qu’il occupa de 1616 à 1629.

Portrait de Claude Expilly (Les Poëmes, 1596)

Les autographes de Claude Expilly semblent très rares sur le marché. Jean Paul Barbier-Mueller avait donc eu la bonne fortune d’en acheter un lot dans les années 1980. Il en reproduisit une dans Ma Bibliothèque poétique, afin d’illustrer la notice consacrée à Expilly. Lors de notre première rencontre, il m’avait fait le magnifique cadeau de celle reproduite ci-dessous ; généreuse récidive quelques années plus tard, quand une autre de ces lettres fut, de la même manière, offerte à un autre possesseur genevois de l’édition de 1596.

Claude Expilly, lettre autographe signée au comte de Maugeron (représentant du roi en Dauphiné), Vizile, 30 septembre 1604.



III. Les Poëmes de 1596 : un livre connu à seize exemplaires

En 1596, Claude Expilly, alors âgé de 35 ans et procureur général de la Cour des Comptes de Dauphiné, se rendit à Paris où il représenta les deux premiers ordres de sa province au fameux « procès des tailles ». Il profita de ce séjour pour faire éditer ses poésies chez le meilleur imprimeur de la capitale, en un tirage « à compte d’auteur », par principe limité.

Titre de la première partie des Poëmes de 1596

Titre de la seconde partie des Poëmes de 1596

Le recueil se divisait donc en deux sections, chacune ornée d’une page de titre gravée et d’un frontispice, la première (dédiée à Gabrielle d’Estrées, marquise de Monceau, la toute-puissante maîtresse du roi) regroupant des vers amoureux, la seconde (offerte à François de Bonne, duc de Lesdiguières) des poèmes de circonstance (dont certains poèmes célébrant les victoires du parti royaliste en Dauphiné), le tout dans une veine néo-pétrarquiste de bon aloi.

Portrait de Gabrielle d’Estrées (Les Poëmes, 1596)

Certains exemplaires furent offerts directement par Expilly à des amis. Deux volumes contiennent ainsi un ex-dono daté de Paris, le 7 juillet 1596, soit un peu plus d’un mois après l’achevé d’imprimé (daté du 1er juin). L’un était destiné à un membre de la famille de Revol (mentions : « Monsieur d’Expilly m’a fait present de ce sien livre (…) juillet [sic] 1596 » et « J’ay ce livre en don de Monsieur d’Expilly, auteur d’iceluy, le septiesme julliet [sic] 1596, Revol »[2]) ; l’autre au fameux érudit et historien bordelais Bernard de Girard du Haillan (mention « Du don de l’Autheur au Sr. Du Haillan, faict à Paris le Viie de juillet 1596 »).

Sans doute ces parlementaires étaient-ils également partie prenante du « procès des tailles ». Quelques exemplaires semblent avoir été revêtus d’une reliure de vélin souple doré, avec couronne de feuillages au centre des plats, un ensemble qui fut peut-être une commande de l’auteur à quelque atelier parisien : on en connaît encore au moins cinq exemplaires[3].

On peut donc retrouver la trace de dix-huit exemplaires, dont deux disparus de longue date : l’un figurait dans le catalogue de la bibliothèque du baron Georges von Hohendorf (vendue à Leyde en 1720[4]) et n’est plus localisé ; l’autre appartenait aux fonds de la bibliothèque municipale d’Arras[5] et a disparu lors d’un bombardement allemand en juillet 1915. Parmi les seize autres connus, dix sont incomplets de l’un ou l’autre portrait, titre gravé ou feuillet de dédicace. Voici leur pedigree tel que j’ai pu le reconstituer. Six sont en mains privées :

Exemplaire Jean Paul Barbier-Mueller (Genève). Vélin souple doré (reliure de l’époque). Complet des deux portraits gravés (portrait d’Expilly provenant d’un autre exemplaire) et des deux titres gravés. Provenance : [ex-dono sans mention du destinataire] ; comte de Fresnes (vente Paris, 1893) ; baron Roger Portalis (vente Paris, 1913).

Exemplaire Jean Bonna (Genève). Vélin souple doré (reliure de l’époque). Complet des deux portraits et des deux titres gravés. Provenance : De Bazemont (signature au titre) ; Librairie Valette (Paris, Foire du livre 1991).

