Drame/Comédie/Touchant, drôle, un joli film et Annette Bening y est magnifique
Réalisé par Mike Mills
Avec Annette Bening, Greta Gerwig, Elle Fanning, Billy Crudup, Lucas Jade Zumann, Alison Elliott, Thea Gill, Olivia Hone...
Long-métrage Américain
Durée: 01h58mn
Année de production: 2016
Distributeur: Mars Films
Date de sortie sur les écrans américains : 20 janvier 2017
Date de sortie sur nos écrans : 1 mars 2017
Résumé : Santa Barbara, été 1979. L’époque est marquée par la contestation et d’importants changements culturels. Dorothea Fields, la cinquantaine, élève seule son fils Jamie. Elle décide de faire appel à deux jeunes femmes pour que le garçon, aujourd’hui adolescent, s’ouvre à d’autres regards sur le monde : Abbie, artiste punk à l’esprit frondeur qui habite chez Dorothea, et sa voisine Julie, 17 ans, aussi futée qu’insoumise…
Bande annonce (VOSTFR)
Ce que j'en ai pensé : Mike Mills, le réalisateur, nous entraîne sur les traces d'une relation mère/fils liée à une époque très spécifique et particulière : celle de la fin des seventies en Californie. Et qu'il est bien retranscrit cet esprit de liberté et de trouble aussi. J'ai beaucoup aimé la sensibilité de la mise en scène, des plans et des mises en situation du réalisateur. Il y a une simplicité étudiée dans les décors qui laisse la place aux personnages pour s'épanouir et aux dialogues pour fonctionner. Ces derniers sont d'ailleurs parfois drôles, surtout dans les situations décalées. Les relations humaines sont étroitement connectées à l'année 1979. Mike Mills croque des portraits de femmes de générations différentes dans un moment où le monde change et dans lequel elles cherchent à affirmer leur place entre modernité férocement désirée et héritage du passé lourd à porter. Il a trouvé trois magnifiques actrices pour réussir à faire vibrer les émotions délicates qu'il cherche à transmettre aux spectateurs.
Annette Bening est formidable dans le rôle de Dorothea, cette mère à l'amour débordant, qui doit élever un adolescent qui cherche sa place et son indépendance. Son interprétation de cette femme intelligente, à la personnalité originale et forte, est d'autant plus touchante dans les moments reflétant ses fragilités.
Greta Gerwig interprète Abbie, une jeune femme artiste, pleine de vie, qui dit ce qu'elle pense.
Elle Fanning interprète Julie, une adolescente en pleine rébellion familiale.
Et au milieu de ces femmes et de leur flot d'émotions bardées de contradictions, le jeune Jamie, interprété par l'attachant Lucas Jade Zumann, cherche son chemin vers l'âge adulte.
Billy Crudup interprète quant à lui William, un homme dont l'expérience de la vie lui permet de surnager parmi ces dames. Il sait être présent et en même temps les laisser vivre.
20TH CENTURY WOMEN ne suit pas forcément des chemins pavés. Il sait être inattendu et dépeint des personnages auxquels on ne s'identifie pas forcément, mais avec lesquels on sent une connexion émotionnelle. C'est un film à la fois doux et touchant. Mike Mills nous propose une jolie histoire qu'il ne faut pas hésiter à aller découvrir au cinéma.
AVANT-PREMIÈRE
SESSION DE QUESTIONS/RÉPONSES AVEC LE RÉALISATEUR MIKE MILLS
Le 9 février 2017, lors de l'avant-première parisienne du film, le réalisateur Mike Mills a eu la gentillesse de venir répondre à quelques questions avant la projection. Je vous propose de retrouver cet échange dans la vidéo ci-dessous qui ne contient pas de spoilers.
NOTES DE PRODUCTION
(A ne lire qu'après avoir vu le film pour éviter les spoilers !)
