2016-12-16

Alors que la fin de mon séjour à Uonuma défile à la vitesse de la lumière, je reçois un e-mail de mon responsable du département tourisme de Niigata. De ce que je comprends de cette suite de kanji inconnus, m’obligeant à consulter un dictionnaire pour chaque mot, il me demande si je suis prêt à payer 5000 yens (environ 45€) pour un événement. Ne comprenant pas bien, je me dis « encore un de ces Nomikai dans un restaurant branché, où pour 50€ tu as le droit à 2-3 plats typés européens et un nombre de boissons à peu près équivalent (c’est théoriquement Nomihodai, boissons à volonté, mais le temps est limité à 1h30-2h00 donc si tu veux profiter un minimum des boissons et que tu n’oses pas trop hurler « SUMIMASEN » à travers tout le restaurant pour héler le serveur toujours occupé, tu dois te contenter de ton Renshuu - 1er verre, littéralement verre d’entraînement - et de 1 ou 2 Kawari - le rab -). Je refuse donc poliment en me trouvant une bonne excuse pour éviter d’affamer mon portefeuille d’étudiant déjà bien maigre.

Un jour après ma réponse, je reçois un appel au bureau, toujours de la part de mon responsable. Il m’explique que les 5000 yens représentent le prix d’un weekend tout compris avec transports, hôtel, activités et repas. Me sentant idiot de louper une si bonne affaire, j’accepte immédiatement.

Le surlendemain de mon retour d’Uonuma, je boucle donc mon petit sac de voyage avec le strict minimum, et je me mets en route à 8h, chaussé de mes Timber et vêtu de mon gros manteau, mes gants et mon bonnet. Pour arriver jusqu’au terminal 3 du port de Niigata, 20 minutes de marche, le long d’une de mes promenades préférées le long de la rivière Shinano.

Après avoir traversé le pont de Bandai, je tourne à gauche et continue le long de la rive, où une sculpture moderne de lettres vous posant la question « What’s Niigata ? » trône fièrement dos à la rivière. Cette curiosité passée, je profite tranquillement des jeunes arbres, des bancs et du dallage clair timidement éclairés par l’aube hivernale.

Après avoir dépassé le Toki Messe, le plus grand bâtiment de Niigata, et m’être trompé de chemin, il me reste une centaine de mètres à parcourir au milieu des parkings et des routes, pour arriver dans l’imposant bâtiment d’embarcation de la ville de Niigata.

Une fois au terminal 3, presque vide en ce dimanche matinal, je me plante en plein milieu du grand hall en attendant que quelqu’un vienne me chercher. Cela ne manque pas ; à l’heure pile du rendez-vous, un homme d’un certain âge trotte vers moi pour m’indiquer où se trouve le reste du groupe.

Du haut de mes vingt ans je me sens un petit peu perdu au milieu de tous ces japonais autour de la trentaine/quarantaine, tous des gens importants se présentant mutuellement leurs cartes de visites. J’en reçois quelques-unes en balbutiant des excuses quant à mon incapacité à retourner la faveur, et je discute un peu avec mon voisin de ferry. Rien qu’en voyant mon ticket je me rends compte que le voyage est déjà rentabilisé : 6000 yens le ticket de Ferry express pour Sado, soit 1000 yens de plus que le prix que j’ai payé pour l’intégralité du weekend.

Arrivés sur l’île, nous sommes accueillis comme des rois par notre guide ainsi que des locaux de l’île. Parmi eux, un grand père complètement fou qui installe tout de suite une excellente ambiance avec ses plaisanteries et sa bonne humeur. Alors que notre bus escalade ce qui nous semble être une montagne, il fait ralentir le chauffeur pour nous montrer des entrées de mines désaffectées entourées de végétation, véritables incitations à l’exploration et la découverte.

Une fois au sommet, un spectacle magnifique nous attend : les cultures en terrasse de l’île de Sado, offrant à l’observateur une magnifique perspective des rizières dévalant la montagne vers l’océan. Et pour profiter pleinement de ce spectacle, nous nous voyons offrir un verre en bambou, rempli à ras bord du meilleur saké de la région, elle-même célèbre pour le goût délicat de ses spiritueux. Le séjour commence très bien, avec la moitié du groupe qui finit la matinée yopparai (ivre), ce qui facilite la communication. Pour ma part je deviens bilingue japonais après quelques verres de saké, donc l’abondance de ce breuvage durant tout le long du séjour est plutôt à mon avantage !

Afin d’équilibrer notre taux d’alcool dans le sang, nous sommes conduits dans une fabrique artisanale de gourmandises (okashi) à base de Kaki, des fruits qui poussent en abondance sur l’île de Sado. Nous y dégustons des amakaki, directement cueillies de l’arbre, ainsi que des clémentines au goût très particulier, et surtout vraiment délicieuses. Le propriétaire nous montre sa machine permettant d’éplucher les kakis à la vitesse de l’éclair, et nous explique rapidement le processus de production des délicieuses friandises au Kaki. Le tout depuis une maison avec une vue magnifique sur la baie.

