LA VOLANTE
Thriller/Assez prenant malgré des défauts
Réalisé par Christophe Ali et Nicolas Bonilauri
Avec Nathalie Baye, Malik Zidi, Johan Leysen, Sabrina Seyvecou, Jean Stan Du Pac, Pierre-Alain Chapuis, Hervé Sogne, Aïssatou Diop...
Long-métrage Français/Belge/Luxembourgeois
Durée: 01h27mn
Année de production: 2015
Distributeur: Bac Films
Date de sortie sur nos écrans: 2 septembre 2015
Résumé : Alors qu’il emmène sa femme à la maternité pour accoucher, Thomas percute et tue un jeune homme sur la route. Marie-France, la mère de ce dernier, ne parvient pas à se remettre du drame. Neuf ans plus tard, Marie-France devient la secrétaire de Thomas sans qu’il sache qui elle est. Peu à peu, elle s’immisce dangereusement dans sa vie et sa famille jusqu’à lui devenir indispensable.
Bande annonce (VF)
Ce que j'en ai pensé : Hier soir, j'ai été invitée à découvrir LA VOLANTE au MK2 Bibliothèque. L'équipe du film a eu la gentillesse de venir nous dire quelques mots, avant la projection, que je vous partage dans la vidéo ci-dessous :
J'ai été plutôt agréablement surprise par la capacité des réalisateurs, Christophe Ali et Nicolas Bonilauri, à faire monter la pression insidieusement au travers de leur personnage principal, Marie-France, interprétée par Nathalie Baye. Certaines scènes sont très réussies tant le malaise est palpable. Dans la première partie du film notamment, les échanges entre Marie-France et Thomas, interprété par Malik Zidi, sont très bons car ils illustrent la relation entre les deux protagonistes et placent le ton du film qui par la suite reste cohérent.
Nathalie Baye sait parfaitement interpréter la femme ambiguë qui joue sur tous les tableaux incluant la bienveillance teintée d'envahissement de la vie privée et les bons petits soins qui entraînent irrémédiablement dans l'engrenage perverse de son plan diabolique.
Malik Zidi, au travers de son personnage, s'associe bien à cette personnalité car il hésite, ne sais pas trop la gérer et se laisse faire. Il donne vie aux fragilités et aux faiblesses de Thomas.
Par contre, quelques scènes, censées nous attrister ou nous effrayer, ne sonnent pas justes et c'est dommage, on n'y croit pas. Cela casse un peu le rythme du thriller. Il y a également de petites longueurs vers le milieu du film. Mais je l'ai trouvé tout de même assez prenant.
Au-delà de ses défauts, il s'en sort honorablement pour nous raconter cette histoire dans laquelle la folie fait peur car elle est froide et calculée, jusqu'au moment où elle devient incontrôlable. Si vous aimez les thrillers français, je pense que celui-ci peut vous intéresser.
NOTES DE PRODUCTION
(A ne lire qu'après avoir vu le film pour éviter les spoilers !)
ENTRETIEN AVEC CHRISTOPHE ALI ET NICOLAS BONILAURI
Qu’évoque pour vous ce titre énigmatique ?
Une volante, c’est une expression un peu désuète pour désigner ces secrétaires intérimaires qui passent d’un poste à un autre au sein d’une administration. Ce mot, qui peut se confondre par sa sonorité avec la voleuse ou la violente, a titillé notre imaginaire. C’est un titre à double tranchant.
Comment est né ce projet ?
Nous travaillons dans une administration et à ce titre avons croisé plusieurs volantes. Nous nous sommes souvent interrogés sur qui elles étaient, d’où elles venaient, où elles repartaient ensuite. Nous voulions également traiter cette relation si particulière qui peut exister entre un directeur et sa secrétaire. Ils forment souvent un couple à part entière, passant beaucoup de temps ensemble, parfois plus qu’avec leur conjoint. On est parti de ce postulat pour dériver vers quelque chose de plus dramatique et tenter de répondre à cette question « connaissez-vous vraiment la personne avec laquelle vous travaillez ? ». Il s’agissait d’imaginer la face cachée de cet(te) inconnu(e) qui travaille en face de vous derrière son ordinateur, via le genre codifié du thriller.
Comment avez-vous construit le personnage de Marie-France ?