« LE FUTUR VIENT TOUJOURS TROP VITE ET PAS DANS LE BON ORDRE. »ALVIN TOFFLER, « LE CHOC DU FUTUR »
1979 marque une formidable période de transition. C’est la dernière année du mandat de Jimmy Carter. En Iran, la Révolution islamique a commencé, parallèlement à la crise des otages à l’ambassade des États-Unis. Pour la première fois, les Américains ont le sentiment de ne plus pouvoir maîtriser leur besoin croissant de pétrole : la dépendance à l’égard du Moyen- Orient aboutit à de longues files d’attente aux stations-services et à une « crise énergétique » présente sur toutes les lèvres. Désormais, les véhicules énergivores n’ont plus la cote et l’industrie automobile de Detroit perd de sa puissance. Le pays plonge alors dans la récession. Carter prononce son discours sur la « crise de confiance ». Brenda Ann Spencer, adolescente responsable du meurtre de deux adultes dans une école, donne lieu à la première affaire du genre de l’époque contemporaine. Le pays connaît son accident nucléaire le plus grave à la centrale de Three Mile Island. Les classes moyennes ont de plus en plus recours à la psychothérapie. Apple entre en bourse. Margaret Thatcher est nommée Premier ministre du Royaume- Uni. Quant à la contre-culture, elle perd du terrain…
D’une certaine manière, c’est à cette époque que les problématiques, les technologies et les enjeux culturels que nous qualifions aujourd’hui de « contemporains » font leur apparition. Comme l’explique Mike Mills : « Les années 78-79 marquent le début de la période contemporaine, même si vers la fin de cette décennie on n’était absolument pas préparé aux grands bouleversements qui suivront : les répercussions de la politique de Reagan, la cupidité des années 80, la tragédie du Sida, l’impact de l’Internet, les événements du 11 septembre et les disparités liées au libéralisme sauvage. D’où le sentiment que 20TH CENTURY WOMEN est une ode nostalgique à une époque d’innocence à jamais révolue. »
C’est dans ce contexte que Dorothea, mère célibataire vivant à Santa Barbara, doit elle aussi affronter les mutations de la société. Suite à des bouleversements dans sa vie privée, cette logeuse à l’esprit bohème demande à ses locataires de l’aider à préparer son fils aux vicissitudes du monde. Résultat : le jeune garçon découvre les joies rebelles du punk rock, la dangereuse séduction de l’art et de l’amour et la fragilité de la vie.
20TH CENTURY WOMEN est une comédie dramatique qui mêle les parcours intimes de ses personnages aux changements profonds que traverse la société américaine. Le film est tour à tour une histoire d’amour et de liens familiaux précaires et un hommage à la force des femmes de toutes générations. Chemin faisant, il montre combien notre quotidien peut devenir, avec le recul des années, une époque sur laquelle on porte un regard émerveillé.
Quatre fois citée à l’Oscar, Annette Bening campe une femme discrète mais toujours prête à héberger ceux qui ont besoin d’un toit. Dorothea est une mère qui fait face à des changements majeurs : elle nous rappelle que les enfants de la Grande Dépression sont devenus les parents des années 70 – et que ce sont leurs fils et leurs filles qui ont façonné notre société actuelle. « Je voulais raconter une histoire intime, ponctuée de moments de grâce, dans une période chaotique et m’intéresser à la manière dont d’insondables trajectoires personnelles se mêlent à des évolutions sociales majeures », note Mike Mills.