Exemplaire F.L. (Paris). Vélin souple (reliure de l’époque). Complet des deux portraits et des deux titres gravés.

Exemplaire Nicolas Ducimetière 1 (Genève). Vélin souple doré (reliure de l’époque). Incomplet du portrait d’Expilly et du premier titre gravé. Provenance : E./B. (monogrammes EE et BB dorés aux plats : à noter que Claude Expilly avait épousé une certaine Isabeau de Bonneton en 1569…) ; Devinay (Annonay, 1663) (ex-libris ms.) ; Librairie « La Bouquinerie » (Grenoble, cat. juin 2003, n° 95).

Exemplaire Nicolas Ducimetière 2 (Genève). Reliure maroquin bleu orné (Hardy-Mennil). Incomplet du portrait de Gabrielle d’Estrées et de la dédicace à la même. Provenance : Michel Vieusseux fils (ex-libris ms., XVIIIe) ; Henri Bordes (Bordeaux) (ex-libris ; cat. 1ère vente, fév. 1873, n°248) ; Ambroise Firmin-Didot (Paris) (ex-libris ; cat. 1ère vente, 1878, n° 351) ; Eugène Chaper (Grenoble) (ex-libris) ; Librairie Maggs Bros. (Londres, cat. 484 « French books from 1470 to 1700 », Noël 1926, n° 290 a, 45 £ ; Paris, cat. 9 « La Bibliothèque d’un humaniste », 1935, n° 190, pl. IX, 2500 frs.) ; Auguste Garnier (ex-libris ; pas au catalogue de sa vente de 1978) ; Librairie des Argonautes (Paris, juin 2010).

Exemplaire Génard/Couturier de Royas (non localisé). Reliure maroquin bleu orné (Thibaron-Joly). Incomplet du portrait de Gabrielle d’Estrée. Provenance : Génard (Grenoble) (vente Paris, 1882, n° 189) ; Couturier de Royas (Grenoble) ; Librairie Maggs (Londres, cat. 484 « French books from 1470 to 1700 », 1926, n° 290, pl. XXXIV ; Paris, cat. 9 « Bibliothèque d’un humaniste », 1935, n° 189).

Les dix exemplaires en institutions publiques sont donc les suivants :

Bibliothèque nationale de France (Paris) (cote : Rés.-Ye-174)[6]. Demi-reliure XIXe siècle. Complet des deux portraits et des deux titres gravés. Provenance : marquis de Courtanvaux (XVIIIe) ; Bibliothèque royale du château de Compiègne. Consultable sur « Gallica ».

Bibliothèque de l’Arsenal (Paris) (cote : 4°-BL-2924). Reliure veau marbré orné XVIIIe siècle. Incomplet des deux portraits, du second titre gravé et de la dédicace à Lesdiguières (pp. 111-112). Provenance : famille Bigot (Rouen, XVIIe-XVIIIe) ; duc de La Vallière (vente 1785, n° 13048) ; marquis de Paulmy ; comte d’Artois.

Bibliothèque municipale de Grenoble (cote : Fonds dauphinois, V.1385). Reliure maroquin marron orné (Fraeuly). Incomplet des deux portraits et de la dédicace à Gabrielle d’Estrée.

Bibliothèque municipale de Digne (cote : Rés. 94). Cartonnage fort en papier crème (reliure d’époque ?). Incomplet des deux portraits. Provenance : [couvent des Minimes de Mane ?] ; entrée dans les collections de la BM avant 1856.

Bibliothèque municipale de Rennes (cote : 15063 Rés. 16e siècle). Reliure de vélin souple doré (reliure de l’époque). Incomplet du portrait d’Expilly. Provenance : François de Revol (ex-dono) ; famille de Revol ; [collège des Jésuites de Rennes ?].

Bibliothèque municipale de Bordeaux (cote : B.1226 Rés.). Reliure de basane brune (reliure du XVIIe siècle). Complet des deux portraits et des deux titres gravés. Provenance : Bernard Girard du Haillan (ex-dono) ; [Académie royale de Bordeaux ?].

