2013-09-29

Posted in: hyporadar (via Feedspot)

J’ai fait une faute exprès dans le sous-titre. Ça ne fait pas très sérieux, et on me l’a fait remarquer un peu gentiment—je prends acte, et je me frotte déjà les mains.



Je viole, avec la graphie que je propose, deux règles. Je transforme le mot [linguistique] en une sorte de mot sans tête, avec une nouvelle racine en ing—ça ne veut plus rien dire, historiquement parlant. Bonus : ça en fait un préfixe privatif, comme si on avait de la guistique, et de l’inguistique. En plus, à l’oral, on entend des fautes violant les règles syntaxiques à tous les étages, si on le recatégorise : « l’inguiste est un scientifique »

Et ça en fait un masculin, il me semble. Il fait de l’inguistique.

Tout ça, mesdames et messieurs, avec une simple omission de lettre. Une seule lettre, quand bien même c’est l’initiale, et tout est démoli. Le système braille, et l’orthographe toute entière est souillée.

 C’est exactement le sujet de recherches qui m’intéresse le plus.

Si nous étions disons 5 à utiliser l’inguistique, voire la guistique1, et que ça devenait une sorte de contamination graphique ? D’un côté, on aurait la cohésion identitaire de la graphie alternative, de l’autre, les levées de bouclier des gens qui n’en sont pas—graphiquement, et qui ne peuvent donc pas comprendre. Et on en connaît, des levées de boucliers concernant les graphies !



X-ième illustration de blog trouvée en tapant “langage SMS” (Variante de “Cé & forum…”)

Cette illustration montre bien la confusion objet technologique utilisé pour communiquer (le portable) et le lieu sur lequel on communique– comme si on ne pouvait pas faire de ces tachygraphies alternatives ailleurs que sur un clavier de téléphone ancien, celui avec 12 touches qui provoquent frustration, laquelle provoque l’adaptation de la graphie, puis une mode graphique… qui est, apparemment, non-humaine. D’ailleurs, überLOL grâce à ce petit indicateur de l’âge du manifeste contre le langage SMS : maintenant, je crains qu’à peu près tout le monde puisse aller sur internet de son portable. Bref, vive les avertissements orthographiques (et je me refuse à commenter les graphies pseudo-SMS du comité contre les fautes volontaires).

Avant d’aller plus loin et pour raccrocher les wagons, dans le civil, je suis pour l’orthographie la plus stricte, après avoir mangé des lignes et des lignes de dictée qui me revenaient à 22/20 (mais si, vous savez, les dictées avec des points bonus). Dans la recherche, je suis fascinée par le fait qu’une simple lettre code l’identité de quelqu’un; et que le numérique permette de circonvenir au ‘défaut’ des langues. La première occurrence d’une expression est orale par défaut (et ce que Lecercle appelle « le forgeur inconnu », c’est le premier utilisateur d’une expression qui restera dans la langue. Ce type, il a dit un truc marquant, les autres ont lollé, et ils ont retenu l’expression, qu’ils ont diffusé et qui est devenue idiomatique.). Sur internet, ce n’est pas le cas : tout est traçable, si tant est que l’on puisse investir le temps nécessaire pour faire une recherche au peigne fin et aux archives aiguisées–apparemment, le Twittonary (un peu vide) liste les forgeurs connus de certaines expressions, comme brobellious (des frères rebelles), de Tyler Ray, avec lien à son MySpace à l’appui. Mais ces créations humaines sont différentes de celles offertes par les internets eux-mêmes, qui regorgent de moyens pour nous faire cracher de la graphie alternative comme s’il en pleuvait.

 Automagraphotons

Les robots et scripts automatiques nous aident : feu lolify.org permettait de rendre des textes en orthographe ennuyeuse en pièces désopilantes de tachygraphies (on a la même chose sur le leet, le shizzle, et autres fantaisies lolcatesques. Dès qu’un dialecte graphique est un tant soit peu marqué par des traits saillants, y’a toujours un petit malin informaticien qui écrit un script de substitutions graphiques, certainement à grands coups de chips sur le clavier et de cola tiède). Finalement, on est peu de choses face à l’immensité cyborg au bout de nos doigts—on peut tout transformer en tout, avec un simple copier-coller et un clic de souris.