Le film est également une déclaration d’amour à la mère de Mills et aux femmes qui l’ont élevé. Le cinéaste confie : « En un sens, c’est l’histoire de la rencontre entre la «Génération grandiose» et la «Génération X» – puisque ma mère est née dans les années 20 et moi à la fin des années 60. D’un certain point de vue, le film raconte une histoire d’amour entre une mère et son fils – une histoire d’amour profonde et totalement à part – mais qui ne peut pas leur procurer l’ancrage émotionnel auquel ils aspirent tous les deux. Le film tente d’évoquer ces moments fugaces où l’on ressent un lien très fort avec un proche, ces moments délicats de grâce, de compréhension et de proximité, qui sont plus fragiles et éphémères qu’on ne le pense – mais quand ils se produisent, même s’ils ne durent pas, ils nous marquent pour longtemps. »
APRÈS BEGINNERS
« Je lui ai dit que la vie était riche et pleine de surprises, qu’il découvrirait les animaux, les arbres, le ciel, les villes, la musique, le cinéma et les stars et les couleurs, et qu’il le ferait à son rythme. Et qu’il découvrirait aussi les baisers, l’amitié, et l’amour et qu’il aurait lui-même des enfants. »
Le précédent film de Mike Mills, BEGINNERS, qui a valu à Christopher Plummer un Oscar et un Golden Globe, s’inspirait du père du réalisateur qui a attendu ses 75 ans pour assumer pleinement son homosexualité. 20TH CENTURY WOMEN s’appuie, en revanche, sur la plus grande proximité entre Mills et sa mère. Pourtant, hormis quelques points communs fondamentaux – l’inspiration autobiographique, l’humour, un certain penchant pour l’art, une fascination pour la fugacité des choses et un style visuel proche du collage –, les deux films sont très différents. Tout d’abord parce que, comme son titre l’indique, 20TH CENTURY WOMEN parle de l’identité des femmes aux États-Unis vers la fin du siècle dernier.
Quel que soit son moyen d’expression, Mills a toujours mêlé des histoires personnelles à des événements historiques. Comme beaucoup de sa génération – celle qu’on désigne simplement d’un «X» ambivalent, coincée entre les baby-boomers et la génération Y –, l’homme est inclassable. Il mène depuis longtemps une carrière pluridisciplinaire comme graphiste et réalisateur. Il a ainsi conçu les pochettes d’albums des Beastie Boys et de Sonic Youth, collaboré aux clips d’Air, Pulp et Yoko Ono et exposé ses oeuvres picturales dans plusieurs galeries du monde entier, au Musée d’art contemporain de Los Angeles (MoCA) et au Musée d’art moderne de San Francisco (SFMOMA). Pour lui, l’art doit entretenir un rapport avec le monde qui l’entoure : son oeuvre montre que des moments d’intimité peuvent, comme les pièces d’un puzzle, trouver leur place sur de vastes échiquiers culturel, sociétal et historique. Comme le dit le slogan féministe, « le personnel est politique ». Les tout premiers courts métrages de Mills témoignent de sa passion pour la dimension drôle et insolite du quotidien et les tendances éphémères de la culture actuelle. DEFORMER (2000) s’attache à l’univers de l’artiste et skateur professionnel Ed Templeton, tandis que PAPERBOYS (2001) se penche sur le métier de livreur de journaux voué à disparaître. Dans son premier long métrage, ÂGE DIFFICILE OBSCUR (2005), adapté du roman de Walter Kirn, il offre un point de vue original sur le malaise et les angoisses de l’adolescence. Puis, il enchaîne avec le documentaire DOES YOUR SOUL HAVE A COLD? (2007), autour de l’arrivée des antidépresseurs au Japon. En 2010, le succès de BEGINNERS impose Mills comme un cinéaste majeur.
Mais c’est avec 20TH CENTURY WOMEN qu’il relève son plus grand défi. Car lorsqu’un homme met en scène les femmes, le propos n’est pas toujours des plus convaincants. Or, Mills a non seulement puisé dans sa propre adolescence, profondément marquée par la présence de femmes fascinantes, mais il s’est nourri d’entretiens et de lectures pour mettre au point des portraits au féminin de trois générations différentes, à divers stades de leur parcours : Dorothea, qui a grandi pendant la Grande Dépression et qui doit concilier sa vie professionnelle et sa vie de mère, Abbie, artiste issue du baby-boom et Julie, adolescente incarnant la Génération X.
