2014-05-13



Science fiction/Action/Aventure/Blockbuster assumé et visuellement époustouflant

Réalisé par Gareth Edwards

Avec Aaron Taylor-Johnson, Bryan Cranston, Ken Watanabe, Elizabeth Olsen, Sally Hawkins, Juliette Binoche, David Strathairn, Victor Rasuk, Brian Markinson, Richard T. Jones...

Long-métrage Américain 

Durée : 2h03m

Année de production : 2014

Distributeur : Warner Bros. France

Date de sortie sur les écrans américains : 16 mai 2014 

Date de sortie sur nos écrans : 14 mai 2014



Bande annonce (VOSTFR)

Ce que j'en ai pensé : J'ai pris un grand plaisir à découvrir ce GODZILLA version Gareth Edwards. Je l'attendais depuis un bon moment et je n'ai pas été déçue. Il s'agit d'un gros blockbuster assumé qui en fait des tonnes pour notre bonheur de spectateur. Gareth Edwards, le réalisateur, mélange habilement les histoires humaines et les scènes spectaculaires époustouflantes. Il délivre les desiderata d'un film de studio mais en les enveloppant d'une telle manière que cela n'étouffe pas son propos. Dès la première seconde du générique, il nous entraîne sur la thèse du complot pour nous amener petit à petit à réaliser que son GODZILLA, le film, est une métaphore écologiste de la destruction de la Terre par l'homme.
J'ai particulièrement apprécié sa mise en scène inventive à de multiples reprises. Il nous offre des plans de mise en perspective de l'infiniment petit (les hommes) face à l'immensité du monstre qui laisse bouche bée. Les effets visuels sont splendides et sont accompagnés de la magnifique musique orchestrée par Alexandre Desplat. Sa musique est oppressante et enrobe l'action pour nous la rendre encore plus percutante.



L'histoire, bien construite, nous fait nous intéresser de près à la famille Brody et notamment au père, Joe, interprété par Bryan Cranston. Il est très touchant en homme dévoré par la tragédie.

Son fils, Ford, est interprété par Aaron Taylor-Johnson. Il a tout à fait les épaules pour porter le film et pour convaincre dans son rôle de soldat à la fois physique et à la tête bien faite.

Le casting m'a beaucoup plu. Seuls les scientifiques Daisuke Serizawa, interprété par Ken Watanabe et le Dr. Wates, interprétée par Sally Hawkins m'ont moins enthousiasmé. Leurs personnages ne servent finalement pas à grand chose. Ils ont l'air effaré et paumé la plupart du temps. Ce ne sont pas les protagonistes les plus intéressants.

J'ai relevé deux erreurs de montage que j'ai trouvé surprenantes, car pour moi, Gareth Edwards est un réalisateur extrêmement précis. Mais elles ne sont qu'un micro détail sans grande importance en comparaison de la puissance des images qu'il nous a préparé.
GODZILLA réserve de belles surprises. Il est bien construit, très beau à voir, ménage la part humaine et des images de monstres incroyables. Si vous aimez ce genre de film, je vous le conseille absolument pour un pur moment de divertissement.

ARTICLES ET NOTES DE PRODUCTION

(A ne lire qu'après avoir vu le film pour éviter les spoilers !)

Godzilla, le dragon issu de l’atome. 

Le « monstre sacré » du cinéma Fantastique depuis 60 ans. 

« La fascination pour Godzilla est probablement issue de cet inconscient hérité de nos lointains ancêtres qui se regroupaient dans des cavernes et craignaient les attaques des animaux sauvages. A notre époque moderne, nous nous sentons bien protégés dans nos immeubles, mais les animaux menaçants de nos cauchemars se sont adaptés à cela et sont devenus plus grands. Nos peurs primales sont restées les mêmes : elles se sont simplement adaptées à l’échelle de nos mégalopoles. Je crois que c’est pour cela que j’ai été tellement marqué par le Godzilla original de 1954 quand je l’ai découvert, enfant. »
Gareth Edwards. Réalisateur. 

La genèse d’un monstre culte 

En 1953, les studios japonais de la Toho remportent le plus grand succès national de l’année avec le film de guerre Les Aigles du Pacifique (Taiheiyo-no Washi). Cette fresque spectaculaire réalisée par Ishiro Honda est consacrée aux combattants japonais qui se sont sacrifiés pendant le conflit, et décrit aussi les circonstances de la défaite . L’année suivante, Tomoyuki Tanaka, qui vient de produire le film de guerre Farewell Rabaul (Saraba Rabauru) également réalisé par Honda, tente de poursuivre dans cette voie et prépare un long métrage évoquant les conséquences de l’invasion de l’Indonésie par le Japon. Malheureusement, les tensions entre les deux pays sont encore si fortes que les autorités indonésiennes refusent de délivrer des visas aux équipes du studio. Le revers est dur pour Tanaka qui doit abandonner le projet et rentrer au Japon pour en concevoir très vite un autre. C’est en observant la mer pendant le vol de retour entre Jakarta et Tokyo qu’il songe à un incident qui vient de se produire entre les Etats-Unis et le Japon et qui a suscité une très vive émotion : l’irradiation accidentelle du bateau de pêche japonais « Daigo Fukuryu Maru » (« Dragon chanceux n°5 ») lors des essais thermonucléaires américains réalisés le 1er Mars 1954 sur l’atoll de Bikini (Gareth Edwards a intégré et réinterprété à sa manière cet événement dans la trame de Godzilla 2014).

