2013-10-26

October 16, 2013 - São Luís, Brazil

Une dizaine de jours s'est écoulée depuis la rédaction du dernier article... Lençois près du parc de Chapada Diamantina, la fin du voyage avec Leslie et Cat, concert de Vanessa da Mata (écoutez son duo avec Ben Harper, un régal!), galère pour organiser la suite de mon voyage, solitude... Et il s'en est passé des choses depuis, vous vous en doutez, ce qui explique mon silence.

Non sans mal j'ai réussi à réserver mon billet d'avion de Salvador à Saõ Luis, mais à un prix deux fois plus élevé que prévu, et pour partir un jour plus tard que prévu. Ce sont les aléas du voyage non organisé, il faut savoir accepter parfois que les choses ne sont pas optimales en terme de timing, et encore une fois l'expérience montre que cela permet aussi souvent de faire des rencontres inopinées, qui n'auraient pas eu lieu si tout s'était passé "parfaitement". Bon, cela dit... c'est facile de faire le sage philosophe 10 jours après, mais je peux vous assurer que sur le coup je ne faisais pas le malin, et l'idée m'a même traversé l'esprit de changer mes billets pour rentrer en France beaucoup plus tôt!  

Après un nouveau trajet en bus de 8h, long et fastidieux, me voilà donc rentré à Salvador, avec 36h devant moi avant mon vol pour le nord du Brésil. Naturellement je retourne à la même auberge, et curieusement le quartier me semble à présent beaucoup plus accueillant qu'il y a une semaine quand j'ai débarqué de France. Pour quelles raisons? Plus familier tout simplement. Je me repère beaucoup mieux dans l'espace, les rues, les magasins, la plage. A l'auberge on me reconnait, on m'appelle par mon prénom. Je me sens un poil plus à l'aise en portugais aussi, preuve en est mon assurance pour prendre le taxi et lui indiquer la direction à prendre, et je pense qu'inconsciemment cela me donne confiance en moi, et donc mon environnement me semble moins hostile. C'est aussi bête que ça.

J'occupe ma journée off du lendemain non pas à visiter ou me balader, mais à écrire et arranger les photos pour le blog. Cela peut paraitre long, voire dommage, de passer une journée entière à la rédaction d'un article sur un voyage d'un mois, mais cela fait partie de mon voyage, ce besoin de poser les choses et de partager. Je ne veux pas trop attendre non plus car les sensations, les émotions et les souvenirs s'estompent ou s'altèrent avec le temps, et je perdrais en authenticité, en spontanéité.

Le soir je fais deux rencontres très différentes. Un couple de mexicains tout d'abord, avec qui j'éprouve un plaisir immense à parler espagnol, comme lorsque l'on rencontre des compatriotes en voyage, dans un pays non francophone, et que l'on réalise à quel point la langue fait partie de notre identité culturelle, et donc nous rapproche. Dans le cas présent j'exagère un peu bien sûr, l'espagnol est loin d'être ma langue maternelle, mais je suis ravi de constater qu'il est bien là, fluide, naturel, lui qui était en sommeil depuis 2 ans, et que ce voyage au Brésil a subitement fait remonter à la surface (un peu au détriment de mes premiers pas en portugais, je dois dire!).

La seconde rencontre est très surprenante, presque dérangeante. Un couple de français qui débarque le soir à l'auberge, je les repère de suite, le look, la tête, les sacs. Trop facile! Je me présente, ils semblent l'un et l'autre ravis de me voir, comme s'ils n'avaient pas croisé de français depuis 2 ans (cf le paragraphe précédent!). Et me proposent illico d'aller dîner quelque chose avec eux. Eh bien... soit! Allons-y!
Je les trouve un peu speed tous les deux, la fatigue du voyage sans doute, ils arrivent du sud du Brésil et sont dans les transports (bus et avion) depuis 2 jours. Ils voyagent depuis 2 semaines, pour encore 2 semaines, avec un programme ambitieux, bien serré, minuté.

A table on se présente un peu plus. Elle bossait dans l'aéronautique à Paris, a tout plaqué, et ne sait pas trop ce qu'elle va faire. Elle semble vraiment tendue. Et perdue. Lui, son occupation et sa passion, c'est la voile. Skipper, amateur de régates, un peu touche-à-tout, concepteur et réparateur de bateaux, il a participé à quelques grands projets, Class America, Route du Rhum, Vendée Globe. Il a le look du gars qui aime la mer, ça se voit, ça se sent, et il le dit lui-même. Allure sportive, teint halé, cheveux bouclés un peu décolorés. Et on sent également qu'il n'a pas trop d'attache, et qu'il rêve de liberté plus qu'autre chose. Voilà le tableau. Le repas se passe ainsi, on discute, on boit un verre, mais à aucun moment ils ne parlent d'eux en tant que couple, pas de projets ni souvenirs. Pas de signes d'intimité non plus, ou de tendresse. Bon, ce sont peut-être simplement des amis en voyage, mais je ne sens pas non plus de connivence entre eux, de complicité. Etrange.