Cela s’est fait en plusieurs étapes. Dans le prologue, tout ce que l’on sait d’elle c’est qu’elle est la mère du jeune homme renversé par la voiture de Thomas et de son épouse alors qu’ils se rendent à la maternité. Elle apparaît alors comme une femme ordinaire endeuillée. Lorsqu’on la retrouve neuf ans plus tard, une vraie transformation s’est opérée. Devant son miroir, elle se construit un nouveau personnage, son visage n’est plus tout à fait le même. Nous voulions ainsi jouer avec l’idée qu’elle est comme une comédienne interprétant un rôle, celui de Marie-France la secrétaire comme on peut d’ailleurs parfois jouer un rôle sur son lieu de travail. Est-ce qu’on est vraiment le même à la maison et au bureau ? Est-ce qu’on ne joue pas un rôle ? Notre démarche était encore de cet ordre. Par ailleurs, il était important qu’à la fin on retrouve l’humanité du début. Le masque tombe enfin, même si c’est trop tard pour elle. L’idée était de sortir du film avec l’idée que cette femme n’était pas seulement un monstre mais d’abord une femme blessée, meurtrie. Atténuer le côté monstrueux que peut dégager Marie-France, cela passait aussi par ce moment où elle interprète une berceuse au piano. C’est un indice sur son ancienne personnalité, on a imaginé très tôt qu’elle était musicienne avant. Donner des cours de clarinette à son fils fait partie des éléments qui vont lui servir pour s’infiltrer plus aisément dans la vie de Thomas. Le parti-pris de départ était d’en dire le moins possible sur elle en égrenant toutefois quelques indices sur qui elle était avant le drame. Le minimalisme de ce que l’on révèle la rend d’autant plus dangereuse et inquiétante. Garder une opacité sur ses motivations était d’autant plus ardu qu’on la suit constamment. C’est son point de vue que l’on adopte et c’est aussi pour rester dans cette opacité que nous avons choisi de rester avare dans les dialogues et d’éviter que les personnages n’étalent leurs états d’âme trop ouvertement. Nous tenions à éviter toute forme d’hystérie et à trouver la juste dynamique de la relation entre Thomas et Marie-France.
Quelle est la nature de la relation entre Marie-France et Thomas ?
Ils sont liés par un secret, ce trauma originel qui pèse sur l’ensemble des personnages, cet accident sur lequel Thomas ne s’étend jamais, enfoui en lui comme une honte et un traumatisme indicible et que Marie-France ne peut évoquer sans révéler sa vraie identité. Nous voulions aborder en profondeur la question de la relation entre une secrétaire et son patron, autant dans le rapport de séduction - ce dont Marie-France joue pour parvenir à ses fins - que cette relation de subordonnée à supérieur qu’elle détourne à son avantage. Elle rentre dans la vie de Thomas d’abord en s’imposant dans son cadre professionnel puis en s’imposant dans le cadre privé sous de faux prétextes, se révélant autant efficace au bureau que comme femme d’intérieur. Elle joue sur les deux tableaux pour mieux pénétrer son intimité. Les rôles sont rapidement inversés, ce n’est plus le supérieur hiérarchique qui domine mais cette volante qui prend le pouvoir dans l’entreprise et dans la vie de Thomas. Cette femme a très bien cerné la faille de Thomas qui a perdu sa mère assez jeune et c’est au final la place qu’elle semble prendre même si elle est à la limite d’un jeu de séduction, d’une forme d’inceste par procuration. On aimait bien finalement l’idée de renverser le cliché du patron plus âgé avec une jeune secrétaire.
Le rapport entre Marie-France et Thomas ne cesse d’évoluer. Elle s’immisce dans sa vie comme une araignée tisserait sa toile autour de sa proie.
Le thème de la veuve noire est éminemment cinématographique. Elle tisse en effet sa toile et resserre son emprise sur Thomas par étapes, comme lorsqu’elle s’endort dans son lit, un peu comme si la belle au bois dormant s’endormant dans le berceau devenait la fée Carabosse. On a pris plaisir à jouer avec ce côté troublant, presque sensuel.
Le personnage de Marie-France a-t-il une dimension irréelle pour vous ?