« J’ai été élevée par une femme au fort tempérament, et le scénario est très proche de ce qu’était sa vie, affirme le réalisateur. Mon père était présent, mais pas pendant mon enfance. Quand j’étais enfant, je passais l’essentiel de mon temps avec ma mère et mes deux soeurs. Depuis, je fréquente surtout des femmes et je crois avoir compris très tôt qu’en cherchant à cerner les femmes de mon entourage, j’assurais ma propre survie. J’ai passé mon temps à m’intéresser à elles et à tenter d’apprendre à leur contact, même lorsqu’elles étaient insondables. »
Si Jamie ne parvient pas totalement à percer à jour Dorothea, il l’aime profondément et éprouve un immense respect pour son courage de mère célibataire et son étonnante force de caractère. Un apparent paradoxe qu’il n’était pas évident d’évoquer dans le scénario d’autant plus qu’il est au cœur du film : « Je n’ai aucune difficulté à épouser un point de vue féminin mais le personnage de Dorothea m’a posé problème, notamment parce que ma propre mère a longtemps été – et le restera en partie – une énigme à mes yeux, indique le cinéaste. Il s’agissait de chercher à comprendre le fonctionnement d’une mère de 55 ans qui non seulement a eu un enfant à 40 ans, mais qui est née dans les années 20 – puis de la confronter aux grands bouleversements de la société des années 70. Il a fallu à la fois que je mène des recherches et que je puise dans mon propre parcours. »
Mills a emprunté certains traits de personnalité de Dorothea à sa mère. « Elle voulait, elle aussi, devenir pilote, elle a travaillé dans une entreprise dont tous les salariés étaient des hommes et elle adorait les vieux films, surtout ceux avec Bogart », se remémore-t- il. Le grand acteur hollywoodien est devenu un fil conducteur pour le réalisateur, lui-même extrêmement cinéphile. Car si le mouvement punk était emblématique d’une génération qui rejetait les héros traditionnels, Bogart, à ses yeux, était l’ultime archétype masculin à trouver sa place dans le nouveau monde de l’après-guerre qui se dessinait – un homme ténébreux, délicieusement caustique et noble dans un univers pétri d’incertitudes.
« J’ai vu énormément de films de cette époque et les dialogues mordants entre hommes et femmes m’ont aussi inspiré, poursuit le cinéaste. Plusieurs de ces films sont drôles et subversifs et m’ont permis de mieux cerner Dorothea. J’ai compris qu’elle aspirait moins à vivre une grande histoire d’amour avec lui qu’à être Bogart ! Un leitmotiv est revenu sans cesse pendant l’écriture du personnage : Qu’est-ce que ferait Bogart dans cette situation ? »
Le personnage d’Abbie, jeune femme punk qui a abandonné ses rêves d’artiste à New York en se découvrant un cancer, s’inspire d’amis artistes du cinéaste et d’une jeune femme ayant survécu à une tumeur. Car le film parle aussi bien de l’exaltation propre au mouvement punk que de mortalité et de fécondité. « Une amie à moi a souffert du cancer du col de l’utérus et je me suis longuement entretenue avec elle pour les besoins du script », reprend le réalisateur. La toute jeune – mais non moins complexe – Julie s’inspire de plusieurs filles que fréquentait Mills au lycée et qu’il a retrouvées pour les interviewer. « J’ai fait un travail de journaliste pour bien comprendre leur fonctionnement », explique le réalisateur.