Bayerische Staatsbibliothek (Munich) (cote : res 4.P.o.gall.46). Reliure de parchemin rigide (reliure du XVIIe siècle). Incomplet du second titre gravé. Provenance : prince-électeur Karl-Theodor von der Pflaz (super-libris, château de Mannheim) ; Bibliothèque du château de Munich à partir de 1803-1804.

British Library (Londres) (cote : 640.k.7). Reliure moderne. Complet des deux portraits et des deux titres gravés. Provenance : Royal Library (acquisition XVIIe?) ; British Museum (versé en 1753).

Biblioteca nazionale centrale Vittorio-Emanuele II (Rome) (cote : 6.7.K.8). Reliure de veau rouge orné (reliure fin XVIIe ou début XVIIIe siècle). Incomplet du portrait d’Expilly et du second titre gravé.

University of Virginia library (Charlottesville, USA) (cote : Gordon.1596.E86). Reliure de maroquin rouge orné (Lortic). Incomplet du portrait de Gabrielle d’Estrée. Provenance : Adrien Lebeuf de Montgermont (cat. vente, mars 1876, n° 371) ; Eugène Chaper (Grenoble) (attesté par un notice de Gariel en 1878) ; G. de Béréa (Genève) (provenance attestée par la notice manuscrite écrite par M. Gordon dans son catalogue, mais le livre ne figure pas au catalogue de la vente de Béréa, salle Kündig, Genève, 26 juin 1947) ; Librairie Nicolas Rauch (Genève) (présenté sous le n°132 du cat. 4, « Beaux-livres », 1952, n° 132, 1000 CHF) ; Douglas H. Gordon (Baltimore, Maryland, USA) (acheté à la librairie Rauch, noté dans son catalogue manuscrit sous le n°287) ; Bibibliothèque de l’University of Virginia (Charlottesville, Virginia, USA), fonds Gordon (légué fin 1986).

Certains exemplaires (Barbier-Mueller, Ducimetière 1, F.L.) comportent d’assez nombreuses corrections manuscrites (jusqu’à une trentaine), reprenant en partie le contenu des errata de la p. 215 ou s’ajoutant à cette liste. Il faut par ailleurs relever une petite particularité de tirage : suivant les exemplaires, la page 189 peut se rencontrer chiffrée « 891 » (marque d’un tirage antérieur de ce cahier ?) ou « 189 » (version corrigée ?).

N° 750 – Petit in-4°, de VIII ff., 106 pp., I f. et 216 pp.. Reliure de vélin souple doré, dos lisse orné de filets et de fleurs de lys dorés, plats encadrés d’un mince double filet doré, couronne de lauriers centrale à chiffres entrelacés, tranches dorées (reliure de l’époque). Texte réglé à l’encre brune. Corrections manuscrites ; nombreux essais de plume et croquis d’époque. Exemplaire à toutes marges, aussi grand que l’exemplaire Barbier-Mueller (239mm). Incomplet du premier titre gravé et du portrait d’Expilly, vélin racorni et coutures faibles. Provenance : cf. recensement ci-dessus.

N° 1000 – Petit in-4°, de [2] ff., 106 et 216 pp. Reliure de maroquin bleu foncé, dos à nerfs orné aux petits fers, filets dorés sur les coupes, riche dentelle intérieure, tranches dorées sur marbrures (Hardy-Mennil). Provenance : cf. recensement ci-dessus.

Bibliographie : Jean Paul Barbier-Mueller, Ma Bibliothèque Poétique, tome IV-2, Genève, Droz, 2001, pp. 185-198 ; Nicolas Ducimetière, Mignonne, allons voir… Fleurons de la bibliothèque poétique de Jean Paul Barbier-Mueller, Hazan, 2007, n° 88 ; Jean Balsamo et Michel Simonin, Abel L’Angelier et Françoise de Louvain…, n° 268.



