2017-01-30

Références : Cass. 2e civ., 10 mars 2016, SA Euroviande service c/ CPAM du Jura, n° 14-29.145, JCP S n° 20, 24 mai 2016, pp. 38-40 ; RJS 2016/05, p. 394 ; Cahiers soc. n° 287, juil. 2016, pp. 376-377, note M. Keim-Bagot.

Résumé : 1°/ Il résulte des dispositions de l’article L. 143-1 du Code de la sécurité sociale que les juridictions du contentieux technique n’ont compétence qu’à l’égard des contestations relatives à l’état d’incapacité permanente de travail et notamment au taux de cette incapacité, en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, à l’exclusion des litiges relatifs à l’imputabilité d’une lésion à l’accident ou à la maladie. les difficultés relatives au caractère professionnel d’une lésion relevant de la compétence des juridictions du contentieux général de la sécurité sociale en application des dispositions visées à l’article R. 143-2 du Code de la sécurité sociale, il appartenait à l’employeur de saisir lesdites juridictions s’il entendait contester l’imputabilité à la maladie professionnelle de certaines des séquelles retenues par le médecin conseil de la caisse.

2°/ Aux termes de l’article R. 143-33 du Code de la sécurité sociale, l’entier rapport médical que doit transmettre le praticien-conseil du service médical au médecin expert ou au médecin consultant désigné par le juge du contentieux technique, comprend, d’une part, l’avis et les conclusions motivées données à la caisse d’assurance maladie sur le taux d’incapacité permanente à retenir, d’autre part, les constatations et les éléments d’appréciation sur lesquels l’avis s’est fondé. En l’espèce, il est relevé que les pièces médicales présentées par la victime au médecin-conseil ne sont pas détenues par la caisse, que le service du contrôle médical a transmis le rapport d’évaluation des séquelles et que ce rapport a permis au médecin consultant désigné en appel de donner un avis sur le taux d’incapacité permanente partielle de la victime. Par conséquent, il en ressort que l’entier rapport médical avait été transmis au médecin consultant.

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Note réalisée par Sarah El Kdali, Etudiante en Master 2 Droit de la protection sociale, FSJPS, Université de Lille 2

Dans un rapport datant de 2016 intitulé « Appui à l’organisation du transfert du contentieux du TASS, TCI, CDAS vers les nouveaux pôles des TGI » (S. Fourcade et al., Rapport IGAS n° 2015-126R/Rapport IGSJ n° 12-16, févr. 2016, 159 p. ; Disponible à l’URL suvante : <http://www.justice.gouv.fr/art_pix/1_rapport_contentieux_secu_soc_2015_126r.pdf>), est soulignée la mission aujourd’hui indispensable d’harmoniser et de simplifier le recours à ces juridictions, les procédures étant disparates et sources de difficultés pour les justiciables. Cette remarque peut être mise en relation avec un arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rendu le 10 mars 2016 (Cass. 2e civ., 10 mars 2016, SA Euroviande service c/ CPAM du Jura, n° 14-29.145, JCP S n° 20, 24 mai 2016, pp. 38-40 ; RJS 2016/05, p. 394 ; Cahiers soc. n° 287, juil. 2016, pp. 376-377, note M. Keim-Bagot) illustrant la complexité du contentieux rencontrée par les usagers de la Justice.

Dans cette espèce, une salariée souffrant d’une tendinopathie entraînant des douleurs et une limitation des mouvements essentiels de l’épaule droite a déclaré une maladie professionnelle au titre du tableau n° 57 des maladies professionnelles qui est relatif aux affections périarticulaires provoquées par certains gestes et postures au travail, cette maladie professionnelle a été prise en charge par la caisse primaire d’assurance maladie. La caisse lui a attribuée un taux d’incapacité permanente partielle à hauteur de 15 %,  ce taux mesure les séquelles mentales et physiques suite à un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.

L’employeur de cette salariée saisit le tribunal du contentieux de l’incapacité (TCI) pour faire reconnaître l’inopposabilité de cette décision à son égard.

La Cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance des accidents du travail (CNITAAT) rejette la demande. L’employeur forme alors un pourvoi en cassation devant la deuxième chambre civile de la Cour de cassation.

