2013-04-30

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Suivre les évolutions par les bifurcations et les turbulences (1987-2010)

Grégory Piet (Université de Liège)

Ce billet souligne l’intérêt, pour les sciences sociales et politiques, de produire des analyses sur un temps relativement long de dossiers complexes tels que le « changement climatique ». Il montre, d’autre part, comment organiser le suivi de ces dossiers à travers les bifurcations et les turbulences – l’ensemble s’inscrivant dans le suivi de corpus évolutifs, selon une démarche de balistique argumentative (Chateauraynaud, 2011).



Imaginer le visage futur de la côte belge selon Greenpeace

Sans retracer ici le regain d’intérêt pour l’étude des bifurcations et des événements, faisons le constat que ce dernier s’inscrit principalement dans un mouvement contraire à la perte de prééminence de certains modèles classiques du milieu du XXe siècle (fonctionnalisme, structuralisme) et d’une prise de distance par rapport à certaines visions du changement social (Durkheim, par exemple). Comme le soulignent Bessin et al., « ces transitions paradigmatiques se sont effectuées dans un contexte socioéconomique marqué par l’accélération des changements, les apories de la programmation, la dé-standardisation des trajectoires individuelles, qui se traduisent par une plus grande focalisation de la vie sociale sur le présent », ainsi qu’une influence et « pénétration dans le monde des sciences humaines de certaines idées nouvelles issues des sciences de la nature […] faisant intervenir des événements, du contingent, des imprévisibilités » (Bessin, al., 2010, p. 10). De manière générale, en France, la sociologie durkheimienne s’est opposée à l’approche historique construite autour des événements et de la contingence. Cette tension est toutefois moins prégnante chez les sociologues allemands pour qui la dynamique événementielle permet d’identifier diverses étapes de la reconfiguration des entités collectives (Bessin, al., 2010, p. 25). De même, dans la sociologie américaine, on retrouve une approche par les événements, les ruptures, les bifurcations dans les travaux de l’école de Chicago au travers du suivi des carrières des individus et des « tournants » de leur existence (Bessin, al., 2010, p. 26). Notre propos ne sera pas de développer une sociologie des événements, mais de prendre la mesure de leur influence, conséquence, absence ou disparition tout au long de l’évolution temporelle de nos dossiers.

Présentation de notre corpus

Venons-en, dans un premier temps, à la présentation du corpus. Il s’agit au départ de deux corpus complémentaires conçus, d’une part, pour  situer le contexte politique belge dans lequel s’inscrit le dossier climatique et politique et, d’autre part, pour suivre plus spécifiquement les arguments et événements produisant bifurcations et turbulences.

Nous utilisons donc, pour illustrer ce billet, trois types de sources politiques (Walgrave et al., 2005) s’étalant dans le temps de 1987 à 2010 : les agendas politiques (programmes de partis), les agendas gouvernementaux (accords, déclarations de gouvernement et notes de politique générale) et les agendas parlementaires consacrés aux questions climatiques (questions, réponses, interpellations parlementaires au Sénat et à la Chambre des Représentants). Le premier corpus se compose exclusivement des agendas politiques, autrement dit, des programmes des partis politiques francophones rédigés en vue des élections fédérales1 et régionales belges2 – les programmes des élections régionales du 13 juin 2004 et du 7 juin 2009 n’ont pas encore été traités et encodés. 36 programmes politiques (soit 8.125 pages, 15.762.435 signes – espaces compris –, 2.393.777 mots, près de 17 millions d’octets) ont ainsi été sélectionnés au départ de six partis politiques : le Parti socialiste (PS), le parti Ecolo (Ecolo), le Centre Démocrate humaniste (CDH, ex-PSC-Parti Social Chrétien), le Mouvement Réformateur (MR, ex-PRL-Parti Réformateur Libéral), le parti des Fédéralistes Démocrates Francophones (FDF) – lorsque ce parti n’est pas, en fonction des élections, en coalition avec le MR – et, enfin, le Front National (FN). Quant au second corpus textuel, il se compose de l’ensemble des trois agendas et englobe 416 textes comptant quelques 10.562 pages (soit 416 textes, 20.132.228 signes – espaces compris –, 3.050.824 mots, plus de 21 millions d’octets). Les 416 textes se répartissent, au regard des trois agendas, en 36 programmes de partis politiques francophones (pour rappel, 2.393.777 mots), 11 accords de gouvernements (334.718 mots), 23 déclarations de gouvernement (98.299 mots), 6 notes de politique générale (96.891 mots), 101 questions issues de la Chambre des Représentants (16.720 mots), 93 questions issues du Sénat (44.082 mots), 87 réponses des ministres aux questions des députés fédéraux (39.963 mots) et 59 réponses des ministres aux questions des sénateurs (26.374 mots).

Situer le concept de « bifurcation »

Il nous paraît, dans un deuxième temps, nécessaire de préciser la manière dont nous concevons les bifurcations, les turbulences et les événements. De manière générale, les bifurcations peuvent être définies comme « des configurations dans lesquelles des événements contingents, des perturbations légères peuvent être la source de réorientations importantes dans les trajectoires individuelles ou les processus collectifs » (Bessin, al., 2010, p. 9) et se situent généralement « à la fois à l’écart des routines et des socialisations instituées, et pourtant socialement balisées, reconnues et normées » (Bessin, al., 2010, p. 30). Nous pouvons toutefois en compléter la définition pour lui associer certains éléments constitutifs que nous retrouvons dans l’analyse approfondie de nos corpus de textes :

