Après la proposition de l'EZLN faite au Congrès National Indigène de s'organiser pour présenter une candidate indigène aux élections présidentielles Mexicaine de 2018, plusieurs questions ont surgi de part et d'autre dans le débat public et militant.
Ce communiqué, particulièrement complet propose de comprendre cette proposition, ces tenants et aboutissants mais aussi d'où est née l'idée, et comment celle-ci après plusieurs années a germé pour enfin être proposée et acceptée par les intégrantEs du Congrès National Indigène
Nous vous invitons également à lire les autres documents et communiqués liés à cette proposition:
Parole d'ouverture "C'est l'heure du CNI"
Communiqué de l'EZLN et CNI annonçant la proposition
Aclarations de l'EZLN "Réponses sans questions"
Calendrier suite au 5* Congrès
Ce n'est pas la décision d'une personne
Dénonciation d'agression durant la consultation
En plénière le CNI révèle un "oui" à la proposition
UNE HISTOIRE POUR TENTER DE COMPRENDRE.
17 novembre 2016.
A la Sexta nationale et internationale :
A celles et ceux qui sympathisent et soutiennent la lutte des peuples originaires :
A celles et ceux qui sont anticapitalistes :
Compañeras, compañeros, compañeroas :
Sœurs et frères :
Ce long texte, nous l’avons fait ensemble avec le Sous-commandant insurgé Moisés, porte-parole et chef actuel de l’EZLN, et en consultant sur quelques détails certaines des Commandantes et des Commandants de la délégation zapatiste qui a assisté à la première étape du Vème Congrès du Congrès National Indigène.
Bien que cette fois, comme à d’autres occasions, ce soit à moi qu’en revienne la rédaction, c’est le Sous-commandant insurgé Moisés qui lit, ajoute ou retire, approuve ou rejette, non seulement ce texte, mais tous ceux qui apparaissent à la lumière publique comme étant des textes authentiques de l’EZLN. A bien des reprises, au long de ces écrits, j’emploierai la première personne du singulier. La raison de cela se comprendra plus loin. Bien que la destinataire principale de ces lignes soit la Sexta, nous avons décidé d’élargir sa destination à ceux qui, sans être ni se situer avec nous, ont des inquiétudes identiques et des efforts similaires. Voici donc :
-*-
NOS CAUCHEMARS NON PLUS.
Il y a de cela quelques années, la créativité et le génie d’un certain collectif de la Sexta a produit une phrase qui, au cours du temps, a été décernée au zapatisme. Vous savez bien que nous sommes contre le copyright, mais nous n’avons pas l’habitude de nous décerner des paroles ou des actions qui ne soient pas les nôtres. Cependant, bien que nous n’en soyons pas auteurs, la phrase reflète en partie notre ressenti comme zapatistes que nous sommes.
Brandie par la Sexta, dont le scepticisme face au "pouvoir" des urnes électorales institutionnelles a été attaqué (et l’est encore) par des moyens grossiers comme le chantage et les menaces, la phrase va bien plus loin et définit les limites et les carences d’une forme de lutte, la lutte électorale :
"Nos rêves ne tiennent pas dans vos urnes", disait-on, et dit-on.
Nous, comme femmes et hommes zapatistes que nous sommes, y souscrivions alors... et maintenant. Elle a la vertu de dire beaucoup avec peu de mots (un art aujourd’hui oublié). Mais depuis ce côté-ci du passe-montagne, depuis notre être qui nous sommes, nous ajoutons : "nos cauchemars non plus".
Certes, nous aurions pu mettre aussi : "et nos mortEs non plus", mais il se trouve que, en ces temps malheureux, la douleur s’est étendue encore plus loin. La mort naturelle n’est plus la seule responsable de l’éloignement de ceux qui nous manquent aujourd’hui ; comme, dans notre cas, du Sous-lieutenant insurgé d’infanterie Hernán-Omar (qui faisait partie des nôtres depuis avant le soulèvement, et que le cancer a arraché de notre bord, et de celui de sa compañera et de son fils – que nous embrassons spécialement en ce premier anniversaire sans lui-).
Maintenant ce sont, et de manière croissante, les assassinats, les disparitions, les prisons, les enlèvements.
Si vous êtes pauvres, vous êtes vulnérables ; si vous êtes une femme, vous êtes encore plus vulnérable. Comme si le système ne se contentait pas de vous agresser pour ce que vous êtes, et se donnait la macabre tâche de vous éliminer. C’est-à-dire que ce n’est plus seulement une histoire de harcèlement et de violence sexuelle.
Que s’est-il passé dans ce système, pour que devienne "naturel", voire "logique" ("oui, elles l’ont bien cherché", dit la société tout entière), non seulement le viol, mais aussi la séquestration, la disparition et l’assassinat de femmes ? Oui, de femmes.
La démocratisation de la haine de genre égalise âges, races, couleurs, statures, poids, croyances, idéologies, militances ou non ; toutes les différences, à l’exception de celles de classes, diluées dans un faute majeure : être femme.
Et voila, à vous de rajouter des circonstances aggravantes, selon votre différence : couleur, stature, poids, indigène, afro-descendantE, fille, garçon, ancienNE, jeune, gay, lesbienne, transgenre, votre manière propre à vous, quelle qu’elle soit. Oui, un système qui se charge non plus seulement de séparer et de mépriser les différences, mais maintenant décidé à les éliminer complètement. Et non seulement à les exterminer, mais à le faire désormais avec toute la cruauté dont est capable la modernité. La mort continue à tuer, mais maintenant avec davantage de sadisme.
Donc, ce que nous voulons dire, c’est que non seulement il nous manque les mortes et les morts, mais aussi : les disparuEs, les séquestréEs, les emprisonnéEs
Combien des absents d’Ayotzinapa entrent-ils dans combien d’urnes ? Dans quel projet de parti politique les rencontre-t-on ?
Quel logo institutionnel croise-t-on, lorsque l’on pense à ceux qui nous manquent ?
Et si on n’a même pas la certitude qu’ils soient morts ? Et si ce n’est pas seulement l’absence qui fait mal, mais aussi le fait que s’y ajoute l’incertitude et l’angoisse (il a mangé ? il a froid ? il est malade ? il a suffisamment dormi ? Quelqu’un le console ? Est-ce qu’il sait que malgré tout, je le chercherai toujours ?) ?
Dans quelle aspiration à une charge, à un poste, à un gouvernement, y a-t-il place pour les femmes agressées, disparues, assassinées par tout le spectre idéologique ?
Combien de bulletins électoraux valent les enfants assassinés par le Parti d’Action Nationale, dans la garderie d’enfants ABC ?
Pour qui votent les exterminés ? pour le Parti Révolutionnaire Institutionnel et ses répliques mal dissimulées, dans toute l’extension des géographies et des calendriers du Mexique d’en-bas ?
Dans quels décompte de votes apparaissent les persécutés par le Parti de la Révolution Démocratique, accusés du délit d’être jeunes ?
Dans quels partis politiques sont représentées les différences sexuelles persécutées en public et en privé, pour lesquelles il y a comme condamnation l’enfer dans la vie et dans la mort ?
Quels sont les partis politiques institutionnels dont les logos et slogans salissent les murs que doivent sauter des milliers de migrants, hommes, femmes et enfants, pour tomber entre les mains de gouvernants-criminels-entrepreneurs de la traite de personnes ?