Pour autant, il a su imprégner ses recherches journalistiques de considérations plus stimulantes pour l’imagination : la mémoire, l’humour et surtout l’effet du temps qui passe sur les élans du coeur. Mills souligne que les cinéastes qui l’inspirent s’intéressent à l’impact du passage du temps sur l’existence et les relations amoureuses. Il cite souvent Alain Resnais qui a évoqué la nature chaotique du souvenir dans LA GUERRE EST FINIE, HIROSHIMA MON AMOUR et MURIEL, ou encore UN FILM D’AMOUR d’Istvan Szabo où un homme est hanté par une histoire d’amour adolescente qu’il a vécue entre la fin de la guerre et la mise en place du rideau de fer. Le nom de Fellini revient également dans la bouche du réalisateur : il regardait souvent ses films sur son iPad avant de tourner. « Il n’y a pas de plus grand maître que Fellini pour donner à son propre vécu une envergure cinématographique », s’enthousiasme Mills. Malgré tout, 20TH CENTURY WOMEN ne s’intéresse pas seulement au temps qui passe mais surtout à son accélération dans les dernières décennies. Annette Bening remarque : « L’être humain s’est toujours adapté au changement, mais c’est le rythme de ces mutations qui est inédit depuis la fin du XXème siècle. Tout va tellement vite ! Et si j’ai adoré ce scénario, c’est notamment parce que j’étais une jeune fille en 1979, vivant en Californie, si bien que je m’identifie aux personnages féminins du film. Et j’ai aussi l’impression d’avoir été proche de l’ensemble des personnages à un moment ou à un autre de ma vie. À mon sens, on dispose aujourd’hui du recul suffisant pour se pencher sur les dernières décennies du XXème siècle – et c’est exactement ce qu’a fait Mike avec le talent qui lui appartient. »
Au-delà du seul cinéma, le film puise dans d’autres influences socioculturelles : des albums vinyles, des best-sellers, le malaise politique de l’époque, des émissions de télévision à succès et toutes sortes d’objets présents dans les décors. Ils ne datent pas tous de 1979 mais évoquent également l’évolution des goûts artistiques de Dorothea. « On pourrait presque résumer le film à la trajectoire qui va de «As Time Goes By» [chanson emblématique de CASABLANCA, NdT] au groupe de punk Buzzcocks », plaisante Mills.
Le film se distingue essentiellement par ce sentiment entêtant que certains souvenirs et obsessions mêlés composent notre vie personnelle. Mais un autre motif caractéristique du début du XXIème siècle imprègne 20TH CENTURY WOMEN : la mise en abîme et l’autofiction. En effet, en voyant le film, on a le sentiment étrange qu’il s’agit du réalisateur qui se penche sur son parcours personnel d’artiste… en réalisant le film qu’on est en train de visionner !
Billy Crudup intervient : « Notre identité est forgée par notre enfance, mais Mike ne se contente pas de puiser dans sa propre trajectoire : son regard est nourri par le recul qu’il a acquis sur son vécu au fil des années. Il montre que le gamin qu’il était est devenu un vrai cinéaste qui a su mettre au point un style avec lequel il raconte son histoire. C’est pour cela, à mon avis, que ce récit est universel. Mike a réussi à concocter une histoire merveilleuse dans laquelle chacun d’entre nous peut projeter sa propre vie. »
À mi-chemin du récit, la dimension introspective du film entre particulièrement en jeu : Dorothea informe le spectateur de ce qui va bientôt lui arriver, modifiant ainsi notre perception des événements à venir (et nous rappelant que nous avons nous-mêmes une distance de plus de 35 ans par rapport au récit), mais sans détour, ni mysticisme. Ce parti-pris s’est imposé à Mike Mills très naturellement. « Cela correspondait parfaitement à Dorothea, dit-il. Dorothea est constamment insaisissable, un peu comme une arnaqueuse ! Et l’avenir est tellement imprévisible qu’on se trompe systématiquement. Mais elle nous offre un petit aperçu fugace sur ce qui va peut-être se passer… »
DOROTHEA
« Sortons ce soir. J’ai envie de voir à quoi ressemble ce monde moderne. »
« Dorothea a 55 ans et ressemble à Amelia Earhart [première femme aviatrice à traverser l’Atlantique, NdT] », écrit Mike Mills en parlant de sa protagoniste. Dans le film, son fils Jamie la décrit à travers ses contradictions les plus marquantes : elle fait l’inventaire de ses actions tous les matins, elle fume des Salem parce qu’elle sont censées être meilleures pour la santé, elle porte des Birkenstocks parce qu’elles sont modernes, elle lit « Les Garennes de Watership Down », elle sculpte des lapins en bois et ne sort jamais avec un homme pendant très longtemps.