Un premier élément important est le fait qu’une bifurcation n’est pas un événement, et ce, même si les deux notions sont parfois présentées comme synonymes ou très proches. Les événements sont constitutifs d’une ou plusieurs bifurcations et ont, en ce sens, de multiples natures – nous y reviendrons ;

Une bifurcation a une portée, induit une réorientation et est tournée vers un avenir ;

Elle marque une rupture par rapport à une forme de trame routinière ;

Il convient de la situer par rapport à un contexte multi-niveau et dynamique qu’il soit politique, économique, social, scientifique, etc. La bifurcation n’est, sur ce point, pas saisie pour elle-même mais comme un moment particulier dans l’évolution d’un dossier complexe et long ;

A chaque bifurcation est associée une ou plusieurs représentations du monde, voire un processus de politisation, qui lui donnent du sens ;

La bifurcation est également inscrite dans le temps sous quatre aspects majeurs :

(1) la durabilité de ses effets sur une échelle temporelle (court, moyen, long terme),

(2) une évolution temporelle qui lui est propre,

(3) une multiplicité temporelle, autrement dit, un jeu d’échelle temporelle qui à des effets sur divers acteurs à des moments différents dans le temps,

(4) une rupture temporelle qui peut également être révélée par un marqueur temporel tel que « désormais » (Chateauraynaud, Doury, 2010), « le-pire-est-à-venir » (Piet, à paraître), etc. ;

Enfin, la bifurcation se distingue de la turbulence au niveau de la nature des événements qui les caractérisent et de la portée que n’a pas la turbulence. Sauf accident, cette dernière ne produit pas de grande réorientation ou de changement de trajectoire, et ce, malgré la survenance d’événements ou de perturbations conjoncturelles.

L’importance des événements

Le type d’événements a donc un rôle important dans l’identification des turbulences et des bifurcations dans l’analyse de dossiers complexes sur le temps long. Toutefois, tout événement ne fait pas nécessairement événement.  L’« événementialité des événements », autrement dit, ce qui fait événement, dépend de deux éléments. Le premier est l’échelle temporelle sur lequel il se déploie : « est-ce sur du court, moyen ou long terme ? » Cela peut être un événement qui produit des conséquences et des effets sur un échelle temporelle différente, voire une série d’événements contingents qui se succède dans le temps faisant jaillir à un moment particulier une situation qui « attendait » un déclencheur. Le second élément est relatif à la portée de l’événement en tant qu’opération de reconstruction a posteriori par les acteurs : « pourquoi certains acteurs remettent en lumière tel ou tel autre événement ? ». Nous distinguons ainsi sept formes différentes d’événements issues de nos recherches – déjà identifiées partiellement par ailleurs (Bertrand, 2010, pp. 36-50) –, et ce, en fonction de leur situation temporelle (passé, présent, futur) :

(1) l’événement identifiable par ses conséquences (ex. : « nous subissons aujourd’hui les effets de… »),

(2) l’événement comme précédent dans une perspective temporelle longue (ex. : Tchernobyl),

(3) l’événement attendu, planifié ou scénarisé (ex. : une conférence internationale, « le pire est à venir », la disparition des poissons en 2048),

(4) l’événement comme moment fatidique, l’événement forcé (ex. : une réforme de l’État, « on n’a plus le choix ») (Giddens, 1991, pp. 112-114),

(5) l’événement associé aux calculs stratégiques des acteurs (ex. : une révolution),

(6) l’événement soudain et déclencheur (accident, catastrophe, etc.),

(7) l’événement comme fait sans effet, comme phénomène évanescent.

Mis en contexte, l’événement peut ainsi, grâce à l’analyse temporelle de dossiers complexes et longs, tantôt donner lieu à une bifurcation, une rupture, un changement, tantôt produire de simples turbulences sans portée.

Constituer un « être-fictif-changement-climatique » et utiliser un codebook thématique

Afin de suivre l’évolution du dossier climatique et politique belge, il a paru utile de constituer au préalable un « être-fictif », autrement dit, une « [entité complexe formée] de plusieurs représentants, dont la composition est sous le contrôle de l’utilisateur » (Chateauraynaud, 2003, p. 215). L’« être-fictif-changement-climatique » a donc été créé avec un peu moins d’une dizaine de répertoires (« type » dans langage de Prospéro) – continûment en évolution au fil de la progression de la recherche (2011-2015), de façon à donner un maximum de lisibilité à l’analyse du dossier.



Figure 1. Être-fictif changement climatique, répertoire « émissions »

Présentation de l’être-fictif-changement-climatique

Notre premier répertoire, intitulé « Emissions et GES » (Figure 1), reprend l’ensemble des représentants (mots et expressions) associés aux émissions de CO2 tels que « émission de carbone », « émissions de CO2 », « émissions de GES », « CO2 », « gaz à effet de serre », « gaz dans l’atmosphère ». Notre répertoire est bilingue néerlandais-français puisque nous analysons tant les programmes politiques, questions parlementaires, réponses parlementaires que les déclarations et accords de gouvernement au niveau fédéral belge. Certains textes sont, par conséquent, bilingues. Ce premier répertoire compte quelques 120 représentants bilingues qui évoluent au fil des travaux et qui sont  « présents » ou « absents » dans le corpus. Le deuxième répertoire de l’être-fictif est qualifié de « général » où l’on retrouve des représentants tels que « changement climatique », « dérèglement climatique », « évolution du climat », « modifications climatiques », « politique climatique », etc. Nous travaillons pour le moment avec 88 représentants pour ce répertoire, évolutif, lui aussi. Le troisième répertoire « Conférence, Sommet, Accord et Convention » reprend un ensemble de représentants (150, évolutifs) associés aux accords climatiques, conférences et conventions internationales sur le climat tels que « accord climatique », « Déclaration de Johannesburg », « déclaration de Rio », « engagements de Kyoto », les protocoles internationaux de Kyoto et Montréal, « Conférence de Copenhague », « Conférence de Durban », « Conférence de Kyoto ». Le quatrième, « urgence, défi, danger et crise climatique », se concentre sur 40 représentants assimilés aux risques climatiques : « catastrophes climatiques », « crise climatique », « défi climatique », « risques climatiques », etc. Le cinquième, « air, atmosphère et ozone », regroupe 22 représentants associant défis climatiques et atmosphère : « atmosphérique », « couche d’ozone », particules fines ». Le sixième répertoire « autres » englobe quelques 30 représentants susceptibles d’évoluer tels que « Ministre du Climat », « budget climatique », « empreinte climatique », « investissement climatique ». 23 représentants composent l’avant-dernier répertoire « réchauffement climatique » avec des mots et expressions comme « réchauffement climatique », « réchauffement de la terre », « réchauffement du climat ». L’ultime répertoire « enfouissement du CO2 » reprend une trentaine de représentants spécifiques à ce type d’avancée technologique tels que « captage du CO2 », « stockage du CO2 ».