Ayant navigué trop près du site de ce test de bombe à hydrogène, les 23 marins, tous victimes d’une sévère contamination radioactive, sont admis dans deux hôpitaux de Tokyo. La presse japonaise titre alors sur « Le second bombardement atomique sur une population humaine », tant ce drame ravive le traumatisme des bombardements nucléaires américains sur Hiroshima et Nagasaki qui ont eu lieu 9 ans plus tôt, les 6 et 9 août 1945. Les conséquences de ce cauchemar hantent tous les japonais, dans leurs esprits, et pour les moins chanceux d’entre eux, dans leur chair…

Tanaka songe qu’il pourrait être intéressant de s’inspirer à la fois des circonstances de ce drame et de l’intrigue du prochain film d’Eugène Lourié, décrit par un article d’un journal de cinéma. Il est intitulé Le Monstre Des Temps Perdus ( The Beast from 20 000 Fathoms) et montrera un dinosaure géant « réveillé » par un test nucléaire réalisé dans l’arctique, traversant l’Atlantique pour s’attaquer à New York. Tanaka écrit un traitement de quelques pages pendant le reste du vol : il exploite la même idée, mais le monstre tiré de son long sommeil par un test atomique ravagera cette fois-ci Tokyo. Dès son arrivée, Tanaka le soumet à Iwao Mori, producteur exécutif du studio, qui trouve l’idée excellente. Les deux hommes savent que Eiji Tsuburaya, l’excellent superviseur des effets visuels de la Toho, expert en utilisation de maquettes, sera capable de créer le monstre et les trucages de destructions requis. Le projet « G » (pour géant) est alors lancé. Tsuburaya en profite pour soumettre aussi un traitement qu’il a écrit trois ans plus tôt, dans lequel une pieuvre géante s’attaque à des cargos japonais dans l’océan indien. Pour donner forme à toutes ces idées, Tanaka engage l’auteur de récits à suspense Shigeru Kayama, mais le texte qu’il produit , dans lequel un monstre marin non déterminé s’attaque à des bateaux de pêche, est trop mélodramatique.

Tanaka et Mori décident alors de confier le projet à Ishiro Honda, qui a réalisé avec aisance Les Aigles du Pacifique, pourtant jalonné de séquences d’effets spéciaux complexes décrivant des combats aériens et des bombardements. Honda et son collègue réalisateur et scénariste Takeo Murata entreprennent alors de retravailler le texte de Kayama pour rendre cette histoire improbable aussi crédible que possible. Ils décident d’ancrer le récit dans la réalité géopolitique, sociale et culturelle du Japon de 1954, tout en évoquant à la fois le spectre des raids de bombardements incendiaires de Tokyo pendant la seconde guerre mondiale et les explosions nucléaires ayant détruit Hiroshima et Nagasaki. Le ton du film sera sérieux, et le monstre symbolisera à la fois les ravages de la guerre et ceux de la bombe atomique. Mais il reste à lui trouver un aspect et un nom... 

Selon la légende – car aucun document ne l’atteste – le producteur Ichiro Sato aurait raconté à Tanaka qu’un technicien du studio avait la stature d’une baleine (Kujira) et l’allure d’un gorille, et qu’il avait été surnommé « Gojira ». Quelle que soit sa véritable origine, ce surnom circulant sur les plateaux de la Toho est alors adopté par l’équipe, et la production en cours est appelée officiellement Gojira (Godzilla). Séduits par un dossier du magazine « Life » dans lequel étaient reproduites des peintures de dinosaures de Rudolf Zallinger, Tanaka, Honda et Tsuburaya décident de donner à leur créature une allure bipède évoquant à la fois celle d’un tyrannosaure et d’un iguanodon.

Des effets spéciaux inédits 

Fortement impressionné par King Kong, qu’il avait vu lors de sa sortie en 1933, Eiji Tsuburaya envisage un moment de donner vie au monstre du film en utilisant le procédé de l’animation image par image. Mais les scènes de destructions prévues sont si nombreuses qu’elles demanderaient près de sept ans de tournage avec cette technique très lente. Tsuburaya est contraint de procéder différemment. Il engage plusieurs dessinateurs pour cerner le design de Godzilla, puis fait fabriquer un énorme costume de caoutchouc qui sera porté par un acteur. Mais quand elle est terminée, la carcasse du monstre pèse presque 100 kilos. Tsuburaya engage Haruo Nakajima, ceinture noire de judo, pour jouer Godzilla, car il faut avoir une force et une résistance exceptionnelle pour se mouvoir avec un tel costume. Filmé en accéléré, Nakajima bouge avec difficulté , mais réussit à détruire des paysages miniatures composés de bâtiments de plâtre et de balsa, conçus pour se disloquer de manière réaliste. A la projection, grâce à ses mouvements considérablement ralentis, Godzilla semble être une créature immense et massive. Les mouvements de ses yeux et de sa mâchoire sont actionnés à distance par des gaines dans lesquelles coulissent des câbles métalliques, selon le principe des freins de vélo. Grâce à la superbe direction de la photographie en noir et blanc conçue par Masao Tamai et Sadamasa Arikawa, les destructions provoquées par Godzilla prennent une dimension onirique fascinante. Au cours du film, le monstre est décrit par un savant comme un descendant encore vivant d’un tyrannosaure, qui, exposé aux radiations résultant de tests atomiques, a subi une mutation et grandi jusqu'à mesurer plus de 50 mètres. Godzilla, monstre issu de l’atome, en tire ses pouvoirs caractéristiques : le plus spectaculaire est son « souffle radioactif », un puissant rayon incandescent qui brûle et irradie tout ce qu’il touche.

Godzilla remporte un tel succès au Japon que le film est exporté aux USA, et considérablement modifié. Quarante minutes de scènes avec les personnages japonais sont coupées et remplacées par de nouvelles séquences tournées avec Raymond Burr (futur héros en fauteuil roulant de la série L’Homme de Fer / Ironside ) qui incarne Steve Martin, un journaliste américain venu suivre à bonne distance les méfaits de ce titan destructeur. Cette version intitulée Godzilla , King of the Monsters, est présentée en 1956 aux Etats-Unis et remporte elle aussi un vif succès.

La naissance d’une nouvelle tradition japonaise : les Kaiju Eiga 

La sortie de Godzilla en 1954 suscite un engouement si phénoménal qu’il engendre un nouveau genre cinématographique nippon : les Kaiju Eiga (films de monstres géants). En japonais, Kaiju signifie « bête étrange » et Daikaiju « monstre géant ».