Après nous être bien goinfrés de kakis, amakaki et clémentines, nous retournons dans le bus, où nous devons hélas nous séparer de grand père, qui a lui aussi bien poncé le saké avant de rentrer chez lui. Après quelques minutes de trajet, nous arrivons dans une boutique de type occidental, faisant penser à la villa dans laquelle tout le monde rêverait d’habiter.

Supposant qu’il y a encore de la place dans nos estomacs, nos guides nous conduisent dans un restaurant de soba, où des tables recouvertes de mets japonais nous attendent : tempura, soba, onigiri, konomono… De quoi se remplir la panse jusqu’à l’explosion. Pour accompagner tout ça, le thé, le saké et les boissons à base de soba coulent à flot, nous permettant d’apprécier le spectacle de différentes disciplines théâtrales (Nô, Bunya Ningyo) qui se joue devant nous. Chants, danses, saynètes et musiques se succèdent, donnant à tous un aperçu de la variété des domaines où la culture japonaise s’exprime depuis la nuit des temps. J’ai particulièrement apprécié la chorale A capella de jeunes interprétant des chants traditionnels de l’île de Sado, qui ne sont pas sans rappeler les chants africains (vous savez bien, ceux qui vous font vous lever de votre canapé devant le Roi Lion en criant "Aaaaaaaaah Soved'Gnaaaaaaa Chiki boï Chibaba").

Ayant beaucoup trop bien mangé et bu, nous retournons repus dans le bus où notre guide s’est changée pour enfiler une tenue traditionnelle de l’île de Sado, avec le chapeau traditionnel typique de l’île.

Depuis la fenêtre, nous pouvons observer les fabuleux paysages avec la route sinueuse longeant les falaises, qui ne sont pas sans rappeler ceux de la Corse, à savoir de magnifiques montagnes se jetant directement dans la mer transparente. Le point du jour arrivant, les magnifiques couleurs turquoise de l’océan laissent place aux teintes orangées du grand astre se reflétant dans les calmes vaguelettes venant lécher les récifs bruns de la côte.

Fatigué de ma courte nuit et n’ayant pas fini ma digestion, je m’autorise un petit somme, bercé par le ronronnement du moteur mêlé au chant des vagues. Alors que la nuit est tombée, nous arrivons dans ce qui semble être un temple, mais s’avère en fait être le quartier général des démons de l’île de Sado.

L’île est en effet très réputée pour ses spectacles d’Oni Daiko, représentant la manifestation d’un démon parmi les humains. Avant de voir la démonstration, je me demande ironiquement si les démons n’ont pas autre chose à faire que de jouer du tam-tam pour les touristes… Mais je me départis vite de mon amusement narquois envers cette discipline très impressionnante. Après que le groupe se soit rassemblé dans un garage autour d’un grand taïko, un petit enfant à lunettes rentre dans la pièce avec son sensei, accoutré d’une étrange manière. Pendant que ce dernier se répand en explications sur la formation des Oni, le gamin baille, se dandine d’un pied sur l’autre et réajuste ses lunettes comme tout enfant normal le ferait à son âge. Mais, une fois le masque de démon enfilé, il se transforme complètement : se lançant dans une danse endiablée, il enchaîne les sauts, les pirouettes et des mouvements qui ne sont pas sans rappeler les katas de certains arts martiaux.

Si j’ai bien compris les explications du sensei, les danses de démons étaient très répandues durant l’ère Sengoku, et avaient pour but de motiver les troupes avant les batailles. Chaque mouvement, chaque coup frappé sur le taïko a une signification martiale, ce qui explique sa ressemblance avec les budo japonais. Même s’il existe des danses de démons un peu partout au Japon, les Oni Daiko de Sado sont les plus réputées, leur style très particulier leur conférant un cachet inégalé.

Après cette expérience inoubliable, nous arrivons à l’hôtel, typiquement japonais. Lors du petit temps libre qui nous est accordé avant le repas, je me prélasse dans le onsen, incontournable dans tout hôtel japonais qui se respecte, et me promène dans les couloirs, vêtu du yukata (tenue d’intérieur) fourni par l’établissement. Il va de soi que les chambres sont décorées avec raffinement et offrent une vue imprenable sur la mer.

A l’heure indiquée, je me rends dans la salle de restaurant où une vision paradisiaque m’attend : de grands rondins de bois chargés de victuailles nous attendent sur les tatamis finement tressés. Les chefs responsables de cette excellente surprise sont là, ils sont quatre et tous de spécialité différente : l’un est un professionnel du Soba, l’une est boulangère de formation, l’autre est un cuisinier japonais réputé et le dernier est le roi du poisson. Ces quatre réunis nous ont concocté un des meilleurs repas que je n’aie jamais mangé de ma vie, et le tout issu de l’île de Sado exclusivement : les sardines et le saumon frais pêchés le matin même dans le grand lac, les légumes récoltés dans le champ d’à côté, et la farine du pain moulue avec du raisin dans un moulin à proximité. Les meilleurs sakés coulent à flots, et une troupe de danseurs et musiciens locaux vêtus de kimonos traditionnels vient finir de parfaire la soirée.