Nous avons donc à notre disposition un ensemble de près de 500 représentants qui nous permettent de suivre le déploiement du dossier climatique et politique belge au travers de nos deux corpus. Toutefois, pour que nous puissions contextualiser ce dossier par rapport à la politique et aux élections belges, il est important de découper les programmes politiques selon différentes thématiques.

Présentation du codebook

Dans un second temps, nous avons donc cherché à rendre visibles ces thématiques grâce à un codebook préexistant qui s’appuie sur celui de Baumgartner et Jones (1993) et utilisé dans le cadre du Policy Agenda Project (PAP). Il a cependant été adapté aux situations européenne et belge et rédigé par une équipe de recherches de l’Université d’Anvers (Media, Movments & Politics, dirigée par Stefaan Walgrave). Nous avons dés lors introduit l’ensemble des 25 topics (thématiques) du codebook anversois dans le logiciel Prospéro en lieu et place des « être-fictifs » préexistants (Tableau 1). Ces thématiques se subdivisent en 235 répertoires pour plus de lisibilité – comme précédemment pour l’être-fictif-changement-climatique, la démarche étant similaire –, soit un nombre de représentants bilingues (français, néerlandais) avoisinant les 20.000.

1. Macroéconomie, impôts et taxes

2. Droits civils et libertés

3. Santé

4. Agriculture et pêche

5. Travail

6. Enseignement

7. Environnement

8. Politique énergétique

9. Immigration et intégration

10. Circulation et transports

12. Justice, jurisprudence, criminalité

13. Affaires sociales

14. Développement local, politique du logement et organisation urbaine

15. Entreprises, secteur bancaire et commerce intérieure

16. Défense

17. Recherche scientifique, technologie et communication

18. Commerce extérieur

19. Affaires étrangères et aide au développement

20. Fonctionnement de la démocratie et de l’administration publique

21. L’aménagement du territoire, gestion publique de la nature et des eaux

23. Art, culture et loisirs

0024. Politique locale et provinciale

0027. Désastres naturels et météorologique

0028. Incendies & accidents

0029. Sport en récréation

Tableau 1. Les 25 thématiques/topics des programmes de partis politiques (codebook belge)

L’être-fictif-changement-climatique n’apparaît, cependant, pas unifié dans les thématiques du codebook, en étant distribué au sein des diverses topics : « environnement », « affaires étrangères », « politique énergétique », etc. Il nous a donc fallu le conserver en dehors, au préalable, des premiers résultats statistiques basés sur les seules 25 thématiques du codebook afin de travailler sur des bases comparables avec d’autres recherches utilisant ce dernier. Par la suite, cet être-fictif se verra réintroduit dans les résultats globaux.

Le contexte politique belge et le dossier climatique

A la lecture des premiers résultats (Figure 2), nous constatons que les cinq premiers topics présents dans les programmes des partis politiques englobent plus de 50 % de l’ensemble des représentants encodées (53,84%) et sont apparentées (1) au fonctionnement de la démocratie et de l’administration publique (17,45%), (2) à la macroéconomie, aux impôts et aux taxes (10,13%), (3) aux affaires sociales (9,28%), (4) au travail (8,98 %) et (5) aux affaires étrangères (8 %). L’environnement n’apparaît qu’en onzième position avec 3,62%.



Figure 2. Répartitions des 25 thématiques/topics au sein des programmes de partis politiques (%)

L’être-fictif-changement-climatique n’apparaît pas dans les entités thématiques du codebook et englobe un ensemble de représentants issus des thématiques « environnement », « affaires étrangères » comme les traités internationaux, etc. . Rapporté à l’ensemble des représentants des 25 entités, il en compte 981 sur 12.4896, soit 0,79 %. Les débats sur le changement climatique représentent donc moins d’un pourcent de l’ensemble des thématiques développées par les partis politiques dans leurs programmes électoraux depuis 1987. Pour donner un ordre de grandeur, les débats sur le climat se situent, en termes de quantité, au niveau des êtres-fictifs « Défense nationale » (0,69 %) et « Recherche scientifique » (1,01 %).

Il semble également intéressant d’identifier l’évolution temporelle des discours climatiques dans les programmes des partis politiques issus des différentes élections fédérales (Figure 13).