L’incroyable impact du personnage de Godzilla sur le public japonais vient aussi de ce qu’il évoque des traditions ancestrales du pays, à commencer par celle de la religion animiste shinto. Le shinto considère comme divins aussi bien des forces de la nature que des animaux ou des hommes célèbres. Ces divinités s'appellent " kami" en japonais. La plus importante est le soleil qui, entre autres vertus, protège contre les invasions. Les kami inspirent le plus souvent une crainte respectueuse. On trouve parmi eux des montagnes, des animaux comme le tigre, le serpent ou le loup. Il y aurait 800 millions de kami au Japon, dont le surnom est Shinkoku, "le pays des divinités". Les gigantesques Kaijus, forces destructrices issues de la nature au même titre que les cyclones ou les tremblements de terre, évoquent à leur manière les kami. Mais par son allure et sa capacité de cracher « le feu nucléaire » Godzilla est aussi un dragon, un animal qui dans la mythologie japonaise, n’a pas l’image négative de dévoreur de princesse des légendes occidentales. Dans les familles nippones, on a coutume de raconter aux enfants des histoires de dragons intelligents, sensibles, doués de la parole et bienveillants. Ce sont des porte bonheurs , et dans certaines contes, ils prennent forme humaine pour fonder des familles appartenant à la noblesse. Jadis, les samouraïs ornaient même leurs tenues de dessins de dragons, car ils symbolisaient déjà l’énergie, le pouvoir de lutte contre le mal ainsi que la volonté de protéger les personnes. Pour toutes ces raisons, Godzilla s’inscrit très profondément dans l’inconscient collectif japonais dès sa première apparition. Et ce statut hautement symbolique de la créature a été scrupuleusement respecté dans la version 2014.« Godzilla pourrait être le dernier samouraï, le dernier guerrier d’une époque passée, qui continue à arpenter la Terre » explique le réalisateur Gareth Edwards « En dépit du fait qu’il soit un animal, il y a une certaine noblesse en lui. Il a une allure, une posture et un regard qui lui donnent du charisme. C’est à sa manière un Ronin, un samouraï sans maître ».

Un succès planétaire 

Le triomphe de Godzilla au Japon, puis aux USA se confirme dans le reste du monde, pour le plus grand plaisir de la Toho, qui comprend qu’il y a là un potentiel énorme à exploiter. Godzilla meurt à la fin du premier film, mais on le ressuscite l’année suivante dans Le Retour de Godzilla, où il est confronté à Anguirus , sorte de tortue à la carapace hérissée de pointes. Suivront de nombreuses batailles avec des dizaines de monstres géants de plus en plus extravagants, parmi lesquels on peut citer Rodan le ptérodactyle dont les battements d’ailes génèrent des turbulences si fortes qu’elles pulvérisent des immeubles, Mothra la chenille qui transformée en phalène, devient un papillon aussi grand qu’un Boeing 747, ou King Ghidorah le dragon tricéphale.

En suivant cette saga, le public prend parti pour Godzilla et lui pardonne tout. Plus il détruit, plus il saccage, plus il est populaire. Et quand il se bat contre un autre Kaiju, c’est lui, le colossal dragon qui crache le feu nucléaire, que l’on veut voir gagner. Paradoxalement, Godzilla est à la fois une menace, car il reste un animal sauvage imprévisible, et un vrai héros qui protège le Japon des monstres, des extraterrestres, des savants fous et des menaces écologiques. En effet, sachant que les aventures de Godzilla plaisent à un large public et aux jeunes spectateurs, les scénaristes et les réalisateurs japonais choisissent des thèmes importants et incitant à la réflexion comme celui des méfaits de la pollution. Ces sujets ont été régulièrement traités dans les 28 films de Godzilla produits par la Toho depuis 1954, une tradition qui perdure dans la nouvelle version distribuée par Warner Bros. Pictures et Legendary.

« Il était inévitable que nous ayons en tête ces thèmes écologiques quand nous avons travaillé sur les destructions catastrophiques de notre film » explique Gareth Edwards. « Même si l’incident dans la centrale nucléaire que nous montrons dans le film se déroule en 1999 et n’est pas une référence directe à la tragédie et au tsunami de Fukushima, ces visions font désormais partie de notre subconscient commun. D’ailleurs, dans le Godzilla original de 1954, une des scènes qui m’avait frappée le plus est celle où l’on voit des morts suite de la radiation. A l’époque, c’était un moyen d’aborder les évènements de Hiroshima et Nagasaki tout en passant « sous le radar » de la censure. Je trouve que c’est ainsi que naissent les films Fantastiques et de Science-Fiction les plus brillants : ils ne sont pas seulement consacrés à des créatures ou à des aventures imaginaires, mais ils contiennent un double message et abordent des problèmes importants de la vie réelle qui concernent notre vie de tous les jours et le devenir de notre planète. »

Le retour du « roi des monstres » pour célébrer ses 60 ans de règne 

A l’occasion de son grand retour, Godzilla a bénéficié d’un nouveau design respectueux des canons de la saga, et a été animé grâce aux techniques d’effets visuels les plus sophistiquées. « La Toho s’est énormément impliquée dans le processus de création du nouveau design de Godzilla » raconte Gareth Edwards . « Nous voulions rendre hommage aux premiers films de la saga sans reproduire exactement l’aspect du personnage qui était limité par les techniques disponibles dans les années 50 et 60. Nous ne voulions pas non plus pousser la ressemblance esthétique jusqu’au point de représenter la créature en filmant un homme portant un costume de caoutchouc. L’idée était de représenter Godzilla comme s’il existait vraiment, comme s’il s’agissait d’un véritable animal, dont la forme avait été interprétée en 1954 par les artistes de la Toho, esquissée sur un bout de nappe en papier, et avait ensuite servi de base à la construction d’un costume en caoutchouc mousse. Notre postulat est que ce Godzilla de 1954 était l’interprétation d’un animal qui a existé, et que maintenant, nous avons l’occasion de le découvrir pour la première fois tel qu’il est réellement. Nous avons expliqué cette idée à la Toho, et elle leur a plu. » 

En revenant avec un aspect modernisé, dans un contexte traité de manière sérieuse et réaliste, Godzilla reprend son rôle symbolique de manière d’autant plus judicieuse que notre époque est toujours marquée par des catastrophes écologiques et climatiques, et par l’aveuglement technologique de l’homme, comme les reportages des journaux télévisés et les articles de la presse nous le montrent presque quotidiennement.

