2017-02-21



Le courrier des lecteurs de Midinette occupe en ce moment une bonne partie de mon temps de recherche. J’y vois un véritable réseau social à plusieurs vitesses dans lequel jeunes hommes et jeunes filles construisent des cercles de sociabilité squi s’entrecroisent et qui reposent parfois sur des correspondances postales. Le courrier du journal est ainsi une plateforme efficace pour les demandes de correspondances qui reprennent assez largement les codes des annonces matrimoniales. Dans ce marché de la rencontre les courriéristes aiment à se rattacher à des types, voire des stéréotypes, ce qui équivaut in fine à se rattacher à un groupe de courriéristes. On trouvera ainsi dans le courrier : les dactylos, les coloniaux, les exilés, les cols bleus, les aviateurs…. La majorité de ces groupes sont très genrés, à l’exception notable des « allongés », ceux qui, en traitement pour la tuberculose sont allongés en sanatorium. Loin de leurs familles, désœuvrés, en proie à l’ennui et à la mélancolie, nombreux sont les jeunes tuberculeux qui voient dans le courrier de Midinette une manière de rompre l’isolement et d’égayer leur quotidien au sana. La plupart cherchent des correspondants ou correspondantes qu’ils se représentent volontiers comme des marraines ou des parrains, quand certains sont des courriéristes réguliers dans la rubrique du journal.

Parmi les différentes figures du courrier les « allongés » se rattachent à celle des isolés et exilés dans laquelle on retrouve les marins les aviateurs et les coloniaux. Mais à l’inverse de ces dernières on trouve aussi de nombreuses jeunes filles parmi les allongés, il s’agit là d’une catégorie plus mixte que les autres types ou stéréotypes du courrier. Je ne m’attendais en démarrant cette étude sur Midinette, à trouver les trouver si représentés. Didier Fischer dans son article sur les sanatoriums des années 50 rappelle pourtant que la tuberculose, maladie mortelle, a été un fléau majeur en milieu étudiant. Si la préoccupation de permettre aux étudiants que continuer leur formation pendant leur traitement est soulevée durant l’Entre-deux-guerres elle n’est largement mise en place qu’après la Libération.

Les demandes de correspondances des allongés ne diffèrent pas a première vue des autres demandes de correspondances. Le but recherché est toujours plus ou moins le même : il s’agit de se trouver une ou un correspondant régulier avec qui entretenir une relation épistolaire suivie, qu’elle soit amoureuse ou amicale. Mais il peut aussi s’agir d’une pratique de la correspondance qui est plus de l’ordre du loisir lorsque le but est de multiplier les correspondants pour augmenter et parfaire sa collection de timbres ou de cartes postales.

« Sommes seuls au monde »

Ce qui distingue cependant les annonces des tuberculeux des autres est la motivation au principe de cette démarche de correspondance. La rubrique de courrier semble être un des derniers liens qui les rattache au monde dans ce qu’il a de plus vivant. Beaucoup de ces petites annonces sonnent comme des appels à l’aide ou au moins, à la compassion (il n’est pas rare que l’annonce mentionne un « SOS »). La solitude et l’isolement sont les premiers maux pointés du doigt par les malades :

La correspondance est vue comme une faveur qui leur serait faite, en témoigne le remerciement par avance. Il faut rappeler que les séjours en sanatorium sont non seulement longs, mais aussi géographiquement éloignés des grands centres urbains : dans les montagnes ou sur les littoraux pour profiter des bains de soleil et de l’air pur. Etre placé en sanatorium signifie donc d’être coupé de son environnement familier : qu’il s’agisse de la famille ou des amis. Bien évidemment des camaraderies se tissent entre les « camarades de chaises longues » ce qui n’empêche pas de vivre l’isolement collectivement. Aussi n’est-il pas rare de lire des annonces de correspondances écrites à deux :