Et on pourrait trouver bien des exemples dans des chroniques, des blogs, des reportages, des notes journalistiques, des articles d’opinion, des hashtags, etc... mais il restera toujours la certitude que les faits criminels qui ne sont même pas mentionnés publiquement sont les plus nombreux.
Où est l’urne électorale pour qu’on puisse y exprimer l’exploitation, la répression, la spoliation et le mépris des peuples originaires ?
Dans quelle urne déposer les douleurs et les rages du...
Yaqui, Kumiai, Mayo, Cucapá, Tohono O´odham, Raramuri, Kikapú, Pame,Totonaca, Popoluca, Nahua, Maya Peninsulaire, Binizáa, Mixteco, Hñähñü, Totonaca, Mazateco, Purépecha, Mixe, Chinanteco, Mazahua, Me´phaa, Téenek, Rarámuri, Chontal, Amuzgo, Ópata, Solteco, Chatino, Papabuco, Triqui, Cora, Cuicateco, Mame, Huave, Tepehuano, Matlatzinca, Chichimeca, Guarijío, Chuj, Jacalteco, Lacandón, Comc´ac, Wixárika, Kanjobal, Chontal, Chocho, Tacuate, Ocuilteco, Kekchí, Ixcateco, Motocintleco, Quiché, Kakchiquel, Paipai, Pápago, Cochimí, Ixil, Kiliwa, Aguacateco, Mame, Chol, Tzotzil, Zoque, Tojolabal, Tzeltal ?
Où tout cela peut-il tenir ?
Et quand est-ce qu’en réajustant les critères, la dictature de la terreur et sa logique perverse qui envahit tout ont-elles obtenues leur autorisation légale ?
J’ai eu de la chance, dit n’importe quelle femme ou homme détroussée dans la rue, à son domicile, au travail, ils ne m’ont pas tiré dessus-mis un coup de couteau.
J’ai eu de la chance, dit n’importe quelle femme tapée et violée, ils ne m’ont pas séquestrée.
J’ai eu de la chance, dit l’enfant soumis à la prostitution, ils ne m’ont pas brûlé vif.
J’ai eu de la chance, dit le gay, la lesbienne, le transsexuel, ou l’AutrE avec les os cassés et la peau lacérée, ils ne m’ont pas assassinéE.
J’ai eu de la chance, dit l’ouvrier, l’employée soumisE à des heures supplémentaires de travail et un salaire plus réduit, ils ne m’ont pas licencié.
J’ai eu de la chance, dit le leader social torturé, ils ne m’ont pas fait disparaître.
J’ai eu de la chance, dit le jeune étudiant assassiné et jeté dans une rue, ma famille n’aura pas à me chercher.
J’ai eu de la chance, dit le peuple originaire spolié, ils ne m’ont pas exterminé.
Quelle enquête prend en compte la destruction de la Terre ? Pour qui votent les eaux polluées, les espèces animales traquées jusqu’à leur extinction, la terre stérile, l’air infecté ? Où met-on le bulletin d’un monde agonisant ?
Donc vous avez raison : "Nos rêves ne tiennent pas dans vos urnes".
Mais nos cauchemars non plus.
Chacun peut être responsable de ses rêves. Il reste à demander des comptes à celui qui est le responsable de nos cauchemars. Il manque ce qu’il manque...
UN "OUI", PLUSIEURS "NON".
Oui, la proposition initiale et originale est nôtre, de l’ezèdélène. Nous, hommes et femmes zapatistes, l’avons fait connaître aux déléguées et délégués du Cinquième Congrès du Congrès National Indigène. Cela a eu lieu les 9, 10, 11 et 13 octobre de l’année 2016, au siège du CIDECI-Unitierra, à San Cristobal de Las Casas, Chiapas, Mexique. Il y avait à ces dates-là des déléguées et délégués de collectifs, organisations, quartiers, tribus, nations et peuples originaires des langues amuzgo, binni-zaá, chinanteco, chol, coca, náyeri, cuicateco, kumiai, lacandón, matlazinca, maya, mayo, mazahua, mazateco, mixe, mixteco, nahua, ñahñu, ñathô, popoluca, purépecha, rarámuri, tlapaneco, tojolabal, totonaco, triqui, tzeltal, tzotzil, wixárika, yaqui, zoque, et chontal. Le 13 octobre 2016, la plénière de ce Cinquième congrès du CNI a décidé de faire sienne la proposition, et de la soumettre à une consultation entre ceux qui en font partie. Le 14 octobre 2016, aux premières heures, le CNI et l’EZLN ont rendu publique cette décision, dans un document appelé : "Que tremble la terre jusque dans ses entrailles".
-*-
Non, ni l’EZLN comme organisation, ni aucune, ni aucun de ses membres ne va participer pour "un poste d’élection populaire" au processus électoral de 2018.
Non, l’EZLN ne vas pas se convertir en un parti politique.
Non, l’EZLN ne va pas présenter une femme indigène zapatiste comme candidate à la présidence de la République en 2018.
Non, l’EZLN n’a "pas viré de bord" de quelque degré que ce soit, ni ne continuera sa lutte par la voix électorale institutionnelle.
Et donc l’EZLN ne va pas présenter une indigène zapatiste aux élections pour la présidence de la République ? Vous n’allez pas participer directement aux élections de 2018 ?
Non.
Pourquoi non ? A cause des armes ?
Non. Ils se trompent grandement ceux qui pensent que c’est pour ça : nous les zapatistes, femmes et hommes, nous avons pris les armes pour nous servir d’elles, pas pour en être les esclaves.
Donc c’est parce que le système politique électoral institutionnel est corrompu, frauduleux et illégitime ?
Non. Même s’il était transparent, équitable, juste et légitime, les zapatistes n’y participerions pas pour obtenir et exercer le Pouvoir depuis un poste, une charge ou une nomination institutionnelle.
Mais, dans certaines circonstances, pour des questions stratégiques et/ou tactiques, ne participeriez-vous pas directement pour exercer une responsabilité ?
Non. Même si "les masses" nous le demandaient, même si la "conjoncture historique" ait besoin de notre "participation", même si l’exigaient "la Patrie", "la Nation", "le Peuple", "le Prolétariat" ou quel que soit le concept concret ou abstrait avancé comme prétexte (et derrière lequel se cache, ou pas, l’ambition personnelle, familiale, d’un groupe ou d’une classe) ; même si l’exigeaient la conjoncture, la confluence des astres, les prophéties, l’indice boursier, le manuel du matérialisme historique, le Popol Vuh, les enquêtes, l’ésotérisme, "l’analyse du concret de la réalité concrète", l’etcétéra qui conviendrait.
Pourquoi ?
Parce que l’EZLN ne lutte pas pour prendre le Pouvoir.
-*-
Vous croyez qu’avant on ne nous l’a pas offert, ça et plus encore ? Qu’ils ne nous ont pas offert des responsabilités, des postes, des ambassades, des consulats, des voyages à l’étranger "tout inclus", en plus des budgets qui y sont joints ? Vous croyez qu’ils ne nous ont pas offert de nous convertir en un parti politique institutionnel, ou de rentrer dans l’un de ceux qui existent déjà, ou de ceux qui se formeront, et de "jouir des prérogatives de la loi" (c’est comme ça qu’ils disent) ?
Nous avons accepté ? Non.