En revenant aux racines dramatiques du Godzilla originel de 1954, Gareth Edwards nous rappelle par le biais d’une grande aventure que la Science-Fiction excelle en transposant les problèmes les plus graves de notre époque au cinéma. Le spectacle titanesque, les destructions apocalyptiques et les personnages émouvants de sa version de Godzilla composent une fresque miroir de notre monde qui divertit tout en incitant à réfléchir, tout comme Tomoyuki Tanaka, Ishiro Honda et Eiji Tsuburaya l’avaient souhaité il y a 60 ans, en inventant un monstre devenu une véritable icône de la culture populaire.

Pascal Pinteau 

Source : Eiji Tsuburaya : Master of Monsters by August Ragone Chronicle Books 2007 

GODZILLA : FOCUS SUR LE TOURNAGE

 Godzilla est énorme. Pas tant le monstre - même s'il est certainement gigantesque – que le nom en tant que tel. Qu'il rappelle les angoisses suscitées par notre monde nucléarisé ou une parodie de film-catastrophe, il s'agit d'un terme d'une extraordinaire puissance évocatrice. Né au Japon dans le contexte effroyable de l'après-guerre, Godzilla a d'abord incarné le symbole terrifiant de l'incompréhensible destruction que l'humanité s'est infligée à elle-même, puis la créature a connu une tout autre évolution… jusqu'à devenir un héros, voire un champion.

Nous sommes à Vancouver, par unee journée ensoleillée, où seuls quelques nuages pointent à l'horizon. Bien que Godzilla ne soit pas visible, il est pourtant omniprésent. Et même si le monstre éponyme du film produit par Warner Bros. et Legendary Pictures – particulièrement attendu – est entièrement généré par ordinateur, tout, autour de nous, indique que la plus grande star du "kaiju" est bel et bien présente. Il suffit, pour s'en convaincre, d'apercevoir les décombres, les bâtiments en ruines, et les soldats armés jusqu'aux dents. Godzilla et la force destructrice du mouvement de balancier de sa queue s'imposent même dans les moments de pause entre deux scènes d'action. Autant dire qu'on ne peut qu'être admiratif de voir l'homme plongé au coeur de la bataille – le réalisateur Gareth Edwards – dominer totalement cette redoutable force de la nature. 

"C'est une grosse production, et une saga très appréciée", indique Edwards entre deux prises. "Les fans de GODZILLA sont très nombreux, et l'idée même de s'attaquer à une telle icône était sans doute l'enjeu que je redoutais le plus. C'est un réflexe très humain. Je serais moi-même extrêmement déçu si on n'avait pas consenti tous les efforts imaginables pour parvenir au meilleur résultat possible. Mais au bout de quelques semaines, on s'adapte à ce contexte, parce que, sinon, on ne peut pas aller de l'avant, et puis, on se met à apprécier ce type de tournage. On a noué des liens comme une petite famille, et j'ai le sentiment qu'on a désormais tous les plans qu'il nous faut – maintenant que la pression est un peu retombée".

Originaire de Nuneaton, au Royaume-Uni, Edwards a fait ses débuts en concevant des effets visuels pour la télévision britannique pendant dix ans, avant de s'atteler à son premier long métrage, MONSTERS, produit pour un budget des plus modestes. Il a non seulement écrit et réalisé ce film, mais il a également assuré la création des décors, la lumière et la conception de créatures originales sur son ordinateur portable. MONSTERS a déjoué toutes les attentes et suscité l'intérêt de Thomas Tull, chez Legendary Pictures, qui se passionne pour GODZILLA depuis qu'il en acquis les droits de remake auprès de Toho. 

Pour Tull, il ne s'agissait pas de produire un blockbuster hollywoodien de plus autour de Godzilla, mais un film subtil capable d'articuler des scènes intimistes et les combats spectaculaires et destructeurs qu'incarne le dinosaure radioactif. "Je suis fan de Godzilla depuis que je suis tout petit", confie Thomas Tull, producteur du film, aux côtés de Jon Jashni, Mary Parent et Brian Rogers. "Mais l'étape décisive a été de dénicher le réalisateur qu'il nous fallait pour tourner le film attendu par les fans. Avec MONSTERS, Gareth a su imposer une narration et une mise en scène captivantes.On a eu la chance de vivre une expérience semblable avec Chris Nolan et THE DARK KNIGHT. Dès notre premier rendez-vous avec Gareth, on a compris qu'il avait le regard nécessaire, à la fois en tant que scénariste et cinéaste, pour faire du film un récit humain captivant et l'ancrer dans le monde réel contemporain. Mais, surtout, il était fan de Godzilla, et il comprenait la longévité du phénomène, si bien qu'on était convaincus que notre projet était entre de bonnes mains".

Des producteurs au réalisateur, sans oublier les techniciens dont ils ont su s'entourer, l'ensemble des collaborateurs du film ont témoigné de leur volonté d'ancrer l'ascension de Godzilla dans une histoire humaine et crédible. "Je pense que ce que Gareth a accompli avec MONSTERS, qu'il s'agisse de la narration ou de l'atmosphère, a prouvé qu'il était capable de redonner ses lettres de noblesse à un film de monstre comme GODZILLA", indique la productrice Mary Parent. "Godzilla est un personnage emblématique qui mérite de figurer dans un film digne de ce nom, et Gareth a la ferme intention de mettre en scène la créature avec l'intégrité qu'on lui connaît, en racontant l'histoire comme on ne l'a encore jamais vue".