Fig 13. Évolution temporelle de l’être-fictif-changement-climatique (%)

Premièrement, dans les programmes politiques du PS, il faut attendre les élections de 1991 pour voir apparaître les premières références au dossier climatique. Le nombre de représentants augmente sensiblement au fil des années, et ce, même si le pourcentage par rapport au nombre total des représentants oscille entre 0 et 0,7 pourcent : 0 énoncé en 1987, 1 en 1991, 9 en 1995, 2 en 1999, 18 en 2003, 37 en 2007 et 22 en 2010. La moyenne de la présence du dossier climatique sur ces sept élections fédérales et régionales (partielles) le situe à 0,442% (nombre total des énoncés des 25 être-fictifs du PS par le nombre total des énoncés associés à l’être-fictif-changement-climatique au sein des programmes politiques du PS). Le dossier climatique est toutefois présent sans discontinuer –  même si parfois à un faible niveau d’occurrences – dans les programmes électoraux du PS depuis les élections de 1991.

Deuxièmement, dans le cas du CDH, la référence au dossier climatique est absente lors des élections fédérales de 1991 et 2003 (Figure 13). Le nombre d’énoncés se répartit par année électorale comme suit : 1 en 1987, 0 en 1991, 5 en 1995, 13 en 1999, 0 en 2003, 58 en 2007 et 84 en 2010. La moyenne situe le dossier climatique sur l’ensemble des sept élections à 0,764%.

Le parti Ecolo est, troisièmement, le parti ayant le plus d’énoncés (ce qui tient au nombre plus important d’énoncés sur le total de ses programmes) mais également la plus grande proportion du dossier climatique par rapport à d’autres thématiques politiques (Figure 13). Ainsi, Ecolo a, depuis les élections de 1987, toujours abordé les questions liées au « défi climatique » : 1 énoncé en 1987, 43 en 1991, 11 en 1995, 21 en 1999, 258 en 2001, 222 en 2007 et 61 en 2010. La moyenne par rapport au nombre total des énoncés  situe le dossier climatique à hauteur de 1,131%, soit près de trois fois plus que la part d’énoncés du PS et une fois et demi celle du CDH.

Le MR, quatrième parti analysé, fait référence au changement climatique au sein des ses programmes de campagne à partir des élections de 1999 (Figure 13). A partir de cette date, le dossier climatique ne quitte plus l’intérêt politique de ce parti : 4 énoncés en 1999, 17 en 2003, 42 en 2007 et 48 en 2010. La moyenne des énoncés reprenant l’être-fictif-changement-climatique situe le MR à 0,5% de l’ensemble des énoncés des thématiques politiques prédéfinies (tableau 1).

Cinquièmement, le FDF – lorsqu’il se présente seul, autrement dit, en dehors d’une coalition avec le MR – et le FN accordent peu d’intérêt au dossier climatique lors de leurs campagnes électorales (Figure 13). Pour le FN, les résultats ne présentent d’ailleurs aucun énoncé faisant référence au dossier climatique. Il est donc totalement absent des débats politiques de ce parti. Par contre, dans le cas du FDF, il importe de nuancer quelque peu les résultats. En effet, si le FDF, en 1987 et en 1991, ne parle, respectivement, du changement climatique qu’à deux et une reprises, la thématique était déjà présente dès la fin des années 1980, ce qui le distingue du PS ou du MR, par exemple, qui n’y feront référence que lors d’élections suivantes. Toutefois, lorsque le FDF se présente seul aux élections fédérales de 2003, le dossier climatique reste absent du programme électoral.

Si nous mettons en relation l’intérêt politique pour une thématique, comme le changement climatique, et le nombre d’énoncés, nous constatons que le parti écologiste, sans surprise, en parle le plus, suivi du CDH, du MR, du PS et, beaucoup plus éloignés de la thématique, le FDF et le FN.

Les premiers résultats statistiques de l’évolution temporelle du dossier climatique mettent toutefois en évidence des distances entre certains pics et creux au regard des programmes de partis qui pourraient être les premiers signes de certaines formes de turbulences ou de bifurcations, d’« événementialité d’événements ». Si, pour la majorité des partis, aucune information particulière de ce type ne semble clairement s’extraire des résultats – la progression temporelle mettant essentiellement en évidence l’augmentation toute relative du dossier climatique à travers le temps –, trois pics montrent une activité particulière chez certains acteurs politiques comme au CDH en 1999 et Ecolo en 1995 et 2007. Cependant, cela reste très localisé autour de deux acteurs et, qui plus est, à des périodes différentes entre les acteurs. L’analyse qualitative aura pour fonction d’expliquer ces trois perturbations dans l’évolution temporelle du dossier, mais, pour le moment, aucun résultat ne permet d’identifier ou de supposer de quelconques bifurcations ou turbulences.

Le contexte climatique et politique belge

Poursuivons notre raisonnement. Ces premiers résultats quantitatifs reposent sur le déploiement de l’être-fictif-changement-climatique, autrement dit, renvoient à l’occupation d’un espace argumentatif et thématique au sein des programmes électoraux des partis politiques (moins d’1% par rapport à l’ensemble des thématiques prédéfinies). Par contre, nous ne pouvons analyser une quelconque marque d’intérêt ou priorité politique à travers ces résultats. Pour ce faire, nous devons mettre en relation la présence et l’influence des arguments et discours climatiques que nous identifions au sein des programmes de partis et les confronter à leur présence/absence au sein des accords et déclarations de gouvernement. Il faut ainsi examiner l’éventuelle récupération de l’être-fictif-changement-climatique présent dans les programmes de partis au sein des déclarations et accords de gouvernement. Précisons ici l’intérêt de travailler sur ces deux sources gouvernementales. Pour l’accord, tout d’abord, il s’agit d’un document détaillé (en moyenne 30.429 mots par accord) annonçant les orientations, les défis et les priorités que le gouvernement – dans le cas belge, la coalition politique en présence – souhaite donner à sa législature. La déclaration gouvernementale est, quant à elle, un document beaucoup plus court (en moyenne 4.274 mots par déclaration) présenté devant le Parlement et visant à recueillir sa confiance vis-à-vis des orientations et des priorités de la législature. Ces deux sources nous permettent d’affiner les premières perceptions quant à une forme de priorisation du dossier climatique.