Annette Bening s’est appropriée chacun de ces détails. Mais la comédienne quatre fois citée à l’Oscar (TOUT VA BIEN – THE KIDS ARE ALRIGHT, ADORABLE JULIA, AMERICAN BEAUTY, LES ARNAQUEURS) a réussi à transcender cette simple addition de caractéristiques, comme le souligne le réalisateur. « Tout comme ma mère, Annette est un peu secrète, note-t-il. Elle incarne un mystère à part entière et ce qu’elle fait est magique. Elle possède tellement son métier qu’elle comprend parfaitement la construction des scènes. Mais elle va bien plus loin que la technique d’acteur pour incarner le personnage avec force et être totalement spontanée. Ce que j’aime passionnément chez les acteurs, c’est quand ils réussissent à dépasser la préparation technique d’une scène et qu’ils prennent leur envol – et Annette adore faire ça. On était tous les deux souvent surpris par ce qu’elle faisait devant la caméra. »
Il renchérit : « On a beaucoup parlé de ma mère mais Annette ne s’est pas contentée de l’imiter : elle s’est servie de tous les détails que je lui ai donnés pour livrer une prestation originale. La Dorothea qu’on découvre à l’écran est issue du sens du tempo d’Annette, de son intuition, de son intelligence et de son humour. Elle réussit à se mettre dans la peau d’une femme dans ce genre de circonstances. »
Annette Bening a été aussitôt frappée par les paradoxes profondément humains de Dorothea : « J’aime les femmes pétries de contradictions – et nous en avons tous, dit-elle dans un éclat de rire. Dans la plupart des scénarios, les femmes sont stéréotypées. Mais chez Mike, ce sont des êtres humains complexes, aux multiples facettes. »
En acceptant le rôle, la comédienne a tâché de trouver l’équilibre entre les souvenirs de Mills et sa propre interprétation. « Dorothea n’est pas une incarnation à proprement parler de sa mère, dit-elle, mais pour me préparer au rôle, je me suis nourrie de ses souvenirs d’elle, j’ai vu des photos et j’ai compris ce que cet épisode de sa vie représente à ses yeux. Pour bien jouer un rôle, il faut qu’une savante alchimie se produise entre votre investissement personnel et l’exploration du personnage. C’est d’autant plus facile lorsque l’histoire est formidable et qu’on a le sentiment de puiser dans ses propres émotions tout en étant au service d’une œuvre qui vous dépasse. »
20TH CENTURY WOMEN est une déclaration d’amour aux mères chères à nos cœurs que, toutefois, on ne comprend pas toujours. Autant dire qu’Annette Bening était consciente d’être en terrain miné. « C’était compliqué parce qu’on s’attache forcément à Dorothea mais on la trouve également susceptible et froide, surtout avec son fils, souligne la comédienne. C’est un équilibre subtil car elle encourage les autres à entrer dans son univers tout en faisant comprendre à Jamie qu’il y aura toujours une part d’elle-même qui lui sera inaccessible. Dans une certaine mesure, j’ai considéré que c’était à Mike de résoudre cette équation dans l’intrigue, mais qu’il m’appartenait de jouer chaque situation le plus sincèrement possible. »
L’actrice s’est aussi inspirée de l’héroïne de Dorothea, l’aviatrice Amelia Earhart, qui a bousculé l’image traditionnelle des femmes dans les années 20 et 30. Elle a notamment servi de source d’inspiration pour son style personnel sans prétention. « Quand on voit des photos d’Amelia, on se rend compte qu’elle incarne une toute nouvelle conception de la féminité et de la beauté, note-t-elle. Elle n’a rien à voir avec la tendance actuelle qui privilégie un maquillage sophistiqué, et la quête de perfection physique et d’éternelle jeunesse. Dorothea n’est pas attirée par tout cela : elle n’a pas évolué dans un monde qui a entretenu ce culte de la féminité. C’est une autre de ses contradictions : elle est totalement en prise avec son époque – 1979 – comme son indépendance le prouve, mais elle est aussi issue d’un temps où les moeurs étaient différentes. »