Le personnage a fait sa première apparition au cinéma en 1954, dans GODZILLA (GOJIRA, en japonais) d'Ishirô Honda, qui avait combattu pendant la guerre. À une époque où les trucages en étaient encore à l'âge de Bronze, la vision novatrice d'un homme déguisé en monstre, revêtu d'une combinaison en latex, en train de se frayer un chemin à travers des maquettes de villes minutieusement confectionnées a soudain permis au spectateur de découvrir des images à l'écran qui, jusque-là, n'étaient que le fruit de l'imagination. Alors que sa popularité ne faisait que croître, Godzilla est devenu un héros pour le Japon et le monde entier. Tous les deux ou trois ans, une nouvelle menace se faisait jour, si terrible que les êtres humains ne pouvaient l'affronter seuls. C'est alors que la silhouette familière de Godzilla, dont le rugissement effroyable était si caractéristique, surgissait des flots pour sauver le monde.

Le public d'aujourd'hui aura peut-être du mal à comprendre le choc profond qui a secoué les fans de la créature pendant soixante ans, même si le personnage marque autant les esprits que n'importe quel super-héros ou grande figure historique. Mais la génération actuelle n'a pas encore eu son Godzilla. Ou, en tout cas, jusqu'à présent… "Le studio Toho a tourné 28 films de Godzilla et la créature a énormément évolué pour survivre en l'espace de 60 ans", signale le réalisateur. "Il faut bien voir qu'avec un monstre gigantesque, on peut raconter toutes sortes d'histoires. C'est vraiment un univers fascinant à explorer. Et comme nous avions un matériau de départ extrêmement riche à notre disposition, il nous a fallu un an et demi pour mettre au point un scénario qui trouve le bon équilibre entre les séquences spectaculaires de carnage et de destruction, d'une part, et des personnages attachants qu'on a envie de suivre dans cette folle épopée, de l'autre. Pour moi, le spectacle n'a d'intérêt que si l'on se préoccupe du sort des personnages. Du coup, notre mot d'ordre était d'aborder le film comme un drame adulte. C'était un véritable travail d'équipe, du studio aux acteurs et aux chefs de poste. Nous avions tous à coeur d'aller dans le même sens et de faire le même film".

Pour s'en convaincre, il suffit d'apercevoir les acteurs légendaires, d'horizons extrêmement divers, réunis sur le plateau. Leur présence est un signe de la volonté d'apporter réalisme et réflexion au projet. Citons notamment Aaron Taylor-Johnson, Ken Watanabe, Elizabeth Olsen, Juliette Binoche, Sally Hawkins, David Strathairn, et Bryan Cranston.

Si l'on se fie au tournage, ce projet ne ressemblera à aucun autre épisode cinématographique de GODZILLA : le film promet d'être à la fois spectaculaire, intelligent, réaliste et stylisé. Le fait qu'Edwards soit lui-même fan de la saga n'y est pas étranger. Celui-ci évoque le moment où il a appris qu'il avait été choisi pour prendre les commandes du projet : "J'ai répondu à un coup de fil, et là mon interlocuteur m'a dit, 'Vous êtes assis ? Ça vous dirait de réaliser GODZILLA ? Vous êtes fan de la saga ?' J'étais totalement chamboulé, mais j'avais le tout premier GODZILLA, tourné au Japon, dans ma collection de DVD". Le réalisateur semble encore ne pas y croire totalement, en se remémorant du moment où le projet est devenu réalité. "J'ai le film sous les yeux", dit-il en plaisantant et en tenant un téléphone imaginaire à l'oreille. "Il est juste devant moi sur l'étagère".

Le tournage à Vancouver, qui touche à sa fin, donne vraiment le sentiment qu'il s'agit d'une machine aux rouages bien huilés. Cette production gigantesque a pris ses quartiers dans cette métropole canadienne cinéphile et dans ses environs – qu'il s'agisse du centre-ville scrupuleusement "détruit" aux décors réalistes bâtis sur les immenses plateaux des studios Canadian Motion Picture Park (CMPP) de Burnaby, banlieue proche de Vancouver.

Au sein du département Décors, qui s'est installé dans une salle de conférence du CMPP, Mary Parent et le producteur exécutif Alex Garcia, de Legendary, nous font découvrir plusieurs décors emblématiques du film qui nous permettent de traverser les époques et les continents : les îles Marshall dans les années 50, le Japon et les Philippines de 1999, ou encore le monde actuel. "C'est notre 'salle de guerre', comme on l'a baptisée", souligne Garcia. "C'est un périple visuel, du début du film à la fin. Dans les premières scènes, on fait la connaissance du docteur Serizawa (Ken Watanabe), scientifique qui étudie depuis longtemps les créatures fantastiques qui, selon certains, existent. On lui a demandé de se rendre dans une région des Philippines, où une mine s'est effondrée suite à la découverte d'un gigantesque et étrange fossile se trouvant dans la grotte située en contrebas. Puis, on part au Japon, où l'on rencontre la famille Brody qui, en l'espace du film, se déchire, puis se ressoude autour de l'ascension de Godzilla. On s'est dit que c'était pertinent de faire démarrer l'histoire au Japon, comme pour rendre hommage aux origines de Godzilla".

Grâce à des croquis, des illustrations, des story-boards, et des maquettes remarquablement détaillées, nous découvrons le chaos représenté dans le film, à travers la destruction d'une centrale électrique de Tokyo mise en quarantaine, un tsunami dévastateur balayant la côte d'Oahu, à Hawaï, la ville de Las Vegas brillant de mille feux en plein désert transformée en champ de ruines, et, vers la fin du périple, les célèbres gratte-ciels de San Francisco effondrés et disséminés comme de simples jouets.