Nous recherchions une forme d’abstraction. Marie-France n’est pas un personnage réaliste mais plutôt une figure de cinéma qu’on voulait dessiner en toute liberté. Marie-France se construit un personnage donc elle est volontairement artificielle, ce que nous avons accentué en lui faisant porter une perruque et un maquillage un peu fantomatique. Pour nous il y a un moment très précis où le film glisse vers autre chose que le drame psychologique classique, c’est lorsque Marie-France prend sa voiture pour aller commettre l’irréparable. C’est un plan qu’on a calqué très ouvertement sur Psychose lorsque Janet Leigh s’enfuit au volant de sa voiture avec l’argent qu’elle a dérobé à son employeur. Sur le tournage on a montré ce plan à Nathalie Baye et à notre chef opérateur Nicolas Massart avec l’idée de tourner quasiment de la même façon ce plan, avec le même cadrage, le même regard pour illustrer ce basculement dans le film comme il y en a dans Psychose. Notre film est lui aussi scindé en deux, avec une première partie de vie de bureau et un basculement plus directe vers le thriller.
L’idée de l’enfant de substitution se révèle petit à petit...
Nous ne voulions pas révéler les véritables intentions de Marie-France trop rapidement. L’idée avec nos scénaristes (Jacques Sotty et Philippe Blasband) était de contourner cette simple idée de vengeance à laquelle on pense très vite et de glisser vers autre chose de plus trouble, ce désir d’amour maternel à combler et l’idée d’une compensation affective pour la perte de son fils unique. Et soudain, plus rien d’autre ne compte pour elle que ce fils de substitution. Mais Marie-France ne peut pas devenir la mère de Léo si sa mère biologique est encore présente. Elle est son pire ennemi et tant qu’elle sera présente, elle ne pourra pas redevenir mère. La deuxième partie révèle plus de choses sur la personnalité réelle de Marie-France comme son côté hyper dominateur avec le petit, suggérant qu’elle a dû être une mère dominatrice et castratrice, à tel point que l’on s’interroge sur l’accident originel du fils. On laisse planer le doute sur ce qui s’est passé, laissant le soin au spectateur de combler certaines ellipses.
Vous jouez d’ailleurs beaucoup avec les ellipses aussi ?
C’est un des points de départ de la structure du film. Nous aimons assez les ellipses au cinéma, laisser entrevoir que des choses se sont passées mais que nous ne voyons pas à l’écran. Il était important pour le personnage de Marie-France que suffisamment de temps et d’années s’écoulent pour lui laisser le temps de construire de façon crédible son projet. Quel fut le parcours de Marie-France pendant ces années ? Que s’est-il passé entre Thomas et sa femme ? Nous préférions laisser au spectateur le soin de fantasmer cette partie du récit. Et quand Marie-France arrive au bureau neuf ans plus tard, se pose alors la question de son but ultime. Le puzzle se reconstitue au fur et à mesure, et pourtant une part d’ombre perdure jusqu’au bout.
Le rôle de Marie-France est inédit dans la filmographie de Nathalie Baye.
Nous n’avons imaginé personne d’autre pour l’incarner. La rencontre avec Nathalie Baye a été magique. Trois jours après lui avoir envoyé le scénario, elle demandait à nous rencontrer, à voir nos précédents films et a accepté rapidement de rejoindre ce projet. Elle avait une idée précise de jusqu’où elle était prête à aller dans la folie de Marie-France et tenait à travailler sur l’apparente normalité de cette femme tout en distillant de petites fractions de folie pour faire ressentir que derrière cette apparente normalité une faille est bien présente. Jouer une vraie méchante l’amusait beaucoup, elle n’avait pas vraiment tenu ce genre d’emploi. Dérouter le public en faisant commettre des actes si horribles à une comédienne avec un tel capital sympathie nous séduisait beaucoup, elle aussi, il nous semble. Elle est précise et étonnante tout le temps. Nathalie s’est investie dans notre désir de cinéma et nous a donné exactement la Marie-France dont on rêvait. C’était d’ailleurs son ambition, servir avec générosité notre vision du personnage et notre histoire. Nous l’aurions bien poussée dans plus de violence mais elle disait (avec raison) qu’il fallait éviter de tomber dans le grand guignol. L’observer face à Johan Leysen exposer sa détresse de ne plus voir Léo nous a véritablement fait frissonner. Nous avions l’impression de voir une Marie-France plus vraie que nature, celle de nos rêves.
Et comment avez-vous choisi Malik Zidi ?