Un peu plus tard on se balade le long de la plage, et le gars tout d'un coup nous fausse compagnie pour aller discuter avec deux filles assises un peu plus loin, sans se soucier de nous. Je me retrouve seul avec la fille. Toujours aussi speedée. Je finis par demander s'ils sont ensembles, et là elle me dit "Ah non!!! Pas du tout!! Je n'en peux plus de ce mec! Regarde, il n'en a rien à faire de moi!!". Avec une once de jalousie dans la voix. Euh... ok, mais si je peux me permettre, pourquoi vous voyagez ensemble? Vous êtes amis? "Ah non, sûrement pas, on ne s'est vus que 3 fois avant ce voyage!"...

Naturellement je demande quelques explications, et là, elle me déballe tout. Ils se sont rencontrés sur internet il y a un mois (adopte un mec...), lui était à fond sur elle, ils se sont vus une fois, et zou ils décident de partir voyager ensemble pendant un mois! Sauf qu'en fait ça se passe très mal. Manifestement lui n'est plus du tout intéressé, elle semble dire que elle non plus. Mais ce n'est pas si clair. Je comprends qu'il y a deux jours, saouls, ils se sont à moitié battus, elle lui a cassé son appareil photo, lui l'a plus ou moins frappée (elle a une marque sur le cou). De là elle commence à me raconter sa vie sentimentale, ses déboires, et tout le tralala. Elle déballe tout pendant que l'autre est en train de draguer ouvertement deux brésiliennes. C'est très glauque et très inconfortable comme situation, je vous assure, d'autant qu'elle termine sa tirade par un "Et toi?", que je ne sais interpréter comme un "Ta vie sentimentale?", un "Tu es seul?", ou un "Tu veux pas m'emmener en voyage avec toi?". Ou peut-être les trois à la fois en fait. Autant je peux être très "à coeur ouvert", mais là non. Désolé, mais je ne te raconterai pas ma vie ce soir. Et je te proposerai encore moins de m'accompagner. Je lui demande néanmoins pourquoi elle ne le quitte pas pour faire son chemin, voire rentrer en France plus tôt, et je sens que c'est plus compliqué pour elle que cette simple décision. Mélange de rejet et d'attirance. Peur de se retrouver seule aussi. Et d'autres choses qui relèvent de l'irrationnel sans doute. Quant à lui, ça n'a pas l'air de l'affecter plus que ça, il n'a peut-être pas le courage de l'envoyer vraiment promener et de la laisser seule, alors il attend qu'elle craque... C'est pas joli, joli.
Le lendemain je les croiserai brièvement avant de partir pour l'aéroport. Ils allaient au centre commercial acheter un nouvel appareil photo, puis partaient se balader dans Salvador. Ensemble.

Je m'envole donc pour Saõ Luis. C'est confortable de prendre l'avion, je suis en terrain complètement connu, tout fonctionne toujours comme prévu, ça part à l'heure, ça arrive à l'heure, les aéroports sont tous identiques (quoique celui-là de l'extérieur fait un peu peur, cf la photo), enregistrement, sourire et gentillesse de l'hôtesse au sol qui me dit qu'elle n'a pas entendu mon accent et pensait que j'étais brésilien (mais bien sûr), contrôle sécurité, pas de liquides? non, levez les bras, contrôle carte d'embarquement et passeport, embarquement, place numérotée, annonce des consignes de sécurité avant le vol, les portes d'évacuations à l'avant et à l'arrière de l'appareil, les petites lumières au sol, en cas de dépressurisation de la cabine, PNC aux portes, armement des toboggans, etc, etc. Peu importe la langue, c'est partout pareil, et donc c'est rassurant.



C'est un vol en sauts de puce d'une heure chacun que nous effectuons, en remontant le long de la côte. Escales très courtes à Natal et Fortaleza, des passagers descendent et laissent la place à d'autres, on se croirait dans un omnibus! Je cherche le bouton rouge pour dire au pilote que je descends au prochain arrêt, Saõ Luis por favor! L'avion continue ensuite vers Belem, Santarem, et Manaus en Amazonie. Des noms évocateurs, qui font rêver. Ce sera pour une autre fois.

