Écrit par Iolanda Mombelli,
“L’impact de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) sur le Luxembourg et la construction européenne” et l’histoire des pouvoirs et de la politique budgétaire du Parlement européen (PE) étaient au cœur des discussions de la table ronde organisée le 26 novembre 2015 dans l’ancien hémicycle du Parlement à Luxembourg par les Archives historiques du PE (EPRS) en collaboration avec le Centre virtuel de la connaissance sur l’Europe (CVCE) et le Bureau d’information du PE à Luxembourg.
LULLING, Astrid; COLLOWALD, Paul; GOEBBELS, Robert; BARTHEL, Charles; DE FEO, Alfredo; MUNOZ, Susana; DESCHAMPS, Etienne;
Cette table ronde a réuni:
Astrid Lulling, députée au PE de 1965 à 1974 et de 1989 à 2014, ancienne Questeur du PE, modératrice de l’événement;
Paul Collowald, ancien Directeur général de l’information et des relations publiques du PE et ancien Directeur de cabinet de Pierre Pflimlin, Président du PE;
Robert Goebbels, député au PE de 1999 à 2014 et ancien Ministre de l’économie dans le Gouvernement luxembourgeois;
Charles Barthel, collaborateur scientifique aux Archives nationales de Luxembourg;
Alfredo De Feo, EP Fellow auprès de l’Institut Universitaire Européen (Florence) et ancien Directeur de la Bibliothèque du PE;
Susana Muñoz, responsable des études européennes au CVCE; et
Étienne Deschamps, historien et conservateur à la Maison de l’histoire européenne (PE).
La discussion a démarré avec Astrid Lulling qui a souligné l’importance de la CECA et de la Haute Autorité dans leurs rôles de pionniers et de forces motrices dans le développement de la future Union européenne. En citant une partie du discours de Jean Monnet lors de la première séance, le 10 août 1952, de la Haute Autorité à Luxembourg, Mme Lulling a rappelé le caractère supranational des Institutions de la CECA et la transformation des relations entre les états. Ces derniers avaient décidé de créer la première communauté européenne qui fusionnait une partie des souverainetés nationales pour les soumettre aux intérêts communs. Astrid Lulling a également insisté sur l’importance de cette table ronde pour évaluer de nos jours l’état de cette création.
Le premier intervenant, Paul Collowald, témoin privilégié de la naissance et de l’évolution de l’Europe unie pendant plus de 60 ans, a souligné l’importance incontestable de la figure de Robert Schuman et de la date du 9 mai 1950 pour la réconciliation franco-allemande et pour la reconstruction européenne de l’après-guerre dont la CECA constitue la première étape. Il a retracé brièvement les événements qui ont conduit, entre août 1949 et avril 1951, à la naissance de la CECA et de la Haute Autorité présidée par Jean Monnet et installée à Luxembourg. M. Collowald a également évoqué une autre création de l’époque: l’Assemblée ad Hoc chargée de préparer un projet de traité politique européen. Si M. Collowald a orienté sa présentation sur les événements qui ont précédé et suivi la déclaration Schuman et la création de la CECA, Robert Goebbels s’est surtout concentré sur l’impact que le traité CECA a eu sur son “petit pays”. À l’aide de quelques données statistiques, il a analysé la situation du Luxembourg au début des années cinquante: “il s’agissait d’un pays poussiéreux et provincial avec 300 000 habitants, dont 20 000 étrangers, la ville était délabrée et on y cultivait les patates” a déclaré M. Goebbels. Mais il s’agissait néanmoins d’un pays membre fondateur des Nations Unies et de l’OTAN, doté d’une production sidérurgique très importante (3 millions de tonnes d’acier, une production identique à celle de l’Italie). C’est à cette époque que Robert Schuman a invité le Luxembourg à faire partie des six pays membres fondateurs de la CECA et à devenir ensuite le siège de la Haute Autorité. L’ancien ministre luxembourgeois a souligné que, sans la CECA, son pays serait toujours “un peu rétrograde” et que c’est grâce à cette opportunité que la ville s’est modernisée. Il a terminé son intervention en soulignant que la fin du traité de la CECA en 2002 a été une perte énorme pour l’Union européenne. En effet, celle-ci a alors perdu des pouvoirs économiques et des instruments de contrôle qui auraient pu se révéler très efficaces au cours des crises économiques.