Thomas est un jeune cadre autoritaire au sein de l’entreprise mais maladroit et un peu renfermé. Il existe peu d’acteurs dans la tranche d’âge du personnage, que nous imaginions avoir entre 35 et 40 ans. Malik Zidi s’est imposé lors des essais face à Nathalie Baye qui s’est généreusement prêtée à l’exercice. Le voir en face d’elle a été rapidement une évidence. Il a apporté à Thomas une dimension troublante, sa sensibilité à fleur de peau et une part d’ombre. Il a apporté cette ambiguïté que l’on cherchait à créer dans leurs rapports, entre le fils et l’amant potentiel. Il est sur le fil, à la fois méfiant et totalement à sa merci.
Pouvez-vous également évoquer le reste de la distribution ?
L’homogénéité du scénario dépendait du choix de l’ensemble de la distribution. Nous cherchions avant tout à créer une famille crédible. Il était important pour nous que la famille soit crédible physiquement pour entourer Marie-France. Johan Leysen est un acteur magnifique. Il a su donner au personnage du père de Thomas une grande humanité alors qu’il est plutôt habitué au personnage de dur à cuire. Trouver un enfant qui sait être juste sans faire trop professionnel est toujours un exercice compliqué. Notre directrice de casting nous a aiguillés vers Jean-Stan Dupac qui s’est révélé adorable. Il avait une vraie complicité avec Malik rendant leur lien familial naturel. Sa performance est d’autant plus impressionnante qu’on n’avait que très peu de jours, le tournage étant éclaté sur plusieurs pays pour des raisons de production. Il était toujours disponible, prêt, répondant exactement à nos intentions. Nous avions croisé Sabrina Seyvecou il y a dix ans pour le casting de Camping Sauvage et on ne l’a pas oubliée depuis. Nous voulions une comédienne crédible en maman d’un enfant de neuf ans, dans la même tranche d’âge que Malik. Elle a une présence unique et forte en peu de scènes. Ses essais avec Malik ont été là encore une évidence.
Aviez-vous des sources d’inspiration pour ce film ?
Nous avons beaucoup pensé à Pas de printemps pour Marnie d’Alfred Hitchcock et à ce personnage de secrétaire qui cache un passé trouble. Nous avons été marqués par ce premier plan où on la voit marcher de dos sur le quai de gare avec son sac. Où va-t-elle et que cache-t-elle, dans son sac comme dans sa tête ? Ça débouche sur le principe de mise en scène qu’on a voulu pour le film. Dès le départ notre parti-pris était de réaliser les mouvements de caméra en machinerie, sur des rails et non pas caméra à l’épaule. Nous voulions une caméra discrète qui va lentement rechercher les personnages, traquer un visage qui épie ou qui est observé, à travers des fenêtres ouvertes ou fermées, des vitres opaques ou claires à travers lesquelles se cacher ou épier. Nous cherchions des mouvements aussi invisibles que peut chercher à l’être Marie-France. L’idée maîtresse de la tonalité de la mise en scène, c’était une forme de froideur qui refléterait le tempérament de Marie-France. D’ailleurs pour l’aspect plus émotionnel, notre référence était plutôt Monsieur Hire de Patrice Leconte avec ce personnage solitaire, marqué par une blessure intérieure qui vit sa vie en regardant à distance celle des autres.
Quelles étaient vos ambitions sur la musique ?
Pour accompagner l’évolution du drame vers le thriller psychologique à l’ambiance vénéneuse puis au pur film de genre, nous voulions une musique toute en retenue dans sa première moitié puis plus ample avec la dangerosité grandissante du personnage. Dès l’écriture, nous avons envisagé une composition principalement classique et élégante à l’image de Marie-France, qui épouserait ses contours psychiques sans dévoiler son plan machiavélique ni révéler au spectateur trop rapidement la progression de l’histoire. Nous avons été très heureux de travailler avec le compositeur Jérôme Lemonnier dont nous suivons le travail depuis longtemps, notamment sur les films de Denis Dercourt dont La Tourneuse de pages. La précision et la finesse de ses mélodies nous semblaient évidentes pour donner au film sa tonalité hitchcockienne. La musique est comme la voix intérieure de Marie-France.
Comment s’est passée la collaboration avec votre producteur Tom Dercourt ?
Il a été un soutien indéfectible pendant toutes ses années pour mener à bien notre projet. Nous sommes vraiment très liés. Nous avons commencé ensemble avec Le Rat et avons vécu beaucoup de choses fortes depuis. Il est comme le troisième larron de notre couple. C’est quelqu’un d’exalté pour qui le cinéma est une priorité. Cette confiance est très importante pour se dire les choses avec franchise. Il peut aussi endosser le rôle d’arbitre entre nous deux quand nous ne sommes pas d’accord.