Le chef-décorateur Owen Paterson, à qui l'on doit la création d'univers fascinants dans la trilogie MATRIX, ou PRISCILLA , FOLLE DU DÉSERT, est à pied d'oeuvre. "Nous avons construit 98 décors différents pour ce film, et certains d'entre eux sont immenses et extrêmement détaillés", précise-t-il. "Si la dimension humaine du récit fonctionne, et si nous arrivons à faire croire au spectateur qu'on est à bord d'un avion, ou dans les rues de San Francisco, ou dans une mine des Philippines qui vient de s'effondrer, c'est non seulement satisfaisant sur le plan visuel, mais cela rend l'intrigue d'autant plus crédible. Notre mot d'ordre a été de coller à la réalité autant que possible, si bien que les détails sont particulièrement importants. J'espère qu'on arrivera à ancrer suffisamment le film dans la réalité pour que, une fois sorti de la salle de cinéma, le spectateur se demande pourquoi les immeubles qu'il a vus réduits en cendres sont toujours debout".

Le scénario est signé Max Borenstein, d'après une histoire originale de David Callaham et le personnage de Godzilla, propriété de la société Toho. Tull insiste sur le fait qu'il ne s'agissait pas seulement d'entraîner le spectateur dans une aventure palpitante, mais d'aller bien au-delà de la seule dimension spectaculaire. "L'essentiel du film reposait sur la question suivante : Que se passerait-il si quelqu'un débarquait dans cette pièce pour nous dire, 'Allumez la télé. Vous n'allez jamais croire ce qui vient de surgir de la mer !' Comment le monde réagirait-il ? Du scénario à la mise en scène de Gareth – tout, absolument tout, est au service de cette volonté de réalisme.

Désireux de savoir comment le film réussira à articuler l'intrigue centrée sur les personnages et les séquences d'action les plus spectaculaires, nous interrogeons le directeur de la photo Seamus McGarvey, qui a signé la lumière de films indépendants comme du blockbuster AVENGERS.

"Gareth tenait à ce que le style visuel soit très réaliste", souligne McGarvey. "Il nous fallait donc une atmosphère naturaliste qui, dans le même temps, plonge le spectateur dans le film. Alors que la plupart des blockbusters adoptent une lumière stylisée, nous avons délibérément privilégié la caméra à l'épaule et des tonalités plus sombres, comme si le cadreur était témoin des événements relatés dans le film en temps réel. Pour autant, le film est spectaculaire. Car nous avons tourné d'impressionnantes scènes de combats dont le monstre est le protagoniste. Du coup, nous avons deux styles de mise en scène qui cohabitent dans le film".

Quand on sait qu'un film autour de Godzilla nécessite la plus grande attention, on a toutes les raisons de s'intéresser à la créature elle-même. Dans la salle de montage, nous sommes intrigués par une séquence captivante que nous montre le chef-monteur et coproducteur Bob Ducsay : le personnage d'Aaron Taylor-Jackson s'engage dans l'équipe de parachutistes HALO largués au-dessus de San Francisco, tandis qu'on aperçoit quelques plans effrayants de monstres géants en pleine bataille. C'est là un spectacle que les fans de Godzilla n'ont jamais vu dans un blockbuster contemporain.

Les effets visuels ont atteint un tel niveau d'excellence que l'oeil du public s'est considérablement affûté. Du coup, un film comme GODZILLA ne pouvait que repousser les limites en la matière. Superviseur Effets visuels, Jim Rygiel est l'un des artisans de la révolution numérique et évoque, en quelques mots, les effets visuels du film : "On voulait surtout que les créatures soient réalistes", dit-il. "On tenait à donner le sentiment que ce sont de véritables animaux qui chargent leurs adversaires, et non pas une bataille totalement artificielle. On a visionné des centaines d'heures de combats d'ours et de dragons de Komodo, pour bien comprendre comment ils se déplacent. Ce qui est intéressant, c'est qu'ils ne se contentent pas de s'affronter. On dirait qu'ils élaborent leur stratégie offensive, et c'est donc le genre de détails réalistes qu'on recherchait pour ces scènes".

Il est difficile de concilier la volonté de faire de Godzilla une créature vivante vraisemblable et celle de la rendre spectaculaire, mais il est bien certain que le réalisateur et son équipe ont réussi à restituer l'âme du monstre emblématique de Toho, tout en lui inventant de nouvelles capacités destructrices. Quant à ses ennemis, la production n'a pas été en reste !

Quelle créature oserait donc défier Godzilla ? Qui est le "méchant" de l'histoire ? "Nous avons dû faire un choix très en amont du projet", rappelle Gareth Edwards. "C'était une décision difficile, mais c'est ce qui nous a permis d'enrichir l'intrigue, et la question est donc de savoir si Godzilla est du côté de l'ombre ou de la lumière. Pour moi, la meilleure manière d'y répondre consiste à se demander si un ouragan est bénéfique ou maléfique. Certes, il entraîne des conséquences terribles, mais il faut aussi le voir comme le signe d'une nature déchaînée. Dans le film, Godzilla incarne une force de la nature. Et ce qu'il doit affronter représente les dégâts occasionnés par l'homme sur la nature. Du coup, Godzilla est de retour pour rétablir l'équilibre".

La seule personnalité imposante qu'on aperçoit dans le secteur, susceptible d'affronter le monstre, n'est autre que le comédien Bryan Cranston. On le rencontre en train de se restaurer à la cantine du plateau, au milieu de camions de tournage, d'énormes caméras montées sur grues et autres équipements destinés à un tournage de cette envergure. Débordant d'énergie, l'acteur, souvent salué par la critique, alterne entre humour, confidences sur son métier et témoignages de fan de la créature japonaise.

"Godzilla était mon monstre préféré quand j'étais gamin", constate l'acteur primé pour la série BREAKING BAD. "Je me souviens que j'adorais le pouvoir incontestable de Godzilla. J'étais un jeune garçon émotif, et en découvrant ce monstre énorme que rien ne semblait pouvoir arrêter, j'étais très impressionné. On ne pouvait pas le tuer. Je me souviens que les soldats lui tiraient dessus, vainement, et que, pour lui, les balles étaient comme d'inoffensifs moucherons. À l'époque, les effets spéciaux étaient très chouettes, et j'étais vraiment absorbé par ce spectacle".