Ce sont ces valeurs plus traditionnelles qui donnent un véritable ancrage à Dorothea mais qui la poussent aussi à s’interroger sur l’avenir – surtout dans cet environnement où elle voit des jeunes femmes mener un style de vie qu’elle n’aurait jamais envisagé à leur âge. « Abbie et Julie jouissent d’une vraie liberté qui, à mon avis, n’échappe pas à Dorothea, reprend Annette Bening. Elle se demande comment elle aurait évolué si elle avait connu le même contexte culturel à son époque. Dans le même temps, elle a suffisamment d’expérience pour savoir que la liberté a un coût et qu’il n’est pas forcément plus facile d’être une jeune femme en 1979. C’est tout simplement différent de ce qu’elle a elle-même vécu. »
À un moment donné de l’histoire, Dorothea est séduite – pour un temps seulement – par William (Billy Crudup), son homme à tout faire, ancien hippie plutôt taciturne. Annette Bening a instinctivement compris l’attirance de son personnage pour William. « J’ai vraiment eu le sentiment que je connaissais William et j’ai ressenti beaucoup d’affection à son égard avant même le tournage, reconnaît l’actrice. Mais Billy l’a campé avec un tel naturel qu’il m’a semblé encore plus irrésistible. » « Je crois que Dorothea est la première surprise par ses sentiments vis-à-vis de William mais elle n’est pas prête à remettre en question son indépendance pour s’engager davantage, reprend-elle. Je ne sais pas si c’est une bonne ou une mauvaise chose, mais elle est comme ça. C’est quelque chose dont on prend conscience en vieillissant : nous faisons tous de notre mieux mais nous savons aussi quelle limite nous ne franchirons pas même si cela nous coûte. J’ai aimé jouer un personnage qui en est conscient. S’il y a bien une chose à laquelle Dorothea n’est pas prête à renoncer, c’est son indépendance d’esprit. Elle ne fera aucune concession sur ce qu’elle considère comme son intégrité».
Annette Bening a demandé à Mills de porter un bijou ayant appartenu à sa mère : elle arbore ainsi un bracelet en argent tout au long du film. « C’était un peu comme un talisman, souligne le réalisateur. Je considère souvent le cinéma comme un tour de magie et de spiritisme et je trouve donc que c’est une bonne idée de convoquer les muses pour vous guider. » La comédienne reconnaît que ce genre d’objet revêt une résonance mystérieuse. « Le plus important, c’est que ça comptait beaucoup pour Mike, dit-elle. On sait tous qu’un objet totalement banal aux yeux d’un tiers peut nous bouleverser personnellement. Les accessoires qu’a utilisés Mike n’avaient rien de particulier en eux-mêmes mais c’est la force qu’ils symbolisent qui compte vraiment. Grâce à eux, on plonge de plain-pied dans l’histoire. »
ABBIE
« Il faut que je m’invente une histoire. »
Dorothea engage Abbie, à qui elle loue une chambre, pour l’accompagner dans l’éducation de Jamie. D’une formidable créativité, cette jeune femme a mené une véritable introspection et tente désormais de retrouver sa place après avoir survécu à un cancer qui a entamé sa foi en l’avenir. Comédienne, scénariste et réalisatrice surtout connue pour ses rôles dans GREENBERG, FRANCES HA et MISTRESS AMERICA de Noah Baumbach, Greta Gerwig a été emballée par le personnage d’Abbie.