Comment La Volante s’inscrit dans votre parcours d’auteur ?
Cette histoire résonne avec notre premier film Le Rat ou un vieil homme est à la recherche de sa mère. Là finalement c’est un peu son contrechamp où une mère recherche un fils. Et comme dans Camping Sauvage, on croise des personnages à la marge, un peu « borderline ». Mais nous voulions aussi être plus ouverts et accessibles au grand public avec ce film à l’équilibre entre le drame psychologique et le film noir, avec une approche plus réaliste que d’habitude dans notre parcours même si l’histoire ne l’est pas réellement dans son traitement.
ENTRETIEN AVEC NATHALIE BAYE
Interpréter un personnage aussi diabolique et commettre des actes aussi terribles, c’est plutôt inédit pour vous. C’est une dimension du projet qui vous a séduite ?
En général, c’est un projet dans son ensemble que j’accepte et le scénario était très bien construit. Le cinéma de genre est une denrée rare en France et j’ai dit oui très rapidement après avoir rencontré Christophe Ali et Nicolas Bonilauri et vu leurs précédents films. Mais effectivement le personnage m’a plu. Jouer un rôle qui s’enfonce aussi loin dans la folie peut être casse-gueule pour une actrice, mais dans l’ensemble c’est plutôt excitant.
Comment avez-vous travaillé avec les réalisateurs ?
Je ne les connaissais pas avant. C’est d’ailleurs la première fois que je travaille avec deux réalisateurs, c’est parfois déstabilisant. Ce sont deux garçons très particuliers, très différents l’un de l’autre mais aussi très complémentaires. Je leur ai fait confiance parce qu’ils me semblaient intéressants. J’ai beaucoup aimé Camping Sauvage, Le Rat aussi. Je trouvais qu’ils avaient su, avec de tous petits moyens, faire ce premier long-métrage où il y avait déjà un climat, une atmosphère, un point de vue, un rythme et où les acteurs étaient bons. J’ai beaucoup travaillé avec eux en amont, la communication était très bonne pendant le tournage, avec un grand respect mutuel entre eux et moi. J’ai senti assez rapidement que quand ils obtenaient ce qu’ils voulaient, ils n’allaient pas vainement chercher autre chose. Ils savaient où ils allaient.
Qui était Marie-France avant de perdre son enfant ?
Je ne me suis pas posée trop de questions sur ce qui se passe en amont du film. Je me suis focalisée sur le moment présent et son présent est pour le moins chargé. Beaucoup d’éléments explicatifs ont été coupés, ça devenait anecdotique. Ce qui est certain, c’est que ses actes ne sont pas très raisonnables. Pendant les neuf années qui ont suivi l’accident, elle a préparé son projet, elle l’a mûri et attendu le bon moment pour agir. Elle s’est transformée, a construit un personnage, trouvé un appartement en face de chez Thomas et sait qu’il est séparé de sa femme. C’est donc une folie organisée, mais une vraie folie, maîtrisée seulement jusqu’à un certain point. Je suis convaincue que Marie-France était déjà fragile avant le drame, comme des hommes et des femmes que l’on côtoie au quotidien. Perdre son enfant est la pire des choses. J’ai une admiration très grande pour ceux qui survivent à un tel drame. Dans ce cas, les gens s’en sortent comme ils peuvent. La folie s’est totalement emparée de Marie-France. Elle est passée de l’autre côté du miroir, incapable de se remettre de son deuil. Elle n’est pas née criminelle mais quelque chose s’est définitivement brisé en elle. Ce n’est même plus de la vengeance, cette idée est dépassée dans son esprit. Ce qu’elle veut, c’est redevenir une mère, que ce petit garçon devienne le sien. C’est de l’ordre de la démence.
Plus que la vengeance, sa motivation principale est donc la substitution d’un enfant à un autre ?
Son enfant est mort le jour de la naissance de celui du conducteur qui a renversé son fils. Cela lui paraît naturel de s’approprier le petit Léo. Des choses invraisemblables ont dû se passer dans sa tête pour en arriver à de telles extrémités et envisager de récupérer l’enfant d’un autre pour compenser sa perte. Elle ne s’est pas dit « je vais tous les tuer et voler l’enfant ». Je pense plutôt qu’elle espérait devenir à nouveau mère. Lorsque la mère de Léo se rapproche à nouveau de Thomas dont elle est séparée, Marie-France se lance dans une entreprise radicale. Si j’ai réussi à atteindre l’émotion que visaient Christophe et Nicolas dans la toute dernière séquence, c’est parce qu’à ce moment-là précis, le garçon est à elle et à elle seule et elle peut s’abandonner. Il y a presque du plaisir en elle, même si elle ne montre pas vraiment d’émotion. Pour elle, mourir ne représente rien, se faire attraper et aller en prison encore moins. Elle est déjà enfermée, elle a touché le noir absolu.