Feu Lolify, et son bloc de traduction automatique

Souffrez de quipher également le bouton qui permet de lolifier les textes : \o/ dessus, c’est la joie de la lolification automatique, comme un shoot de MdReries dans un quotidien, il faut bien l’avouer, parfois un peu terne.

Mais en automagraphiant les textes, on se prive de graphies alternatives, venant de l’humain pour l’humain. C’est donc scientifiquement intéressant, mais pas non plus fascinant comme une personne qui aurait décidé d’utiliser les majuscules toutes les deux lettres (je pense à la chanteuse Giédré, qui a un site de fort bon goût, le tout en minusmajuscules–ce qui participe à l’ensemble coloré de son œuvre. Bref, faites-vous une idée.)

Quand on veut aller plus loin, on trouve même des choses comme le livre de Phil Marso, 6’lens ! on m’Errrr ! La graphie alternative peut devenir un art : la linguiste en moi applaudit, mais la personne humaine entend O Fortuna, devenu–comme par enchantement, Gopher Tuna grâce à la magie des mondegreens.

Graphies alternatives et identité

Pour coder l’originalité de chacun, sa touche personnelle qui ne passe, en ligne, que par ses écrits et ses graphies, je propose de ne prendre en compte que l’artisanal. La graphie fait-maison.

Parfois, en lisant mon corpus, je suis flabberghastée par les marques d’appartenance diverses qui les parsèment en si peu de caractères. Bon, fatalement, la pression tout ça, j’ai un exemple moins flabberghastant que d’habitude, mais ça vous donne déjà un aperçu :

“OK 4 DA LEDIE5 A5 U ¢AN 5EE I`M GANG5TA/GENTLEMAN.I LUV DA LADIES I ¢URR ABOUT WOMAN.I ¢ARE ABOUT WHAT MAKE5 DEM HAPPY WHAT MAKE5 DEM 5AD.I DON`T LIKE TO 5EE FEMALE5 5AD.”

(OK for the ladies as you can see I’m [a] gangster/gentleman. I love the ladies I care about wom[e]n. I care about what makes them happy what makes them sad. I don’t like to see females sad.// OK, pour les dames, comme vous pouvez le voir, je suis un gangster/gentleman. J’aime les dames, je fais attention aux femmes. Je fais attention à ce qui les rend heureuses, ce qui les rend tristes. Je n’aime pas voir les femmes tristes.”)

Rien que dans ce petit texte, tiré d’un corpus de pages personnelles, on peut voir à la graphie :

- Qu’il montre son appartenance à un gang grâce à la couleur rouge, aux <¢> et aux <5> qui remplacent les <s>. Le 5 représente le gang des Bloods, donc on essaye d’en caser le plus possible, le symbole du cent <¢> remplace l’initiale du gang ennemi dont on ne veut certainement pas flatter l’égo (les Crips), donc on va pêcher un symbole un peu rare pour remplacer la lettre.

- des petites marques orales, de son accent parlé (?) : <d> qui remplace <th>, systématiquement, du coup, <da> pour <the>,

- Que c’est fait à la main, du coup care est un coup <curr>, un coup <care>. Enfin, ¢urr et ¢are, quoi. Idem pour ladies/ledies : on dirait que la première occurrence d’un mot est plus importante que la seconde, et qu’il y donne tout, puis qu’il laisse le pilote automatique pour le reste.

On a certainement plus de soin dans la graphie que dans la grammaire ou dans l’organisation des idées, mais l’effort est louable et le message gentil–pas forcément cohérent avec les graphies qui codent l’appartenance au gang (quoique, il dit qu’il est gangster/gentleman), mais quand même. Et là, y’en avait un peu plus et je vous l’ai laissé, mais on avait, à la limite, seulement besoin de des deux premières phrases pour arriver à autant d’observations. La graphie alternative, c’est l’art de coder verticalement, en rajoutant des couches sémiotiques, et non plus seulement horizontalement (comme on lit).

