Quelques dizaines de skieurs globe-trotters « rident » chaque hiver sur les volcans du Kamtchatka. Le ski trip ultime de l’Extrême-Orient russe. J’y étais.
L’aventure blanche débute
Tout commence par un signe furtif de Dima, le mécanicien de bord. La porte est ouverte, il guide son pilote qui stabilise le puissant MI-8 en équilibre sur la crête, le train arrière dans le vide, la roue avant délicatement posée sur une corniche de neige.
En une seconde, Marco quitte le fuselage pour récupérer la dizaine de paires de skis que lui passe Sergueï, le guide russe qui l’assiste avant de le rejoindre sur l’arête.
Installé à l’arrière de l’appareil, je suis le premier à en sortir. À genoux dans la neige comme le veut la procédure de sécurité, je me cale contre Sergueï.
Le lâcher de riders
En 30 secondes, l’hélicoptère crache sa cargaison de riders casqués et masqués pour se protéger des projections de neige que le rotor projette alentour.
Pouce levé, Marco indique à l’équipage qu’il peut rejoindre la DZ (Drop Zone, NDLR) près de mille mètres en contrebas. Subtilement, l’appareil plonge dans la pente, emportant avec lui le vacarme assourdissant qui empêchait jusque-là toute communication.
Dans un désordre sentant bon la colonie de vacances, chacun récupère ses skis et cherche un bout de neige pour chausser, en prenant soin d’éviter l’aller simple vers le plancher des ours. Tout s’est passé en moins de deux minutes, réglées comme du papier à musique.
De l’eau, liquide et solide
Je prends enfin le temps de profiter du spectacle. La vue est étourdissante. Autour de moi, à 270 degrés, de l’eau, d’un bleu profond comme on en trouve partout ici.
L’océan serpente dans les fjords d’un blanc aveuglant. Mer et montagne ne semblent faire qu’un, elles qui ont en commun de partager ce qui la compose, l’eau, solide en haut, liquide en bas.
Le ski est total
« Davaï » (« On y va », NDLR) lance Marco, guide de Chamonix, tombé fou amoureux voici dix ans de cette région grande comme 14 fois la Belgique (et les ¾ de la France). Il y passe désormais 3 mois par an, hors du temps, à encadrer et à ouvrir de nouveaux secteurs comme le faisaient les alpinistes dans les années 50. Un pionnier des temps modernes.
On s’engage dans sa trace, féline et sensuelle. Des courbes aux rondeurs des beautés locales en direction de la plage. Ici, le ski est total. Engagé, exigeant et contemplatif à la fois.
Je prends un pied intégral à laisser ma trace sur ces montagnes majestueuses aux lignes épurées. Je m’efforce de skier le plus proprement possible, par respect pour l’endroit. Comme si je voulais ne pas le décevoir.
Une sensation unique de liberté m’envahit. Je crie toute ma joie et mon plaisir d’avoir le privilège d’être là. Les virages s’enchaînent dans une neige de printemps en direction de l’hélico, posé à deux mètres des vagues.
Le spot idyllique
Au loin, au bout d’une avancée rocheuse défiant la fureur de l’océan depuis des millénaires, une colonie de lions de mer se réchauffe paisiblement la graisse sous un généreux soleil d’avril.
Je m’arrête à même les galets de la plage, la spatule de mes skis caressée par l’écume salée. Ça y est, j’ai skié au Kamtchatka, un rêve pour tout skieur hors-piste qui se respecte.
Avec le Cachemire, la Géorgie, le Japon, l’Antarctique et l’Alaska, cette péninsule sauvage située à l’extrême est de la Russie constitue un spot idyllique pour les amateurs de freeride.
« Les possibilités sont infinies ici » explique Marc Gaiani (dit « Marco ou Marcus »). « La seule limite, c’est le rayon d’action de l’hélicoptère qui permet tout de même d’aller chercher des pentes 100 kilomètres à la ronde à partir de l’hôtel. Ça fait dix ans que je skie ici et il reste des centaines de montagnes sur lesquelles personne n’a jamais posé le pied. Même en skiant une ligne différente tous les jours, je n’aurai pas assez d’une vie pour skier tout ce qu’il est possible de faire ici. En plus, les paysages évoluent parce qu’avec l’activité des volcans, un endroit peut changer complètement de physionomie d’une saison à l’autre. »
Parfois, le run se fait même le long d’une coulée de lave en fusion.
Direction le centre de la terre
Les volcans sont ici omniprésents. On en compte près de 300 dont une trentaine est en activité.
Nous remontons dans le MI-8 de la compagnie Vitiaz Aéro qui constitue l’un des moyens de transport et de ravitaillement habituel pour les 400.000 habitants de cette terre gigantesque.