IV. Les Poëmes de 1624 : une belle édition grenobloise

Vingt-huit ans après l’édition originale parue à Paris en 1596, Claude Expilly, devenu premier président du Parlement du Dauphiné, livra, mais cette fois chez un imprimeur grenoblois, le plus talentueux d’alors, Pierre Verdier, une nouvelle édition de ses poèmes, considérablement augmentée, notamment par une troisième partie inédite, dédiée au cardinal de Richelieu, alors au sommet de sa puissance. Cette nouvelle édition comporte aussi la première édition du Supplément à la vie de Bayard, étude historique reprise en 1650 dans la Vie de Bayard éditée par le libraire grenoblois Jean Nicolas. Le volume est l’un des seuls in-quarto produits par Verdier qui utilisa une typographie très réussie et agréable.

Expilly voulut employer, en vain, son orthographe réformée, un projet lui tenant beaucoup à cœur (il avait publié à Lyon, en 1618, un in-folio très rare intitulé « L’Orthographe françoise selon la prononciation de notre langue »). Dans une note à la fin de ces Poëmes de 1624, il dit être « marry que l’orthografe moderne que j’ay voulu suivre, n’ait été exactement observée an cete impression, mêmes aux androis où j’ay retranché les S. qui ne se prononsent point, & an ceux où les E. se pronsent an A ». La page de titre est ornée des armes au coq de Claude Expilly, gravées sur bois. A la page 459, comme dans la majorité des exemplaires, on note une correction à l’encre de la main même d’Expilly. Cet exemplaire appartient au tirage dit « A », comme identifié par Jean Paul Barbier-Mueller.

N° 751 – In-4°, de (4) ff., 461 pp. et (5) pp. Reliure de vélin ivoire souple à rabats, dos lisse portant le titre calligraphié, tranches poncées (reliure pastiche dans le goût du XVIIe siècle, atelier Burckhart, automne 2003). La reliure d’origine était aussi en parchemin souple, avec titre maladroitement inscrit à l’encre au dos. Son état médiocre (manques, déreliages) a motivé son remplacement. Exemplaire grand de marges, sur papier fort. Provenance : P. Delouley (ex-dono manuscrit : « Ce livre m’a esté donné par Monsr. D’Expilly, à Grenoble, le 25e Mars 1633 ») ; Jacques de Blesson (né en 1902, diplomate, ambassadeur de France en Irlande en 1955-1960, en Suède, etc., époux de Georgette Monier de La Sizeranne) (ex-libris héraldique gravé) ; famille Monier de La Sizeranne (cat. vente de la bibliothèque Monier de La Sizeranne, Paris, Drouot, 13 juin 2003, n° 316).

Bibliographie : J.P. Barbier-Mueller, Ma Bibliothèque poétique, tome IV-2, pp. 200-210 ; E. Maignien, Imprimerie… à Grenoble…, n° 142 ; BM de Grenoble, exposition Sommets de la bibliophilie dauphinoise, Grenoble, 1992, p. 47, n° 32b.



V. Autres œuvres d’Expilly : le juriste et l’historien

Fidèle à la maison L’Angelier, Expilly employa les services du libraire parisien pour mettre au jour sa production juridique. Editée en 1608, avec une dédicace adressée au chancelier de Sillery, la première édition de ses fameux Pladoyez en réussissait une série de vingt-cinq, accompagnés de « quelques arrests & reglemens notables dudict Parlement de Grenoble »[7]. Tout au long du XVIIe siècle se succéderont les rééditions : 1612 (Paris, Veuve Abel L’Angelier), 1619 (id.), 1631 (Lyon, Rigaud), 1636 (Lyon, Durand), 1656 (Lyon, Radisson), etc.[8].

Mais Expilly mena aussi une carrière d’historien, s’attachant à parfaire la biographie d’une grande figure du Dauphiné : Pierre du Terrail (v. 1475-1524), dit « le chevalier Bayard »[9]. Une Très joyeuse, plaisante & récréative histoire du chevalier sans paour et sans reproches avait paru pour la première fois en 1527 chez Galliot Dupré : signée « Le Loyal Serviteur », elle est en général attribuée à Jacques de Mailles, le secrétaire personnel de Bayard. Une nouvelle biographie vit ensuite le jour en 1558 sous la plume de Symphorien Champier. Dans la troisième partie (inédite) de ses Poëmes de 1624, Expilly avait consacré un « Supplément à l’histoire du chevalier Bayard » (pp. 370-417), suivi d’un court « tombeau » poétique. On retrouve ces recherches dans le présent ouvrage, une réédition de la biographie (peu critique à l’origine) du « Loyal serviteur », mais augmentée des notes et commentaires de Théodore Godefroy, ainsi que des interventions de « Louis Videl » (en fait, le président de Boissieu) et d’Expilly. Le fameux libraire grenoblois Nicolas, maître-d’œuvre du livre, avait sollicité l’imprimeur Frémon pour cette première édition strictement dauphinoise de la vie de Bayard : l’ouvrage parut donc en 1650, l’édition de 1651 n’ayant que le titre rafraîchi.