Et nous ne nous offensons pas, nous comprenons que l’ambition ou le manque d’imagination, ou la courte vue, ou l’absence de connaissances (et clairement, le fait de ne pas savoir lire), en amène plus d’un à se précipiter pour entrer dans un parti politique institutionnel, ensuite à en sortir et passer à un autre, ensuite à en sortir et en former un autre, et ainsi de suite. Nous comprenons qu’il y en a plus d’un (ou d’une) pour qui l’alibi de "changer le système depuis l’intérieur" marche encore. Pour nous, non.
Mais, en ce qui concerne la direction et les troupes zapatistes, notre refus ne concerne pas seulement le Pouvoir institutionnel, il s’applique aussi aux formes et aux processus autonomes que les communautés créent et approfondissent jour après jour.
Par exemple : aucun insurgé ou insurgée, qu’il ou qu’elle soit du commandement ou bien des troupes ; ni aucune commandante ou commandant du CCRI, ne peuvent être autorités dans une communauté, ni dans une municipalité autonome, ni dans les différentes instances organisatrices autonomes. Ils ne peuvent pas être conseillères, ni conseillers autonomes, ni conseils de bon gouvernement, ni commissions, ni aucune des responsabilités attribuées par assemblée, créées ou sur le point d’être créées au fil de la construction de notre autonomie, c’est-à-dire de notre liberté.
Notre travail, notre tâche en tant qu’ezèdélène, c’est de servir nos communautés, de les accompagner, de les soutenir, pas de les diriger. Les soutenir, oui. Parfois on y arrive. Et oui, c’est vrai, parfois nous sommes une entrave, mais, dans ce cas, ce sont les peuples zapatistes qui nous donnent une gifle (ou plusieurs, selon), pour que nous corrigions.
-*-
Tout cela n’aurait pas besoin d’être clarifié et réaffirmé, si une lecture attentive avait été faite du texte intitulé "Que tremble la terre jusque dans ses entrailles" , rendu public le matin du 14 octobre 2016.
Non, nous n’avons pas participé à la rédaction de la déclaration. Le texte a été rédigé par la commission provisoire nommée par l’assemblée du CNI et ils nous l’ont fait connaître. Nous n’avons pas ajouté ni retiré la moindre virgule, ni le moindre point. C’est tel que l’ont écrit les déléguées et délégués du CNI que nous l’avons fait nôtre.
Mais comme cela se voit, l’analphabétisme fonctionnel ne connaît pas de frontières idéologiques ni de signes partisans, puisque de tout le spectre politique ont surgi un certain nombre d’expressions, de commentaires et d’opinions oscillant entre racisme et stupidité. Oui, nous avons vu une partie des intellectuels de la gauche institutionnelle et certains de la gauche marginale coïncider avec le membre du parti du PAN Diego Fernandez de Cevallos, paladin du "féminisme", de "l’honorabilité", de "l’honnêteté", de "l’inclusion", et de "la tolérance", et qui s’occupe désormais, aux côtés d’Antonio Lozano Garcia, la version ésotérique de "La Loi et l’Ordre", de cacher d’ex(?) gouverneurs en fuite.
Qui oublie la Calderona applaudissant à en devenir fou de rage, lorsque le sus-nommé Fernández de Cevallos, alors candidat présidentiel en 1994, donnait aux femmes le "doux" nom de "bande de gonzesses", et qu’il appelait les paysans "les sans-caleçons" ? La Calderona est-elle le symbole de la montée en puissance des femmes d’en haut, ou bien le simple prête-nom d’un psychopathe insatisfait ? Cela trompe-t-il encore quelqu’un, qu’il se présente sous son nom de "femme célibataire" ?
Comme nous vous le raconterons après, les déléguées et délégués du CNI au Ve congrès avaient averti que le profond racisme qu’il y a dans la société mexicaine était un obstacle pour mener à bien cette initiative.
Nous, nous leur avons dit que ce n’était pas seulement du racisme. Il y a aussi, dans la classe politique mexicaine, un profond mépris. Pour celle-ci, les peuples originaires ne sont même plus aujourd’hui un obstacle, un vieux meuble qu’il faudrait jeter aux poubelles de l’histoire en le décorant de citations du Popol Vuh, de broderies multicolores et de rubans d’occasion. La politique d’en haut voit au travers des indigènes, comme si c’étaient les restes des pacotilles de verre oublié par un conquistador quelconque, ou les restes anachroniques d’un passé capturé sous formes de codex, de livres et de conférences "magistrales". Pour la politique institutionnelle, les peuples originaires n’existent pas, et quand ils "réapparaissent" (c’est comme ça qu’ils disent), c’est qu’il s’agit alors d’une sale manœuvre d’un esprit pervers et tout puissant. 524 ans après, ils ne conçoivent l’indigène que comme incapable, idiot, ignorant. Si les originaires font quelque chose, c’est parce que quelqu’un les manipule ; s’ils pensent quoi que ce soit, c’est parce que quelqu’un les oriente dans la mauvaise voie. Pour les politiciens d’en haut de tout le spectre idéologique, il y aura toujours "un étranger ennemi" derrière les peuples indigènes.
Le monde de la politique institutionnelle n’est pas seulement incroyablement fermé et compact, non. C’est aussi là où la "popularité" règne sur la rationalité, la bestialité sur l’intelligence, et l’impudence sur un minimum de décence.
Que les médias commerciaux dupent l’information pour la convertir en marchandise, on le sait déjà, passons. De toutes manières il faut bien que les reporters mangent, et c’est compréhensible que, pour eux, la "coupure de presse" disant que l’EZLN va participer aux élections avec une femme zapatiste se vende mieux que de dire la vérité, c’est-à-dire que c’est le CNI qui va décider s’il participe ou non, avec sa propre déléguée, et qui, si c’est le cas, comptera sur le soutien du zapatisme.
Cela se comprend, le manque d’information est aussi une marchandise. Les reporters et rédacteurs ont gagné leur pain quotidien, ok (oui, de rien collègues, non, non faut pas me remercier, non, sérieusement, bref).
Mais que des personnes qui se disent cultivées et réfléchies, dont on suppose qu’elles savent lire et écrire et qu’elles ont accès à un minimum d’information, qui donnent des cours dans des centres d’études supérieures, qui sont émérites, qui touchent sans faute leurs bourses et leurs salaires, et qui voyagent en vendant de la "connaissance" ne lisent pas ce que le document "Que tremble la terre jusque dans ses entrailles" dit clairement, et qu’ils disent et écrivent toutes sortes de sottises, et bien c’est, comment le dire calmement ?... et bien ça fait d’eux des escrocs et des charlatans.
On dirait que les 140 caractères et la maison de cristal de plomb des médias se sont déjà transformés en un mur qui nie la réalité, qui l’expulse et la déclare illégale. Tout ce qui ne rentre pas dans un tuit n’existe pas, se disent-ils et se content-ils de penser. Et les médias commerciaux le savent : "personne ne va lire avec attention un document de 6 pages, donc faisons un résumé quelconque et les "leaders d’opinion" sur les réseaux sociaux le prendront comme une vérité". Apparaissent ainsi une série de barbaries qui, d’ores et déjà, précipite une hystérie de suppression qui provoquera, peut-être, l’effondrement de l’immense royaume de l’oiseau bleu .
Combien de mépris de la part des peuples originaires méritent ces personnes, qui ne leur concèdent pas même l’existence. Bien que le texte dise clairement : "une femme indigène déléguée du CNI", la magie de la stupidité efface "du CNI" et le remplace par "de l’EZLN".