Il est tard, il fait nuit, je n'ai pas le courage de prendre les transports en commun pour me rendre au centre historique de Saõ Luis. Allez, un petit coup de taxi climatisé, ça vaudra pour toutes les autres économies que j'ai faites ou que je ferai par ailleurs. Après une petite demi-heure de trajet, on quitte les artères animées des abords de la ville, et le taxi s'engoufre dans une petite rue déserte de ce que je devine être le centre historique: pavés irréguliers au sol, petites rues pentues, vieilles façades, éclairage orangeâtre. J'aperçois des jeunes qui trainent dans une sorte de hangar ouvert, le chauffeur ne semble pas rassuré, il bifurque dans une nouvelle petite rue, toujours pas un chat dehors, aucune voiture ne circule, il n'est pourtant que 19h30. Il s'arrête devant l'entrée d'une maison fermée par un portail en métal, je reconnais le nom de la pousada que je lui ai indiquée. Il klaxonne deux coups, sort et m'aide avec mes sacs, regard inquiet derrière, attend 1mn avec moi, appelle à travers la porte, puis finalement on vient. Je le paie, il file. Un peu inquiétante cette arrivée je trouve...

La pousada Vitoria est une petite pension familiale, un patio intérieur avec arbres et fleurs, et des chambres sans fenêtre tout autour. Un ventilateur bruyant, des draps propres. C'est pas Versailles, mais ça ira.
Une petite douche, je me repère sur un plan, et je sors pour aller manger un morceau.
Les rues autour de la pousada sont toujours aussi désertes, les façades sont vraiment décrépies, la lumière blafarde, ambiance vraiment étrange. Je marche au milieu de la rue, il n'y a pas de circulation, pas de voiture, je ne vois pas de lumière non plus à travers les fenêtres ou les portes. Ville fantôme. Finalement 5-6 pâtés de maison plus loin, ça s'anime un peu, j'arrive sur une petite place, des bars, de la musique, des gens dehors. Saõ Luis est la capitale brésilienne du reggae. J'apprendrais plus tard qu'en des temps plus anciens, on ne captait sur grandes ondes que la radio jamaicaine ici. On est en semaine, il n'y a pas grand monde malgré tout, et au milieu des quelques touristes (que je présume être tous brésiliens), une certaine population de gens qui semblent trainer là, dans la rue. Certains semblent sérieusement alcoolisés, voire drogués. Cela ne fait qu'amplifier ce sentiment un peu étrange que j'ai depuis mon arrivée en taxi. Il y a un côté glauque, voire pas rassurant, lugubre.

Pas grand choix sur les restos ouverts, j'opte pour un morceau de pizza puis je pars me balader à nouveau dans les rues alentours. Certaines façades rénovées sont magnifiques, et cohabitent avec d'autres en très mauvais état. Dès que l'on s'éloigne d'une ou deux rues de la place animée, les rues sont à nouveau complètement désertes. C'est à la fois agréable et inquiétant d'avoir comme cela une ville pour soi. Je regrette de ne pas avoir mon appareil photo pour essayer de capter cette ambiance, mais je ne suis pas mécontent non plus de n'avoir aucun objet de valeur sur moi... au cas où! En rentrant à la pousada je croise une ou deux ombres, je sens que mon appréhension est aussi alimentée par une certaine forme de fantasme, et de la non-connaissance de ce lieu qui est totalement nouveau. C'est de l'ignorance que viennent les peurs, fondées ou infondées. Je rentre sans encombres.

Le lendemain la ville a pris une toute autre tournure. Dans la rue de ma pousada, des magasins sont ouverts, des voitures circulent, des piétons passent, des mamies sont assises devant leur maison, sur le trottoir. Je suis en fait juste à côté d'une autre rue très passante et très animée. J'ai du mal à reconnaître la ville d'hier soir. C'est très agréable de se balader au milieu des gens, dans leur quotidien.



Je ne suis pas vraiment incognito car la couleur de ma peau et probablement aussi mon acoutrement font que je me démarque de l'ambiance locale, mais aucun regard particulier sur moi. Avec le soleil les façades décrépies inquiétantes de la veille sont devenues belles et anciennes, propices à la photo. Je fais un stop dans une petite boutique d'artisanat pour acheter un petit sac de toile afin d'y mettre mon appareil photo et autres affaires pendant que je me balade, c'est un peu plus discret et pratique que mon sac à dos.

Je passe la matinée à faire des photos, me balader, visiter quelques musées dans des immenses maisons coloniales restaurées, aux hauts plafonds. Les façades sont toutes couvertes d'azulejos, ces carrelages aux motifs bleus (mais pas toujours), qui se répètent, identiques. Héritage du Portugal.

Des employés de banque en grève se sont rassemblés devant leur établissement, un groupe de musique joue du forró, pensée émue pour ma période "Bombes de Bal"... Zabumba, accordéon, triangle... Ne manque plus que Moute et Romain!!

A midi je déjeune dans un ancien marché, où l'on y vend encore des crevettes fraiches et toutes sortes d'alcools locaux, dont la fameuse cachaça qui permet de faire la caipirinha. Je m'assois à l'ombre au milieu des locaux, on me sert un plat de poisson accompagné comme toujours de riz, haricots noirs (feijaõ), semoule de manioc (farofa). Ce n'est pas de la grande cuisine mais c'est très bon.