Celui-ci remet en cause tout d’abord le caractère professionnel des lésions dont est victime la salariée et avance que c’est au juge du contentieux technique que revient la compétence de statuer sur l’imputabilité des lésions. Selon l’employeur, « seules les séquelles résultant des lésions consécutives à la maladie professionnelle prise en charge par la CPAM doivent être prise en compte dans l’évaluation du taux », si une contestation doit être faite quant à l’imputabilité de certaines lésions à la maladie professionnelle, le juge du contentieux technique est compétent et ce dernier devrait identifier les séquelles imputées à la maladie et estimer le taux. Dans un second temps, l’employeur reproche la non-transmission du rapport médical qui comprend notamment l’avis du médecin-conseil.

Comment se complète le contentieux général et le contentieux technique dans la détermination d’une maladie professionnelle ? De plus, dans le prolongement de cette première interrogation,  dans quelles conditions est transmis le rapport médical ?

La Cour de cassation dans cet arrêt répond en deux temps et sur ces deux questions essentielles. Elle statue, en premier lieu, sur la répartition des compétences et la complémentarité entre les juridictions du contentieux général et du contentieux technique et, en second lieu, sur la communication de l’entier rapport médical devant le juge du contentieux technique.

I.- LA RÉPARTITION DES COMPÉTENCES ET LA COMPLÉMENTARITÉ DES JURIDICTIONS DU CONTENTIEUX GÉNÉRAL ET CONTENTIEUX TECHNIQUE

Cet arrêt est révélateur des confusions et de l’articulation entre le contentieux général et le contentieux technique. En effet en droit de la sécurité sociale, on retrouve ces deux types de juridictions. Le Tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) est la juridiction de droit commun qui juge les litiges d’ordre administratif entre les caisses de Sécurité sociale et les usagers, les conflits concernant l’application législative et réglementaire de la Sécurité sociale (Art. L. 142-1 à L. 142-3, C. séc. soc.).

En parallèle, il existe les juridictions du contentieux technique, à qui est attribuée une série de compétences listée dans l’article L. 143-1 du Code de la sécurité sociale. Il s’agit notamment la contestation des décisions de la CPAM, l’état d’incapacité permanente de travail (IPP) et également le taux de cette incapacité, en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, relèvent de ce contentieux technique et donc les TCI et la CNITAAT qui doivent être saisis pour ces questions. Ce tribunal dispose d’un caractère particulier, dans le sens où la décision prendra en compte de nombreuses données médicales.

Lorsqu’un employeur souhaite contester un accident de travail/maladie professionnelle, le TASS est compétent pour l’inopposabilité de la prise en charge et la sollicitation d’un expert médical judiciaire pour se prononcer sur l’imputabilité. Parallèlement, en matière d’accident de travail, le TCI se prononce sur la question du taux d’incapacité admis par la CPAM, à la victime du risque professionnel (accident de travail/ maladie professionnelle). Cependant, il n’est pas compétent pour statuer sur l’étendue des séquelles et leur imputabilité à l’accident, qui relève de la compétence du TASS qui rend sa décision sous réserve de prendre en considération l’expertise médicale. Dès lors, le TCI ne peut pas remettre en cause ces deux éléments.

C’est ce principe qui est rappelé en l’espèce. La Cour de cassation répond au premier moyen dans lequel la société avance qu’il s’agit de la compétence du TCI d’identifier les séquelles imputées à la maladie pouvant fixer le taux d’incapacité permanente partielle, en indiquant que la juridiction du contentieux technique a la compétence pour la contestation relative à l’état d’incapacité permanente de travail, et le taux de celui ci en accident de travail et maladie professionnelle, à l’exclusion du litige relatif à l’imputabilité de l’accident et la maladie. La Cour de cassation rejette le moyen de cassation, en rappelant que l’imputabilité et le caractère professionnel relèvent de la compétence des juridictions du contentieux général et non du TCI.

En conséquence, la Cour rappelle le principe suivant : pour les différends et difficultés qui s’attachent au caractère professionnel de la lésion, le TASS (contentieux général) est compétent (Art. R. 133-2, C. séc. soc.). Ainsi, les juridictions du contentieux technique n’ont compétence que concernant l’état d’incapacité permanente et le taux de cet état en cas d’accident de travail/maladie professionnelle.

Par ailleurs, c’est à l’employeur de saisir le TASS pour contester l’imputabilité de la maladie professionnelle de sa salariée. En outre, dans la pratique contentieuse, il est important de demander un sursis à statuer devant les juridictions du contentieux technique en attendant la décision du TASS sur l’imputabilité.