Le réseau routier, quasi inexistant, a été interdit aux touristes jusqu’en 1992 en raison de la présence de bases militaires ultrasecrètes postées face à l’Alaska, de l’autre côté de l’océan.
L’héliski antiécologique ?
À ceux qui mettent le doigt sur l’impact écologique d’une telle activité, Marco et Nikolaï, son associé russe, répondent en chœur. « Ici, l’hélico fait partie des moyens de transport obligatoires, que ce soit pour les habitants et pour les marchandises. Notre activité d’héliski ne représente qu’une toute petite partie du travail des deux sociétés d’hélicoptères qui se partagent le marché ».
Aux origines du monde
Direction le volcan Mutnovski et ses fumeroles empestant le soufre. De là, je glisse vers Viluchinski qui nous ouvre son cratère pour quelques courbes mémorables qui se terminent dans la cendre tiède et noire comme la roche volcanique qu’elle recouvre.
Un moment, je me crois revenu à l’origine du monde lorsque la région était peuplée de mammouths. Des défenses séculaires sont d’ailleurs exposées dans le pittoresque musée de la ville de Petropavlovsk consacré à l’histoire, mais aussi à la faune et à la flore. Je prends une claque, une de plus, dans cet univers brut de décoffrage.
Les volcans du Kamtchatka (certains sont encore actifs) auraient pu être dessinés par des enfants. Un cône parfaitement symétrique dont les flancs généreusement enneigés se jettent dans la mer.
C’est beau, mais c’est loin
Le Kamtchatka, c’est une gigantesque péninsule sauvage, un territoire primaire, presque préhistorique. La terre à l’état brut, à 8 heures de vol plein est depuis Moscou, coincée entre les mers d’Okhotsk et de Béring.
Une géolocalisation qui lui a toujours offert un caractère très stratégique, coincé entre l’Alaska (et donc les États-Unis) à l’Est et le Japon au Sud-Ouest. Qui ne se souvient pas de ce nom présent sur le plateau de jeu de RISK, le célèbre de conquête du monde, et si souvent estropié ?
Ce territoire fut longtemps uniquement accessible aux militaires. Il dispose encore de très nombreuses bases navales et de villes militaires où aucun civil ne pénètre encore aujourd’hui.
L’excursion jusque Petropavlovsk-Kamtchatski, la capitale, vaut le coup d’œil lorsque la météo empêche les hélicos de décoller (un à deux jours par semaine). Une ville étendue réputée pour son activité portuaire et les vestiges des tentatives de conquêtes franco-anglaises. Une visite de son pittoresque musée local nous apparaît inévitable.
Une beauté hallucinante
Ralf, guide allemand exilé russe 3 mois par an, vient ici depuis quelques années. « C’est le plus bel endroit du monde pour skier. C’est hallucinant de beauté » explique-t-il les yeux pétillants. Pour la première depuis plus de 10 ans, un groupe emmené par ce guide chevronné aux jambes interminables a skié sur Alaïd, une île volcan située à la pointe sud de la péninsule.
« Là-bas, c’est le bout du bout du monde. Nous avons skié le volcan depuis son sommet jusqu’à la mer. Un run (descente, NDLR) de 3.000 mètres de dénivelé. Nous avons vu des renards presque rouges, même pas effrayés alors qu’ils n’ont jamais vu d’être humain. Emmener des clients dans ce genre d’endroit où personne n’a jamais mis le pied, c’est l’essence même du métier de guide. Je ne me suis d’ailleurs jamais senti autant guide qu’ici. »
Des renards, mais aussi des ours
« Нести, Nesti » crie subitement Oleg, un habitué des lieux qui vient de repérer une famille d’ours qui crapahute entre les bouleaux. La région en compte 20.000. Certains se laissent régulièrement observer à la sortie de l’hiver quand les températures remontent, les poussant hors de leur tanière pour faire le plein d’énergie…
« Aucune photo ni aucune vidéo ne permettent de se rendre compte de la beauté de cet endroit » me lance Oleg dans un anglais au charmant accent russe.
« C’est comme regarder une femme russe sur un écran d’ordinateur. Ça n’a pas de sens. Il faut les voir en vrai une fois dans sa vie pour se rendre compte que ce sont les plus belles. »
20 mètres de neige par hiver
Au-delà de ses paysages hallucinants, le Kamtchatka est également connu pour ses incroyables chutes de neige.
« En moyenne, il tombe 4 mètres au centre-ville de Pétropavlosk » m’explique Vladimir qui emmène quelques rares touristes (la région n’en accueille que 20.000 par an, NDLR) à la découverte des curiosités de sa ville.