« Au départ, c’était difficile de m’imaginer qui pouvait camper le rôle, reconnaît Mills. Mais j’ai ensuite pensé à Greta. Elle connaît le milieu artistique et elle a elle-même quitté Sacramento pour tenter sa chance à New York dans le théâtre expérimental. Mais elle a aussi été touchée par la mélancolie et la part d’ombre d’Abbie. Elle était tellement en empathie avec elle qu’il lui arrivait de pleurer quand on parlait du personnage tous les deux. Elle est drôle et vive tout comme Abbie et elle réussit à exprimer des émotions profondément ancrées en elle. »
La comédienne s’est prise d’affection pour le personnage dès sa lecture du scénario. « J’ai ressenti une proximité immédiate avec elle, se souvient-elle. Je sais ce que c’est d’être originaire de Californie et d’aspirer à frayer dans le milieu artistique newyorkais. Avec son état d’esprit, son côté ténébreux et ses angoisses, elle a l’impression qu’elle n’a pas vraiment sa place en Californie et c’est pour cela qu’elle en est partie. Mais elle a dû y revenir et elle le vit difficilement. »
Si Greta Gerwig est venue à New York pour le théâtre, elle a apprécié de se plonger dans l’univers d’Abbie : le milieu de l’art et de la photographie des années 70, de style délibérément réaliste. C’était la fin d’une période où New York n’avait rien à voir avec ce que la ville est devenue aujourd’hui : les loyers des lofts étaient encore abordables, la criminalité était alarmante, et on assistait à un foisonnement de spectacles d’expression corporelle très physiques, de photographies naturalistes, de tapisseries d’inspiration féministe, de graffitis, de galeries d’art anticonformistes et d’oeuvres écologiques. « C’était galvanisant d’explorer cet univers à travers le regard d’Abbie, relate la comédienne. La danse, la peinture, la musique, la photo et la ‘street culture’ se donnaient rendez-vous à Soho à l’époque et c’était sans doute un spectacle fascinant pour Abbie. »
Greta Gerwig a étudié l’oeuvre de la photographe Cindy Sherman dont les autoportraits où l’artiste se met elle-même en scène fustigent les archétypes de la représentation de la femme dans la culture populaire du XXème siècle. Elle s’est également intéressée à l’artiste féministe Barbara Kruger connue pour juxtaposer ses photos de slogans provocateurs (« Votre corps est un champ de bataille ») et à l’artiste punk Patti Smith qui, parmi d’autres, a exploré l’image du corps de la femme et sa chosification. « C’était une époque où les femmes photographes s’attachaient à leur propre représentation et à l’idée du regard, ajoute la comédienne. Ce que je retiens de ces artistes, c’est un mélange de sexualité, de force et de dureté, mais aussi la farouche volonté de faire en sorte que tout cela vibre dans leur oeuvre de manière incandescente. »
Le réalisateur et la comédienne ont évoqué plusieurs sources d’inspiration pour le rôle, à l’instar de la bassiste androgyne des Talking Heads Tina Weymouth et de la chanteuse Debbie Harry, du groupe Blondie, qui a donné une vision assez sombre de la pin-up. Greta Gerwig précise : « Ce qui était très attirant chez ces filles punk, c’est qu’elles semblaient dire : «Je suis sexy mais ce n’est pas pour vous». Elles n’étaient pas aguicheuses. Leur sensualité avait presque un côté dangereux. Et je crois que ce style punk où les sentiments comptent davantage que le talent résonne très fort chez Abbie. »
Pour s’approprier davantage encore le rôle, Greta Gerwig s’est baladée avec un appareil photo des années 70 pendant des mois et s’est astreinte à ne pas écouter de musique enregistrée après 1978. Puis, elle s’est teint les cheveux avec la coloration temporaire Manic Panic sortie en 1977 qui séduisait les premières femmes punk.
Aussi séduisante et fière soit-elle, Abbie se sent en revanche profondément vulnérable : elle récupère en effet d’un cancer causé par le Distilbène qui modifie son regard sur la sexualité et la maternité. Elle s’est entretenue avec des femmes souffrant de cancer du col de l’utérus et a lu plusieurs ouvrages sur des malades atteintes de tumeurs. « Ces femmes ont eu la