La scénario n’est pas explicite sur le passé de Marie-France...
C’est quelque chose que j’aime énormément dans le scénario, on ne tombe jamais dans le psychologique. Ça pourrait devenir laborieux si tout était explicité. On ignore par exemple quand elle a appris la naissance de Léo, mais ne pas tout savoir ne me dérange pas. J’ai besoin de comprendre les motivations au moment d’une action mais ce qui se passe en amont est moins important pour moi.
Les scènes de meurtres sont très sèches, on ne s’éternise pas sur elles...
Christophe et Nicolas ont une appétence pour les scènes de meurtres, ils sont vraiment doués pour ce genre de choses parce qu’ils sont très audacieux. L’une des caractéristiques de Christophe et Nicolas, c’est qu’ils ne craignent pas d’aller droit au but. Si les gestes de Marie-France avaient été plus hésitants, si elle affichait une résistance morale aux actes qu’elle commettait, le résultat aurait pu être mou. C’est déjà difficile à mettre en scène pour les réalisateurs et à jouer pour les acteurs, il est donc préférable d’être direct et précis. C’est aussi net et radical que lorsqu’elle rentre dans le bureau de Thomas. Dès son arrivée, alors qu’elle n’est qu’une secrétaire intérimaire, elle prend possession des lieux, fait le tri dans les dossiers, fouille un peu partout dès qu’elle s’y retrouve seule. J’ai trouvé ça gonflé, je n’oserais jamais faire ça, moi, j’aurais la trouille de me faire prendre avec ces vitres partout, n’importe qui pouvait la voir... Mais cette femme a perdu la seule chose qui lui était chère, elle ne craint plus rien. Visiblement c’est une femme qui est seule, elle avait un être et un seul qui comptait pour elle et soudain il n’est plus là. C’est là ma principale motivation pour le personnage.
L’humour n’est pas absent...
Ces petites soupapes sont importantes pour alléger la tension d’une histoire aussi particulière. Je crois qu’Hitchcock disait quelque chose de cet ordre. Une fois qu’il estimait le scénario prêt, il cherchait cinq endroits où les gens allaient rire. Marie-France a un tel culot, un tel aplomb, cela crée un décalage qui peut susciter le rire. Elle va jusqu’au mariage avec un type dont elle n’a rien à faire pour rester dans l’entourage de Thomas. Quand j’ai lu la scène de la cave, je me suis dit... c’est un peu dingue quand même !
Comment avez-vous préparé l’apparence physique de Marie-France ?
Elle devait se composer un personnage de secrétaire bien sous tous rapports. Très vite, je me suis aussi dit qu’il lui fallait comme une nouvelle tête et j’ai tout de suite pensé à la perruque pour marquer une nette différence de coiffure. Christophe et Nicolas avaient des réserves au départ mais ont été rassurés que cela ne se voit pas à l’écran. Pour les costumes, on leur a proposé des choses classiques, intemporelles, rien de particulier, il fallait avant tout correspondre à l’idée que l’on se fait d’une secrétaire professionnelle. Elle n’essaie pas de se faire remarquer, n’est ni trop maquillée ni trop coiffée ni trop habillée. Elle est passe-partout.
Comment avez-vous travaillé avec vos partenaires ?
Je n’avais jamais travaillé avec aucun d’entre eux. Malik Zidi est vraiment un acteur formidable. Il apporte un truc en plus comme s’il portait un secret en lui et a très bien cerné l’ambivalence de Thomas. Je me suis très très bien entendue avec lui et nous étions très complices sur le tournage. J’aimais bien travailler avec lui car on ne sait jamais ce qu’il va faire, il a un jeu très subtil, pouvant être dur comme fragile. Avec les enfants, c’est toujours un peu compliqué mais Jean Stan du Pac était vraiment très bien dans le film. J’ai aussi découvert Johan Leysen dont je connaissais le travail. Il est très agréable, sympathique, intelligent, drôle. Vraiment un très bon partenaire.
