2013-07-23



Le Conseil d'Irlande du Nord pour les minorités ethniques (NICEM) présente son travail de soutien aux victimes de crimes de haine, de harcèlement et d'intimidations. Ils ont pour objectif d'offrir aux victimes un environnement sécurisé et confidentiel pour parler de leurs expériences, et de s'assurer que les victimes soient pleinement informées de leurs droits.

(Janvier 2010) Frank, un homme noir originaire d'un pays non membre de l'UE, est marié avec une Irlandaise et vit en Irlande du Nord depuis plusieurs années. Un jour, il descendait seul la rue principale de Belfast quand deux jeunes hommes blancs se sont mis à le suivre et proférer des injures racistes. Frank, ne reconnaissant pas ces hommes et ne voyant personne aux alentours, a sorti son téléphone portable et menacé de prévenir la police. Les deux hommes se sont alors précipités sur lui et l'ont jeté à terre. L'un des hommes lui maintenait le bras derrière le dos, lui disloquant l'épaule, et lui a pris son portable. Ils se sont ensuite mis à le passer à tabac jusqu'à ce qu'il s'évanouisse. Un Irlandais qui passait par là et a été témoin de la scène, a également reçu des coups alors qu'il tentait d'intervenir. Frank s'est réveillé à l'hôpital où la police a pris sa déposition. Ses blessures au bras ont nécessité plusieurs interventions chirurgicales, et étaient telles qu'il ne pouvait plus travailler, si bien qu'il a fini par être renvoyé. Cette situation a entraîné pour lui une véritable détresse personnelle, et soumis son mariage à rude épreuve. Frank est venu nous consulter après avoir été attaqué ; il souffrait d'anxiété et de stress post traumatique, et ne savait plus vers qui se tourner. Il avait peur de marcher dans la rue par crainte de croiser à nouveau ses agresseurs. Il parlait anglais couramment, mais n'avait pas de nouvelles de la police, et n'avait aucune idée des mesures qui étaient mises en œuvre ou quelles démarches entreprendre pour en savoir plus. Il était frustré et avait l'impression que personne ne se souciait de lui ou de sa famille. Il avait tellement peur d'être à nouveau attaqué qu'il songeait à quitter l'Irlande du Nord.

Au cours des dix dernières années, l'Irlande du Nord a été le théâtre d'attaques racistes répétées en dépit d'une relative paix en termes de conflit. Néanmoins, il y a peu, une recrudescence de la violence à caractère raciste a pu être observée, rendant ainsi les groupes vulnérables d'autant plus vulnérables. Le ministère de la Justice nord-irlandais, en sa qualité de nouvelle institution chargée de lutter contre le racisme, tente de faire face à cette tendance et au rapide changement démographique. La société civile mène également un débat sur la question du racisme, et ces discussions ont généré une véritable volonté de changement. Il ne fait aucun doute que de véritables efforts ont été déployés en termes d'élaboration de politiques et vers la reconnaissance de la nécessité d'un réel changement dans la façon d'aborder ce problème, en particulier en ce qui concerne les victimes de crimes haineux. Toutefois, il semblerait qu'une grande partie de ce travail se déroule de manière verticale au sein des organismes qui composent le système de justice pénale, et non pas de manière à ce que soit établie une norme applicable à tout le système. Cet élément est confirmé par le rapport de l'Inspection de la justice pénale d'Irlande du Nord « Crimes de haine : une inspection de suivi de la gestion des crimes de haine par le système de justice pénale en Irlande du Nord » (juillet 2010), qui montre qu'alors que seulement quatre des 19 recommandations n'ont pas été appliquées, ils demeuraient “préoccupés par le fait que trois ans après la publication du rapport, le Conseil de justice pénale n'a que récemment élaboré une définition commune du crime de haine, et que le développement d'une stratégie relative aux crimes de haine ne soit pas inscrit à “l'agenda” (p.18).

Le travail de NICEM s'est développé après que des usagers du service ont rapporté ne pas savoir où trouver du soutien, ou quiconque pour défendre leurs intérêts après avoir été victimes de crimes de haine