Et la faute ? L’orthographe ?

La faute n’est pas graphie alternative, elle est non seulement involontaire, incontrôlée et en plus, normalement, elle n’indique rien quant à l’identité du scripteur. Mais parfois, certaines fautes dépassent leurs pensées2. Naturellement, je me suis tournée vers les Skyblogs, en vieille routarde internetz du jeune qui écrit sa liberté et lâche des comms dans un français cascadeur.

Le premier site fut le bon pour prouver mon point suivant : les fautes d’orthographes provoquent des effets sur les lecteurs, qui ne se cantonnent pas qu’à l’agacement courroucé du Grévissé de la tête.

Tiré d’un article sans nom du 2/3/11
http://mzlle-chocolat-x3.skyrock.com/

Bon, là, dans cet exemple, on nage dans le marrant moins caricatural que le contenu moyen d’un skyblog adolescent. Les deux personnes de “même sexes”, ça me fait tout de suite virer hermaphrodite, mais à la limite, je chipotoune. Je suis plus inquiète par le “on peux” mais c’est une déformation professionnelle. Pour ces deux fautes, on pourrait arguer du fait que la scripteuse ne connaisse pas la grammaire, ce qui est un autre problème.

La faute qui me plait le plus est la dernière, sur l’<homopobie>. Bon, on a une simple omission de lettre, et là, ça y est, Rome est à feu et à sang.

Comme je disais/écrivais, les fautes provoquent des effets sur les lecteurs, et fournissent des indices sur les scripteurs. Là, seulement sur ce petit bloc, on a :

- Un soin certain apporté à la présentation générale, avec le changement de police sur “les autres” (certes en gothique, mais l’auteur est une fan de Tokyo Hotel, ceci explique cela). En plus, on a du soulignement, du gras, des smileys, on voit qu’elle s’est donnée, avec des effets de décalage des lignes. Bien. Les effets graphiques soulignent (justement) le contenu du message à faire passer, qui se construit comme un entonnoir rhétorique (d’abord les gens en général, puis des personnes du même sexe, puis message important dans un syntagme nominal). On a une montée dramatique de l’énoncé…

Mais la dernière faute, là, c’est quoi ça ? Un manque de soin dans la relecture, certainement inexistante, ambiance “j’ai déjà fait mes mises en page, inséré 12 photos, je vais pas EN PLUS relire ce que j’ai écrit !” ? Je ne crois pas à l’ignorance de la graphie originale, et <p> ne représente pas le son /f/ donc on a une simple faute. Le problème, c’est que la Tour Eiffel discursive qu’elle a montée est bien peu de choses face à l’amusement provoqué par la faute. Je ne sais pas vous, hein, mais moi j’ai bien ri en voyant tous ces efforts pour retomber comme un soufflé.

Si la faute n’a pas de but, elle a donc un effet, que l’on peut exploiter –provoquer le rire des autres, donc la cohésion d’un groupe contre le scripteur malheureux ? C’est un phénomène dont on se sert aussi dans l’humour (je pense à Elie Sémoun, ses “Mikeline”, et autres déformations linguistiques); mais là, on peut l’étudier aussi dans la nature, dans sa forme primaire, et donc scientifiquement assez chouette.

Je sais que haters gonna hate, mais pour tous ceux que les graphies alternatives chafouinent, regardez-y à deux fois : on a souvent du matériel beaucoup plus intéressant qu’à première vue, quand on critique le style ou les connaissances, voire l’intelligence du scripteur. C’est aussi ça, l’inguistique.

Bibliographie indicative :

Lecercle, J.-J. (2004). Une philosophie marxiste du langage. Paris: Presses universitaires de France.

Marso, P. (2010). 6′lens ! on m’errrrrrrrrrr !. Paris: Mégacom-ik éd. (Aimablement amusant : il publie dans la collection “Phonétique Muse Service”)

avec un changement de prononciation très mineur, la guistique passerait très bien à l’oral, il ne s’agit que du trait [+ nasal] qui en prend un coup..

C’est volontaire.

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