Fatigué par cette longue mais superbe journée, je m’écroule dans mon futon moelleux dans lequel une bouillotte de pierres chaudes s’est occupée de réchauffer les draps avant mon arrivée. Je repense à tous les moments inoubliables que je viens de vivre et je me rappelle à quel point je suis chanceux.

Le lendemain, réveillé par le doux soleil et le chant des oiseaux, je décide d’aller un peu explorer le paysage qui s’offre à moi derrière ma fenêtre. A la sortie de l’hôtel, un temple un peu particulier pique ma curiosité. Jouxtant une scène de théâtre Nô, la particularité de ce temple est que sur son toit on peut voir une sculpture de visage grimaçant, un Oni. Ce genre de chose est très rare au Japon car les Oni (démons) sont justement censés être repoussés par les prières des moines.

Un peu plus loin, une grande pierre centenaire écrite en chinois, derrière laquelle un drôle de tunnel s’enfonce dans les profondeurs de la montagne. Le temps ne me permettant pas de me lancer dans une exploration plus poussée, je rajoute cela sur ma liste des choses à faire quand je reviendrai à Sado.

Après avoir rejoint le groupe pour un petit déjeuner copieux et délicieux, je finis de boucler mon petit sac après avoir acheté un petit souvenir de l’île (des palmiers au kaki). Nous sortons de l’hôtel, là où je me trouvais quelques minutes plus tôt, et nous grimpons à bord d’un bateau de pêche qui n’est pas sans rappeler celui de Popeye le marin. Bien évidemment, je suis le seul crétin à ne pas avoir pensé à prendre un parapluie.

La pluie ne tarde pas à arriver, et elle ne plaisante pas : ce sont de grosses gouttes de pluie qui commencent à m’arroser allègrement, alors que je cherche un parapluie sous lequel me réfugier. Une fois à l’abri des trombes d’eau qui se déversent du ciel, je peux profiter de la splendeur du lac et des milliers de petits points formés par les gouttes atterrissant à la surface. C’est dans cette ambiance hors du temps que nous assistons à la collecte des huîtres dans un élevage en plein centre du lac. Un pêcheur en ciré jaune détache les longues cordes sur lesquelles les huîtres ont élu domicile, puis les accroche à une grosse machine qui enroule la corde tout en détachant en même temps tous les coquillages de la corde, ceux-ci atterrissant dans de grandes caisses au fur et à mesure entreposées par l’homme en ciré jaune.

Après les quelques minutes nécessaires à la collecte des fruits de mer, la pluie cède la place au plus bel arc en ciel qu’il m’ait été donné de voir ; heureux de notre expérience à bord de ce bateau, nous retournons vers la rive, où les huîtres fraîchement pêchées n’attendent plus qu’à être mangées, accompagnées d’une délicieuse soupe chaude et - encore et toujours - d’un délicieux saké. Pour l’occasion, et parce que l’un des invités l’a demandé, nous avons aussi pu goûter les moules qui se développent au même endroit que les huîtres, mais ne sont pas vendues en temps normal car trop petites et trop peu nombreuses.

Une fois ce festin terminé, nous traversons à nouveau le lac en bateau pour rejoindre notre bus, qui nous conduit cette fois-ci dans un atelier d’argile japonaise. L’artisanat de Sado peut se targuer de produire parmi les poteries et objets en céramique les plus raffinés du Japon, son style de poterie Mumyoi à partir de glaise rouge faisant de la concurrence au fameux village artisanal de Tsubame Sanjo.

Après toutes ces péripéties, sur le trajet du retour vers le ferry, nous avons la chance d’apercevoir deux fois des ibis « Toki », une espèce protégée dont l’île de Sado est l’un des seuls lieux où ces oiseaux peuvent vivre en toute liberté sans craindre de se faire chasser ! C’est notamment pour cela – avec le fait que les montagnes abritent d’anciennes mines d’or parfaitement conservées, que l’île est actuellement en train de candidater pour obtenir le titre de patrimoine mondial de l’Unesco.

Quand on voit la beauté naturelle et la tradition qui ont su être conservées durant toutes ces années, la pureté des montagnes et de l’eau, on comprend immédiatement pourquoi le peuple cherche à continuer de protéger ce joyau encore intact que représente l’île.

N’hésitez pas à foncer voir Sado avant que celle-ci ne soit déclarée patrimoine mondial de l’UNESCO, vous pourrez ainsi profiter de l’île, ses traditions, sa beauté et ses secrets en avant première. 

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