Le changement de statut du dossier climatique ou, dit autrement, sa reconnaissance en tant que priorité politique pourrait être identifiée comme une première bifurcation potentielle du dossier. De même, tout pic ou creux dans l’évolution temporelle étant susceptible de renfermer soit une bifurcation, soit une turbulence qu’il convient, dans les deux cas, d’identifier, il reste à en comprendre les termes, et à interpréter la rupture éventuelle avec une période de silence, du point de vue des priorités politiques, qui la précède.

L’analyse des résultats de la priorité climatique dans les accords de gouvernement est intéressante en termes d’analyse temporelle3. En effet, depuis 19994, le dossier climatique a tendance à prendre de plus en plus d’envergure dans ce type de documents marqués par une évolution croissante (à une exception près) tant au niveau des entités fédérées que fédérale avec, toutefois, des différences assez importantes entre les Région wallonne et Bruxelles-Capitale. Plusieurs variables explicatives peuvent ainsi être mises en évidence au niveau du contexte belge : l’évolution temporelle d’une thématique, les coalitions successives formant les gouvernements, les différents niveaux de pouvoir, les transferts de compétences, les réformes successives de l’État, le statut particulier de Bruxelles comme ville-région et les différents types d’événements marquants. Si l’on compare, par exemple, la priorité et l’importance données au thème « circulation et transports » et celles attribuées au dossier climatique, les différences illustrent la nécessité de prendre en compte le contexte puisque l’on s’aperçoit que le dossier relatif à la circulation et aux transports se situe aux alentours des 6-8 % dans les accords de gouvernement de la Région Bruxelles-Capitale, alors que celui-ci varie entre 0 et 4 % en Région wallonne et au niveau de l’État fédéral. Le contexte politique donne donc une signification particulière aux résultats et permet d’éclaircir certaines évolutions temporelles qui paraissent, de prime abord, particulières. L’analyse des priorités énoncées au sein des déclarations gouvernementales fédérales, régionales et le déploiement de l’être-fictif-changement-climatique apporte un éclairage nouveau et complémentaire tant sur l’évolution temporelle de l’être-fictif que sur ses turbulences. Les résultats sont, certes, partiels (absence de certaines déclarations des gouvernements régionaux) mais force est de constater que les priorités climatiques n’apparaissent pas avant 1999 au niveau fédéral et régional wallon. Et il faut attendre 2009 pour que la Région Bruxelles-Capitale la présente comme tel. La période entre 2007 et 2009 est, quant à elle, relativement active avec une priorité climatique qui y reste constante tant au niveau régional que fédéral. Cela vient confirmer les turbulences que nous avions déjà repérées au travers des accords gouvernementales régionales (Bruxelles-Capitale et wallonne) et fédérales à la même période.

Événements, turbulences et bifurcations au cœur des arguments

Après avoir repéré ce qui pourrait bien être à tout le moins des formes de turbulences du dossier climatique par l’analyse quantitative des bifurcations et turbulences, passons à présent à l’analyse qualitative des arguments et plus généralement des discours, dans lesquels il convient d’identifier la place des événements. Cette analyse plus fine permet d’expliquer les premières mesures et de les compléter. Il nous intéressera ici de savoir comment argumentent les acteurs politiques à propos du dossier climatique et quelle évolution temporelle des arguments cela induit sur près de trente ans de discours politiques. Le second corpus plus précis et plus complet – pour rappel, 416 textes répartis sur trois agendas – est alors pris comme base de travail.

L’analyse des périodes du corpus permet de faire ressortir des modèles assimilables à des changements. C’est en tout cas ce que propose Prospéro lorsqu’on questionne le logiciel à propos de l’évolution dans le temps de l’être-fictif-changement-climatique. La Figure 20 (représentation issue du logiciel – évolution/réseau) met en avant deux premiers résultats : le nombre de périodes (100, résultats de gauche) et leur découpage (du 13/12/1987 au 24/11/1991) produit au regard des textes, des arguments, de leur évolution, de leur présence/absence d’une période à une autre5). Cette information nous permet alors de voir comment le logiciel regroupe ou isole certains textes de sources différentes mais ayant cependant une proximité au sein de mêmes énoncés entre l’être-fictif-changement-climatique et d’autres êtres-fictifs (Figure 20, tableau de droite). On constate donc pour la première période (13/12/1987 au 24/11/1991) une proximité dans la manière dont les acteurs politiques parlent du changement climatique que ce soit dans les programmes électoraux des partis politiques ou les questions et réponses parlementaires. Le dossier repose donc à cette période sur des arguments et des réseaux assez proches, ce qui diffère fortement, par exemple, de ce que l’on peut retrouver plus tard dans l’évolution du dossier climatique. Plus on évolue dans le temps, plus les périodes se figent autour d’un, deux, voire trois textes, ce qui montrent la diversité des arguments et des réseaux au fur et à mesure de son évolution. Certes, le nombre de périodes produites par Prospéro ne représente pas, pour chacune, une bifurcation ou une turbulence, cela reviendrait à dire que, dans certains cas, un accord de gouvernement ou un programme de parti est à lui seule une bifurcation. Par contre, ces périodes nous informent tout de même sur les potentielles turbulences du dossier et les moments auxquels il faut être attentif. En effet, si nous découpons le corpus et fixons arbitrairement la durée des périodes (par année, par exemple), les 100 périodes initiales se réduisent à 17 nouvelles périodes annuelles actives (Figure 23). Cette information est également éclairante sur l’évolution du dossier et les turbulences puisque plus de la moitié de périodes proposées par Prospéro (54 sur 100) sont comptabilisées entre janvier 2009 et mai 2012, autrement dit, sur quatre ans. Cela suit la même logique, d’ailleurs, que la répartition du corpus par période : 215 textes entre janvier 2009 et mai 2012, soit 59% du corpus occupe les 4 dernières années de l’analyse temporelle du dossier climatique sur près de 25 ans. On peut donc conclure à une forte agitation et de fortes turbulences sur le front climatique depuis 2009.