Et ensuite ? Et bien une déferlante de positionnements, de commentaires, d’opinions, de critiques, de disqualifications, de likes et de dislikes, de pouces vers le haut et vers le bas, et même un certain nombre de majeurs levés.
Lorsque quelqu’un qui avait effectivement pris la peine de lire le texte original, fit timidement remarquer que la possible candidate serait du CNI et non de l’EZLN et que, par conséquent, ce n’est pas l’EZLN qui participe aux élections, le monde entier lui tombe dessus : "nan, tout ça c’est une vile manipulation de la face de serpillière".
Et ensuite ceux qui réclamaient, presque immédiatement, pourquoi on ne "libérait" pas (oui, c’est comme ça que c’était écrit) tout d’abord le Chiapas. Bien sûr, vu que c’est au Chiapas que se trouvent les territoires des Yaquis, Kumiai, Rarámuris, Nahuas, Zapotecos, Mixtecos, Chinantecos, Totonacos, Popolucas, Mayas Péninsulaires, Wixaritaris, pour n’en mentionner que certains. Suite aux premières moqueries, ils ont commencé à rectifier le tir et à, au moins, consulter sur google qui pouvaient bien être ces autres indigènes là "manipulés par la face de chaussettes", et ils se sont alors rendus compte qu’ils ne survivent pas au Chiapas (ce qui, dit en passant, aurait impliqué que les prouesses manipulatrices du défunt en question surpassent déjà les frontières des "montagnes du sud-est mexicain").
Après avoir consulté des compas avocats, j’ai demandé au sous-commandant insurgé Moisés, et non. Il n’y aura pas de plaintes devant la CONAPRED (Commission Nationale pour la Prévention de la Discrimination) pour violation de l’article premier de la Constitution politique des États unis mexicains et de la Loi fédérale pour la prévention et l’élimination de la discrimination, ni devant les tribunaux pour divulgation d’information "inexacte et fausse" causant "un tort, qu’il soit politique, économique, d’honneur, de vie privée et/ou d’image".
Non, nous ne savons pas si le Congrès National Indigène (qui compte dans ses rangs un certain nombre de spécialistes en jurisprudence) procédera au dépôt des plaintes en question.
Nous ne savons pas non plus si les étudiantEs, lecteurs et lectrices, disciples et celles et ceux qui leur paient bourses et salaires procéderont au dépôt d’une plainte judiciaire pour fraude (fraude : mensonge, donner l’apparence de la vérité à ce qui est mensonger), selon les termes de l’article 386 du Code pénal fédéral : "commet le délit de fraude celui qui trompant quelqu’un ou profitant de l’erreur dans lequel celui-ci se trouve, s’approprie illicitement de quelque chose ou obtient un profit excessif".
-*-
Cependant il y a eu, il y a, et il y aura des doutes et des questionnements légitimes et rationnels (l’immense majorité de la part de compas de la Sexta, mais pas seulement). C’est à ces doutes et ces questionnements que, dans la mesure du possible, nous tenterons de répondre dans ce texte. Il est certain que nos paroles ne seront pas suffisantes. Toutes les critiques formulées depuis tout le spectre politique et idéologique avec un minimum de rationalité, de respect et avec une information véridique, nous les prendrons en compte, si elles sont de notre ressort.
Et il faut ici le mettre au clair auprès de toutes et tous : la proposition n’est plus dans les mains du zapatisme. Depuis le 13 octobre 2016, la proposition a cessé d’être nôtre, et s’est transformée en proposition conjointe, au cours du Cinquième congrès du CNI.
Plus encore : depuis le jour où la consultation du CNI a débuté, l’acceptation, le rejet et/ou la modification de la proposition dépend uniquement et exclusivement des collectifs, organisations, quartiers, tribus, nations et peuples originaires organisés au sein du Congrès National Indigène. Plus de l’EZLN. Le résultat de cette consultation et les décisions qui en découleront, s’il y en a, seront connues lors de la Seconde étape du Cinquième Congrès, les 29, 30 et 31 décembre 2016 et le 1er janvier 2017, dans l’État du Chiapas, Mexique. Ou avant, si le CNI en décide ainsi.
-*-
Bien sûr, vous êtes en train de vous demandez pourquoi nous avons fait cette proposition. Si nous continuons à penser comme nous l’avons dit depuis le début de notre lutte, et nous le ratifions maintenant. Bon, nous vous l’expliquons maintenant.
Quand le Sous-commandant insurgé Moisés m’a dit qu’il m’incombait de faire l’explication à la Sexta, je lui ai demandé comment je devais le faire. "Très simple", m’a-t-il répondu, "raconte leur ce qu’il s’est passé". C’est ce que je vais faire...
UNE PETITE ET COURTE GENEALOGIE.
Nous n’avons pas pu préciser la date. Nous sommes tous les deux tombés d’accord que c’est entre les années 2013-2014. Bien que le défunt Supmarcos n’était pas encore défunt, sa mort avait déjà été décidée, le Sous-commandant insurgé Moisés était déjà à la tête de l’EZLN, et les premières observations de l’Hydre commençaient à s’éclaircir.
Je ne sais pas là-bas, mais ici, les idées ne surgissent pas à un moment particulier, ni n’ont d’auteur ou d’auteure précisE. Elles naissent et ensuite, elles se modèlent petit à petit, parfois elles en arrivent à se transformer en une proposition, puis en une initiative. D’autres fois, le plus souvent, elles n’en restent qu’au stade des idées. Pour franchir la limite entre idée et proposition, il faut des mois, des années, voire des décennies. Et, si cela arrive, il suffit que l’idée se concrétise dans la parole de quelqu’un pour que débute son chemin cahoteux.
Cela n’a pas non plus surgi d’une réunion ex profeso. Si vous me pressez de répondre, je dirais que ça a commencé au petit jour, un matin de café et de tabac. Nous analysions ce que les différents postes de vigie détectaient, et les changements profonds qui, bien qu’apparus il y a un moment de cela, étaient déjà manifestes dans les villages et les communautés zapatistes.
Moi, je dis que c’est par le Sous-commandant Moisés que l’idée à fait son chemin. Je suis quasiment sûr qu’à moi, quelque chose d’aussi insensé et absurde ne m’aurait pas traversé l’esprit.
Quoi qu’il en soit, c’est à partir du moment où le SubMoy en a parlé que nous nous sommes mis à y penser sérieusement, avec la fameuse méthode zapatiste de faire retourner et retourner l’idée, jusqu’à arriver là où nous le souhaitons, c’est-à-dire "au jour d’après".
Commençons par le début, c’est-à-dire par les difficultés et les obstacles. Si les unes et les autres sont suffisamment grandes pour qu’elles soient dignes de défi, alors on passe à la phase suivante : ce qui s’y oppose. Après, et seulement après, on analyse les pour, ce qu’elle a de bien. C’est-à-dire qu’on ne décide pas avant de savoir si ça vaut le coup. C’est-à-dire que premièrement va le quoi, ensuite, tout ce qui s’oppose et tout ce qui va en faveur du comment, ensuite, où et quand (le calendrier et la géographie) et, à la fin du commencement, qui.