Enfin, cette décision est révélatrice des confusions qui peuvent être faites et de la complexité et précision des compétences attribuées, qui sont complémentaires et à la fois proches. C’est d’ailleurs ce qu’évoque Mme Morane Keim Bagot dans son article « Le contentieux technique de la Sécurité sociale : un contentieux en péril ? » (Regards n° 47, mars 2015, Dossier « Contentieux de la Protection sociale », EN3S, pp. 61-69 ; V. également M. Keim-Bagot, note sous Cass. 2e civ., 10 mars 2016, SA Euroviande service c/ CPAM du Jura, n° 14-29.145, Cahiers soc. n° 287, juil. 2016, pp. 376-377).

Également, le rapport « Appui à l’organisation du transfert du contentieux du TASS, TCI, CDAS vers les nouveaux pôles des TGI » (S. Fourcade et al., préc.) met en avant les imperfections de ces juridictions et avance notamment que cette organisation se traduit par un morcellement du contentieux, difficilement lisible pour les usagers, contraints pour un même litige de porter leur demande devant trois juridictions distinctes et organisées selon des procédures hétérogènes.

Cette remise en cause prend davantage de sens avec la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle (L. n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, JO n° 269, 19 nov. 2016), qui regroupera le TASS et le TCI au sein d’un pôle social au Tribunal de grande instance de chaque chef-lieu de département. Les décrets d’application sont en attente. Cette loi s’inscrit dans un mouvement de modernisation et de simplification des institutions publiques.

Après avoir réglé la question du partage de compétence entre le TASS et le TCI, la Cour de cassation répond à la question de la transmission du rapport médical devant le juge du contentieux technique, mais aussi son contenu.

II.- LA COMMUNICATION DE L’ENTIER RAPPORT MÉDICAL DEVANT LE JUGE DU CONTENTIEUX TECHNIQUE

En l’espèce, l’employeur estime que la CPAM n’a pas transmis les rapports qu’elle est tenue de transmettre au médecin consultant mandaté par l’employeur, ce rapport médical étant déterminant à la fixation du taux d’incapacité de travail permanent, et  devant contenir l’ensemble des éléments importants à la fixation du taux.

La Cour de cassation commence par rappeler que l’article R. 143-33 du Code de la sécurité sociale oblige le praticien-conseil du service médical à transmettre l’entier rapport médical au médecin expert ou au médecin consultant désigné par le juge du contentieux technique. De plus la Cour par cet article rappelle le contenu de ce rapport qui en premier lieu est composé de l’avis et conclusion motivés sur le taux d’incapacité permanente et en second temps la constatation et élément d’appréciation sur lesquels l’avis est fondé.

La Haute juridiction relève ainsi que le service du contrôle médical a transmis le rapport d’évaluation des séquelles et celui ci a d’ailleurs permis au médecin consultant désigné de formuler son avis sur taux d’incapacité permanent partielle de 15 % de la salariée.

La Cour de cassation relève que la Cour nationale de l’incapacité en s’appuyant les faits, a affirmé que le rapport a bel et bien était transmis.

Ce principe concernant la transmission de l’entier rapport médical se retrouvait déjà dans un arrêt  rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, le 18 décembre 2014 (Cass. 2e civ., 18 déc. 2014, Sté AD3, n° 13-25.714, Publié), « l’entier rapport médical défini par l’article R. 143-33 du code de la sécurité sociale comprend, d’une part, l’avis et les conclusions motivées données à la caisse d’assurance maladie sur le taux d’incapacité permanente à retenir, d’autre part, les constatations et les éléments d’appréciation sur lesquels l’avis s’est fondé, de sorte que l’ensemble de ces documents devaient être communiqués selon les modalités fixées par l’article L. 143-10 du même code ». En l’espèce il s’agissait d’une contestation du taux d’incapacité permanente par l’employeur d’une salariée victime d’une maladie professionnelle. Ainsi, avec cette solution, la Cour confirme l’arrêt prononcé précédemment en 2014.

Par ailleurs, on peut relever un arrêt rendu le 6 octobre 2016 (Cass. 2e civ., 6 oct. 2016, Société Groupe Bigard, n° 15-23.525, inédit) qui précise que « la transmission de l’entier rapport médical au médecin expert ou au médecin consultant désigné par le juge du contentieux technique incombe non à la CPAM, mais au médecin conseil du service national du contrôle médical ».

Finalement, on peut se demander si le regroupement au sein d’un même pôle de ces juridictions permettra de faciliter la procédure pour les usagers et entraînera une certaine simplification de celle-ci. L’expérience le dira.

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