Figure 4. Évolution de l’être-fictif-changement-climatique proposée par Prospéro.

Les périodes silencieuses

En dehors des périodes actives où l’on retrouve au moins un texte cohabitent des périodes silencieuses qui ne comptent, elles, aucun texte. Cela permet de voir où se concentrent les turbulences du dossier par rapport à de longs moments de silence suivi d’une rupture de ceux-ci. En modifiant les paramètres de Prospéro, nous pouvons fixer la durée des périodes silencieuses afin d’en percevoir l’extension temporelle. Par exemple, si l’on fixe une période silencieuse d’une durée de 365 jours minimum, il ressort 4 périodes silencieuses toutes concentrées avant avril 2003, la plus longue étant celle allant de 1982 à 1985 (1.094 jours sans une source dans nos trois agendas portant sur le dossier climatique). On peut réduire le nombre de jours de la période silencieuse afin de voir comment réagit le dossier climatique. Fixons à présent une période silencieuse de 100 jours minimum. On constate que le nombre de périodes silencieuses est passé de 4 à 16, dont deux nouvelles plus récentes : de septembre 2003 à juillet 2004 et de juillet 2007 à septembre 2007. Plus nous nous rapprochons des années 2009-2012, et plus la durée de ces périodes se réduit. Ramenons  la périodicité minimum à 20 jours. On obtient 67 périodes silencieuses dont seulement 7 (10,4%) se situent entre 2009 et 2012. Cela témoigne de l’activité argumentative intense autour du dossier climatique à cette période : pas plus de 4 mois cumulés d’inactivité sur 4 ans, dont une seule période de silence en 2011 (août) durant les congés parlementaires.

Les grandes périodes du dossier climatique belge

Revenons à nos périodes actives pour en analyser à présent les arguments et préciser les bifurcations, turbulences et les événements marquants. On a vu que 17 périodes annuelles se dégagent de notre corpus. Nous souhaitons encore en réduire le nombre car des rapprochements entre certaines périodes sont encore possibles. De plus, la logique d’une découpe annuelle des périodes présente des limites dans le suivi des arguments.

Nous avons donc affiné ce que proposait initialement Prospéro et ses 100 périodes en identifiant ces moments particuliers où le dossier climatique voit surgir de nouveaux arguments, de nouveaux concepts, de nouveaux sous-dossiers en fonction d’événements qui peuvent subvenir. Trois périodes marquantes sont ainsi notables entre 1987 et 2009, ainsi que diverses périodes de transition.

La première période, que nous qualifions de « L’esprit de Rio », s’étend de 1987 à 2001. Celle-ci se caractérise par deux figures argumentatives principales et l’absence de considération des priorités politiques. La première marque la prise de conscience politique de l’enjeu climatique et des défis qui lui sont induits. La deuxième s’apparente à un tâtonnement sur la scène politique belge au niveau du choix des repères temporels à faire pour définir les objectifs liés à la réduction des gaz à effet de serre et au niveau de la mise en œuvre des mesures et des objectifs. L’ensemble des arguments repose, donc, sur l’urgence de la prise de conscience d’une politique climatique, sans évocation des priorités politiques : « il est urgent de » versus « il est prioritaire de ».

Comme tout déploiement périodique au départ de l’identification de bifurcations argumentatives, une phase de transition est visible. Dans le dossier climatique politique belge, elle apparaît à la fin des années 1990 et conduit progressivement à une rupture argumentative et temporelle autour des débats politiques sur le changement climatique en 2001.

Une deuxième période est ainsi identifiée de 2001 à 2008 : « L’esprit de Kyoto et post-Kyoto ». A la différence de la période précédente, celle-ci se caractérise par une mise en évidence de l’accumulation des savoirs scientifiques dont les acteurs politiques ne disposaient pas précédemment : « suite à l’évolution des connaissances scientifiques de ces dernières années ». Nous pouvons, durant cette période, relever une accélération politique du dossier climatique. Les acteurs politiques ne parlent et n’argumentent plus au nom de ou par l’urgence, mais au départ d’arguments associés aux priorités politiques (« il est prioritaire de ») et aux tensions qui résultent de l’entrecroisement avec d’autres politiques publiques, comme le débat mêlant la sortie du nucléaire et les objectifs de Kyoto : « L’abandon du nucléaire rentre également en contradiction avec l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre »6. Cette priorité politique dans l’analyse des arguments confirme parfaitement notre première analyse quantitative et l’inscription des enjeux climatiques dans les accords et déclarations des gouvernements fédéraux et régionaux.