Quand on lui demande ce qui l'a motivé dans ce projet, il explique qu'il ne pouvait pas rater une telle occasion et qu'il aurait trouvé du temps dans son agenda, quoi qu'il arrive. "Si c'était un pur film de monstre, je n'aurais pas accepté", précise-t-il. "Mais comme Gareth a su faire de ce film un récit très riche, axé sur les personnages, j'avais vraiment envie d'y participer. On s'attache vraiment à ces personnages qui évoluent tout au long de leur périple. Par ailleurs, ce projet réunissait des comédiens formidables qui donnaient le meilleur d'eux-mêmes, et c'était aussi un atout pour moi, d'autant plus que Gareth Edwards était aux commandes et qu'il a un style visuel extrêmement séduisant".

Cranston campe Joe Brody, chercheur en nucléaire : ses responsabilités au sein d'une centrale de Tokyo, comme son obsession pour les forces surnaturelles ayant détruit la centrale et brisé sa famille, permettent de lier les deux époques du film. Aaron Taylor-Johnson incarne son fils Ford, qu'on découvre adulte à l'époque contemporaine. Désormais père de famille, Ford quitte sa femme et son jeune fils, à San Francisco, pour retourner à Tokyo où il tente de renouer avec son père.

Lorsque Taylor-Johnson nous retrouve quelques instants avant d'être appelé sur le plateau, nous constatons que le jeune comédien, qui s'est illustré dans KICK ASS et a interprété John Lennon jeune dans NOWHERE BOY, a développé une musculature impressionnante pour camper le démineur de la Navy Ford Brody. "C'est un spécialiste du déminage, ce qui veut dire qu'il désactive des bombes pour la Navy", explique le comédien, en tenue militaire pour l'après-midi de tournage. "Il est séparé de sa femme et de son fils lorsque la catastrophe se produit, si bien que sa mission, tout au long du film, consiste à les retrouver. Dans le même temps, ses compétences sont précieuses pour défendre son pays, et la question est donc celle de savoir jusqu'où on est prêt à aller pour ses proches. Ce qui est aussi très émouvant, ce sont ses retrouvailles avec son père, et la manière dont il se rend compte qu'il peut être un meilleur père pour son propre fils".

Contrairement à Cranston, Taylor-Johnson n'a pas été bercé par les films de Godzilla pendant son enfance. Mais c'est le nom du réalisateur qui l'a convaincu. "On n'attend pas d'un film de ce genre une telle force émotionnelle, et je crois que c'est grâce à Gareth si le résultat est aussi émouvant", déclare-t-il. "C'est extraordinaire d'avoir su signer une oeuvre aussi intelligente dans le cadre d'un blockbuster. C'est vraiment ce qui m'a séduit, et la présence d'acteurs magnifiques. Sur le plateau, il y avait une atmosphère intimiste, proche d'un tournage de film indépendant, et je pense que c'est grâce à Gareth. C'est un véritable chef d'orchestre, à la fois chaleureux, généreux et humble. À le voir, on ne croirait pas qu'il est le réalisateur d'un film de cette envergure".

Nous apercevons le metteur en scène à pied d'oeuvre, en train de préparer un plan de l'autre côté des gigantesques fonds verts, où Paterson et son équipe ont construit un pont d'envol de porte-avions de 120 mètres de long. Un véritable hélicoptère Huey se trouve sur la piste, tandis que des figurants en uniformes – dont certains font vraiment partie de l'armée canadienne – cherchent leurs marques à l'ombre du pont du bateau de 12 mètres de long.

Avant de tourner la scène de l'hélicoptère, Edwards échange quelques mots avec le pilote dans le cockpit, puis s'installe derrière le combo. "Très bien, tout le monde en place !", annonce un haut-parleur.

Aussitôt, le plateau, qui était plongé dans le calme, devient une ruche bruyante où s'anime l'univers de GODZILLA. Des machines à fumée et des ventilateurs se mettent en marche, pendant qu'une caméra fixée sur une énorme grue plonge vers la scène. Taylor-Johnson se précipite vers le pont d'envol, se frayant un chemin à travers les figurants en uniformes occupés à dégager la piste, puis monte à bord de l'hélicoptère. La caméra se stabilise au moment même où la porte de l'hélico se referme derrière lui.

"Coupez ! Elle était bonne !", s'exclame Edwards, qui se dirige vers l'hélicoptère pour donner quelques consignes finales à Taylor-Johnson avant que les caméras ne tournent à nouveau. Tandis qu'il donne le "Moteur", l'hélicoptère imposant se met en marche, dégageant de la chaleur et du vent avec ses pales tournant à un rythme effréné. Le bruit familier de son hélice est assourdissant. Malgré la présence des immenses fonds verts en arrière-plan, le plan est impressionnant.

"On reprend… Envoyez la fumée… Préparez l'arrière-plan et… Action !", retentit le haut-parleur, tandis que Taylor-Johnson s'élance de nouveau vers l'hélicoptère. On sent la pression qui monte, alors que l'hélice de l'appareil tourne de plus en plus vite. Puis, l'hélico s'envole, avec l'acteur à son bord.

Elizabeth Olsen, qui ne tourne pas aujourd'hui, est venue voir ses partenaires sur le plateau. "C'est la première fois que je participe à un tel tournage", confie-t-elle au bout de quelques prises de la scène acrobatique. "Lorsque les enjeux sont aussi considérables, je pensais que les préoccupations commerciales risquaient d'éclipser la liberté artistique du réalisateur. Mais cela ne s'est jamais produit parce que Gareth a un regard d'une force inouïe. Il est très à l'aise avec les techniciens, tout en étant un grand directeur d'acteurs qui inspire la confiance. Il est toujours prêt à expérimenter, et nous encourage à nous fier à notre intuition pour que notre jeu soit le plus naturel possible. Du coup, même s'il s'agit d'un film de monstres, le résultat est à la fois terrifiant, traumatisant et émouvant ! Et Gareth nous a poussés à explorer toutes ces dimensions".