N°752 – Histoire du chevalier Bayard…, Grenoble, Jean Nicolas, 1651.  Petit in-8°, de 480-123 pp. Reliure de maroquin rouge ancien, dos à nerfs orné de fleurons dorés, plats décorés « à la Du Seuil », tranches dorées (reliure de l’époque). Très grande fraîcheur intérieure.

Provenance : Docteur André Dénier (ex-libris ; catalogue Suite de l’importante bibliothèque de M. A…, bibliophile dauphinois [4e vente Dénier], Grenoble, 25 mai 2003, n° 232 : « Maroquin vieux rouge, dos à nerfs orné, encadrements sur les plats, toutes tranches dorées. Reliure ancienne. Edition de 1650, avec une page de titre datée 1651 »).

Bibliographie : Ed. Maignien, Imprimerie… à Grenoble…, n° 332 ; Brunet, Manuel du libraire…, tome III, col. 183 ; catalogue Les Sommets de la bibliophilie dauphinoise (BM de Grenoble, novembre 1992-janvier 1993), p.24, n° 12.



VI. Postérité : Expilly et ses biographes

Neveu de Claude Expilly,  Antoine Boniel de Catilhon était conseiller du roi et membre de la Chambre des Comptes de Dauphiné. Il rendit hommage à son oncle (mort en 1636), grande figure du monde parlementaire grenoblois, dans cette très laudative et peu critique biographie, texte toutefois scrupuleux dans son récit et plein d’anecdotes vivantes. Orné d’un portrait d’Expilly sur la fin de sa vie, cet ouvrage a manifestement été doté d’une « reliure éditeur » : j’ai croisé plusieurs exemplaires portant une vêture en tous points identiques à celle-ci, que ce soit en fonds publics, collections privées (exemplaire Barbier-Mueller) ou librairies d’anciens.

N° 858 – Antoine Boniel de Catilhon, La Vie de Messire Claude Expilly…, Grenoble, Philippe Charvys, 1660. Petit in-4°, de 166 pp. Reliure de basane marron, dos muet à quatre nerfs, plats encadrées d’un filet doré, sur les plats, tranches mouchetées (reliure de l’époque). Etiquettes de cote manuscrite et imprimée. Légères restaurations en queue (Burckhart). Bien complet de la gravure à l’eau-forte représentant Claude Expilly, après la page de titre. Provenance : Librairie « Le Bouquiniste » – François Perrin (Grenoble) (août 2001).

Bibliographie : Brunet, Manuel du libraire, volume II, col. 1136 (article « Expilly » : « On a une vie de Cl. Expilly écrite par Ant. Boniel de Cathillon, son neveu, Grenoble, Charvys, 1660, in-4° ») ; Maignien, Imprimerie et imprimeurs à Grenoble, pp. 178-179, n° 412 (fait remarquer la biographie en latin d’Expilly, tirée de l’œuvre de Jacques Philippes Tomasin, évêque de Cita-Nova, les Eloges des hommes illustres [ici, pp. 147-166]).

La figure d’Expilly devait connaître un regain d’intérêt à compter du début du XIXe siècle, lorsqu’un professeur et historien local, Jean-Claude Martin, lui consacra une nouvelle biographie, en grande partie nourrie de celle de Boniel de Catilhon.

N° XXX – Jean-Claude Martin, Histoire et vie de Claude Expilly, chevalier, conseiller du roi en son conseil d’Etat, et président du, parlement de Grenoble; avec notes, Grenoble, Imprimerie de Peyronard, 1803. Demi-reliure de veau bleu foncé, dos lisse, titre doré en long, non rogné (Burckhart).