« Quatre mètres au niveau de la mer, vous imaginez ce qu’il peut en tomber en montagne. Au milieu de la péninsule, il y a un endroit où on a enregistré 20 mètres de chutes cumulées il y a quelques années. »
C’est aussi ça que, comme la poignée de skieurs du monde entier qui fréquentent l’endroit, je suis venu chercher. La poudreuse du Kamtchatka. Ça fait 15 jours qu’il n’a pas neigé, pourtant, Marco l’a promis à Oleg qui passe sa journée à réclamer « Powder Marcus, powder ». « De la poudre, t’inquiète, t’en auras » balance-t-il, sûr de lui.
6.000 mètres de dénivelé!
Le lendemain, c’est vers une forêt clairsemée de bouleaux où ce qui semble être un buisson est en fait la cime des plus petits arbres, que nous volons. La pente est soutenue, la neige profonde et légère, le plaisir proche de la jouissance.
Tout au long de la journée, mon groupe enchaînera les runs entre les arbres sans jamais passer au même endroit. Onze pour un total de près de 6.000 mètres de vertical drop (dénivelé). Le petit Jésus en culotte de velours.
Débriefing au sauna
Fréquentés par une clientèle moitié russe, moitié internationale, les séjours d’Héliski Russia sont aussi l’occasion de se familiariser avec quelques traditions russes.
À côté des speechs inévitables à chaque fois qu’un (nouveau) verre (de vodka ou autre) est servi, le passage au bagna (NDLR, sauna) est vivement recommandé après une journée de grand ski.
Les locaux y passent systématiquement deux à trois heures en fin de journée. L’occasion de prendre l’apéro dans un beau chalet en bois en dégustant (pour ceux qui aiment ça) des poissons et calamars séchés.
Le cirque du dernier jour
Sur une semaine, le forfait Fire and Ice comprend 8 heures de vol effectif (calculé à la seconde près dès que l’hélico quitte le sol). Une fois le quota dépassé, chacun décide s’il poursuit l’aventure avec obligation de passer à la caisse pour se partager les 4.400 euros de l’heure que coûte la mise en action du surpuissant biturbine.
Marco m’annonce que pour le dernier jour, il choisit de nous emmener dans le Middle Range, un massif situé à 25 minutes de vol au nord de l’hôtel Antarius, un établissement appartenant à un riche homme d’affaires coréen servant de camp de base au groupe.
« Je suis persuadé que les faces orientées nord, nord-est sont encore gavées de fraîche » explique Marco. On le croit sur parole. Le pilote nous déposera 9 fois au sommet d’un cirque gigantesque de style alpin, truffé de couloirs s’ouvrant sur des pentes à 40/45 degrés.
Orientation de la face vérifiée à la boussole, contrôle de la stabilité du manteau neigeux opéré, Marco engage une ligne douce et fluide, presque droit devant, signant la face de son empreinte éphémère. Ça y est, la montagne a perdu sa virginité.
Passé la petite appréhension du premier virage sur une crête exposée, je le suis en enchaînant de larges courbes dans la neige profonde à la poursuite de mon ombre projetée devant moi par le soleil de la mi-journée.
Des gerbes de neige me fouettent les jambes. Je ne skie plus, je flotte. Je vole. Je suis en lévitation, presque en apesanteur. Plus très éloigné du paradis.
En pratique
Y aller: la compagnie nationale russe Aeroflot vole tous les jours depuis Bruxelles (2 vols par jour) vers Moscou (3 heures 30 de vol). Escale de plusieurs heures inévitable dans la capitale russe avant de voler vers Petropavlosk-Kamchatsky (10 heures de vol). Comptez au minimum 24 heures de voyage.
Décalage horaire: en avril, le décalage est de +10 heures par rapport à la Belgique.
Visa obligatoire.
Infos et réservations heliski-russia.com (site en français). Comptez entre 5.000 et 6.000 euros la semaine (sans les vols internationaux) pour 8 heures de vol effectif en hélico. Par exemple, nous avons volé 4 jours (10 heures d’hélico) pour 41 déposes et 26.790 mètres de dénivelé avalés. Le ski de randonnée peut également servir d’alternative lorsque la météo est mauvaise.
Le forfait d’Héliski Russia comprend:
les nuitées en demi-pension (petit-déjeuner + lunch);
l’encadrement (guides internationaux et russes);
la mise à disposition du matériel de sécurité (sac airbag + kit arva/pelle/sonde);
les animations.
Séjour itinérant et exclusif pour groupe à la carte possible.
Se renseigner sur le Kamtchatka: welcomekamchatka.ru, info@welcomekamchatka.ru
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