Ensuite, une période de transition, qui mène de 2005 à 2008, s’appuie, comme précédemment, sur une évolution des savoirs scientifiques et de nouvelles précisions dans les données des scénarios. La différence avec ce qui précède se situe au niveau de l’amorce d’une nouvelle réflexion politique suite à l’entrée en vigueur du Protocole de Kyoto autour de l’argument lié à l’adaptation de la société au changement climatique. A ce stade, les priorités climatiques entrent en tension avec de nouvelles données qui tendent à modifier les représentations de l’avenir et les scénarios précédents. La scénarisation prend à présent en compte un registre argumentatif qui repose sur l’« irréversibilité » de certains événements rendus prévisibles (l’augmentation de la température, la fonte des glaciers, l’augmentation des niveaux des mers et des océans, etc.).

Une dernière période est, enfin, mise en évidence : « L’esprit du conséquentialisme ». Cette dernière débute durant l’année 2008-2009 et marque une nouvelle rupture argumentative. Si, précédemment, les acteurs politiques s’interrogeaient sur la nécessité d’une adaptation au changement climatique, à partir de 2008-2009, l’orientation vers des politiques d’adaptation est effective (voir, notamment, Aykut, Dahan, 2011). Les débats portent alors sur les moyens à mettre en œuvre pour évaluer au plus vite les coûts et les conséquences de l’« irréversibilité » à venir.

La place des événements et des scénarios

Il conviendra dans nos prochaines recherches d’investiguer l’après-2009 afin de voir comment le dossier climatique poursuit son évolution et probablement au travers de nouvelles bifurcations majeures et turbulences mineures. A ce propos, Copenhague, par exemple, qui a pu être présenté et attendu par certains acteurs politiques comme un événement majeur, voire fatidique, n’a pour l’heure produit aucune bifurcation dans le dossier climatique, tout au plus une turbulence, un fait dans l’évolution temporelle du dossier. Les turbulences ne sont pas pour autant figées et l’évolution temporelle du dossier, par l’effet de convergences d’une série d’événements, peut produire des effets différés dans le temps. Il est donc important de suivre le dossier climatique attentivement, notamment, en prenant en compte les références que font les acteurs politiques aux événements passés et, donc, aux précédents (Chateauraynaud et Doury, 2011). Quant aux bifurcations déjà identifiées, elles se nourrissent d’événements comme des conférences internationales, de protocoles, l’évolution des connaissances scientifiques, de nouvelles découvertes, de nouveaux progrès technologiques, etc. Si Kyoto y est centrale, puisqu’il introduit de nouveaux concepts, de nouvelles connaissances scientifiques, de nouveaux objectifs politiques, le premier Sommet de Rio a  joué un rôle certain dans la prise de conscience collective et politique des enjeux et des conséquences futures. Certains faits ou scénarios, considérés comme irréversibles, font également événements et produisent de nouvelles bifurcations. On voit bien, ici, la pluralité des événements venant produire tantôt une bifurcation, tantôt une simple turbulence qui pourrait, toutefois, se révéler être une bifurcation dans l’étude du temps long et suite à une succession de turbulences similaires. L’échec répété et successif de conférences internationales peut effectivement produire des effets sur le long terme marquant alors une bifurcation, par exemple, sur la manière de considérer le dossier climatique (changement d’échelle, remise en cause des scénarios, changement dans la manière de se représenter le changement climatique, laisser-faire, etc.).

Sous-dossiers, réseaux du dossier climatique et nouvelles bifurcations

La présentation périodisée par l’identification des bifurcations, ruptures ou changements que nous venons de présenter cache toutefois un ensemble de sous-dossiers climatiques ou, dit autrement, un réseau du dossier climatique qui le relie à d’autres êtres-fictifs et, qui pour chaque débat qui se développe, crée de nouvelles tensions, événements, turbulences et bifurcations. Si l’évolution périodisée du dossier climatique et politique belge précédente est la partie émergée de l’iceberg et rend visible les grands changements, les sous-dossiers thématiques en sont la partie invisible.

Une quinzaine de débats à suivre

Dés lors, se questionner sur l’évolution de la prise en considération du dossier climatique par les acteurs politiques implique d’identifier les principales compénétrations de l’être-fictif-changement-climatique, autrement dit, les divers êtres-fictifs qui interagissent au sein d’un même énoncé. Afin de trouver un maximum de connexions, nous avons travaillé sur les trois sources confondues (agendas politiques, parlementaires et gouvernementaux), soit quelques 3.030 représentants pour l’être-fictif-changement-climatique que nous pouvons suivre au travers des 416 textes. De plus, afin d’affiner notre analyse de ces compénétrations entre le dossier climatique et d’autres thématiques, nous avons élargi notre base d’êtres-fictifs en scindant les précédents topics du codebook et en utilisant leurs 235 répertoires comme nouveaux êtres-fictifs.

Parler de « changement climatique » n’est pas en soi neutre et vide de sens. Derrière cette expression se déploie un ensemble de débats. Sur base de nos premières analyses, une quinzaine de débats majeurs autour du changement climatique dans le dossier politique belge a été identifiée :

(1) les gaz à effet de serre et ses scénarios, (2) la sortie du nucléaire, (3) la température mondiale, (4) la solidarité Nord/Sud, (5) la responsabilité de l’activité humaine, (6) la montée de la mer du Nord, (7) les transports, (8) les générations futures comme « dépositaire » de l’agenda climatique, (9) la coopération entre les entités fédérées et fédérale, (10) la place des événements extrêmes, (11) les avancées scientifiques, (12) le principe de précaution vs. le principe de prévention, (13) l’habitat, (14) les énergies renouvelables, (15) les progrès technologiques et les réponses techniques potentielles au changement climatique, (16) les conséquences « irréversibles » liées au changement climatique (réfugiés climatiques, adaptation, etc.).