Tout cela, ça n’est pas le fait d’une personne, ça s’ouvre petit à petit à des collectifs chaque fois plus nombreux. C’est là que ça se "complète" petit à petit, à partir des questions, premièrement des comités les "plus vieux" (nous nous référons à ceux qui sont les plus anciens et qui connaissent notre histoire de première main), ensuite avec ceux qui se sont incorporés au travail de direction organisationnelle, ensuite à ceux qui participent déjà comme suppléants (c’est-à-dire ceux qui prennent peu à peu la relève des chefEs et chefs) et enfin, à ceux qui sont en formation, "les candidatEs" (c’est-à-dire ceux qui sont en train de se préparer pour faire le travail). Là, je parle déjà de centaines de têtes, de pensées, d’aller-retours de la parole, de l’écoute ; je parle d’un cœur collectif qui va s’élargissant ; en se faisant de plus en plus grand.
L’étape suivante a à voir avec la réponse à la question "Qui va le faire ?". S’il en incombe aux autorités autonomes, alors la consultation passe par elles ; s’il en incombe aux communautés, alors on fera une consultation générale : à toutes et tous. Si ça ne concerne aucune de ces instances, alors il faut demander à celui qui va le faire, parfois de forme indirecte, parfois directement. Si ce "qui" répond affirmativement, alors on consulte tout le monde, pour définir si oui on le soutient, et comment.
C’est ça que nous avons fait durant 2 ou 3 ans, au moins. C’est-à-dire que l’idée allait et venait, mais sans aller au-delà. Après, ils m’ont demandé de faire un sondage auprès de gens proches. Je l’ai fait.
Bien plus tard, au petit matin de cette année de 2016, le sous-commandant insurgé Moisés m’a appelé et m’a dit : "Il y a un travail, il faut en parler".
Le ton m’a provoqué de l’inquiétude : la dernière fois que je l’ai écouté, j’ai terminé mort et on m’a fait renaître en une seule journée, il y a un peu plus de deux ans de cela. Je me suis toutefois rendu à la réunion.
Cela devait être le premier janvier de cette année 2016, pour le 22e anniversaire du soulèvement. Il n’y avait personne d’autre dans les bureaux du Commandement général de l’EZLN, que le subMoy occupe depuis déjà plus de 3 ans. Le café était froid, mais il y avait suffisamment de tabac. Il m’a expliqué à grands traits, comme il en a l’habitude : comme s’il pensait à voix haute. Il a exposé les contre, les pour, et il a attendu. J’ai compris que c’était mon tour. L’idée, comme je l’ai déjà expliqué, mûrissait depuis un moment, raison pour laquelle je me suis limité à citer les contre, et à ajouter des questionnements au sujet des pour. Le "qui ?" nous dépassait, et tout ce qui n’a pas à voir directement avec nous, femmes et hommes zapatistes, reste une énigme. Lorsque le SubMoy a répondu à ma question de "qui ?", avec un laconique, "celui qui fête son anniversaire" (c’est-à-dire le CNI, qui allait fêter ses 20 ans), l’incertain s’est rétrécit : cela faisait deux décennies que nous nous connaissions, et le Congrès National Indigène était l’initiative la plus solide depuis que nous étions sortis au grand jour : le CNI s’était maintenu, avec ses hauts et ses bas, fidèle à son essence, et bien que ses douleurs soient éloignées des médias, il représentait le secteur le plus durement touché par l’Hydre. Cependant, tout cela ne faisait que renforcer les doutes.
"En réalité" lui dis-je, "ce n’est pas possible de savoir ce qu’il va se passer. Cela va faire jaillir de nombreuses complications et certainement, ce qui en aboutira sera, dans le meilleur des cas, une inconnue. Nous ne savons pas si le Congrès National Indigène va accepter, et encore moins si la Sexta va comprendre. Mais bon, les autres de là-bas en haut ne pensent pas, eux réagissent avec le foie, et ils vont détruire des choses qui seront probablement impossible à reconstruire. C’est très risqué. Maintenant précisément, en regardant et en analysant ce qu’il y a là dehors, je te dis que c’est plus probable que ça se passe mal plutôt que ça se passe bien".
Le Submoy mit de côté la tasse de café et alluma une cigarette. "C’est pour ça, c’est là où toi, tu interviens. Tu sais bien que notre manière à nous est de nous préparer avant tout à ce que ça se passe mal, rappelle-toi de comment s’est passé le soulèvement et tout ce qui s’en ait suivi. Donc si ça se passe mal, nous avons besoin ..."
Je me suis précipité pour l’interrompre : "D’un plan alternatif ?"
Il a ri de bonne foi et dit : "Non, nous avons besoin de quelqu’un sur qui rejeter la faute, si ça s’est mal passé".
A grands traits, le sous-commandant Moy s’est mis à évoquer des bouts du film "la loi d’Herodes" et, alors que je pensais qu’il allait s’arrêter au moment du discours final du député Vargas (l’histoire d’un médiocre qui devient criminel, puis gouverneur, ça vous dit quelque chose ?), il s’est référé au moment du "il y a une bonne et une mauvaise nouvelle".
(Note de dilettantisme : "La loi d’Hérodes" est un film de Luis Estrada, avec Martin Torres comme adjoint à la direction, histoire et scénario de Jaime Sampietro, Fernando León, Vicente Leñero et le même Luis Estrada, photographie de Norman Christianson, musique de Santiago Ojeda, maquillage de Alfredo Mora et Felipe Salazar. Avec "L’enfer" - de Luis Estrada également, avec dans le casting, dans le rôle du "Cochiloco", le grand Joaquin Cosio- ce sont les seuls films qui ont réussi à déplacer les films de Jean Claude Van Damme du "top" cinéphile des communautés et des campements zapatistes).
Ensuite, il a ajouté : "Nous avons besoin de planifier d’abord ce qu’on va faire avec la mauvaise nouvelle".
Il n’en fallait pas beaucoup pour deviner que la mauvaise nouvelle était l’échec de l’initiative. Je ne me réfère pas au fait qu’elle pourrait ne pas avoir de succès en soi, mais au fait qu’elle soit refusée par le CNI, qui, s’il l’acceptait, se convertirait en protagoniste indiscutable de quelque chose qui étourdirait le Mexique et le monde.
Le sous-commandant insurgé Moisés commença à rentrer dans les détails :
"Regarde, la première chose qui va le préoccuper, le CNI, c’est qu’on les accuse de trahir leur parole, de se plonger dans la merde, de se détourner du bon chemin, d’abandonner la lutte. C’est-à-dire de s’être laissés convaincre par le système et qu’ils veulent la rétribution, c’est-à-dire le Pouvoir, diriger, être comme les autres. Qu’ils se sont rendus, qu’ils se sont vendus. Ces critiques, c’est sûr qu’ils vont les avoir, mais je suis sûr qu’ils ont de la tête et de la réflexion pour répondre clairement. Mais le problème, c’est qui va les écouter ? Ils vont être attaqués très durement, et on ne leur donnera pas même l’opportunité de se défendre.
Après quelques heures de questions et de réponses, je lui ai dit : "Mais pour ça ce n’est pas nécessaire que je sois présent. Quelques communiqués suffiront, avec peut-être une interview. Les médias sont comme ça, ils penseront que rien n’a changé, qu’on peut faire pareil. Ceux d’en haut, bon, ils sont tellement prévisibles qu’ils me donnent la flemme. Ils sortiront le truc du protagonisme, de la manipulation, du divisionisme. Là oui, il se concentreront sur une personne, là-dessus tu as raison. Mais je te le répète, pour ça, ce n’est pas nécessaire que je sois là. Plus encore : ils sont tellement carrés, que même sans dire un seul mot, ils se ligueront contre moi."