Vous connaissiez ce terme de volante ?
Non, pas du tout. C’est un beau mot, presque désuet, intrigant. J’aime le slogan qui précise « Une bonne secrétaire sait se rendre indispensable », ça permet aussi de contextualiser ce mot méconnu.
ENTRETIEN AVEC MALIK ZIDI
Qu’est-ce qui vous a séduit dans le projet et le personnage de Thomas ?
Ce qui m’a plu en premier lieu, c’est la rencontre avec les réalisateurs Christophe Ali et Nicolas Bonilauri. J’ai aimé tout de suite leur scénario et le processus psychologique des personnages. C’est un film de genre mais accessible, sans stylisation excessive. C’est un rôle important et fort pour moi. Je joue un père, c’est un rôle d’homme. Le face à face avec Nathalie Baye est un cadeau, je partageais quasiment toutes mes scènes avec elle. L’entente avec elle a été formidable. Le film est un très bel objet dont je suis très fier.
Comment avez-vous travaillé avec les réalisateurs ?
Christophe et Nicolas sont deux êtres singuliers et complémentaires. Ils sont projectionnistes dans un cinéma, ont touché de la bobine, du cinéma concrètement. Sur le tournage, ils sont aériens, parlent assez bas mais sont très précis dans leurs directions. Ça crée une ambiance assez particulière sur le plateau, comme je n’en avais jamais vécue. Parfois l’un vient vers vous, l’autre est plus là pour regarder la caméra, ils se complètent. Ils ont rêvé leur film pendant neuf ans, ont eu le temps d’y penser. Du coup ils avaient une vraie rigueur, une direction, tout en étant très doux, très délicats. J’ai l’impression qu’ils se sentaient bien entourés avec nous. Il y avait un échange, on avait tous envie que ça prenne. Leur direction d’acteur n’est pas classique. Ils nous faisaient entièrement confiance, nous laissant faire et en même temps rajoutant une touche comme ça, pas loin du pointillisme, sur la palette de couleurs de notre jeu. Rien que de les observer tous les deux, on était déjà un peu dans le film.
Vous connaissiez leur travail ?
J’avais vu Camping Sauvage et Le Rat aussi, leur premier long à la David Lynch. Ce sont de vrais cinéphiles, mais sans intellectualisme. Le film est au fond assez classique dans la forme mais pourtant c’était leur objet bien à eux. Ils se refusaient à faire de la psychologie à outrance, le récit ne passe pas par des explications verbalisées.
Quel regard portez-vous sur la relation de Thomas avec Marie-France ?
Toute emprise psychologique se fait par un transfert. Thomas fait un transfert sur elle en pensant à sa mère disparue quand il était jeune mais aussi à sa séparation d’avec sa compagne. Pour Marie-France, c’est comme si elle retrouvait son enfant mort. C’est de l’ordre du vaudou, la chaîne de son fils qu’elle remet plus tard à Léo symbolise cela. À la limite, ça aurait pu être une petite statuette avec des épingles dessus. C’est vraiment un film sur le transfert, un peu un conte aussi. Marie-France vient dévorer son enfant, sa famille, son histoire petit à petit avec sa séduction, son élégance. Quand Thomas la voit pour la première fois au bureau, elle est impressionnante et sûre d’elle, lui sort d’une histoire terrible, est engoncé dans un métier qui ne lui plaît pas plus que ça mais le maintien en vie. Il y a beaucoup de solitude chez Thomas et Marie-France pallie soudain ce vide avec sa fausse bienveillance. Elle met de l’ordre dans le bureau, dans sa tête, dans sa vie mais ce n’est qu’une illusion. Marie-France est comme une sorcière qui prend beaucoup de place d’un seul coup. Il résiste mais a besoin d’elle, c’est pour ça qu’elle gagne. J’ai adoré interpréter ce personnage. Il y avait beaucoup de choses à jouer, des sous-entendus, on est même à la limite du passage à l’acte lorsqu’il la trouve allongée dans son lit un soir.
Le décor de votre appartement est spécial...