A l’isolement vient s’ajouter l’ennui, les allongés insistent fréquemment sur la morosité de leur journées. Le choix des pseudonymes, comme pour les autres courriéristes, n’est jamais innocent, de même que le « CAMELIA BLANC » n’est pas sans évoquer la toux de la dame aux Camélias, le « DESESPERE DE LA VIE » évoque la cruelle question de l’espoir ou du désespoir qui hante le quotidien des allongés. Entretenir une correspondance peut être vu par les malades comme une façon, non seulement de tuer l’ennui mais aussi de garder espoir en envisageant ce qu’il y a en dehors du sanatorium :

Au delà de la mort de l’ennui c’est le flirt qui est recherché dans les correspondances. Et en effet, ce type de demandes relève plus largement du flirt épistolaire fréquemment pratiqué par le biais du courrier.

« En sana cherche marraine »

Dans la rubrique du courrier ces demandes viennent prendre place dans un marché de la rencontre aux lois strictes. L’attractivité du portrait est centrale pour obtenir des correspondants. Mais se représenter en souffrance n’est pas chose aisée. Le corps dans les petites annonces de rencontre est, en règle générale, un corps en séduction, campé sur ses qualités. Ici difficile de faire de même, ce qui n’empêche pas les jeunes hommes dans leurs stratégies de séduction de reprendre les codes des annonces qui paraissent 15 ans plus tôt dans lesquelles les poilus demandent des marraines de guerre. Il semble ici qu’ils reprennent à leur compte l’héroïsme de leurs ainés au front en transposant la situation sur l’éloignement par le sanatorium pour susciter la compassion et réveiller quelque chose de l’ordre du care chez les jeunes filles. Par exemple la mention du cafard, très fréquente, est une reprise directe d’un thème qui court dans toutes les annonces de poilus :

Tout en se sachant potentiellement en difficulté sur le marché de la rencontre (les lois du marché veulent qu’on préfère le valide au malade s’il y a une perspective de flirt) les « allongés » jouent de leur position, soit en se peignant en héritier des poilus, soit en sur-jouant le malheur :

Réseaux de « Réconfort au sana » ou « Gaité au sana »

S’il est un sujet qui fasse consensus dans le courrier – et ils sont rares – il s’agit probablement de la cruauté de la tuberculose. Cette maladie qui touche massivement les jeunes semble susciter un élan d’empathie important dans le courrier. Non seulement les malades sont nombreux à demander des correspondants mais les marques d’affections et de compréhension pour la situation des allongés sont également légion : « amitié aux allongés », « courage aux malades » peut-on lire dans les colonnes du courrier.

D’autre part, de la même façon que se créent dans les grandes villes les « gaités » et « sourires » (rassemblements locaux de courriéristes), nombre sont les villes qui créent, sous l’impulsion des réseaux de solidarité du journal leur club de « Réconfort au sana ». En 1937, dans les dernières années de la publication de Midinette, le Réconfort au Sana de Lyon, dresse dans le courrier un panel de ses missions :

Le but de ces organisations est, notamment, de créer un système de parrainage entre les malades de différents sanatorium et les courriéristes. Aussi le courrier de Midinette est-il une plateforme de rencontre efficace pour cela.

Dans Midinette, c’est la courriériste PETITE SOURCE qui est connue pour se dévouer à la cause et faire le relais entre l’organisation et le journal. On le voit ici, il n’est pas question de flirt épistolaire, les parrainages ne sont jamais mixtes. Mais ces organisations se veulent le relais des demandes matérielles des malades:  elles concernent tantôt des loisirs (il s’agit d’apporter un peu de gaité et d’occupation), tantôt des nécessités financières :

Certains font également ce genre de demande par eux-mêmes, par le biais du courrier :

CREDITS : image  http://odtfontromeu.blogspot.fr/2013_07_01_archive.html

1 – Didier Fischer, « Les étudiants, la tuberculose et le sanatorium, de la Libération à la fin des années cinquante » Revue Historique, T. 301, Fasc. 4 (612) (Octobre / Décembre 1999), pp. 809-832, Presses Universitaires de France.  Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40956562 Accessed: 30-01-2016 19:52 UTC

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