"Non", répondit le subMoy, "il faut que ce soit toi qui présente la proposition. Pas simplement parce que s’ils te voient là, ils penseront que c’est une manigance de ta part et que la bande opposée va tomber dans le panneau, aussi et surtout, parce que les compas du CNI doivent comprendre que ce n’est pas quelque chose qui ne concerne que les peuples indigènes. C’est plus grand que ça, bien plus grand".
Alors, après avoir allumé une autre cigarette, il a ajouté :
"Aussi grand, voire même plus, que le premier janvier 1994".
L’affirmation n’était pas à prendre à la légère, surtout venant de qui la faisait. Le sous-commandant insurgé Moisés n’est pas seulement un vétéran de guerre, il est entré dans l’EZLN bien avant le début de la guerre. Le premier janvier 1994, il a dû assumer la direction d’un régiment, et se charger de la prise de la place centrale de la municipalité de Las Margaritas, en même temps qu’il portait le corps déjà sans vie du Sous-commandant insurgé Pedro. Des années plus tard, il s’est chargé des communautés zapatistes. Le 26 octobre 2010, il a été promu au grade de Sous-commandant insurgé, le plus haut dans la hiérarchie militaire de l’EZLN. En 2012, "le jour de la fin du monde", ce fut lui qui organisa et qui coordonna la mobilisation silencieuse de plus de 40 000 hommes, femmes, enfants et anciens zapatistes qui, à cette date, ont surpris le monde entier. Le 14 février 2013, il a assumé le rôle de porte-parole et de direction du zapatisme. Depuis lors, toute notre parole publique et n’importe quelle initiative nationale ou internationale doit obtenir son aval.
Et il a eu, et il a raison : l’engagement est tel, et à la fois si terrible et merveilleux, que cela pourrait être plus grand encore que ce fameux premier janvier de l’année 1994 qui nous a marqué de manière indélébile.
"Même si le CNI rejette la proposition, le simple fait de se mettre à penser, à discuter, à dialoguer, ce ne sera plus pareil, car on passera du "C’est cela qu’ils nous font" à "nous allons faire quelque-chose", et cela, ça débouche déjà sur une autre réflexion", a continué à dire le Sous-commandant insurgé Moisés.
"Ils ne seront plus seuls, ni seules" a-t-il dit, quasiment à la fin, "en plus de nous, ils auront de leur côté les arts et les sciences".
Avant de me retirer, je lui ai demandé pourquoi le Congrès National Indigène. Le Sous-commandant insurgé Moisés se leva pour m’accompagner jusqu’à la sortie, et me répondit :
"Car ce sont les seuls qui peuvent faire ce que nous, nous ne pouvons pas".
Après, il s’est passé ce qu’il s’est passé. Les enseignants démocratiques ont mis leur rébellion en berne, les peuples originaires ont continué à encaisser des coups, des spoliations et des actes de mépris, l’Hydre a continué à dévorer des mondes, et le pARTage a jailli en une explosion de couleurs, de sons, de formes et de mouvements qui n’ont été rien d’autre que le prélude à ce qui allait arriver par la suite : un tremblement terrible et merveilleux.
La veille encore, je demandais au sous-commandant Moisés si il y avait le moindre changement. "Effectivement comme nous n’avons dit, prépares-toi à faire ta sortie", m’a-t-il répondu, sans rien rajouter de plus.
Nous sommes arrivés le 9 octobre au CIDECI, au moment où l’après-midi étendait déjà ses vêtements tachés sur les arbres et les maisons. Plus tard, lorsque la nuit fut déjà maîtresse et seigneure du calendrier et de la géographie, arrivèrent les délégations du CNI, en ordre dispersé. Le chemin qu’ils avaient à parcourir n’était pas des moindres.
Nous avions suivi avec attention tout et chacun des processus en cours au sein du CNI, leur parole publique, et leur parole privée. Le CNI est l’unique espace où les originaires peuvent se faire écouter. Nous savions déjà qu’au décompte des assassinés, des disparus, des emprisonnés, des molestés, s’ajouteraient maintenant les cadavres de territoires entiers.
"Lorsqu’un territoire d’un peuple, d’une nation, d’une tribu ou d’un quartier originaire est spolié ou détruit", disait le Grand Tata Juan Chávez Alonso, un indigène purépecha qui a été maître et guide du CNI et de l’EZLN, "alors meurent avec lui les originaires qui y prennent racine et maison. Et quand meurt un peuple originaire, un monde s’éteint".
Nous savions déjà alors que, dans les tables de travail et les rapports de ce congrès, moins de mondes seraient présents. Ils n’étaient pas peu nombreux, ceux qui viendraient pour dire adieu, bien qu’ils ne le sachent pas encore.
"Il est temps de commencer", m’a dit le Sous-commandant insurgé Moisés, "il faut partager la responsabilité"...
NAISSANCE D’UNE PROPOSITION
Le 9 octobre 2016, alors qu’il faisait déjà nuit, nous avons demandé à avoir quelques premières réunions avec ceux qui arrivaient. Nous nous sommes réunis dans un lieu isolé des installations du CIDECI-Unitierra. La délégation zapatiste s’est assise face aux déléguées et aux délégués du CNI qui étaient en train d’arriver. Permettez-moi de vous parler un peu de la délégation zapatiste : ils étaient 34, 17 femmes et 17 hommes ; parmi elles et eux, 7 seulement étaient "des ancienEs" ; le reste, 27, étaient des commandantes et commandants qui étaient enfants et adolescents lorsque nous nous sommes soulevés le premier janvier 1994.
Nous nous sommes salués d’une poignée de main. ToutEs se sont assis, sauf le Sous-commandant insurgé Moisés et moi. Il m’a fait un signal.
J’ai commencé à parler, en essayant de rappeler tout ce dont nous avions parlé auparavant, en expliquant ce que, à quelques mots près, j’allais répéter le lendemain 10 octobre, durant la plénière à portes closes, et ensuite durant la plénière ouverte du 13 octobre :
"Nous pensons que nous avons une décision à prendre en tant que CNI et EZLN. Nous devons décider si ce Cinquième congrès sera comme d’autres réunions, où nous faisons part de nos douleurs, parlons de nos résistances, nous plaignons, maudissons le système, déclarons que nous n’allons pas nous rendre, et rentrons chacun sur nos terres pour y continuer le décompte des agressions, des spoliations, des injustices, des morts.
Notre douleur arrive chaque fois à de moins en moins de personnes. Nos morts ne trouvent pas le même écho qu’auparavant. Et ce n’est pas que les gens d’en dehors soient devenus cyniques ou apathiques. C’est que la guerre que nous subissons depuis un certain temps en tant que peuples originaires, est arrivée jusqu’à eux. Qu’elle est arrivée jusque dans leurs rues, dans leurs maisons, dans leurs écoles, sur leurs lieux de travail. Nos douleurs sont maintenant une douleur de plus parmi tant d’autres. Et, bien que la douleur s’étende et se fasse plus profonde, nous sommes encore plus seuls qu’auparavant. Chaque fois, nous allons être de moins en moins.
Bientôt le CNI ne pourra plus se réunir, car il ne pourra plus sortir de ses territoires, que ce soit à cause du coût, à cause du mauvais gouvernement, à cause des entreprises ou à cause de la criminalité, que ce soit parce que la mort naturelle ou bien la mort mauvaise l’en empêche. Un peu plus tard, nous ne parlerons plus qu’entre nous- mêmes, en sachant déjà à l’avance ce que nous allons dire.