LULLING, Astrid; COLLOWALD, Paul; GOEBBELS, Robert; BARTHEL, Charles; DE FEO, Alfredo; MUNOZ, Susana; DESCHAMPS, Etienne;
Lors de son intervention “L’exaucement d’un rêve: le plan Schuman pour la paix et la diplomatie luxembourgeoise du rapprochement des peuples européens”, Charles Barthel a analysé les avantages dont le Luxembourg a profité grâce à la création de la CECA, notamment en politique étrangère. Selon M. Barthel, le Luxembourg est un pays trop petit pour rester isolé et la bonne entente avec les pays voisins a été, depuis toujours, nécessaire et déterminante pour son développement. Le plan Schuman visant à créer une communauté du charbon et de l’acier a été une vraie opportunité pour le pays et l’union entre politique et économie une garantie pour la paix. Le Luxembourg a joué un rôle de “courtier”, ou d’intermédiaire, pour la paix franco-allemande et il a ainsi trouvé sa place parmi les cinq autres pays fondateurs. M. Barthel a souligné pour conclure que cela a été une chance pour le Luxembourg que la naissante nouvelle Europe ait été construite sur la sidérurgie et sur la production de l’acier.
Lors de son intervention, Alfredo De Feo s’est concentré sur l’originalité financière de la CECA ou mieux, sur sa modernité. Le financement de l’Europe a, à plusieurs reprises, présenté un problème, et certaines crises de l’Union européenne ont effectivement été liées à cette question. Il est donc important de souligner que la CECA était un organe avec une forte originalité financière, relative notamment à l’autonomie financière de la Haute Autorité, qui avait la possibilité d’imposer des taxes sur le prélèvement, mais également grâce à une activité de prêt et la création d’un fonds de garantie.
Susana Muñoz a présenté le projet “Retour aux sources orales de la CECA”. De son point de vue, la Communauté, première pierre de la construction européenne, peut être considérée comme un laboratoire et un modèle d’expérience. Ce projet a pour ambition de constituer une mémoire orale donnant la parole à des protagonistes de la construction européenne. Il est constitué aujourd’hui de plus d’une centaine d’interviews qui peuvent être écoutées et contextualisées sur le site internet du CVCE http://www.cvce.eu/histoire-orale.
Étienne Deschamps, dans son exposé “Enjeux de la CECA pour le Luxembourg au début des années 1950”, a analysé les trois problèmes principaux qui se sont présentés au Luxembourg au moment de la création de la CECA: sa participation au Plan Schuman, sa représentation à l’intérieur des institutions et l’établissement d’un siège pour la Communauté. La participation au Plan Schuman et à la création de la CECA était vitale, voire existentielle, pour le Luxembourg et le gouvernement y était fortement favorable, vu l’importance de la sidérurgie pour le pays. Il était donc hautement important d’obtenir une bonne représentation à l’intérieur des institutions européennes afin de défendre les intérêts du pays et la diplomatie luxembourgeoise y a fortement travaillé. Ainsi, lors du choix du siège de la CECA, pour lequel seule la République fédérale allemande ne s’est pas proposée, le Luxembourg s’est bien positionné: même si le pays n’est pas la capitale politique de l’Europe, il est devenu un siège définitif de la Communauté.
En guise de conclusion, Astrid Lulling a souligné que son pays s’est très bien “débrouillé” pour trouver sa place à l’aube de la création de l’Europe unie.
L’intégralité de l’audio des interventions est disponible ici.
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