Nous sommes tous assis face à une grande télé, on déjeune en suivant le journal du midi, ses petits reportages locaux. Jean-Pierre Pernaut, sors de cette télé!! Puis vient la page des sports, le résumé des matches de foot de la veille pour la qualification pour le Mondial, le but de Ribéry magnifique. Petit sentiment de fierté qui me traverse, j'avoue! C'est très beauf tout ça, mais au find fond du Brésil c'est plutôt rigolo, j'assume.

Après cette longue pause déjeuner (et un demi litre de bière, c'est la taille minimale ici), je me dirige vers les quais pour prendre des informations sur un petit bateau que je souhaite prendre demain, afin de visiter un petit village colonial de l'autre côté de la baie. La marée est haute, le bateau en question est justement sur le point de partir. Un groupe de personnes est manifestement en train de tourner un petit film. Perche pour le son, appareil photo numérique monté sur un pied, clap de scène. Ils ont l'air assez jeunes. Cela me rappelle immédiatememt mon expérience de tournage avec les étudiants de l'Ecole d'Audiovisuel (ESAV) à Toulouse, il y a un an et demi. Je m'approche, les regarde, essaie de deviner qui fait quoi parmi les différents métiers autour de la réalisation d'un film.

Manifestement ils tournent une scène de deux personnes qui vont manquer leur bateau. La prise est imminente puisque le bateau est en train d'appareiller. C'est alors que l'un deux s'approche de moi, et me demande si je peux leur prêter mon nouveau petit sac en toile le temps d'une prise de vue, car il correspondrait parfaitement au style du personnage principal, un voyageur. Pas de problème, je suis heureux de participer au film en fournissant un accessoire (même si au fond de moi j'aurais préféré qu'on me demande de jouer une scène, mais bon). Ca y est, ils tournent la scène, le bateau s'en va, le gars et la fille arrivent en courant, sautent la rembarde, trop tard, ils le loupent sauf qu'en sautant par dessus la rembarde, la hanse de mon sac s'arrache, le sac tombe par terre, vlam! Je réalise alors que j'avais pris le temps de retirer mon appareil photo (ouf!!), mais pas mon deuxième objectif 18-200mm! Cata! Tout le monde se précipite sur le sac qui manque de peu de tomber à l'eau, on l'ouvre, heureusement tout semble intact (sauf le sac lui-même). Les jeunes sont désolés, ils ne savent pas comment s'excuser, j'en rigole (puisque mon objectif n'a rien), ils me donnent de l'argent pour aller m'acheter un autre sac, et pour se faire pardonner ils me proposent de rester avec eux tout l'après-midi pour suivre la suite du tournage dans les rues de Saõ Luis. N'ayant rien de forcément mieux à faire, j'accepte, et je passe donc le reste de la journée en leur compagnie, à discuter avec les uns les autres. C'était pas du tout prévu, et c'est tant mieux comme ça!

Le soir après le tournage je me retrouve seul à nouveau. Deuxième soirée dans cette ville un peu glauque la nuit, mais à vrai dire mon auberge non plus ne se prête pas vraiment aux longues soirées au coin du feu. Donc je sors. J'ai néanmoins décidé de prendre mon appareil photo dans mon (nouveau) petit sac, ainsi que mon carnet, fidèle accompagnateur de mes soirées en solo. Pleine lune, beaucoup de souvenirs qui remontent. Je tente le deuxième seul restaurant qui semble ouvert, on me sert un délicieux moqueca de camaraõ, sorte de ragout de crevettes, spécialité brésilienne. Pas grand monde dans le resto, une famille brésilienne de 4 personnes, et deux gars qui discutent en anglais à une table. L'un semble brésilien, l'autre plutôt européen ou américain, blanc, assez jeune, très grand. Ils finissent leur repas, passent devant ma table, paient et se séparent devant le resto, après s'être pris en photo. ok. Je me lève à mon tour, règle ma note, et alors que je sors je tombe sur le grand jeune homme qui m'attend. En anglais, puis rapidement en français quand on se rend compte que c'est notre langue commune, il se présente. Je suis belge, toi aussi tu voyages, oui, tu es seul, oui, on va boire un verre pour socialiser? Il a un regard profond, un visage ouvert et éclairé, une manière certes un peu directe mais néanmoins pleine de tact de m'aborder, je sens même un soupçon de gêne, comme s'il se forcait un peu. Sans vraiment réfléchir, instinctivement, je lui dit oui, avec plaisir! Bien m'en a pris.

Ca m'est tombé dessus comme ça, je viens de faire la rencontre de Gratien. Un mec en or.

Toutes les photos de Saõ Luis: cliquer ici.

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