Le cas du débat “sortie du nucléaire”/”changement climatique”

Comme il est impossible de tous les développer ici, prenons comme exemple le débat autour du changement climatique par la sortie du nucléaire. Il illustre parfaitement ces moments de tensions et de bifurcations à un niveau plus « micro » du dossier. Ce débat débute en 1991. De manière générale, on peut identifier une première période s’étendant de 1991 à 2003 et intentionnellement intitulée dans ce dossier belge : « Sur la voie d’une sortie du nucléaire ». A cette période, les acteurs politiques argumentent dans leur majorité en faveur d’une sortie du nucléaire en mettant en évidence les risques de cette industrie face à son intérêt pour la lutte contre l’effet de serre et, par extension, les risques climatiques (Ecolo, programme électoral, 1991). Ecolo n’est pas seul à aller dans cette voie. Le gouvernement insiste également sur le fait qu’« il est prêt à s’engager dans la sortie progressive de l’énergie nucléaire à terme, et ce, en respectant les objectifs fixés par la conférence de Rio et le protocole de Kyoto quant aux émissions de CO2 » (Accord et déclaration de gouvernement, Fédéral, 1999). Un argument très intéressant apparaît dans les discours politiques belges en 2003 dissociant les effets positifs d’une poursuite du nucléaire sur l’effet de serre, ce qui avait, en France, été un argument central dans le débat entre les anti- et pro-nucléaire (Chateauraynaud, 2011b) : « il est de plus en plus évident que le nucléaire n’est pas une réponse à l’effet de serre. En effet, l’analyse des situations des différents pays de l’Europe des 15 montre que ce ne sont pas nécessairement les pays les plus nucléarisés qui ont les émissions de CO2 les plus faibles » (Ecolo, programme électoral, 2003). On constate également, lors de cette première période, de longs silences thématiques entre 1992 et 1999, puis entre 2000 et 2003 et, enfin, entre 2004 et 2005. Une deuxième période active autour de ce débat est identifiée essentiellement en 2005 et intitulée « Tensions entre priorité nucléaire (2003) et objectifs de Kyoto (2005) ». Nous mettons en évidence ces tensions puisque, dans l’étude du cas belge, 2003 est une année importante dans le débat nucléaire avec le vote de la « Loi sur la sortie progressive de l’énergie nucléaire à des fins de production industrielle d’électricité » (entrée en vigueur le 10 mars 2003) pour les sept centrales nucléaires belges, et ce, à partir de 2015. Toutefois, avec la ratification par la Belgique du Protocole de Kyoto (31 mai 2002 et entré en vigueur le 16 février 20057), certains acteurs politiques mettent en tension argumentative la visée de cette loi et la volonté d’atteindre les objectifs de Kyoto : « L’abandon du nucléaire rentre également en contradiction avec l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre » (Christian Brotcorne, CDH, Question au Sénat, mai 2005) ; « Le nucléaire n’est-il pas une alternative possible à la réduction des gaz à effet de serre ? » (Idem) ; « Lequel du nucléaire ou du gaz à effet de serre doit-on le plus redouter ? » (Idem) ; « Contre lequel trouvera-t-on une solution biotechnologique de recyclage ? » (Idem). Est également visible une remise en question de l’argument mettant en cause les effets du nucléaire sur l’effet de serre pourtant partagé par les acteurs politiques depuis 1991 : « La principale conséquence négative de l’abandon du nucléaire réside bien entendu dans le fait que l’on se prive d’une source de production d’électricité qui ne génère pas d’émissions de CO2 » (Marc Verwilghen, VLD, Ministre de l’Économie, de l’Énergie, du Commerce extérieur et de la Politique scientifique, Réponse à une question d’un Sénateur, juillet 2005) ; « Il est exact que la sortie du nucléaire rend plus difficile le respect de nos engagements de réductions de gaz à effet de serre » (Idem). Ces mêmes arguments traversent les trois agendas politiques, gouvernementaux et parlementaires, tant au niveau des partis francophones que néerlandophones, mais animent en particulier les groupes politiques CDH et VLD (Vlaamse Liberalen en Democraten) :

« tout plan alternatif crédible qui prévoit une sortie du nucléaire doit être en capacité, ce qui n’a pas été fait jusqu’à présent, de prévoir en même temps la manière avec laquelle il va compenser, sans recourir aux énergies fossiles polluantes, une énergie comme le nucléaire qui n’émet quasi aucun gaz à effet de serre (le remplacement de nos 7 centrales nucléaires par des centrales au gaz provoquerait une hausse d’environ 10 % des émissions de CO2, soit plus que l’objectif Kyoto de 7,5 % de réduction des gaz à effet de serre pour la Belgique) » (CDH, programme électoral, 2007)

« Dans la mesure où ce qui est prioritaire c’est le respect des objectifs de diminution des gaz à effet de serre, il se peut que, en l’absence de sources énergétiques non fossiles alternatives au nucléaire en suffisance, ce plan ne puisse pas dans les délais décidés à la hâte en 2003, respecter les objectifs de réduction des gaz à effet de serre » (CDH, programme électoral, 2007)

« Comme l’énergie nucléaire ne génère pas de gaz à effet de serre, notre pays présente l’un des taux d’émissions de CO2 par kilowatt/heure les plus bas d’Europe » (Margriet Hermans, Open VLD, Question au Sénat, septembre 2005)

« Selon les estimations, la fermeture des centrales nucléaires ferait croître les émissions totales de CO2 dans notre pays de 20 % ! » (Idem).

La clôture de cette deuxième période se fera par un argument temporel, non pas, en mettant fin à la confrontation entre nucléaire et effet de serre, mais en renvoyant les enjeux et la redéfinition des priorités politiques à ce sujet à une date ultérieure, laissant présager à tout le moins un re

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