Les crimes de haine ont un effet particulièrement dévastateur sur les victimes, en comparaison avec d'autres catégories de crimes. Des recherches ont montré que même des incidents haineux de « bas niveau », tels que des injures, ont le même effet traumatique qu'une attaque physique non motivée par la haine (Iganski, P. et Lagou, S. (2009) « Comment les crimes de haines sont plus douloureux : les données tirées de l'enquête britannique sur la criminalité » in P.Iganski (ed.) Crimes de Haine. Les conséquences des crimes de haine. Westport CT : Praeger). De par leur nature même, ce genre d'attaque n'est pas seulement directement dirigé contre la victime ou ses biens, mais contre une communauté dans son ensemble, ce qui finit par générer un sentiment d'insécurité. Par conséquent, les crimes de haine ravivent ou engendrent de nouveaux aprioris, préjugés et stéréotypes négatifs à l'encontre d'autrui. Ils génèrent également des cycles de méfiance et de tensions au sein même des communautés et de la société dans son ensemble. De plus, la conception traditionnelle du crime de haine le confine dans le cadre de la criminalité. Peu d'actions sont menées pour lier cette problématique à un contexte social, politique et économique plus large, et principalement à l'attitude des communautés locales vis-à-vis des étrangers ou des non ressortissants. Cet écart signifie que certaines victimes ont le sentiment de ne pas pouvoir demeurer dans la communauté au sein de laquelle s'est déroulée l'attaque, puisqu'elles se sentent isolées de leurs voisins et des autres résidents.

Depuis 2002 le Conseil d'Irlande du Nord pour les minorités ethniques (Northern Ireland Council for Ethnic Minorities - NICEM) offre des services régionaux de soutien aux victimes de crimes de haine, de harcèlement et d'intimidations. Ces activités se sont développées après que des usagers du service ont rapporté ne pas savoir où trouver du soutien, ou quiconque pour défendre leurs intérêts après avoir été victimes de crimes de haine. Cet élément a été de nouveau confirmé par le rapport de recherche commandé par NICEM « Le prochain Stephen Lawrence ? La violence raciste et la justice pénale en Irlande du Nord » (2006), relatant les expériences de plusieurs victimes du système de justice pénale nord-irlandais. Etant donné l'absence de stratégie globale ou de services régionaux fournissant ce type de soutien, comme il en existe pour les violences domestiques, il existait peu de recours pour les victimes souffrant du traumatisme spécifique engendré par les crimes de haine. De surcroît, il n'existait pas de ressources pour financer un service régional de soutien, à cause du manque de compréhension de l'impact des crimes de haine, et une réticence persistante à reconnaître leur fréquence en Irlande du Nord. Par conséquent, NICEM a lui-même financé son service après que les subsides initiaux aient été suspendus entre 2003 et 2010, lorsqu'il a reçu des fonds nécessaires pour fournir un large éventail de services de conseil et de plaidoyer.

Le but du service est d'offrir aux victimes un environnement sécurisé et confidentiel au sein duquel elles peuvent de parler de leurs expériences. L'objectif est de garantir que les victimes soient tenues informées de leurs droits et des différentes options qui s'offrent à elles, et aient la capacité d'y accéder. Le meilleur moyen d'y parvenir est d'offrir aux victimes différents services satisfaisant leurs besoins, et notamment : une évaluation des risques, un soutien lors de la déposition auprès de la police, une aide en matière de logement/relogement en faisant la liaison avec les services du logement, une aide pour remplir les demandes de compensation et pour le renvoi vers des services d'aide psychologique, ainsi qu'un soutien au cours des négociations avec les employeurs et d'autres parties prenantes. En outre, nous travaillons en partenariat avec d'autres organisations, participons à des fora et rencontres, dispensons des formations et travaillons avec le gouvernement et des organismes officiels pour sensibiliser aux crimes de haine et leur impact.

Dans ce domaine, un travail plus intensif et positif est désormais mené par un large éventail d'agences. Des progrès ont été effectués en termes de politiques de gestion des crimes de haine au sein d'organes officiels et institutionnels. Le meilleur exemple de cette évolution est la coordination et le financement des Services de police d'Irlande du Nord (SPIN) pour prendre en charge des activités de sensibilisation à l'attention des victimes de crimes de haine. Ce service de soutien emploie des agents dédiés aux victimes de crimes de haine motivés par la race, le handicap et l'orientation sexuelle. Les agents de soutien font partie d'ONG régionales et garantissent que les victimes bénéficient d'un meilleur service de la part du SPIN grâce à une bonne communication, et des mécanismes de signalement et de responsabilisation. Le ministère de la Justice mène également un travail stratégique visant à établir un système de signalement par des tiers pour les victimes de crimes de haine afin de lutter contre le sous-signalement.

Cette dynamique doit désormais être maintenue grâce à des formations et en garantissant que ce problème sera intégré à la déontologie des agences du système de justice pénale. Il est également crucial d'établir une stratégie globale pour tout le système de justice pénale et le gouvernement, afin de garantir que les crimes de haine demeurent une priorité politique. C'est le seul moyen pour que les victimes de crimes de haine obtiennent le soutien dont elles ont besoin, et aient confiance dans le système de justice pénale.

Traduit par Claire Giraudet

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