Enfin, tout récemment, on notera les travaux d’Alessandra Preda, maître de conférences à l’Université de Milan, qui a livré une série d’articles passionnants sur l’auteur grenoblois :

« Le poète correcteur de ses œuvres : les deux éditions des poèmes de Claude Expilly », dans D’un siècle à l’autre : littérature et société (1590-1610), sous la direction de Philippe Desan et Giovanni Dotoli, Fasano, Schena Editore et Paris, Presses universitaires de la Sorbonne, 2001, pp. 153-188.

« Montaigne et Claude Expilly », dans Montaigne Studies, vol. XIII, nos. 1-2 (« La Famiglia de Montaigne »), 2001, p. 200

« Tra Tasso e Montaigne : il petrarchismo di Claude Expilly », dans Les Poètes français de la Renaissance et Pétrarque, études réunies par Jean Balsamo, coll. « Textes et Travaux de la Fondation Barbier-Mueller », Genève, Droz, 2004, pp. 429-443.

Quatorze ans plus tard, je rencontre à nouveau Expilly au détour d’un nouveau projet : ma thèse sur la poésie politique durant la huitième Guerre de Religion. Ses vers sur la bataille de Pontcharra ou le siège du château des Echelles y trouveront leur place naturelle, comme l’un des principaux chantres de la cause royale en terre alpine : l’histoire entre nous deux va donc encore se poursuivre un moment !

Nicolas Ducimetière

Janvier 2017

Essais de plume et croquis dans mon exemplaire 1 de l’édition 1596.

NOTES

[1] Cette chronique était déjà en grande partie écrite il y a plusieurs semaines, lorsque survint, le 22 décembre 2016, la disparition de mon mentor Jean Paul Barbier-Mueller, jadis rencontré autour et grâce au livre en question.

[2] Une pièce funèbre des Poëmes de 1596 (p. 201) était consacrée au trépas de Louis de Revol (1531-1594), nommé secrétaire d’Etat au département de la guerre en 1588 et qui avait rempli ensuite de nombreuses missions pour Henri IV. C’est à son neveu, François de Revol, seigneur de La Ramoillière, qu’Expilly offrit son livre en 1596.

[3] Exemplaires Barbier-Mueller / Bonna / Ducimetière 1 / Bibliothèque municipale de Rennes / collection F.L..

[4] Aimablement signalé par Jean Balsamo (communication personnelle, mars 2010).

[5] A. Wicquot, Catalogue méthodique de la Bibliothèque communale d’Arras, Reims, 1889, tome IV (« Belles-Lettres »), n° 1745

[6] Contient « deux séries de cahiers d’une impression différente, postérieure à 1603 ». Il s’agit tout d’abord de 31 pp. insérées entre les deux parties et constituées des « Stances pour Eriphyle » et des « Mascarades », pièces inédites prises dans l’édition de 1624 (pp. 109-123 et 152-168), et, in-fine, du « Tombeau de Laurent de Galles » (pas inédit) et du « Discours à M. de Morges » (inédit) (pp. 307-309 et 243-256 de l’édition de 1624).

[7] J. Balsamo et M. Simonin, op. cit., n° 465.

[8] Voir Edmond Maignien, Bibliographie des plaidoyers de Claude Expilly…, Grenoble, Allier, 1913.

[9] Pierre du Terrail naquit vers 1475 au château de Bayard, en Dauphiné. Attaché au duc de Savoie, puis à Charles VIII, le page se distingua par ses talents guerriers lors des guerres d’Italie : il devint le meilleur capitaine de son temps, notamment à Marignan, François Ier lui demandant de l’adouber chevalier après la bataille. Parangon de la chevalerie, on le voit en 1523, à Grenoble, soigner des malades de la peste ou chasser du Dauphiné des bandes de pillards. Il tomba en couvrant la retraite de ses troupes après la défaite de Biagrasso, frappé par un coup d’arquebuse (30 avril 1524). Ses funérailles se dérouleront en grande pompe à Grenoble, puis il sera inhumé au couvent des Minimes de Saint-Martin d’Hères (son tombeau, violé en 1562, est ici décrit en détails aux pages 105-121).

Show more