Nous avons tourné entre le Luxembourg et la Belgique. Il faisait sombre, les lieux traversés ne sont pas habituels, ni très branchés ni contemporains. Si l’on s’était retrouvé dans un décor haussmannien typique du cinéma français, il n’y aurait pas eu cette charge du passé, comme si le temps s’était arrêté après cet accident. Même les objets se sont arrêtés. Je voyais ça comme ça. La première fois que je suis rentré dans l’appartement de Thomas, je me suis dit qu’il avait de drôles de goûts. Son papier peint est particulier quand même ! Le décor me rappelait Fassbinder et Gouttes d’eau sur Pierres brûlantes de François Ozon dans lequel j’ai joué mais surtout le Shining de Kubrick. Ce décor aide pour la caractérisation et saisir la noirceur des sentiments. Tout était là pour que ce soit tendu, sur le fil. Le côté intemporel du film passe aussi par ces éléments. Il existe une vraie opposition entre les intérieurs de son appartement qui ressasse son passé et sa vie de bureau, plus moderne où tout est blanc et froid, où il faut bosser et fermer sa gueule.
Vous vous êtes posé la question de savoir pourquoi Thomas ne reconnaît pas Marie-France alors qu’ils se sont aperçus à l’hôpital ?
Il la voit à peine. Thomas est encore sous le choc, anesthésié par la douleur, dans un chaos émotionnel. Il vient d’être papa et en même temps il a tué quelqu’un. Marie-France l’a regardé mais Thomas la voit à peine, il marche tête baissée. Au moment où il la croise, il est sur le point de rejoindre sa femme qui vient d’accoucher. Il ne prête pas vraiment attention à elle à ce moment.
Le film se comprend plus par les images que les mots.
Par les pressentiments aussi. Le problème avec ce genre de films quand on est acteur, c’est qu’on a déjà lu la fin ! On prend le risque d’anticiper les intentions, de « pré-jouer ». Sur le plateau, parfois, on enlevait des phrases, on tendait les situations, on jouait à travers nos échanges de regards. C’est aussi une histoire sur le pardon, comment faire avec notre passé et la douleur qui l’accompagne. Le film repose beaucoup sur le jeu et les non-dits, je le trouve chargé de plein de choses, même sans en avoir l’air. Dès le départ ça commence sur une catastrophe, il y a presque un espoir à un moment donné et puis on termine sur une hécatombe.
Certaines situations sont presque drôles...
En travaillant le scénario lors de séances de lecture, on a souvent ri. L’histoire de la chemise, le dialogue avec le supérieur de Thomas... si on change juste une note, cela pouvait devenir une comédie. Au final, on pouvait se poser la question « est-ce que ça peut être une comédie, est-ce qu’on va à fond dans le noir »... Pour les scènes de meurtre, le résultat est glaçant, Christophe et Nicolas se sont limités à deux coups de couteau... Je trouve que c’est angoissant de réussir les scènes de meurtre. Ça peut avoir l’air mal foutu, avec le risque de ne pas y croire une seconde. Et heureusement, j’ai trouvé ça vraiment réussi. Clac clac, c’est concis ! Les gens tombent d’un coup... Cette sécheresse dans l’exécution de ces scènes m’a plus impressionné que si elles avaient été plus longues. Le public rit parfois, étonné de certaines orientations du scénario... Lorsqu’il retrouve Marie-France chez lui, Thomas est surpris. Elle lui a préparé de la soupe, a pris un message de l’épouse, lui fait des remontrances parce qu’il a bu et conduit ensuite. Elle joue à la maman, c’était très plaisant à jouer ces petites scènes, ça rajoutait en effet un peu d’humour. Ce genre, entre le fantastique et le film noir hitchcockien est toujours au bord de la comédie. Avec cette incongruité de l’intrusion, on peut glisser très vite de la tragédie vers le rire, passer de Harry, un ami qui vous veut du bien à Viens chez moi, j’habite chez une copine...
Comment avez-vous travaillé avec votre famille de cinéma ?
Avec Johan Leysen, c’était une rencontre formidable. Je suis très touché par son grain de voix, son accent, on se ressemble physiquement en plus, il y avait quelque chose de familier entre nous deux, très rapidement. Il possède quelque chose de puissant sans passer par les mots. Avec Jean Stan du Pac, c’était très beau aussi. Ce n’était pas une marionnette, comme certains enfants acteurs, il était content d’être là, avec une joie communicative de jouer.
Vous connaissiez le mot de volante avant ce film ?
Pas du tout ! J’aime bien ce titre, ce qu’il signifie, ça évoque vraiment quelque chose d’inattendu. Celle qui vole ? Par sa sonorité, on pense à d’autres mots comme violente, vaillante, voleuse...
#LaVolante