Vous, déléguées et délégués du CNI, vous êtes là parce que vous avez été mandatés, parce que vos peuples, nations, tribus et quartiers cherchent un soutien, une parole et une écoute qui les soulagent et les réconfortent. Vous venez pour parler et pour écouter. Vous vous devez à vos peuples, et à personne d’autre. Tout va très mal et, vous le savez tout comme nous, ça va être pire. Vous devez faire quelque chose."
Je leur ai alors raconté une anecdote qui était arrivé au défunt supMarcos, au moment de l’Autre campagne, il y a 10 ans.
Il racontait que, dans une nation originaire du nord-ouest du Mexique, il s’était réunit avec un chef indigène. Comme à d’autres occasions, le défunt avait été critiqué, parce que le chef en question avait reçu auparavant des gouvernements institutionnels. Le défunt fit savoir que lui n’avait pas été envoyé pour juger et condamner ou bien pour absoudre, mais qu’il devait écouter, car un jour cela serait utile. Le chef indigène le reçut à part et en privé.
Le Chef dit au défunt : "je sais bien qu’ils ne voulaient pas que tu te réunisse avec moi, qu’ils ont insisté pour que tu ne sois pas ici présent. Moi aussi, ils ont insisté pour que je ne te reçoive pas. Je ne sais pas pourquoi tu es ici. Je m’imagine que ceux qui t’ont envoyé t’ont dit cela, que tu nous voies et que tu nous écoutes. Je ne sais pas. Mais je vais te dire pourquoi je t’ai reçu. Moi j’ai reçu les gouvernements. Il en est venu de toutes les couleurs et de toutes les tailles. Ils arrivent, ils se prennent leur photo, prononcent quelques mots, partent, ne reviennent pas. Moi je les ai reçu car mes ancêtres m’ont dit que mon devoir était de m’assurer que les miens, mon peuple, ne meurt pas, qu’il survive. C’est pour ça que je les ai reçu à ceux là, c’est pour ça que je te reçois, toi. Je ne crois pas que tu ne m’apportes ni des conseils, ni des enseignements, bien que ce soit bien que tu ne cherches pas la photo, et que tu écoutes au lieu de parler. A ceux-là, je les ai reçu parce que je pense qu’ainsi mon peuple survit un peu plus longtemps et ne meure pas. C’est pour cela que toi je te reçois, car je crois que quelque chose se verra de ce que nous sommes, et ce regard, bien que ce soit pour peu de temps, aidera mon peuple à survivre." Le défunt annota tout dans son carnet, c’est pour ça qu’il avait parfaitement les paroles du chef indigène.
Après ces paroles, le chef est resté silencieux. Le défunt demanda alors permission de lui parler. Le chef lui concéda la parole. Le défunt dit plus ou moins (il n’a pas pu noter les paroles dans son cahier, parce qu’il ne pouvait pas parler et noter en même temps) : "Merci de me recevoir. J’ai seulement une question : ne vous sentez-vous pas préoccupé de pouvoir vous être trompé, c’est-à-dire que, en recevant les gouvernements ou bien en me recevant, vous n’ayez pas aidé votre peuple à ne pas mourir, et que vous soyez jugé comme un mauvais chef ?"
Le chef indigène attendit de voir si c’était toute la question, et répondit ensuite : "Moi, seul mon propre peuple peut me juger. Si mon peuple me condamne pour ce que j’ai fait et ce que je fais, ça veut dire que je ne me suis pas trompé. Car pour qu’il me juge et me condamne, il faut que mon peuple ait survécu. J’aurai ainsi donc rempli mon devoir et rendrais des comptes positifs aux morts, bien que les vivants me condamnent".
Ainsi se termine l’anecdote du défunt. Je continuai à parler :
"C’est pour ça que vous devez avoir clairement en tête à qui vous devez rendre des comptes. A l’EZLN, vous ne devez rien. Ni à la Sexta. A personne d’autre qu’à vos propres peuples, qu’à ceux que vous représentez, vous ne devez quelque chose. Vous devez faire quelque chose, parce que bientôt, pour beaucoup, il n’y aura plus rien, et ce sera trop tard".
Nous leur avons dit qu’ils devaient faire quelque chose, que leur devoir était auprès de leurs quartiers, de leurs tribus, nations et peuples originaires, auprès de leurs collectifs et de leurs organisations.
Nous leur avons dit qu’ils fassent quelque chose, quoi que ce soit ; que, s’ils le jugeaient nécessaires, ils rejoignent MORENA (c’est dans les enregistrements, et les déléguées et délégués présents peuvent le certifier ; ce fut la seule fois que, pour notre part, mention fut faite de ceux qui, plus tard et bien avant tout le monde, délégitimèrent et condamnèrent la proposition, faisant montre de stupidité, de racisme, d’intolérance, de mépris et de franche schizophrénie. Oui, la première option qui a été présenté par le zapatisme au CNI, c’était de soutenir le Parti Mouvement de Régénération Nationale). Ou qu’ils rentrent dans n’importe quel autre parti politique. Ou qu’ils fassent leur propre parti politique.
Que dans tout cela, nous n’allions pas les suivre, mais que nous comprendrions pourquoi ils le faisaient, et qu’ils ne subiraient pas, de notre part, ni de jugements, ni de condamnations.
Nous leur avons dit que si la Sexta les dérangeait, qu’ils la laisse.
Que si l’EZLN les dérangeait, qu’ils coupent la relation avec nous.
Je n’ai pas besoin de vous dire que, à chacune de ces deux options, les déléguées et délégués faisaient de grands gestes, comme s’ils chassaient des mouches impertinentes. Toutes et tous se maintenaient silencieux. J’ai continué :
"Faites quelque chose, ça, ou autre chose."
A ce moment là, je me suis tourné en direction du sous-commandant insurgé Moisés. Il m’a fait geste de continuer :
"Nous, nous sommes venus vous proposer autre chose : nous subissons les coups, avec des morts, des disparitions, des rapts, des emprisonnements, des spoliations, des injustices, des territoires entiers détruits et d’autres en voies d’extinction. Nous sommes acculés, sans espoirs, sans forces, sans soutiens, faibles, agonisants. Pour les politiques et les médias, qu’ils soient de gauche ou progressistes, nous n’existons pas.
C’est pour cela que nous, hommes et femmes zapatistes, nous pensons que c’est le moment de passer à l’offensive. Est arrivée l’heure de la contre-attaque. Et il faut commencer en frappant l’un des cœurs du système : la politique d’en haut.
C’est pour ça que nous vous proposons que le CNI forme une Junta de Gobierno Indígena, un Conseil de Gouvernement Indigène ( c’est comme ça que cela s’appelait dans notre proposition originale ; mais en assemblée, et suite à la proposition d’une délégation indigène magoniste de Oaxaca, le nom devint "Conseil Indigène de Gouvernement"), un collectif formé par des délégués du CNI, aspirant à gouverner le pays. Et qu’il se présente aux élections présidentielles de 2018, avec une femme indigène du CNI en tant que candidate indépendante".
Non, face à cette proposition, les déléguées et délégués ne firent pas comme s’ils chassaient de leurs yeux un insecte dérangeant, mais il se sont bien plutôt franchement énervés. Certains, cela les a énormément dérangé (Bon, plutôt, ils sont devenus furieux). D’autres encore ont dit que comme blague, c’était de très mauvais goût, que ça ne les faisait pas rire, mais leur provoquait plutôt des douleurs d’estomac.