Pour le réalisateur, il s'agissait avant tout de créer des personnages forts, avant même d'envisager Godzilla. "Quand on s'attelle à un film de monstre, on est conscient que le public se déplace surtout pour ces créatures terrifiantes", indique le réalisateur. "Mais ce que j'espère, c'est qu'en quittant la salle, ceux qui sont venus pour faire plaisir à leurs amis ou petits copains et petites copines seront agréablement surpris de s'être laissés toucher par les personnages et les épreuves qu'ils doivent surmonter. Le film est habité, et on aimerait vraiment que les gens aient le sentiment qu'il ne s'agit pas d'un film de monstre traditionnel".

Le producteur Jon Jashni ajoute : "Quand on assiste au tournage sur le plateau, ou qu'on regarde des rushes, ça n'a rien à voir avec le visionnage de scènes montées précisément prouvant que le réalisateur a su obtenir un climat et un ton bien particuliers. Je me souviens que, dans la salle de montage, j'observais Gareth en train de nous montrer quatre ou cinq séquences et que je m'étais alors dit, 'il y est arrivé'. Il avait, d'une certaine façon, réussi à s'approprier le film. J'étais heureux pour lui, et pour nous, car il était, de toute évidence, très bien parti pour obtenir ce qu'on ambitionnait tous de faire".

Le ciel a viré au rose. Sur le plateau du gigantesque porte-avions, l'équipe prépare la prochaine scène centrée autour du personnage de Ken Watanabe, dont le nom – le docteur Serizawa – est un hommage au film de 1954. Serizawa est un scientifique japonais qui a consacré sa vie à traquer la créature insaisissable et, dans cette scène, depuis le porte-avions, il aperçoit, pour la première fois, Godzilla : à n'en pas douter, ses nageoires dorsales fendent les vagues.

Une fois qu'Edwards a crié "Action !", on voit Watanabe réagir face à l'imposante créature : à chaque prise, on découvre de nouvelles nuances dans le jeu de l'acteur, qui expriment totalement l'importance de la scène. Le réalisateur est emballé : "Ken a d'innombrables facettes. C'est un personnage d'une grande intensité émotionnelle, et il est capable d'exprimer tous ces sentiments. C'est fascinant de l'observer, et je n'arrive tout simplement pas à me résoudre à dire 'Coupez !' quand il est devant la caméra".

Aussi à l'aise dans le registre dramatique que dans les productions spectaculaires, Watanabe était intrigué par le regard d'Edwards sur la célèbre créature. Il souligne : "Le film de 1954 a été tourné avant ma naissance, et je ne l'avais pas vu, mais je l'ai visionné après avoir entendu parler de ce projet. J'ai été vraiment surpris car il s'agit d'un film très sombre. Il raconte très exactement ce que le peuple japonais a enduré. Le Japon, et le reste du monde, doivent affronter les mêmes problèmes à l'heure actuelle, en raison de ce que l'homme inflige à la planète, et l'histoire de Godzilla ne peut pas être dissociée de la dimension nucléaire. Gareth a parfaitement compris l'importance de ce lien, et a su en imprégner la narration".

Pour le cinéaste, ce thème est au coeur du GODZILLA d'origine qui reste non seulement un film de monstre divertissant, mais un récit d'apprentissage saisissant. "C'était fondamental pour moi de réaliser un film captivant, mais qui ne se résume pas qu'à un pur spectacle", dit-il. "La science-fiction et le fantastique ont toujours rempli cette double fonction, car ces genres sont capables de véhiculer des idées novatrices à travers un spectacle époustouflant. Godzilla est né du nucléaire, si bien qu'on se sert un peu de cette matière pour la conception des monstres du film".

Alors, Godzilla, héros ou ennemi ? "Godzilla ne sera jamais un personnage maléfique", déclare Tull en souriant. "Il ne sait rien de son parcours de héros. Ce n'est qu'une créature gigantesque qui suit son instinct, et si un immeuble est en travers de son chemin, il ne cherchera pas forcément à le démolir. C'est très différent d'autres puissances à l'oeuvre dans le film qui sont beaucoup plus malveillantes. Mais vous devrez voir le film pour vous en rendre compte".

Nous voilà au terme de ce périple, et dans l'avion du retour… Mais je mentirais si je n'avouais pas que j'ai regardé par le hublot dans l'espoir d'apercevoir les célèbres piquants de notre monstre préféré entre les immeubles. 

NOTES DE PRODUCTION 

L'HÉRITAGE DE GODZILLA 

“L'homme est tellement arrogant qu'il s'imagine contrôler la nature, et non l'inverse.”
—Le docteur Serizawa 

En 1954, la société de production japonaise Toho a distribué GODZILLA, film de monstres novateur réalisé par Ishiro Honda, dans un pays encore traumatisé par les ravages de la Seconde Guerre mondiale. Le film a connu un énorme succès au Japon et soixante ans plus tard, il continue à faire parler de lui dans le monde entier pour avoir cristallisé les peurs et les angoisses liées à l'ère atomique dans une redoutable force de la nature : Godzilla. 

“GODZILLA est la référence absolue en matière de films de monstres”, explique Gareth Edwards, aux commandes de cette relecture spectaculaire de la création emblématique de Toho. L'enfance d'Edwards, réalisateur d'origine anglaise, a été bercée par les films de monstres japonais, jusqu'à ce qu'il découvre le chef-d’oeuvre de Honda en DVD et qu'il soit fasciné par sa dimension allégorique, mais aussi très actuelle. “Où que vous alliez dans le monde, tout un chacun reconnaitra l'ombre de ce dinosaure géant qui se profile au-dessus d'une ville, et saura exactement de quoi il s'agit, qu'il ait vu un film de la saga GODZILLA ou non. Mais ce que beaucoup de gens ne savent pas, c'est que le GODZILLA japonais d'origine est en réalité un film très sérieux. Je pense que c'est ce qui explique qu'il ait été à ce point adopté par la culture japonaise, car non seulement c'est un grand film de monstres, mais il a un effet cathartique pour tous ceux qui ont découvert ces images réalistes à l'écran". 

Si plusieurs scènes ont fait l'objet de nouvelles prises, pour adoucir certains aspects métaphoriques, le film a été doublé dans de no

Show more