Mais la majorité a gardé le silence.
Je dois vous dire que, dans le mode des originaires, le silence ne signifie pas accord, conviction, ou manque d’arguments. Cela signifie qu’ils écoutent, et, attention, qu’ils pensent et analysent avant de parler (oui, à plus d’un ou d’une, ça leur ferait grand bien de suivre cette méthode).
Pourquoi nous ont-ils écouté ? Parce que nous nous considérons comme frères et sœurs. Le respect que nous nous portons mutuellement a fait qu’ils nous ont écouté jusqu’à la fin.
Et ils ont compris que ce n’était pas une idée saugrenue, mais une idée qui pourrait en arriver à devenir une proposition. Et c’est comme tel qu’ils ont commencé à y penser.
Après un silence prolongé, quelqu’un ouvrit la discussion en disant quelque chose comme : "je suis en train de penser que de cette manière, nous pourrions reconstruire le CNI, que l’initiative donnerait à nouveau de la visibilité aux indigènes. Car, compas, il faut le dire clairement, nous n’existons pas pour la classe politique. Même en tant qu’objets d’aumônes, ils ne nous mentionnent même plus. Et je crois qu’avec cette proposition, non seulement nous pourrions nous rencontrer avec d’autres indigènes, mais nous rencontrerions aussi beaucoup de gens d’en bas qui sont dans la merde. Il y a beaucoup de mécontentement dans tout le pays, et il n’y a pas d’alternative pour les indigènes, pas plus qu’il n’y en a pour ceux qui ne sont pas indigènes. Évidemment, la proposition a plusieurs choses négatives, que nous devons analyser avec sérieux".
Quelqu’un d’autre pris la parole, et mentionna deux points négatifs : le racisme qu’il y a dans la société mexicaine ; et qu’ils allaient être critiqués et attaqués pour chercher le Pouvoir. Ces deux points négatifs ont été répétés dans les analyses postérieures. Non, ni dans cette réunion, ni dans les sous-suivantes, personne n’a mentionné comme point négatif, qu’on soit accusé de vouloir "diviser la gauche".
Et c’est comme ça que l’idée a commencé à ne plus être seulement la nôtre. C’est ainsi que le CNI a commencé à la réfléchir, et à la faire sienne. La parole s’est élargie à plus, et plus encore. Rapidement, toutes les délégations étaient en train de réfléchir, d’opiner, d’évaluer. L’absurde idée commençait à se convertir en une proposition collective.
Dans l’assemblée plénière à portes closes de la journée du 10 octobre et dans les tables de travail de la journée du 11, la parole allait et venait. Sans mettre de côté l’accomplissement du mandat dont étaient chargées les délégations, le thème central cessa d’être la dénonciation. La possibilité de passer à l’offensive est devenu le plus important. Durant les tables de travail (au nombre de 4) auxquels pouvaient assister quelques compas de la Sexta en tant qu’observateurs, lorsque le thème était abordé, ceux-ci s’agitaient nerveusement sur leur siège, se regardant les unEs les autres (ils et elles ne pouvaient pas parler, seulement écouter), se retournant en direction de la délégation zapatiste (nous nous étions répartis pour couvrir les 4 tables de travail, et pouvoir annoter fidèlement toutes les dénonciations et les expériences des délégations du CNI). Plus d’unE est sortiE avec une indignation manifeste.
Un mouvement fébrile parcourait les réunions, grandes ou petites. Les personnes qui le pouvaient appelaient leurs villages par téléphone pour leur raconter ce qui se discutait, demandant des opinions, des impressions. Les pour et les contre étaient analysés et discutés. Des listes des uns et des autres étaient établies. On soupesait. On cherchait la réponse à une question : "Le jeu en valait-il la chandelle ?".
L’idée avait d’ors et déjà cessé d’être de l’EZLN. Elle était d’ors et déjà du Congrès National Indigène. Au sein du cœur collectif des peuples originaires, grandissait l’écho des paroles d’ouverture du sous-commandant insurgé Moisés, au nom de toutes et tous les zapatistes :
"Maintenant, c’est l’heure du Congrès National Indigène. Qu’à son pas, la terre tremble à nouveau jusqu’en son cœur. Qu’en son rêve, soit mis en échec le cynisme et l’apathie. Qu’en sa parole, se lève celle de celui qui n’a pas de voix. Qu’en son regard, s’illumine l’obscurité. Qu’en son écoute, la douleur de celui qui se pense seul trouve un foyer. Qu’en son cœur, le désespoir trouve espoir et réconfort. Qu’avec son défi, le monde s’étonne de nouveau."
-*-
Mais il manquait ce qu’il manquait.
En plus de peser les pour et les contre, pour le CNI il fallait que soit mis au clair le rôle du zapatisme dans cette initiative.
Avec l’avance de mise, le sous-commandant insurgé Moisés et le Comité Clandestin Révolutionnaire Indigène avaient organisé une petite fête en l’hommage du Congrès National Indigène, qui fêtait ce 12 octobre 2016 vingt ans d’existence comme maison, écoute, parole et écho des peuples originaires du Mexique.
Le lieu ? Le caracol d’Oventik, dans les montagnes du sud-est mexicain.
Les délégations du CNI furent reçues conformément aux protocoles zapatistes destinés aux invités spéciaux. Bien sûr, il y eut un effort supplémentaire afin d’honorer ces visites. Ce n’est pas tous les jours que nous pouvions recevoir les membres les plus proches de notre famille, qui ont en commun avec les peuples zapatistes le sang, la douleur, la rage, la résistance et la rébellion. C’est-à-dire l’histoire.
Au départ, je n’ai pas compris pourquoi le sous-commandant insurgé Moisés avait disposé la réception des délégations de cette manière : sur l’estrade principale, il avait accommodé les délégations du CNI, et en face, il avait installé une petite estrade, où s’est installée la direction zapatiste, dont il était lui-même à la tête.
Moi j’ai pu arriver à tout voir, parce que je me déplaçait d’un côté à l’autre en tentant de convaincre les compañeras et les compañeros du CNI de monter sur les bancs pour mieux voir. "Mais j’ai de la boue sur les chaussures, je vais salir le banc", argumenta une déléguée. "Compañera", lui ai-je répondu, "Ici ce qu’il y a de trop, c’est de la boue, donc ne te sens pas mal pour cela".
Le CNI avait nommé une femme indigène comme déléguée pour prendre la parole durant la cérémonie. Le Commandant David prit la parole pour donner la bienvenue. Ensuite parla la compañera du Congrès national Indigène. Elle prit la parole comme on se parle entre personnes d’une même famille : avec le cœur sur la main. Je ne vais pas répéter ses paroles, ni celles dites ensuite par le sous-commandant insurgé Moisés au nom de toutes et tous. La compañera du CNI allait se retirer, lorsque le sous-commandant insurgé Moisés lui demanda de rester.
La compañera est restée là durant tout l’acte, entourée du commandement indigène zapatiste, face aux délégations du Congrès National Indigène.
C’est alors que j’ai compris.
Moi je regardais depuis un côté, mais depuis la perspective visuelle des délégations du CNI, qui purent voir comment une femme, indigène comme elles et eux, du Congrès National Indigène comme eux et elles, était accompagnée par l’autorité maximale de